Macron a-t-il su faire retomber la colère en Nouvelle-Calédonie ?

Sud Radio

Avec Marie-Laure Ukeiwë, Kanak habitante de la Nouvelle-Calédonie & Ugo Pontoni, originaire de la Nouvelle-Calédonie   Nous suivre sur les réseaux sociaux   ▪️ Facebook :   / https://www.facebook.com/SudRadioOfficiel .   ▪️ Instagram :   / https://www.instagram.com/sudradioofficiel/ . ▪️ Twitter :   / https://twitter.com/SudRadio .     ▪️ TikTok : https://www.tiktok.com/@sudradio?lang=fr  ##C_EST_DANS_L_ACTU_7-2024-05-26##

Transcript

00:00 Avec deux enfants de cette île, on accueille tout de suite sur Sud Radio avec plaisir

00:05 Marie-Laure Okaway, bonjour.

00:07 Bonjour.

00:08 Bienvenue sur Sud Radio.

00:09 Vous êtes Kanak, vous êtes habitante de la Nouvelle-Calédonie, plus précisément

00:13 de Dombéa, c'est dans le sud, le sud de Nouméa, juste à côté.

00:16 On est aussi, comme la semaine dernière d'ailleurs, avec Hugo Pontoni.

00:20 Bonjour à vous.

00:21 Bonjour Jean-Marie.

00:22 Vous, vous êtes originaire de Nouvelle-Calédonie, vous êtes plutôt Kaldosh.

00:25 Vous êtes de quel endroit de Nouvelle-Calédonie ? Où est-ce que vous aviez grandi ?

00:27 J'ai grandi à Nouméa et ma famille originaire de Bouraille dans le nord.

00:31 Voilà.

00:32 Et vous, votre famille est en Nouvelle-Calédonie depuis six générations.

00:35 Si je me souviens bien, Emmanuel Macron qui s'exprime ce matin dans les pages de nos

00:40 confrères du Parisien, aujourd'hui en France, avec un cri du cœur d'abord, il faudra

00:46 revivre ensemble.

00:47 Première question, est-ce que ça veut dire qu'au terme de ces deux semaines de trouble,

00:52 on ne vive plus du tout ensemble en Nouvelle-Calédonie ? Marie-Laure Okaway.

00:56 Je pense que c'est important de préciser que ce n'était pas tout partout.

00:59 C'était vraiment sur Nouméa et son agglomération.

01:02 Enfin, c'est toujours d'ailleurs.

01:03 Après, dans d'autres endroits, en particulier sur Bouraille, chez Hugo, c'est vraiment

01:08 des exemples de vivre ensemble qui se sont mis en œuvre.

01:10 Pareil sur Pointe-Dimier, sur la côte est.

01:13 Donc oui, il va falloir revivre ensemble, mais peut-être plus sur Nouméa et son agglomération

01:17 en priorité.

01:18 Notamment dans les quartiers tout autour.

01:20 C'est la capitale de l'île.

01:22 Il y a une ville très peuplée où manifestement les habitants vivent chacun dans des quartiers

01:27 séparés.

01:28 C'est ça qui se passe ? Je pense que c'est quand même une petite caricature parce que

01:33 les gens habitent certes dans des quartiers comme on peut voir ici en France, c'est-à-dire

01:37 il y a des quartiers sociaux et des quartiers un peu moins sociaux.

01:39 Mais en l'occurrence, les écoles, tout ce qui va être bien et services, on va s'y

01:44 retrouver parce que c'est les lieux communs.

01:46 C'est ça, ce qui paraît logique.

01:48 Quel bilan vous tirez-vous, Hugo, de ces deux semaines de trouble ?

01:51 Écoutez, c'est vrai, beaucoup de tensions.

01:54 Je pense encore pas mal d'anxiété localement.

01:58 Maintenant, il y a encore effectivement dans certains quartiers dans lesquels il y a des

02:03 émeutes qui brûlent.

02:05 L'anxiété aussi surtout sur le jour d'après et le mois qui arrive.

