Ces tueurs sont-ils vraiment FOUS _

  • il y a 3 mois
Psycho du crime tueurs fous
Ce volet de la série PSYCHO DU CRIME s'intéresse à trois criminels dont la santé mentale était très nettement défaillante. Alain Lamare, le «tueur de l'Oise», un gendarme qui terrorisa sa région à la fin des années 1970. Le Dr Serge Bornstein évoque sa personnalité dissociée et l'expertise qu'il a effectuée, concluant qu'il était en état de démence au moment des faits. La personnalité de Pierre Bodein, dit «Pierrot le fou», qui a violé et tué deux fillettes et une adulte en 2004, est d'une grande complexité. Malade mental, simulateur ?
Transcript
00:00Un pervers généraliste, c'est quelqu'un qui prend son désir pour la réalité
00:04et qui ignore la loi ou qui considère que la loi, c'est ce qu'il est capable de faire lui-même.
00:08Lui a toujours eu le sentiment que la loi était quelque chose qui était écrasant, injuste, inutile
00:14ou en tout cas qu'il pouvait être plus intelligent que la loi,
00:16que la réalité lui montrait qu'il pensait mieux que la loi.
00:24Alain Lamarre, Pierre Baudin, Romain Dupuis.
00:28Trois hommes qui ont commis des actes fous et que la justice a dû considérer comme tels.
00:34En droit, on parle d'irresponsabilité pénale.
00:38Ce sont les psychiatres qui sont chargés de dire si l'accusé est accessible à une sanction pénale
00:43et donc à la justice des hommes.
00:46Ce sont les psychiatres qui déterminent qui est criminel et qui est malade,
00:51qui doit être puni et qui doit être soigné.
00:56Sauf que ce n'est pas une science exacte.
00:59Certains bernent les experts et d'autres sont insoupçonnables.
01:08Insoupçonnable comme Alain Lamarre, le tueur fou de l'Oise,
01:11un homme qui a semé la terreur pendant des mois et qui s'avérait être gendarme.
01:15Docteur Bornstein, vous l'avez rencontré, qu'est-ce que vous pouvez nous dire de lui au premier abord ?
01:20C'est un homme qui s'est livré aisément, un petit peu distant,
01:26mais qui a fait un réel effort pour se remettre en cause,
01:32eu égard à son destin extraordinaire.
01:35Est-ce qu'il a l'air fou ?
01:38Au premier abord, il n'est pas fou.
01:40Mais on va s'apercevoir que c'est assez étrange.
01:44Il a une personnalité dissociée.
01:47Tantôt, il est le gendarme rigoureux, insoupçonnable, méticuleux,
01:53et tantôt le criminel froid, glacial, égocentré, agressif, indifférent.
02:02C'est quelqu'un qui fait presque peur.
02:09Mai 1978.
02:11Il se passe des choses bizarres dans l'Oise.
02:15Tout commence par une voiture retrouvée dans la forêt de Chantilly,
02:19au carrefour des Ripailles.
02:21Une 504.
02:23A l'intérieur, de drôles de choses.
02:30On découvre dans ce véhicule des cordages,
02:33comme si quelqu'un avait été attaché sur le sieste passager,
02:38des mégots de gitanes blanches,
02:41une seringue hypodermique ayant contenu une poudre blanche,
02:46et puis des douilles de 9 mm anciennes,
02:50également des douilles de carabines US.
02:56Deux mois plus tard, un autre événement survient à Pont-Sainte-Maxence,
03:00toujours dans l'Oise.
03:02Karine, une jeune fille de 17 ans, est agressée.
03:07Elle rentre chez elle, et à ce moment-là,
03:10un individu qui circule à bord d'un véhicule Grenat
03:14tire à plusieurs reprises sur elle.
03:17Karine est blessée, mais rien de grave.
03:20L'une des balles lui a traversé le mollet.
03:23Dix jours après cette agression,
03:26un gardien de la paix remarque une voiture mal garée
03:30dans une rue de Creil.
03:32Il ouvre la portière du véhicule
03:35et s'en suit immédiatement une détonation,
03:38suivie d'un incendie.
03:41Le gardien de la paix a failli brûler vif,
03:44mais il s'en sort avec des brûlures aux mains et au visage.
03:48Très vite, les enquêteurs font le lien entre ces trois affaires,
03:52grâce aux empreintes digitales,
03:55quand une lettre anonyme arrive au commissariat.
03:59L'auteur y revendique la voiture piégée
04:02et l'agression de Karine.
04:04Plus inquiétant, il dit qu'il va recommencer.
04:08Et il précise ses obsessions.
04:14Une fille de 17 ans qui déambule provocamment la nuit
04:18est une cible que j'affectionne particulièrement.
04:22Karine me connaît, mais elle ne saura jamais
04:26faire le rapprochement.
04:29La fois prochaine, je viserai le cœur et non pas les jambes.
04:33Le cœur et non pas les jambes.
04:36Quant à la fin de la lettre, elle est très inquiétante.
04:40Cette lettre n'est pas une confession
04:43qui exigerait de nombreuses pages.
04:46C'est seulement un avertissement.
04:49Transmettez-le.
04:51Signé, point d'interrogation.
04:55Ça veut dire que c'est le début, ça va continuer.
04:59Vous allez voir ce que vous allez voir.
05:08L'homme qui a envoyé cette lettre à la police
05:11revendique ses crimes.
05:13Il en annonce d'autres.
05:15Ça sent le déséquilibré.
05:17Dans ces lettres-là, il endosse complètement
05:21l'habit du délinquant,
05:23exacerbé, prêt à tout,
05:25sanguinaire, moqueur,
05:28et une espèce de guerre contre la société.
05:32Moqueur, mais aussi mégalo.
05:34C'est quelqu'un qui a l'air fier de lui,
05:37fier de ce qu'il fait.
05:39Oui, il est conscient de ses capacités,
05:42conscient de mettre en œuvre
05:45la sagacité de ses interlocuteurs futurs.
05:51Cette lettre, qu'est-ce qu'elle dit de son auteur ?
05:54On sent une dimension autoritaire
05:59et une rigidité qui fleurbont le paranoïaque.
06:04En même temps, il a une façon de s'exprimer
06:07contre les femmes qui semblent haïres, détestées,
06:11au point de redouter d'être salies s'ils approchent.
06:17C'est quelqu'un qui, visiblement,
06:20apparaît déséquilibré à la recherche
06:23de références personnelles,
06:26qui est donc très égocentré.
06:29C'est quelqu'un qui semble labile,
06:32instable géographiquement,
06:34qui semble agressif
06:36et relativement indifférent au sort des autres.
