Kering en détresse

  • il y a 5 mois

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00:00 Salut à tous et bienvenue sur cette nouvelle émission dans laquelle on va parler du luxe.
00:15 Et oui, on a trois géants français du luxe que vous connaissez forcément. On a Hermès,
00:19 on a LVMH et Kering. Et si on devait faire un petit peu une classification, en tout cas en
00:23 termes de prestige, vous auriez en haut Hermès, évidemment, le luxe sans compromis, une seule
00:28 marque Hermès, la mise en avant d'un artisanat traditionnel et surtout un héritage. C'est une
00:33 entreprise familiale depuis 1837. Alors que les deux suivantes, LVMH et Kering, sur le papier en
00:39 tout cas, elles sont beaucoup plus proches. Déjà parce que ce sont des conglomérats, ce sont des
00:43 portefeuilles diversifiés de marques et les deux ont des stratégies agressives d'acquisition. En
00:48 fait, les deux sont nés de cette manière-là, avec bien sûr Bernard Arnault d'un côté qui a fait
00:53 tous les rachats, qui a racheté une à une toutes les maisons de son portefeuille actuel. Et même
00:58 chose chez la famille Pinault, avec aujourd'hui François-Henri Pinault qui a racheté Gucci,
01:03 qui a racheté Yves Saint Laurent, qui a racheté Boucheron, Balenciaga, etc. Et pourtant, même si
01:07 sur le papier ces deux sociétés sont relativement similaires en termes de structure par rapport à
01:13 Hermès, comme je le disais, qui est vraiment monomarque et toujours dans la même lignée
01:17 familiale que la famille de 1837, on a LVMH qui surpasse Kering depuis plusieurs années et qui la
01:24 surpasse sur pas mal de plans en fait. Déjà au niveau de la croissance, on a une croissance forte
01:28 et régulière pour LVMH et on a une croissance faible et en dent de scie pour Kering. En termes
01:33 de profitabilité aussi, on a des marges stables et haussières chez LVMH et plutôt descendantes
01:38 pour Kering. Et évidemment, tout ça se retrouve dans leurs performances boursières sur les trois
01:43 dernières années. On a d'un côté LVMH qui a gagné 23% contre une baisse de 49% pour Kering,
01:50 la capitalisation boursière a été divisée par deux. Et c'est vrai que vu de l'extérieur,
01:53 on peut se demander comment c'est possible avec des produits à peu près sur les mêmes marchés
01:57 vendus à peu près aux mêmes clients, ça paraît assez fou d'avoir des écarts autant sur le plan
02:01 boursier que sur le plan comptable, enfin si on veut, d'analyse financière. Alors on pensait que
02:06 chez Kering c'était juste une mauvaise passe et qu'ils allaient sortir la tête de haut,
02:09 mais quand les résultats du premier trimestre 2024 sont sortis, là l'écart a vraiment été
02:14 impressionnant. Alors effectivement, le marché du luxe est plus compliqué que les années
02:18 précédentes, mais on a 3% de croissance d'un côté pour LVMH contre -11% pour Kering. Et la grosse
02:27 différence c'est que effectivement chez LVMH aussi c'est un peu plus compliqué, mais ce qui va mal
02:31 chez LVMH, et depuis un moment ça on le sait, ce sont les vins espiritueux qui restent une petite
02:36 activité, alors que chez Kering c'est leur marque phare, c'est Gucci qui voit ses ventes diminuer de
02:42 18% au premier trimestre et qui n'est pas forcément rattrapé par les autres puisque la deuxième
02:47 marque Saint Laurent est en baisse aussi de 6%, en tout cas en termes de chiffre d'affaires. Et
02:52 finalement la seule chose qui marche chez Kering ce sont les lunettes, la lunetterie est une activité
02:57 qui représente environ une dizaine de pourcents du chiffre d'affaires. Et le pire c'est que c'est
03:02 pas amené à s'améliorer rapidement puisque François Ripinot a dit lors de la dernière annonce
03:06 de résultats que la mauvaise passe va durer. Alors les questions qu'on peut se poser c'est
03:09 comment une marque comme Gucci peut se retrouver aussi rapidement et aussi fortement en difficulté
03:15 et pourquoi est-ce que c'est si difficile de remettre une marque comme Gucci sur les rails.
03:19 Pour comprendre les problèmes de Gucci il faut revenir un petit peu sur son positionnement.
03:22 Ça faisait sept ans qu'Alessandro Michele était directeur artistique de Gucci en 2022,
03:28 puisque Alessandro Michele est arrivé en 2015, il avait transformé la marque pour en faire la
03:33 marque extravagante, la marque un peu avant-gardiste avec une clientèle plus jeune et plus branchée.