02:10 Va-t-on réussir à trouver finalement un accord global ? C'est ce que je souhaite profondément

02:16 et ce que l'ensemble des habitants souhaite aujourd'hui puisque l'ensemble des Calédoniens

02:21 veulent le vivre ensemble.

02:23 En tout cas, ils souhaitent un accord, sauf que précisément, tout le monde ne souhaite

02:27 pas le même accord, ce qui est logique.

02:29 Il y aura des discussions.

02:30 Ce qui a mis le feu aux poudres, c'est cette réforme électorale, le dégel du corps électoral.

02:36 C'est un petit peu technique pour tous ceux qui nous écoutent, notamment en métropole,

02:39 qui ne connaissent pas forcément la situation.

02:40 Mais concrètement, si vous n'habitez pas en Nouvelle-Calédonie depuis un certain temps,

02:45 vous ne pouvez pas voter aux élections en Nouvelle-Calédonie.

02:48 C'est ça la situation actuelle.

02:50 Est-ce que vous, vous comprenez qu'il faille le dégeler ce corps électoral ?

02:53 Alors, juste pour préciser, oui, on ne vote pas aux élections, mais que pour les élections

02:57 locales.

02:58 Et la revendication des Cana, qui est en particulier indépendantiste, c'est vraiment d'avoir

03:03 un corps électoral qui ne bouge pas pour les élections référendaires.

03:07 Donc, ce n'est pas forcément le même corps électoral.

03:09 Voilà, donc ce n'est pas forcément le même type de vote.

03:11 Pourquoi ça met le feu aux poudres ? On lit certains arguments, par exemple, notamment

03:15 le FLN-Cales, le Front de Libération Nationale Canaques et Socialistes, qui explique qu'une

03:23 réforme du corps électoral peut, je cite, "minoriser" les Canaques au sein des élections.

03:29 C'est une réalité pour vous ?

03:30 Après, ce qu'on peut dire, c'est que cette minorisation, on va dire, de la population

03:35 Canaques, elle existe déjà.

03:36 Et de fait, depuis 1853, quand les colons pour la pénitentiaire sont arrivés, il y

03:42 a eu beaucoup de mélanges, que ce soit de cœur ou de corps.

03:45 Et du coup, de là, on a déjà une population qui est mixte, qui est métissée.

03:49 Donc, on n'a plus, on va dire, vraiment de vrais Canaques d'un côté et d'autre.

03:53 On n'est pas coupés en deux concrètement.

03:55 Heureusement, les gens sont un peu mélangés.

03:57 D'ailleurs, il n'y a pas que des Blancs ou des Canaques.

03:58 Il y a aussi des Walisiens, des Immigrés, des Asiatiques.

04:01 On a un peu de tout.

04:02 Et c'est ce qui fait aussi notre richesse multiculturelle.

04:05 Alors, qu'est-ce qui fait justement, et je vais vous poser la question à tous les

04:07 deux, que quelqu'un qui ne connaît pas la Nouvelle-Calédonie, comme moi, mais on

04:10 est quelques millions en métropole à ne pas y être allé, quand on regarde la situation

04:14 de l'extérieur, on a l'impression que ce n'est pas du tout mélangé, qu'il y a

04:17 une forme de défiance entre les uns et les autres.

04:19 Il y a même du racisme entre les uns et les autres.

04:21 On a entendu parler de racisme.

04:22 On a vu même des témoignages de racisme anti-Canaques, de racisme anti-Blancs.

04:26 Ça existe ou pas ?

04:27 - Concrètement, non.

04:28 Je viens d'arriver il y a une semaine ici à Paris.

04:31 Pour moi, non, ça n'existe pas.

04:32 - Est-ce que vous reconnaissez votre île dans la manière dont on la présente et on

04:37 en parle dans les médias ici ?

04:39 - Pas du tout.

04:40 - Et vous Hugo ?

04:41 - Oui, c'est le même sentiment.