06:39C'est quelqu'un qui apparaît très cruel.
06:43Dans cette lettre, l'auteur écrit
06:45« Je suis un tueur et en tant que tel, je vais tuer ».
06:48Vous pensez qu'il faut le prendre au sérieux ?
06:50Oui, il annonce « Je suis un tueur et je vais tuer »
06:54et je pense qu'il faut le prendre au sérieux
06:56compte tenu de l'ensemble du style de la lettre.
07:00C'est quelqu'un qui n'a pas l'air d'un plaisantin du tout.
07:05On sent qu'il est dans une crise existentielle personnelle,
07:09qu'il est déchiré par des tendances contradictoires
07:13et que pour s'en sortir, il lui faut cette explosivité
07:17peut-être de style criminel, donc il est redoutable.
07:23Dans les trois mois qui suivent la lettre anonyme,
07:26il ne se passe rien.
07:28Jusqu'au 16 novembre,
07:30les gendarmes sont appelés pour un étrange accident
07:33toujours dans l'Oise.
07:35Une jeune femme de 20 ans rentrait chez elle à vélo
07:38et a été renversée par une voiture.
07:44La voiture la bouscule, mais pas trop fort,
07:46elle n'est pas venue à grande vitesse,
07:48elle l'a bousculée au point de la déséquilibrer,
07:50elle est tombée sur la chaussée.
07:52Elle s'est fait mal, elle a crié,
07:55elle s'est retournée et elle a vu le conducteur.
08:00La voiture qui l'a renversée est retrouvée sur un parking,
08:03piégée elle aussi.
08:05C'est la deuxième explosion de voiture en trois mois.
08:11Au même moment, un braquage est commis dans un bureau de poste.
08:15Le braqueur a laissé une empreinte.
08:18C'est la même que celle sur la lettre anonyme
08:21et dans la 504 du carrefour des Ripailles.
08:24Et ce n'est pas fini.
08:26Quinze jours plus tard, une jeune femme est retrouvée
08:29sur le bord de la route, derrière l'hippodrome de Chantilly.
08:34En fait, cette jeune femme a reçu plusieurs balles dans le corps.
08:39Elle est hospitalisée d'urgence, elle s'appelle Yolande
08:43et malheureusement elle décède le soir à la clinique déchoquée.
08:47Yolande avait 19 ans.
08:50Avant de mourir, elle a eu le temps d'expliquer
08:53qu'elle a été prise en stop par un homme d'une trentaine d'années.
08:56Courtois, chic et même sympa.
09:00Mais subitement, il a changé d'attitude.
09:07Elle s'aperçoit qu'il n'est pas normal, que ça ne va pas,
09:09elle veut s'enfuir et il faut savoir qu'elle est décédée
09:12de coups violents sur le crâne, donc il a dû la frapper
09:15avec la crosse de son arme et il a tiré plusieurs balles,
09:18dont une qu'il a atteinte dans la région du cœur.
09:21Les gendarmes pensent tout de suite à la lettre anonyme.
09:25La prochaine fois, je viserai le cœur.
09:32Et là vraiment on commence à se dire ça y est,
09:34il y a un fou qui rôde, d'ailleurs on l'appellera le tueur fou de l'Oise.
09:38Et le tueur fou de l'Oise frappe encore.
09:41André a 19 ans.
09:43Elle est prise en stop dans une 504 verte
09:46par un beau garçon très bien habillé.
09:50Il lui a parlé de la pluie de Bretagne, puis à un moment il lui a dit
09:52je vais vous faire mal, elle a tourné la tête,
09:54elle a vu qu'il avait une arme dirigée dans ce côté,
09:57il a tiré trois fois.
09:59Les gendarmes mettent en place des barrages dans toute la région.
10:03Quand vers 14h30...
10:06À ce moment-là, une 504 verte
10:10se présente devant les gendarmes qui l'invitent à s'arrêter.
10:13Ils foncent sur eux.
10:15Une course poursuite s'engage.
10:18Le tueur fou fonce vers les marais en bordure de l'Oise.
10:22Mais il s'embourbe.
10:25Lorsque les gendarmes arrivent, il s'est volatilisé.
10:31Nous sommes les chasseurs, c'est le fuyard, c'est le gibier.
10:34Un gibier n'a plus aucune retenue, il a l'instinct de survie, c'est son cas.
10:38Puis peut-être que cette excitation lui plaît,
10:40que cette situation est recherchée d'une certaine manière.
10:43La battue dure des heures.
10:46Mais le tueur fou de l'Oise passe entre les mailles du filet.
10:53Qu'est-ce qu'on peut dire de ces crimes ?
10:56Tout cela ne paraît pas très rationnel.
10:58Tirer sur des jeunes femmes au hasard,
11:00faire exploser des voitures avec des choses bizarres dedans,
11:03qu'est-ce que ça signifie ?
11:05Ces crimes ne procèdent pas d'une méthodologie,
11:09d'une précision, d'une rigueur.
11:12Il y a une petite touche d'improvisation.
11:15Il tue un petit peu au hasard.
11:18Il va mettre des explosifs lors de l'ouverture de la porte d'une automobile.
11:23On passe à la fois du bricolage
11:27à un aspect de tueur organisé quasi-professionnel.
11:32Donc les enquêteurs ne peuvent être que déroutés.
11:37On a l'impression qu'ils les narguent, les enquêteurs.
11:39On a l'impression qu'ils prennent un malin plaisir.
11:41Ça c'est quelque chose qu'on voit souvent chez les tueurs en série.
11:46C'est ce match avec les enquêteurs qu'il entend narguer,
11:51il entend se moquer d'eux,
11:53les alimenter des fausses pistes,
11:56et éprouver une sorte de plaisir dans cette joute.
12:00Est-ce que ça ne montre pas qu'il est censé ?
12:02Oui, il est censé dans le sens où il a un potentiel intellectuel de base.
12:09Entre-temps, les enquêteurs ont avancé.
12:13Grâce au témoignage des victimes rescapées,
12:16ils ont pu dresser un portrait robot.
12:20Lorsqu'un gendarme tombe dessus,
12:22il reconnaît tout de suite l'un de ses anciens collègues,
12:26un certain Alain Lamarre.
12:29Le gendarme Lamarre est arrêté, mais il nie.
12:34Sauf que son empreinte digitale est comparée à celle du tueur fou de l'Oise,
12:39et il n'a aucun doute, c'est lui.
12:43Les gendarmes vont perquisitionner son appartement.
