Jancovici à propos des soi-disant crises énergétiques que l'on traverse

Éthique et tac

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Transcript

00:00Quelle est votre lecture de la crise économique énergétique mondiale que nous sommes en train de traverser ?

00:12Quelles en sont selon vous les raisons au-delà du conflit en Ukraine ?

00:19En trois secondes ?

00:21Non.

00:23D'abord, la première chose que je voudrais dire, c'est que plus le temps va passer,

00:28plus il y a des choses qui paraissent être des crises qui en fait ne seront pas des crises.

00:31Ou plus exactement, la crise porte l'idée qu'on a un accident de parcours,

00:36qu'il y a une situation normale, sans crise,

00:38et qu'après la crise, on revient à la situation avant l'accident de parcours.

00:42En fait, tant en ce qui concerne l'énergie qu'en ce qui concerne le climat,

00:46ce sont deux idées qu'il faut se sortir de la tête,

00:49parce que ça ne correspond pas à ce qui va se passer.

00:52En ce qui concerne le climat, l'inertie du système fait qu'il n'y a pas de remise en état possible.

00:57Après accident, dit autrement, quand on commence à avoir des vrais...

01:02Bon, le parallèle est celui du fumeur, c'est-à-dire que quand on commence à vous dire

01:05« tiens, il va falloir qu'on vous enlève un poumon »,

01:07c'est un peu tard pour dire « ben non, finalement, j'arrête de fumer,

01:09puis je vais retrouver mes poumons d'avant ».

01:11Et en ce qui concerne l'énergie,

01:15en fait, ce qui a fait l'essor de la civilisation moderne,

01:20c'est le fait qu'on ait utilisé de façon croissante des combustibles fossiles.

01:25Ce qu'on appelle aujourd'hui la neutralité,

01:28en fait, c'est la promesse d'avoir le beurre et l'argent du beurre,

01:31c'est-à-dire c'est la promesse de se débarrasser des combustibles fossiles

01:34tout en gardant la civilisation qui a été permise par les combustibles fossiles.

01:38Et ces combustibles fossiles, même si on ne veut pas s'en débarrasser pour des raisons de climat,

01:43le temps de formation géologique de ces combustibles,

01:46qui est de quelques centaines de millions d'années pour le charbon,

01:49qui a été formé à partir de fougères qui ont poussé à l'ère du charbon,

01:52le carbonifère 300 millions d'années et le pétrole et le gaz qui sont des résidus de plancton

01:57qui datent d'il y a quelques dizaines à quelques centaines de millions d'années,

02:01fait que ces combustibles sont également épuisables pour des raisons strictement de temps de formation.

02:07Donc, ce qu'on est en train de vivre de façon croissante depuis les chocs pétroliers d'abord

02:13et puis surtout le milieu des années 2000, c'est des accidents de parcours croissants

02:19liés à la disponibilité de ces combustibles fossiles qui va devenir de plus en plus chaotique.

02:25Là dessus, je ne suis pas devin. Je n'ai pas de boule de cristal.

02:27Donc, je ne suis pas en train de dire c'est normal qu'il se passe ce qui s'est passé en Ukraine.

02:30C'est normal, etc. Par contre, ce que je suis capable de dire,

02:34c'est qu'il est normal que les accidents de parcours se multiplient parce qu'à l'occasion des tensions

02:41qui vont s'exercer entre pays parce que la compétition pour les ressources va aller croissant.

02:46De temps en temps, il y aura des marches d'escalier qui vont être franchies.

02:49Alors, je ne suis pas capable de dire où, quand, comment.

02:51Par contre, ce que je sais, c'est que je suis capable de dire que le monde de demain va vraisemblablement,

02:55malheureusement, être de plus en plus volatile et que c'est dans ce contexte là qu'il faut arriver à faire

03:01ce qu'on arrive à faire de telle sorte que la situation ne soit pas encore plus désagréable.

03:06Quel est votre jugement sur la manière dont l'Europe a répondu jusqu'à présent à la crise énergétique?

03:10On apparaît au plus pressé avec des aides. Est ce qu'on s'est vraiment interrogé sur les questions de fond?