04:43 - Alors, c'est quoi la réalité pour vous ?

04:45 - La réalité, c'est que finalement, on met aujourd'hui en avant dans les médias les

04:51 extrêmes.

04:52 Les extrêmes ont toujours existé, que ce soit en Nouvelle-Calédonie ou en métropole.

04:56 Pour autant, c'est le vivre ensemble qui existe.

05:00 Il y a des très belles images, notamment pendant les émeutes dans les quartiers, de

05:04 gens toutes ethniques confondues qui mettent des tables dans les rues, qui mangent ensemble,

05:08 qui s'entraînent.

05:09 - Il n'y a pas eu que les barrages, c'est ça que vous voulez dire ?

05:10 - Exactement.

05:11 Il y a eu une entraide et aujourd'hui, dans certains quartiers bloqués, il y a même

05:15 certaines personnes qui comptent pour les enfants.

05:18 C'est ça l'image de la Calédonie, c'est une société multiculturelle.

05:23 - En tout cas, société multiculturelle malgré tout qui va devoir penser ses plaies parce

05:29 que les dégâts sont très importants et notamment les conséquences de ces émeutes.

05:34 Concrètement, est-ce que vous pensez que ceux qui sont montés sur les barrages, par

05:39 exemple, pour défendre leur quartier contre de potentiels émeutiers ou alors ceux qui

05:42 ont dressé des barrages seront capables, Marie-Laure ou Kayway, de revivre ensemble ?

05:47 - Après, c'est vraiment le message qu'Emmanuel Macron a voulu faire passer.

05:51 - Ça, c'est ce qu'il dit lui, mais justement.

05:53 - C'est aussi ce que les délégations, que ce soit des indépendantistes ou des non-indépendantistes,

05:57 ont eu à relayer auprès de leur base.

05:59 Donc nous, ce sont des messages qui ont été passés.

06:01 C'est vrai qu'ils n'ont pas encore été appliqués, notamment du côté indépendantiste

06:05 et c'est peut-être ce qu'on peut déplorer.

06:07 Mais en l'occurrence, l'objectif, c'est de retrouver le temps de la reconstruction

06:12 et puis du dialogue.

06:13 - Oui, avec notamment plusieurs centaines de millions d'euros de dégâts.

06:16 L'une des organisations indépendantistes, la CCAT, n'a pas encore complètement appelé

06:20 à lever les barrages.

06:21 En tout cas, en revanche, elle a appelé, je cite, à "desserrer les taux", notamment

06:24 pour permettre aux vivres d'arriver, pour aussi débloquer les personnes.

06:29 Vous, Marie-Laure Okaiwe, par exemple, vous étiez venue en métropole pour une semaine

06:33 seulement pour le travail.

06:34 Vous auriez dû repartir hier.

06:35 C'est impossible en ce moment ?

06:36 - Pour l'instant, ce n'est pas possible.

06:38 Donc on essaye aussi de développer ici un peu la solidarité entre Calédoniens.

06:41 Il y a des initiatives qui sont mises en oeuvre pour essayer de récolter des biens, des denrées.

06:47 Il y a aussi des outils qui sont mis en place pour essayer de recenser un peu toutes les

06:52 personnes qui seraient bloquées pour voir comment on peut intervenir et demander aux

06:56 compagnies de vite nous affrêter pour pouvoir rentrer en Nouvelle-Calédonie.

06:59 - Ce qui est particulièrement compliqué à ce stade.

07:03 Après, ça va revenir.

07:04 Est-ce que vous, Hugo Pontoni, vous souhaitez retourner en Nouvelle-Calédonie prochainement

07:08 ou pas ?

07:09 - Oui, c'était l'objectif.

07:10 C'était un projet.

07:11 Donc même d'y rentrer définitivement, maintenant, la question se pose.

07:17 Pour autant, mes racines sont profondément ancrées là-bas.

07:20 Donc il va falloir prendre ça en considération.

07:24 Je ne veux pas me faire déraciner.

07:25 - Effectivement.