03:39 Et ça ça a très bien marché au départ de son mandat donc de 2015 à 2019 et notamment en attirant
03:45 la génération Z chinoise. Il faut savoir que la clientèle du luxe en Chine est beaucoup plus jeune
03:50 qu'en Europe, l'acheteur moyen d'un produit de luxe à 29 ans. Et le problème c'est qu'en se
03:55 concentrant sur cette clientèle voilà jeune chinoise etc qui aimait vraiment les trucs
04:00 extravagants un peu fous, Gucci s'est coupé du luxe intemporel. Il s'est coupé d'Hermès,
04:06 de Louis Vuitton, de Chanel etc. Et la jeune clientèle chinoise elle a des habitudes d'achat
04:11 qui sont très changeantes contrairement à l'ultra luxe beaucoup plus classique qui lui
04:16 est beaucoup plus stable. Et en 2021-2022 il y a eu un coup d'arrêt pour Gucci, les ventes ont
04:21 baissé d'un coup et les consommateurs en particulièrement en Chine se sont lassés des
04:26 designs extravagants, sachant que la Chine avait atteint plus de 50% des ventes de Gucci donc
04:31 l'impact a été énorme. Et ce qui peut paraître surprenant c'est que les vieilles maisons type
04:35 Louis Vuitton et Hermès ont finalement beaucoup mieux compris les chinois. Les chinois ils veulent
04:40 du digital, ils sont fortement influencés par les influenceurs, par ce qu'ils voient sur les réseaux
04:45 sociaux etc. Et Louis Vuitton est très fort dans ce domaine en Chine. Ils veulent de la personnalisation
04:50 et une des grandes forces d'Hermès justement c'est de faire des éditions limitées. Ils ont
04:54 fait beaucoup d'éditions limitées pour les chinois. Ils veulent aussi des publicités qui les ciblent
04:58 et Louis Vuitton justement a pris des acteurs chinois très connus pour faire sa pub. Alors que
05:03 Gucci de son côté a fait plusieurs publicités qui sont mal passées. Par exemple ils ont inclus de
05:07 la fourrure de lapin dans leur collection pour fêter l'année du lapin en 2023 alors que Kering
05:12 avait promis arrêter les fourrures animales. Ils avaient déjà fait une boulette en 2022 lors de
05:17 l'année du tigre, voilà qui n'était pas très bien passé. Donc on voit Kering et la Chine ça a d'abord
05:23 été une histoire d'amour mais qui s'est très mal terminée. Kering a relativement tardé à réagir
05:27 mais ils ont fini par virer leur directeur artistique, enfin le directeur artistique de Gucci,
05:31 vous l'avez compris, Alessandro Michele. Et Kering mise aujourd'hui tout sur son nouveau directeur
05:36 artistique, Sabato Desarno et sa nouvelle collection. Donc ils ont voulu prendre évidemment
05:41 un virage beaucoup plus minimaliste. On est sur du quiet luxury, on est sur du luxe silencieux
05:46 justement pour reconquérir la clientèle qui cherche du luxe indémodable. Mais cette nouvelle
05:51 collection ne fait que démarrer, elle représente aujourd'hui 7% des ventes de Gucci, enfin quand je
05:55 dis aujourd'hui c'est au premier trimestre, le but étant de monter à 30% en juin et à 100% en fin
06:00 d'année. Et le problème c'est que cette fameuse clientèle ultra luxe, plus traditionnelle, plus
06:05 aussi européenne, elle est très dure à retrouver. Ça ressemble un peu à un kit ou double, ce
06:10 changement de stratégie en fait chez Gucci, mais ce qu'il faut comprendre c'est qu'on ne devient
06:15 pas Hermès du jour au lendemain. Hermès c'est Hermès parce qu'ils ont la même politique depuis
06:20 1837. On ne peut pas aller d'un côté chasser sur le terrain de l'extravagance pendant quelques
06:25 années, avoir un côté un peu perché, un côté avant-gardiste, et puis quand ça ne paye plus,
06:29 vouloir faire du Vuitton, du Hermès. Et en regardant la présentation aux investisseurs
06:33 qui a été faite récemment, on s'aperçoit qu'il y a plusieurs slides qui sont dédiés à "on va faire
06:39 revenir Gucci à son niveau normal", on va dire. C'est un peu ce qu'ils disent, il faut faire
06:45 revenir Gucci where it belongs, donc là où ça appartient. C'est un peu bizarre, un peu lunaire
06:50 en fait de voir des slides dédiés à "voilà comment on va faire revenir Gucci à son niveau d'avant",
06:55 mais le problème c'est que ça ne marche pas comme ça dans le luxe. La marque est abîmée aujourd'hui.