03:16Non, on ne s'est pas interrogé sur les questions de fond.

03:17Alors, il faut savoir que dans la feuille de route de la commissaire européenne à l'énergie,

03:22Cadry, j'arrive jamais à savoir si c'est Simpson ou Simons, mais je ne sais pas pourquoi j'accroche là dessus.

03:29Le mot pétrole ne figure pas. Au moment de l'avènement de la nouvelle commission, j'avais été regarder les feuilles de route.

03:36Vous savez maintenant, les outils logiciels permettent, avec un petit coup de contrôle F,

03:39de voir très vite si un mot donné s'y trouve ou pas.

03:42Et je n'avais pas trouvé le mot pétrole, qui est quand même la première énergie consommée dans la zone OCDE

03:47et la première énergie consommée en Europe, avec à peu près un tiers de l'approvisionnement.

03:51Or, il se trouve qu'en ce qui concerne le pétrole, les signaux d'alerte se multiplient depuis des années.

03:56En particulier, l'Agence internationale de l'énergie a publié en 2018 un rapport disant le pic de conventionnel est passé en 2008.

04:03Conventionnel, c'est tout ce qui n'est pas le shale oil américain et les sables bitumineux canadiens.

04:07Et à la commission européenne, à chaque fois que j'ai été donné un coup de sonde sur comment est ce qu'ils comprennent

04:16la dépendance européenne aux importations d'hydrocarbures et les possibilités physiques,

04:20indépendamment de toutes les contraintes climatiques d'approvisionnement futur.

04:25C'est électroencéphalogramme plat sur la question de la disponibilité physique des ressources.

04:32Avant la crise en Ukraine, la Russie, c'était 40% de notre gaz, 30% de notre pétrole et 25% de notre charbon.

04:39Au moment où la guerre est arrivée en Ukraine, on s'est dit bon, très bien, on coupe les ponts avec Poutine.

04:46Sans critiquer le bien fondé ou pas de cette décision, l'Europe ne s'est pas posé la question de savoir si ça serait facile de se retourner ailleurs.

04:52Il se trouve qu'en ce qui concerne le gaz, à part la Russie, on est approvisionné par des zones qui sont plutôt en déclin hors GNL,

04:59puisque la mer du Nord est en déclin depuis 2005 sur le gaz. L'Algérie est en déclin désormais.

05:06Donc il restait la Russie. Et en ce qui concerne le GNL, on est en concurrence avec l'Asie en particulier,

05:12qui est un très, très gros importateur de GNL. Et il n'est pas du tout dit que quand bien même on voudrait à court terme retrouver

05:19les volumes qu'on avait avant Poutine, on va facilement y arriver. Et ça, ce n'est pas quelque chose que l'Europe...

05:27Il n'y avait pas de plan B qui était prévu avant le déclenchement de la guerre en Ukraine permettant à l'Europe de se dire si jamais on se fâche avec les Russes,

05:36qu'est-ce qu'on fait? Voilà, ça, il n'y avait pas de plan B. Il y avait plutôt un plan B de se marier avec les Russes, notamment poussé par les Allemands.

05:44C'était à peu près ça, la stratégie européenne. Sur le pétrole, c'est pareil. Il n'y a pas de stratégie européenne.

05:51Plus exactement, l'Europe est tellement confiante dans l'idée que la décarbonation volontaire va aller suffisamment vite qu'elle ne se préoccupe pas de savoir

05:59comment est-ce qu'elle se retourne si ça ne va pas assez vite et où est la contrainte sur le plan strictement géologique.

06:05C'est un truc qui est un des angles morts de la politique européenne.

06:11Est-ce que la crise actuelle n'a quand même pas eu une vertu? C'est de nous faire prendre conscience de notre dépendance à l'énergie.

06:17Oui, alors encore faut-il qu'elle n'arrive pas trop tard et pas trop violemment.

06:21Si vous vous jetez du haut de la tour Eiffel, au moment où vous écrasez par terre, vous prenez conscience de votre dépendance à la gravitation.

06:27Mais c'est un peu tard.

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