12:49Il a dit, vous n'allez pas me mettre les menottes,
12:51j'avoue que c'est quelque chose qui nous a fait mal.
12:54Je lui ai dit, on va te mettre les menottes.
12:56Il m'a dit, les gens vont me voir arriver.
12:58Je lui ai dit, il n'y a pas grand monde.
13:00Je lui ai mis un imperméable sur les mains pour le camoufler.
13:03Et lorsqu'on est arrivé à la porte,
13:06il m'a dit, en me regardant froidement,
13:09vous avez de la chance, si vous ne m'aviez pas mis les menottes,
13:12je vous aurais descendu.
13:17Voilà.
13:23Passé l'émotion, les gendarmes entrent dans le 3 pièces de leur collègue.
13:28Et là ?
13:29La salle de séjour rangée impeccablement,
13:32sa chambre, sa salle de bain, rien à dire.
13:35Et puis, il y a une chambre qui est fermée, on ouvre.
13:40Et là, on comprend tout de suite.
13:44Il y a une tente militaire qui est installée,
13:46qui est tirée avec des ficelles.
13:48Il y a des cartes à terre avec des boussoles,
13:50jumelles, des itinéraires, itinéraires de repli, ainsi de suite.
13:55On s'aperçoit qu'il a un deuxième monde.
13:58Et puis, bien sûr, il y a les fusils,
14:01il y a des armes par-ci, par-là, il y a des cartouches,
14:04il y a des seringues hypodermiques,
14:06il y a des mégots de gitanes blanches,
14:09des tas de choses qu'il disposait dans les véhicules.
14:13Un monde caché qui fait froid dans le dos.
14:16Le gendarme Lamarre regarde ses collègues perquisitionnés sans rien dire.
14:21Froid, mais froid, malheureux.
14:24Je dirais pas allibéré, parce qu'une, deux, trois fois,
14:27j'ai surpris à sourire, regarder ses collègues avec un air de commissariat.
14:34Alain Lamarre avouera ses crimes devant le juge d'instruction.
14:38Sans peine, méthodiquement.
14:41Et d'emblée, une question se pose.
14:44Le gendarme est-il un malade mental ?
14:49Alors, on a l'impression qu'il y a deux hommes en un.
14:52Le gendarme propre sur lui, rigoureux, irréprochable, travailleur.
14:56Et le tueur froid et déterminé qui projetait même de s'en prendre à ses collègues.
15:01Comment est-ce que ça s'explique, ça ?
15:03La psychose, maladie mentale dont il est atteint,
15:06entraîne une dissociation radicale.
15:09C'est-à-dire ?
15:11Une coupure entre deux personnages qui l'habitent.
15:15Un petit peu comme le docteur Jekyll et Mister Hyde dont c'est l'illustration.
15:20Alors, lorsqu'il est gendarme, il est rigoureux, propre, précis, très sérieux.
15:27Il va enquêter sur ses propres crimes.
15:31Bon, donc, il a une signature.
15:34Et puis, lorsqu'il est le délinquant cruel,
15:39complètement organisé dans sa criminalité,
15:45eh bien, il prend possession de ce rôle et l'assume entièrement.
15:50Il n'y a pas d'intercommunication entre les deux.
15:54Ce qui fait toute l'étrangeté, la spécificité de cette affaire, hors du commun.
16:00Alors, vous faites partie du collège d'experts qui va trancher sur sa responsabilité.
16:05Il va y avoir plusieurs expertises.
16:08Et vous, qu'est-ce que vous allez conclure ?
16:10Alors, il y a eu plusieurs expertises.
16:13Certains ont parlé de paranoïa,
16:15dont on dit que sa responsabilité était engagée.
16:19Nous, nous aboutissons, avec Sven Follin,
16:24à l'idée qu'il s'agit d'une forme de début de la schizophrénie,
16:27qui est une forme particulière,
16:29associant des troubles mentaux dissociatifs
16:35avec des composantes paranoïaques.
16:37On utilise le terme très savant d'ébouidophrénie pour préciser cet état.
16:42Qu'est-ce que c'est l'ébouidophrénie ?
16:44C'est une variété de formes de début d'entrée dans la schizophrénie,
16:49qui se manifestent par, d'une part, les troubles mentaux,
16:52et d'autre part, la délinquance associée de style psychopathique.
16:56Donc, si j'ai bien compris, c'est la schizophrénie
16:59plus la paranoïa, quelque part.
17:01Oui, au début, voilà.
17:03Donc, pour vous, pourquoi est-ce qu'il est irresponsable ?
17:06Il est irresponsable parce qu'il est atteint d'une maladie mentale
17:11caractérisée, un type de psychose,
17:14et que cette dissociation très profonde de son comportement
17:19va entraîner des troubles de son discernement
17:24et du contrôle de ses pulsions et de ses actes.
17:30Alain Lamarre est donc considéré par la justice
17:33en état de démence au moment des faits.
17:36Une ordonnance de non-lieu est rendue le 14 janvier 1983.
17:41Le tueur fou de l'Oise quitte donc la prison
17:45pour l'hôpital psychiatrique.
17:48Je me pose toujours des questions, pour ne rien vous cacher.
17:52C'est sûr, c'est un psychopathe.
17:54C'est sûr, c'est un schizophrène.
17:57On ne peut pas, ça ne peut pas l'écarter.
18:00La question que je me pose toujours,
18:03mais comment on peut être dans cet état
18:05les jours de repos de permission
18:07et être apparemment normal quand on travaille ?
18:11C'est ça qui me hante toujours.
18:18Docteur Bornstein, vous avez la réponse à cette question.
18:21Comment est-ce qu'on peut être dans un état normal
18:24quand on travaille et pas normal quand on ne travaille pas ?
18:27Oui, alors tout ceci est en rapport
18:30avec cette dissociation psychique de la maladie
18:35qui fait qu'il y a deux personnages en lui
18:40et deux personnages en l'occurrence opposés.
18:43C'est un immense jeu du gendarme et du voleur.
18:46Et deux personnages qu'il gère bien,
18:48il arrive à basculer de l'un à l'autre ?
18:50C'est lui qui contrôle ?
18:52D'une manière générale, il arrive à gérer
18:55chaque fois qu'il est dans un rôle précis,
18:58mais il y a forcément des interactions,
19:00des fuites, des imprécisions, des petits dérapages.
19:05Ce n'est pas aussi net que cela.
19:08Mais ce trouble particulier de dédoublement de la personnalité
19:15est une signature de l'importance de la maladie mentale qui l'habite.
19:20Comment est-ce qu'on peut expliquer
19:22que ses collègues gendarmes n'aient rien vu ?
