Patricia Le Cadre (Céréopa): « Arrêtons de nous focaliser sur le rapport USDA! »

  • il y a 2 mois
Marché des céréales

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00:00Bonjour et bienvenue à tous sur l'Espace TV sur les marchés agricoles. C'est toujours
00:11le même rituel. Chaque mois, tous les opérateurs se focalisent sur le rapport USDA et j'ai
00:16une personne avec moi qui va nous expliquer pourquoi ce n'est pas si pertinent que ça
00:21d'attendre chaque mois les analyses du département américain de l'agriculture. Patricia Lecadre,
00:26bonjour. Bonjour. Vous êtes directrice du pôle alimentation et production animale
00:29du CEREOPA qui est un centre d'études et un centre de conseil en production animale
00:34et qui se positionne et qui étudie les marchés agricoles, blé, maïs, soja notamment. Et
00:41vous dites le rapport USDA, tout le monde se focalise dessus mais ce n'est pas forcément
00:46le bon canal d'informations aujourd'hui sur les marchés. C'est vrai, nous on a un petit
00:54coup de gueule par rapport à ce rapport USDA qui ponctue les marchés mensuellement, c'est
00:58parce qu'on a besoin de se mettre quelque chose sous la dent quand on est un investisseur.
01:01Donc voilà, on a ces statistiques. Pour autant, il y a pas mal de choses qui nous énervent
01:05un petit peu. D'abord, effectivement, on se focalise beaucoup trop sur ce qui se passe
01:09aux Etats-Unis déjà. Ça, c'est un vrai problème parce que les Etats-Unis pour nous,
01:13clairement, ce n'est pas ce qui va faire le marché agricole cette année. Sur la saison
01:172017-2018, on peut nous annoncer plus ou moins 2, 3, 4 millions de tonnes de plus ou de moins
01:22sur les différentes productions. Ça ne changera pas la face du monde. Donc ce n'est pas là-dessus
01:25qu'il faut qu'on se focalise. Ça, c'est la 1ère des choses. La 2ème chose, c'est
01:29qu'on s'intéresse beaucoup à l'offre et rarement à la demande. Et le rapport USDA
01:33sous-estime généralement, régulièrement la demande. Et on le voit, en fait, par exemple
01:39cette année sur les céréales, on s'attend à une demande, finalement, qui évoluerait
01:42peu, un petit peu à la hausse, un petit peu à la baisse selon les productions, alors
01:46qu'on a gagné 100 millions de tonnes l'année dernière. Donc soit c'est une très mauvaise
01:49nouvelle pour l'économie mondiale, soit il y a un problème et effectivement, ça sera
01:52réajusté. Vu les prix mondiaux actuels, ça quand même incite les acheteurs à passer
01:58aux achats. Donc ça, c'est la 2ème chose. Et puis surtout, on conseille en fait aujourd'hui
02:04aux acheteurs de se focaliser d'abord sur d'autres marchés que les Etats-Unis et puis
02:07surtout sur d'autres marchés que les marchés agricoles. On a toujours fonctionné en transversalité
02:13sur les marchés et nous, en fait, on accorde beaucoup plus d'importance à la macroéconomie
02:18et aussi aujourd'hui qui se concrétisent par les parités monétaires, qui se concrétisent
02:24par l'évolution des taxes à l'importation et à l'exportation et donc sur la géopolitique.
02:28Voilà donc la macroéconomie et la géopolitique, c'est ce qui fait aujourd'hui les marchés.
02:32Alors c'est plus compliqué, c'est plus difficile à suivre, mais il faut y passer un petit
02:38peu de temps.
02:39Mais ça veut dire que les fondamentaux, les niveaux de production, les niveaux des stocks,
02:45les matières premières agricoles, ce n'est pas forcément ce qu'il faut suivre aujourd'hui
02:48pour donner des perspectives sur les prix ou des tendances. Il faut regarder ailleurs
02:55et notamment, si je comprends bien, les marchés financiers.
02:58Oui, oui, alors tout à fait. C'est-à-dire que nous, on estime en fait aujourd'hui qu'il
03:02faut, quand on veut gérer son risque, imaginer plusieurs scénarios. On ne peut pas être
03:06haussier, baissier. Il y a un tas de scénarios possibles. Il faut en choisir plusieurs, les
03:11choisir, et puis ensuite leur accorder des probabilités de réalisation. Et on met
03:15en place une stratégie, un arbitrage de son risque par rapport en fait à ses probabilités.