06:59 Kering a joué avec le feu et s'est brûlé. Je dis Kering mais en fait c'est faux, c'est Gucci. Gucci
07:03 a joué avec le feu et s'est brûlé. Et ça va prendre du temps pour retrouver cette fameuse
07:07 désirabilité et ça va leur coûter cher. Vous avez cette désirabilité, ce sont les mots, enfin c'est
07:12 le mot quand on écoute soit Bernard Arnault parler, soit les résultats d'Hermès. On entend tout le
07:18 temps parler de cette désirabilité, désirabilité. Ils ont bien conscience que c'est leur actif le
07:21 plus précieux et c'est typiquement ce qu'a perdu Gucci et c'est justement ce qui va être très
07:25 compliqué à retrouver. Alors sur un sujet un petit peu annexe, je dois vous parler de cette
07:28 anecdote que j'ai trouvé assez drôle, qui est parue dans la lettre d'information, la lettre
07:33 justement. C'est une journaliste d'une agence de presse spécialisée dans le secteur du luxe qui a
07:37 reçu un message WhatsApp du service de presse de LVMH et dans ce message, donc c'était lors de
07:42 l'annonce des résultats de Kering, et dans ce message LVMH se vante de continuer de creuser
07:48 l'écart avec Kering. Elle compare les performances de ces marques, donc LVMH à celles de Kering et
07:53 dit même, c'est une citation, "l'endettement de Kering va devenir une source d'inquiétude pour
07:57 les analystes et les investisseurs comme en témoigne la dégradation de la note de la dette
08:01 de Kering par Standard & Poor's. Alors c'est un tacle non réglementaire qui m'a beaucoup surpris,
08:07 c'est pas très classe et surtout je trouve surprenant que LVMH contacte des journalistes
08:12 pour aller cracher un petit peu sur Kering alors que Kering va mal, parce que LVMH va bien et je
08:17 trouve c'est vraiment se rabaisser en fait de devoir un peu tacler ses concurrents comme ça
08:23 lors de l'annonce des résultats pour dire "regardez, comparez-nous à eux", etc. Je pense
08:27 qu'il n'y a pas besoin. Malheureusement pour Kering, aujourd'hui il y a Hermès qui est sur
08:30 une autre planète et il y a LVMH qui est bien bien devant Kering, il n'y a pas besoin d'en
08:34 rajouter comme ça, mais j'ai trouvé assez fou que apparemment un service, je sais pas qui c'est,
08:38 un service presse se mette à commenter les résultats d'un concurrent, je trouve ça assez
08:42 dingue. Alors j'ai qu'une seule source pour ça, donc il y a cette lettre d'information, je sais
08:45 pas exactement ce qui s'est passé mais je trouve ça assez fou. Mais pour revenir au fond et non
08:50 plus à la forme, il y a quand même un point qui est soulevé qui est assez juste sur la dette de
08:54 Kering parce qu'il faut rappeler qu'il y a des situations extrêmement différentes dans les
08:57 trois groupes de luxe français. Il y a Kering qui effectivement commence à accumuler de la dette
09:01 parce que ça coûte cher de faire revenir Gucci au top niveau, alors que LVMH n'a quasiment plus
09:07 de dette, en tout cas des dettes très faibles et Hermès n'a pas de dette du tout, c'est vraiment
09:10 le champion. Donc voilà, je trouve ça mal joué de la part de LVMH de pointer la dette de Kering,
09:15 mais il faut avouer que c'est vrai et que potentiellement Kering va commencer à avoir
09:19 une dette qui va poser problème aux investisseurs. Donc Kering, aujourd'hui, il faut considérer ça
09:23 comme un dossier qu'on va appeler recovery, un redressement d'entreprise. Et le problème avec
09:28 ces redressements d'entreprise, c'est qu'on ne sait pas si ça va arriver et quand ça va arriver.
09:32 En tout cas, en termes de chiffres, ce n'est pas avant fin 2024, début 2025, qu'on saura si les
09:38 efforts que Kering a mis dans Gucci, les changements de direction artistique, etc. vont payer. En tout
09:44 cas, moi, c'est le genre de dossier que je n'aime pas trop parce que ce que j'aime dans le luxe,
09:48 c'est justement cet aspect marque indémodable, intemporel, le côté vraiment bulldozer avec un
09:53 portefeuille diversifié de marques qui marche, enfin diversifié ou pas, Hermès n'étant pas
09:57 diversifié mais marchant extrêmement bien et Gucci, voilà, ils ne sont finalement pas si
10:02 diversifiés que ça, on le voit et leurs marques phares ne vont pas super bien. Donc, est-ce que
10:06 c'est un problème de management qui mène de clairvoyance qui n'a pas été assez réactif ?
10:11 Probablement, mais en tout cas, voilà, dossier compliqué aujourd'hui. N'hésitez pas à me mettre
10:15 en commentaire ce que vous pensez de Kering. Pour moi, ça reste un gros point d'interrogation,
10:19 mais un point d'interrogation qui m'inquiète quand même parce que je pense que ça va être
10:23 un défi extrêmement compliqué à relever. Voilà, merci à tous et à bientôt pour d'autres émissions.

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