19:24Sa hiérarchie ?
19:26Oui, certains de ses collègues le soupçonnaient,
19:31mais au niveau de la hiérarchie,
19:33il paraissait tellement invraisemblable
19:36qu'un de leurs hommes puisse appartenir à l'autre camp,
19:41si on peut dire, au camp des délinquants,
19:44parce que l'enquête au début n'a pas été menée
19:48ou d'une manière très molle,
19:50ça semble invraisemblable
19:53qu'un homme chargé d'enquête
19:56soit lui-même un délinquant verré.
20:00Est-ce qu'on irait jusqu'à dire
20:02que le Lamar enquêteur déteste le Lamar assassin ?
20:05Il peut y avoir de ça,
20:07que le Lamar enquêteur n'ait de cesse
20:11de confondre le Lamar assassin.
20:14J'aimerais qu'on parle maintenant de Pierre Bodin,
20:17celui qu'on a appelé Pierrot le fou.
20:19Il a violé et tué deux fillettes et une adulte,
20:23lui aussi, vous l'avez expertisé,
20:25qu'est-ce que vous pouvez nous dire de lui ?
20:27C'est le type même du hors-la-loi
20:31qui fait fi de toutes les références éthico-sociales,
20:37qui assume ses instincts les plus primitifs
20:42et dans un climat de perversion débridée.
20:48Été 2004, en Alsace.
20:51Un homme sème la terreur dans la région.
20:55Deux jeunes filles ont été enlevées.
20:58Le 18 juin, Jeanne-Marie, 11 ans,
21:01disparaît alors qu'elle faisait du vélo.
21:05Une semaine plus tard, c'est Julie, 14 ans,
21:08qui ne rentre pas chez elle.
21:11Quelques jours après, le vélo de Julie
21:13est retrouvé en pleine forêt,
21:15à moitié immergée dans un ruisseau.
21:18Et dessus, un ADN masculin.
21:22Ça devient très inquiétant.
21:24Je pense qu'on a, à ce moment-là,
21:26pris conscience que l'affaire Jeanne-Marie
21:28ou la disparition de Jeanne-Marie
21:30n'était pas forcément un cas isolé,
21:32mais que ça pouvait être
21:34quelque chose de plus important.
21:39Entre-temps, une femme de 38 ans,
21:42Edwige Vallée, a été retrouvée morte
21:45dans un ruisseau.
21:47Son corps porte des traces de strangulation
21:50et des blessures au niveau du sexe.
21:53Une femme, pas une adolescente,
21:56alors personne ne fait le lien.
22:00Quatre jours plus tard, un corps
22:03est repêché dans un ruisseau à Valve.
22:12Le corps est en très mauvais état.
22:14Les médecins légistes n'ont pas pu déterminer
22:17qu'il s'agissait bien de Jeanne-Marie.
22:20On découvre assez vite des traces de strangulation.
22:23On détermine également que la fillette
22:26a dû être violée.
22:28Et même pire que ça, que son bas-ventre
22:31a été fortement abîmé avec un couteau.
22:37C'est le corps de Jeanne-Marie.
22:40Tout de suite, une évidence s'impose.
22:43Elle et Edwige Vallée ont été victimes
22:46du même agresseur.
22:48Elles ont subi les mêmes atroces mutilations
22:51au niveau du sexe.
22:53Désormais, on craint le pire pour Julie,
22:56qui reste introuvable.
22:58Mais grâce à un témoin,
23:00les gendarmes s'intéressent à un homme,
23:03un repris de justice condamné pour de nombreux braquages.
23:07Il compare son ADN avec celui retrouvé
23:10sur le vélo de Julie et sa match.
23:13Il s'appelle Pierre Bodin,
23:15sorti de prison il y a à peine 4 mois.
23:18Il est en libération conditionnelle.
23:21Pierre Bodin est placé en garde à vue.
23:24Il me dit qu'il a été interpellé de manière violente,
23:27que les gendarmes ont abattu un chien
23:30de la casse où il logeait,
23:32qu'il ne comprend pas ce qu'il fait là
23:35et qu'il n'a rien à voir avec cette histoire.
23:383 jours après l'arrestation de Pierre Bodin,
23:41le corps de Julie est retrouvé dans un ruisseau.
23:47En ce qui concerne les lieux de découverte,
23:50les circonstances ou les scènes de crimes
23:53et les mutilations dont elles ont été victimes
23:56toutes les deux, il paraît assez vite
23:59que la main qui tient le couteau est la même
24:01dans le cas de Jeanne-Marie et dans le cas de Julie.
24:04Les gendarmes en sont maintenant persuadés.
24:07Il n'y a qu'un seul tueur pour les 3 crimes,
24:10Pierre Bodin.
24:12D'autant que dans sa voiture,
24:14ils ont trouvé du sang avec l'ADN de Jeanne-Marie
24:17et un cheveu d'Edwige Vallée.
24:20Reste une question.
24:22Comment un braqueur peut-il être soupçonné
24:25de 3 meurtres à caractère sexuel ?
24:31Docteur Lamotte, lorsque vous rencontrez Pierre Bodin,
24:34de quoi il alerte ?
24:36Il alerte de quelqu'un qui est plutôt chaleureux,
24:39assez banal, avec peut-être une présentation
24:42un petit peu les cheveux pullants,
24:45un petit peu de prestance,
24:47dans un contact qui pourrait être totalement étranger
24:50au contexte dans lequel on se rencontre.
24:53Jusqu'ici, Pierre Bodin était connu de la justice,
24:56mais pour des braquages.
24:58Comment expliquer qu'il soit passé au viol et au meurtre ?
25:01Il a eu un parcours initial très progressif,
25:04comme c'est d'ailleurs assez souvent le cas
25:07des pervers généralistes.
25:10Il est assez difficile d'affirmer qu'il serait
25:13pédophile pur, c'est-à-dire quelqu'un
25:16qui aurait eu seulement à satisfaire
25:19une pulsion anormale pour les enfants.
25:22Je pense qu'il avait une pulsion de prédation,
25:25c'est-à-dire de prendre et se servir,
25:28et que ça a été d'abord très utilitaire en survie,
25:31puis ensuite un peu plus,
25:34jusqu'à aller à la satisfaction de désir immédiat,
25:37et beaucoup plus incertain
25:40sur le plan du résultat, d'ailleurs.
25:44Un pervers généraliste, c'est quelqu'un qui prend son désir
25:47pour la réalité et qui ignore la loi,
25:50ou qui considère que la loi, c'est ce qu'il est capable de faire lui-même.