07:26 Pourtant, c'est loin.

07:27 C'est vrai.

07:28 Donc c'est difficile de garder un fil conducteur.

07:29 Comment vous, vos familles d'ailleurs ? Vous gardez le contact tous les jours ? Personne

07:33 n'a eu de problème particulier ?

07:34 - Pour le moment, non.

07:35 Tout le monde est en sécurité.

07:37 Ils essayent d'avoir à manger un peu régulièrement.

07:40 C'est un peu compliqué aussi parce que ce n'est pas la vie de tous les jours.

07:43 Et puis moi, j'ai des enfants.

07:45 Donc ils sont là-bas.

07:46 Heureusement, il y a le papa qui gère.

07:48 Mais il y a tout ça qui rentre en ligne de compte.

07:50 - Exactement.

07:51 Est-ce que ça se calme concrètement ? Ce qui vous revient, Hugo Pontoni, de la Nouvelle-Calédonie,

07:56 est-ce qu'on vous dit qu'en ce moment, la tension est quand même en train de retomber ?

07:59 - Non, je ne pense pas.

08:02 Alors peut-être moins de violence dans certains quartiers.

08:04 Pour autant, il y a encore des quartiers qui sont possédés par les émeutiers dans lesquels

08:09 les forces de l'ordre ne peuvent pas rentrer.

08:11 Et on voit justement hier, il y a quand même trois maisons brûlées dans certains quartiers

08:16 et des gens qui n'ont plus rien.

08:18 - Exactement, qui ont tout perdu en tout cas.

08:20 Je vais vous poser la même dernière question, bien qu'il y ait déjà eu trois votes, dont

08:25 le troisième est contesté.

08:27 Est-ce que vous pensez que d'ici dix ans, Marie-Laure Okaway, la Nouvelle-Calédonie

08:32 fera toujours partie de la France, quel que soit son statut ?

08:35 - Dans tous les cas, je pense qu'il faut que la Nouvelle-Calédonie soit "dépendante"

08:41 de quelqu'un parce qu'on est trop petit, on n'a pas assez de ressources, on ne peut

08:44 pas se suffire à soi-même dans notre espace pacifique.

08:47 Et c'est vrai que pour l'instant, la France est avec nous, elle nous aide beaucoup et

08:51 c'est quelque chose qu'on peut remercier et surtout qu'on peut vérifier par rapport

08:55 à si d'autres puissances autour pouvaient venir.

08:58 - Et au-delà de votre pronostic, votre souhait à vous concrètement, qu'est-ce que vous

09:03 préféreriez ? Est-ce que vous seriez pour l'absolue indépendance de la Nouvelle-Calédonie

09:07 ou pas ?

09:08 - Pas du tout.

09:09 Je suis pour que la Nouvelle-Calédonie reste française.

09:10 - Et vous Hugo Pontonnier ?

09:11 - Moi c'est le même sentiment et j'invite ceux qui pensent que la Nouvelle-Calédonie

09:16 peut être indépendante à regarder les exercices que la Chine a fait autour de Taïwan cette

09:21 semaine.

09:22 - Par exemple, effectivement c'était l'actualité, un exercice d'intimidation autour de Lille,

09:26 on en reparlera en tout cas.

09:28 Merci à tous les deux d'être venus sur Sud Radio.

09:30 - Merci à vous.

09:31 - De nous parler de votre réalité parce que c'est important d'en parler avec les premiers

09:34 concernés tout simplement.

09:35 Bon courage à vos proches qui sont toujours là-bas, on espère que la tension va retomber

09:39 et que tout le monde ira bien en fin de compte.

09:41 Merci à vous Marie-Laure Okaiwe.

09:42 Je rappelle que vous êtes Kanak, habitante de Doumbéa en Nouvelle-Calédonie, j'espère

09:47 que je l'ai bien prononcé.

09:48 Merci à vous également Hugo Pontonnier, vous-même originaire de Nouvelle-Calédonie,

09:52 votre famille y est depuis six générations.

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