25:53Lui a toujours eu le sentiment que la loi était quelque chose
25:56qui était écrasant, injuste, inutile,
25:59ou en tout cas qu'il pouvait être plus intelligent que la loi,
26:02que la réalité lui montrait qu'il pensait mieux que la loi.
26:05C'est le témoignage d'un co-détenu qu'il écrivait des lettres à une fillette de 9 ans.
26:08C'était déjà inquiétant, ça, non ?
26:11Ce qui est encore plus inquiétant, c'est qu'il banalise ses lettres
26:14sans même se rendre compte qu'en réalité, il aggrave son cas.
26:17Il dit mais non, ce n'était pas destiné à elle ce que j'écrivais,
26:20c'était le récit des fantasmes que je ferais
26:23à une femme adulte en sortant de prison.
26:26Ils appellent le fait qu'il écrive ça à une enfant de 9 ans, la fille d'un de ses amis,
26:29c'est une défense qui, là pour le coup, est complètement odieuse,
26:33et qui montre le fonctionnement pervers.
26:36Là, on identifie effectivement une pulsion pédophilique à nu,
26:41et en même temps, il s'est pris les pieds dans le tapis,
26:44parce qu'à force d'écrire, il en a noirci du papier, au sens propre d'ailleurs,
26:47parce que ces lettres sont extraordinairement pleines.
26:50Il n'y a pas de marge, il n'y a pas un trou, il n'y a pas une respiration,
26:53et du point de vue graphologique, ça avait un intérêt.
26:56Ces lettres, vous allez les montrer à une graphologue,
27:00qu'est-ce qu'elles vous ont dit ?
27:03Elle a eu un choc en découvrant qu'ils rassemblaient
27:06dans cette écriture un certain nombre de traits
27:09qu'on retrouve dispersés dans des écritures de criminels,
27:12avec toute la pondération de ce qu'on peut faire
27:15sur une interprétation graphologique,
27:18mais il y a quand même un certain nombre de signes qui sont extraordinaires.
27:21Il nous fait des J qui sont littéralement des couteaux de boucher,
27:24et ça jaillit dans tous les coins,
27:27avec à la fois le côté un peu mièvre,
27:30des petites fleurs et des petites choses qui sont rajoutées autour des mots,
27:33comme il fait les cartes postales en prison,
27:36très ciselées, et en même temps un jaillissement
27:39avec des finales qui s'enflent et qui traînent,
27:42qui montrent qu'on poursuit après le mot
27:45et qu'on va maîtriser l'interlocuteur.
27:48C'est une écriture qui, pour une graphologue
27:51ou pour un graphologue, est très révélatrice.
27:54À 57 ans, Pierre Baudin
27:57est un vieil habitué de la justice.
28:00Très jeune, il s'est spécialisé dans les braquages,
28:03et très vite, il a attiré l'attention des psychiatres.
28:06Depuis toujours, la personnalité
28:09de celui que les médias ont appelé « Pierrot le fou »
28:12divise les experts.
28:15En 1989, arrêté pour 16 hold-up
28:18en moins d'un an, il a rencontré
28:21le docteur Brunner.
28:24Il était extrêmement agité.
28:27Il répétait qu'il n'était pas fou,
28:30et il reconnaissait les faits, mais d'une façon incohérente.
28:33Il disait à peu près « Oui, j'ai volé,
28:36on m'a dit que j'avais volé,
28:39c'était pour acheter un hélicoptère, etc. »
28:42Mon sentiment à moi, c'est que j'ai affaire à un fou.
28:45J'ai conclu qu'on était en présence
28:48d'une maladie mentale, psychotique,
28:51qui ne permettait pas à l'intéressé de répondre de ses actes,
28:54et qui nécessitait non pas la prison, mais l'hospitalisation.
28:57À l'hôpital,
29:00Pierre Bodin n'est plus que l'ombre de lui-même.
29:03Diagnostique, état régressif complet.
29:06C'est-à-dire
29:09mutique, replié sur lui-même,
29:12ne marchant plus et ne contrôlant plus
29:15les fonctions naturelles d'élimination.
29:18En 1992, Pierre Bodin végète depuis 2 ans
29:21dans un fauteuil roulant à l'hôpital,
29:24en attendant son procès pour les hold-up.
29:27Mais voilà qu'un beau jour, il retrouve des jambes
29:30et s'évade par la fenêtre du réfectoire.
29:33La seule chose qu'on pouvait en déduire,
29:36c'était qu'il n'était ni mutique ni paralysé.
29:39Il fallait bien que je me rende compte que Pierre Bodin m'avait trompé.
29:43Après 3 jours de cavale ponctué par une course-poursuite
29:46et une fusillade avec les policiers,
29:49Pierre Bodin est finalement rattrapé et jugé.
29:52Lors de son procès,
29:55il fait une drôle d'impression.
29:58Ça a été cocasse aussi,
30:01parce qu'il avait des réponses
30:04qui n'avaient aucune relation avec les questions qu'on lui posait.
30:07Il disait qu'il voulait rentrer dans sa chambre.
30:10Il faisait beaucoup rire avec sa mobilette.
30:13Il faisait un blocage sur une mobilette qu'on lui avait volée, son Bluetooth.
30:16Donc même quand on lui posait des questions graves,
30:19il répondait sur sa mobilette.
30:22Les experts psychologues et psychiatres
30:25sont attendus avec impatience à la barre.
30:28Ça a été un défilé d'experts assez piteux
30:31qui disaient, parce qu'encore une fois, je n'avais pas été seul,
30:34oui, il était fou quand je l'ai vu, mais il était plus fou après,
30:37parce que ça ne colle pas, ça.
30:40Les troubles mentaux, les troubles neurologiques
30:43ne sont pas tels des fleurs qui éclosent au printemps
30:46et se fanent à l'automne pour refleurir au printemps prochain.
30:49Ils sont présents ou ils ne sont pas présents.
30:52Il y avait un détail qui avait marqué tout le monde dans l'arrêt de renvoi,
30:55et lorsqu'il avait été répété pendant l'audience,
30:58c'est qu'Einstein avait mangé ses excréments.
31:01Et donc ça, bien évidemment,
31:04c'était un détail, mais qui laissait à penser
31:07que vraiment, il devait être fou.
31:10Mais en même temps, il donnait tellement l'impression de simuler
31:13qu'on se disait, rendez-vous compte, il a poussé la simulation
31:16jusqu'à ce détail sordide
31:19et difficilement imaginable.
31:24Si Baudin simulait, ça n'a pas marché.
31:27Il prend 30 ans.
31:30Mais grâce à une erreur de procédure,
31:33il s'est retrouvé deux ans plus tard.
31:36En ce moment-là, Pierre Baudin,
31:39tout le monde est d'accord, est transformé.
31:42Pierre Baudin a l'œil vif,
31:45regarde ce qui ne s'était pas du tout passé lors du procès de 1994,
31:48tous les experts et tous les témoins.
31:53Il s'est adressé à la caméra pour dire, je ne suis pas Pierrot le fou.
31:56C'est-à-dire que tout de suite,
31:59on a compris qu'elle allait être son système de défense.
32:02Je ne suis pas Pierrot le fou, c'était Pierre Baudin.
32:05Je ne suis pas Pierrot le fou, un assassin.
32:08Pierrot le fou qui a tiré sur les policiers, les gendarmes.
32:11En l'an, je n'ai pas grand-chose.
32:14Moi, je n'ai rien à foutre, j'ai trois, quatre métiers.
32:17J'ai travaillé 25 ans. J'ai perte de famille. Je ne suis pas violeur non plus.
32:20C'était la preuve que Colmar, c'était une simulation
32:23et que c'était quelqu'un qui était capable
32:26de parler des faits qu'on lui reprochait
32:29et qui était capable d'argumenter.
32:32Quant à l'enlèvement, la séquestration, les viols et les meurtres
32:35de Julie, Jeanne-Marie et Edwige Vallée,
32:38Pierre Baudin est condamné en 2008
32:41à la peine la plus lourde,
32:44la perpétuité incompressible.
32:50Pierre Baudin a réussi à tromper les experts, plusieurs experts.
32:53Comment est-ce qu'on peut simuler la folie ?
32:56La première des choses, c'est qu'un expert qui vous dit
32:59qu'on ne le trompe jamais, méfiez-vous-en.
33:02Ceci étant, est-ce qu'il a pu tromper délibérément
33:05par une simulation ?
33:08Un grand maître de la neurologie française, Babinski, disait
33:11qu'on ne simule pas l'hystérie, on simule parce qu'on est hystérique.
33:14Donc, tromper, c'est la nature même
33:17du diagnostic qui a été posé,
33:20peut-être apprécié différemment par plusieurs personnes,
33:23mais c'est un choix qu'ils ont fait, un choix subjectif,
33:26presque idéologique,
33:29qui ne signifie pas forcément qu'ils étaient dupes
33:32du mode de fonctionnement de Pierre Baudin.
33:35Ils l'ont retenu avec leur logique à eux.
33:3835 ans d'aller-retour entre la prison et l'hôpital,
33:41ce n'est quand même pas normal ça ?
33:44Un coup on est fou, un coup on ne l'est pas ?
33:47Que ce ne soit pas une personnalité normale,
33:50il n'est pas normal.
33:53Mais quelle forme d'anomalie est-ce qu'on constate chez lui ?
33:56Est-ce que c'est seulement un trouble de personnalité
33:59avec une dérive progressive vers des comportements extravagants
34:02qui sortent des règles ?
34:05Ou est-ce que c'est quelqu'un qui a une vraie maladie mentale
34:08d'un genre particulier qui n'est pas la psychose
34:11mais qui laisse des tableaux
34:14très proches de la psychose ?
34:17Je ne suis pas sûr que c'est un intérêt autre qu'académique
34:20dans la question de l'expertise.
34:23La question de l'expertise, c'est est-ce qu'il est responsable ?
34:26Les faits font sens pour lui.
34:29Les faits sont quelquefois niés, quelquefois acceptés,
34:32mais avec une stratégie, qui est une stratégie de ses intérêts.
34:35Donc on a tendance à considérer
34:38qu'il est assez dans la réalité pour répondre de ses actes.
34:41C'est une énigme, Pierre Baudin ?
34:44Il faut avoir quelqu'un dans son style et dans son genre
34:47et dans ses activités criminelles qui soit aussi riche
34:50au sens de luxuriant. Il y a tellement de choses qui poussent
34:53qu'il faut élaguer un peu pour retrouver le stand.
34:56Donc d'une certaine façon, oui, c'est une personnalité exceptionnelle.
35:01Si la folie de Pierre Baudin a visiblement évolué au fil du temps,
35:04celle de Romain Dupuis,
35:07l'assassin des infirmières de Pau,
35:10avait été diagnostiquée depuis longtemps.
35:13Sauf qu'elle n'a jamais été prise au sérieux.
35:19Docteur Archambault, vous êtes l'un des nombreux experts
35:22qui s'est penché sur le cas Romain Dupuis.
35:25Qu'est-ce que vous pouvez nous dire de ce jeune homme au premier abord ?
35:29La rencontre avec ce jeune homme est très particulière.
35:32Quand on le voit, on se rend compte
35:35que c'est quelqu'un qui est apparemment
35:38extrêmement froid,
35:41parce qu'il n'a pas de contact.
35:44C'est-à-dire qu'il vous parle, il répond à vos questions ?
35:47Il répond aux questions, à sa façon, avec ses convictions.
35:50Mais c'est comme si on n'était pas là.
35:53C'est-à-dire qu'il y avait des troubles du contact
35:56qui étaient vraiment très importants et saisissables
35:59dès le premier contact.
36:02Qui se caractérisent comment ?
36:05Qui se caractérisent par un contact très lointain,
36:08par une confiance dans le contact ?
36:11On sent très bien que ce qu'il y a autour de lui
36:14n'existe pas.
36:17Ce n'est pas de son monde.
36:20Il est dans un autre monde.
36:2318 décembre 2004.
36:26Les policiers sont appelés à l'hôpital psychiatrique de Pau.
36:33Pendant la nuit, une vitre a été cassée à l'entrée d'un pavillon.
36:36Il y a du sang sur le montant des fenêtres.
36:42À l'intérieur, une mare de sang
36:45et une masse informe.
36:50Il y avait du sang partout.
36:53C'est mon collègue qui m'a dit
36:56« Elle est où la tête ? »
36:59Et là, j'ai réalisé que c'était
37:02en fait, une victime.
37:05Mais au début, je me demandais
37:08ce que c'était. Je me suis posé la question.
37:11Je n'avais pas réalisé.
37:14La masse informe, c'est le cadavre décapité
37:17de Chantal Klimazewski,
37:20l'infirmière de garde.
37:23On arrive devant la télé et là, on voit une tête posée sur la télé.
37:28C'est là que j'ai compris que c'était la tête
37:31de la victime.
37:34À l'intérieur de Chantal, dans un bureau,
37:37les policiers font une autre découverte.
37:40Le corps de Lucette Gario,
37:43l'aide-soignante qui était de garde avec Chantal.
37:46Elle a été égorgée,
37:49presque décapitée elle aussi.
37:52Sur la scène de crime, les policiers trouvent
37:55plusieurs empreintes.
37:58Ils prélèvent aussi du sang. Il y en a partout.
38:02Et au milieu des taches de sang,
38:05de petites vis dorées,
38:08bizarres.
38:14Docteur Archambault, que dit la scène de crime de son auteur ?
38:17La scène de crime
38:20dit beaucoup de choses de son auteur.
38:23D'abord, c'était un lieu de crime qui était extraordinaire.
38:26Vu le désordre
38:29dans lequel était la scène de crime,
38:32ce qui laisse supposer que ce n'était pas quelque chose
38:35qui était organisé, prémédité, fait avec sang-froid,
38:38mais fait de manière complètement désorganisée,
38:41en milieu psychiatrique,
38:44laisse être à penser que, peut-être,
38:47c'était un des malades de cet hôpital qui avait commis ces crimes.
38:50La décapitation, l'auteur a coupé la tête de sa victime
38:53qu'il a déposée sur la télévision.
38:57On est dans un acte pathologique, la décapitation.
39:00La signification, souvent,
39:03c'est que le malade,
39:06on serait tenté de dire le malade mental,
39:09qui commet ce type d'acte
39:12est en guerre
39:15contre l'humanité,
39:18contre tous les personnages
39:21inquiétants qui peuplent cette humanité,
39:25et quand il a l'impression
39:28qu'il y a un de ces personnages qui résiste,
39:31à ce moment-là, il veut montrer qu'il est le plus fort.
39:34Un des moyens de montrer le plus fort
39:37et d'avoir les capacités d'anéantir l'autre,
39:40c'est de lui couper la tête.
39:43Effectivement, cette scène de crime est assez désordonnée.
39:46Il y a des vis dorées sur place.
39:49On sent beaucoup de désordre.
39:52Le tueur a laissé des empreintes.
39:55Peuvent-ils avoir été commis par quelqu'un de sensé ?
39:58Quand on voit ce type de comportement,
40:01on se pose immédiatement des questions
40:04sur l'état mental de la personne.
40:10Les policiers multiplient les interpellations
40:13dans l'entourage de l'hôpital.
40:16Et à chaque fois, les interrogatoires sont délicats.
40:20On a eu des cas d'individus
40:23qui remontaient des gardes à vue, des géoles, en bas.
40:26Pour arriver aux locaux de la police judiciaire,
40:29ils montaient les escaliers en marche arrière.
40:32On a eu le cas de malade qui, tout d'un coup,
40:35avait besoin de se laver, mais il ne voulait pas se laver au lavabo,
40:38il se lavait dans les toilettes.
40:41Donc ça, c'est très lourd à gérer.
40:44Il a fallu s'armer surtout de patience.
40:47Sans laisser sur la fenêtre,
40:50les experts ont pu isoler l'ADN du tueur.
40:53Le juge d'instruction décide de prélever tous les hommes
40:56qui ont un rapport avec l'hôpital psychiatrique.
40:59En moins d'un mois,
41:02plus de 1300 tests sont effectués.
41:05Mais ça ne donne rien.
41:09Jusqu'au jour où des policiers contrôlent un homme
41:12qui fume un joint sur un muret.
41:18L'individu est descendu de suite du muret.
41:24Il s'est mis face à nous,
41:27et lorsqu'on lui a demandé une pièce d'identité,
41:30il nous a dit, vous ne me contrôlerez pas, je suis en bas de chez moi.
41:33Il porte la main à la poche,
41:36on pense qu'il va sortir une pièce d'identité,
41:39et il en sort un pistolet.
41:42L'homme braque les policiers et tire.
41:45Les policiers parviennent finalement à le maîtriser.
41:49Lorsqu'on le menotte, on découvre dans son autre main
41:52une lame qu'il a confectionnée avec un anneau
41:55pour s'en servir de poing américain.
41:58Et dans ses cheveux, on trouve une mâchoire d'animal
42:01qui lui sert de barrette.
42:04Au commissariat, l'homme décline son identité.
42:07Il s'appelle Romain Dupuis, il a 21 ans.
42:11Et il reconnaît, oui, il a bien tiré sur les policiers.
42:14Mais pour lui, c'était des flics malhonnêtes
42:17envoyés par sa petite amie.
42:20Il leur a dit, mais vous êtes tous dans le même lot,
42:23PD, nazis, policiers, tous ensemble à vouloir m'attaquer.
42:26Donc voilà comment il justifiait son acte d'agression envers eux.
42:30Romain explique tout ça calmement.
42:34Mais les médecins qu'il examine pendant sa garde à vue
42:37diagnostiquent des troubles psychiatriques.
42:40L'homme est dangereux, il faut l'hospitaliser.
42:43Il faut l'hospitaliser d'office.
42:46D'autant que Romain a déjà été interné trois fois.
42:49C'est un schizophrène.
42:55Docteur Archambault, la schizophrénie de Romain Dupuis
42:58s'est déclarée quand ?
43:01La schizophrénie de Romain Dupuis s'est déclarée
43:04de manière apparente par tous ces phénomènes
43:07délirants et hallucinatoires
43:11vers l'âge de 17 ans.
43:14C'est difficile de dater très précisément.
43:17Mais ce qui est sûr, quand on recherche,
43:20c'est que souvent, les choses commençaient déjà avant
43:23de manière tout à fait insidieuse.
43:26Quand il le ressent, il le vit physiquement ?
43:29Il est en pleine conviction.
43:32Lui, il se vivait comme étant un serpent
43:35à un certain moment donné.
43:39D'où de là ce que disait sa mère,
43:42qu'il le vivait comme étant transformé
43:45au moment où il délirait, où il était halluciné.
43:48Et puis les moments, les phases où le délire
43:51et les hallucinations étaient moins intenses,
43:54il redevenait d'une certaine façon
43:57le petit garçon ou le jeune homme qu'elle connaissait
44:00qui la retrouvait un peu de son humanité.
44:03Quand il se prend pour un serpent,
44:07il mimait la reptation du serpent.
44:10Il était dans le serpent.
44:13C'était lui, le serpent.
44:16Donc ça se passe dans sa tête, mais aussi dans son corps.
44:19Et ça se traduit dans son corps
44:22par des comportements qui, d'un œil extérieur,
44:25sont des comportements aberrants,
44:28mais qui sont des comportements pathologiques
44:31quand on les ressitue dans l'ensemble.
44:34Les policiers interrogent Romain Dupuis
44:37sur les crimes de peau.
44:40Mais d'emblée, il nie.
44:43Quand je lui parle du double meurtre,
44:46Romain Dupuis est tout à fait dans un état normal.
44:49Aucune réaction. Il me dit que je suis totalement étranger à ça.
44:52Il est très paisible dans ses réponses.
44:55Il a l'air sûr de lui.
44:59Mais quand il perquisitionne son appartement...
45:02On ouvre la porte et là,
45:05il n'y a pas besoin d'être grand clair ni grand policier
45:08pour comprendre qu'on avait affaire également
45:11à l'auteur du double homicide de l'hôpital de Pau.
45:14Pourquoi ? En promenant notre regard de gauche à droite,
45:17on a pu remarquer accroché au mur
45:20des posters, pas de femmes à poil,
45:23des figures de mode,
45:26et elle supportait avec des rajoux, des sabres, des couteaux,
45:29des taches de sang.
45:36Et ces posters étaient accrochés au mur
45:39à l'aide de petites vis
45:42telles que les petites vis retrouvées sur la scène de crime.
45:50Et puis son ADN est le même
45:53que celui retrouvé sur le rebord de la fenêtre.
45:56Là, Romain va avoir du mal à nier.
45:59Et à ma grande surprise,
46:02il continue à nier. Ce n'est pas moi.
46:05Je ne comprends pas pourquoi mon ADN est retrouvé sur place.
46:11Alors, les policiers changent de méthode.
46:14Ils lui parlent d'autre chose.
46:17Et puis un déclic se passe en lui parlant de sa passion des couteaux.
46:20Il a l'impression qu'on s'intéresse peut-être un peu plus à lui.
46:23Et là, tout d'un coup, il me dit,
46:26je vais vous expliquer pourquoi je les ai tués.
46:29Et là, Romain dit tout,
46:32dans le détail.
46:35Deux jours avant le drame,
46:38il est allé acheter du cannabis dans une cité.
46:41Mais les dealers l'ont tabassé.
46:44Chez lui, cette agression, d'après ce qu'il me dit,
46:47c'est une haine et un désir de vengeance.
46:50Et donc, le soir du meurtre,
46:53il décide d'aller se venger de cette agression.
46:56Romain passe le début de la soirée
46:59à jouer à des jeux vidéo de samouraï.
47:05Ensuite, il prend son chien et un couteau de cuisine
47:08pour aller en découdre à la cité.
47:11J'étais imprégné de noir, dit-il.
47:15Mais il ne trouve pas les dealers.
47:18C'est là qu'il dit avoir été attiré comme un aimant
47:21vers l'hôpital psychiatrique
47:24où on l'avait interné pour rien.
47:27Là, il a utilisé son couteau
47:30pour dévisser le vasistas et entrer.
47:33Quand il arrive au bout du couloir,
47:36il voit une porte s'ouvrir, une personne en blanc sortir,
47:39qui lui demande qu'est-ce qu'il fait là.
47:42Il ne lui répond pas.
47:45Il la poignarde.
47:48Il entre ensuite dans le bureau
47:51et se retrouve face à l'aide soignante.
47:54Il la tue elle aussi.
47:57Puis, il revient vers le premier corps, celui de Chantal
48:00et lui coupe la tête qu'il pose sur la télévision
48:03pour montrer qu'il peut être violent lui aussi.
48:06Il ne se souvient pas de tout.
48:09Il a des flashes.
48:12Pour lui, il n'a pas le souvenir qu'il y ait beaucoup de sang.
48:15Il ne se souvient pas avoir eu du sang sur les vêtements
48:18ni avoir remarqué de marts de sang
48:21sur les lieux.
48:24Ensuite,
48:27il est rentré chez lui.
48:30Il arrive chez lui, il ne s'est pas aperçu qu'il s'est blessé.
48:33Il se lave les mains, il nettoie son couteau
48:36et il va se coucher comme si de rien n'était.
48:41Docteur Archambault, est-ce que Romain Dupuy a réitéré
48:44ses aveux devant vous ?
48:47Pour lui, ce n'était pas des aveux.
48:50C'était la vérité.
48:53Il ne se sentait pas coupable
48:56puisque pour lui, c'était se défendre.
48:59C'était vital de son point de vue à lui.
49:02C'était des explications pour essayer aussi
49:05de convaincre l'autre.
49:08Un des aspects de cette maladie, c'est l'extrême conviction.
49:11Il vous raconte son passage à l'acte,
49:14le moment où il tue ses deux infirmières,
49:17qu'il décapite l'une d'entre elles ?
49:20Il racontait, mais dans le même temps,
49:23c'était dit avec une extrême froideur.
49:26Une froideur qui sortait de l'ordinaire.
49:29On a l'habitude de rencontrer des schizophrènes
49:32quand on est psychiatre.
49:35Là, ça faisait froid dans le dos,
49:38alors que d'ordinaire, on est habitué à ce genre de pathologie.
49:41C'est un garçon qui n'a pas d'émotion ?
49:44Non, alors qu'il y en a tellement
49:47qu'il se barricade dans une espèce de forteresse
49:50qui n'a plus d'affect, qui n'a plus de sentiment.
49:53Devant les policiers, il a commencé par nier
49:56être l'assassin des infirmières de Pau.
49:59C'est-à-dire de quelqu'un qui veut éviter la prison
50:02et donc de quelqu'un qui a toute sa tête ?
50:05Non, c'est plutôt le comportement de...
50:08Non, je ne suis pas flou.
50:11Parce que quelque part, sans qu'il en ait clairement conscience,
50:14il sait qu'il est malade.
50:17Et que de dire, d'avouer aux policiers tout ça,
50:20tous ces comportements,
50:23c'était le mettre en position de malade mental.
50:26Et pour lui, ce n'était pas un malade mental.
50:29Pour lui, il était dans la réalité.
50:32Est-ce qu'il a des moments de lucidité ?
50:35Je pense qu'il en était à un point
50:38où on ne parlait plus de crise.
50:41La crise était chez lui,
50:44c'est-à-dire l'exacerbation de tous ces symptômes
50:47était chez lui devenue un état permanent.
50:50Finalement, c'est au cours d'une audience publique
50:53que la justice a tranchée.
50:56Romain Dupuis a été déclaré irresponsable.
50:59Il ne sera jamais jugé pour le double meurtre de peau.
51:02Sa place est à l'hôpital,
51:05pas en prison.
51:23Sous-titrage Société Radio-Canada

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