03:20Après, ce qu'il faut savoir, c'est que...
03:22Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'on ne peut pas... Enfin, ce n'est pas forcément
03:27pertinent de dire on se positionne haussier ou baissier sur telle production. Il faut
03:33envisager plusieurs scénarios et ce n'est pas blanc ou noir.
03:36Voilà, on pense que ce n'est absolument pas blanc ou noir. Et puis, par exemple, être
03:39un marché neutre aussi, c'est quelque chose de très important. On parle toujours de la
03:42hausse ou de la baisse, mais on peut être neutre pendant très longtemps. Si on regarde
03:45en fait ce qu'il se passe sur les marchés agricoles, on est dans une volatilité très
03:48faible depuis la saison 2016-2017, au regard de ce qu'on a eu les années précédentes.
03:53Parce qu'il y a une deuxième chose, on pourra revenir sur les marchés financiers, mais
03:57il y a une deuxième chose qui a beaucoup évolué. C'est le fait qu'aujourd'hui, la commercialisation
04:01est revenue aux mains des producteurs partout dans le monde. Et ça, ça change un peu la
04:04donne.
04:05C'est-à-dire ? Les gens stockent davantage ?
04:07Voilà, ça veut dire que les gens ont énormément investi dans des capacités de stockage à
04:10la ferme, ce qui leur permet aujourd'hui de commercialiser quand bon leur semble ou
04:15en tout cas quand les prix leur semblent rémunérateurs. Donc, ça a démarré en Argentine avec le
04:19soja pour gérer de l'inflation. Ensuite, le Brésil, les Etats-Unis s'y sont mis. En
04:24Europe, on voit aussi augmenter les capacités de production.
04:26En France ?
04:27En France aussi. Et puis parce qu'aujourd'hui, on peut aussi, par des plateformes qui se
04:30développent, vendre sans passer par des intermédiaires sa récolte. Donc, en fait, il y a énormément
04:34de choses qui font qu'aujourd'hui, effectivement, la main est revenue aux producteurs. Alors,
04:39c'est bien. C'est ce qui explique en grande partie la faible volatilité.
04:43C'est-à-dire qu'aujourd'hui, partout dans le monde, les agriculteurs sont davantage
04:48en capacité de vendre leur récolte sur un laps de temps beaucoup plus important et pas
04:55seulement en fonction de leur coopérative ou leur négociation ?
04:59Voilà, c'est pour ça que les pressions de campagne, les pressions de récolte, comme
05:02on les voyait les années précédentes, en fait, on les voit de moins en moins. Elles
05:04sont de moins en moins fortes parce qu'aujourd'hui, on peut étaler sa commercialisation. Alors,
05:08bien sûr, il y a des moments où on a besoin de vendre parce qu'on a besoin de trésorerie.
05:11Mais globalement, il faut aussi avoir une vision forcément de son marché. C'est pour
05:17ça qu'il faut aussi améliorer sa connaissance des marchés quand on est producteur. Eh bien,
05:21en fait, on peut effectivement commercialiser plus sereinement, on va dire.
05:25Ça, c'est plutôt une bonne chose.
05:27Alors, c'est bien et c'est pas bien. C'est bien parce que ça a mis un prix planché au
05:31marché mondiaux. Voilà, au-dessous des coûts de production, on n'a pas envie de vendre
05:34et on garde sa graine au chaud. Mais quand, en fait, les marchés deviennent rémunérateurs,
05:41les gens se mettent tous à vendre en même temps. Donc, au final, on est dans une espèce
05:44de canal qui, par exemple, sur le marché du soja, la graine de soja, on a identifié
05:49un canal entre 9 et 10 dollars le boisseau et on n'en sort pas. Et c'est assez logique
05:54par rapport à ce que je viens de vous expliquer. Donc, après, nous, ce qu'on dit, c'est qu'il
05:58faut pas non plus faire l'économie d'un scénario qui bouleverserait en fait ce canal
06:03et de scénarios extrêmes parce qu'on peut avoir des scénarios extrêmes.
06:07Et alors, quel scénario extrême vous envisagez pour les prochains mois ?
06:11Le scénario extrême, c'est un éclatement des bulles obligataires, des bulles de crédit.
06:18Sur les marchés financiers ?
06:19Voilà, sur les marchés financiers ou même éventuellement un problème, un éclatement
06:23des bulles boursières parce qu'aujourd'hui, on est sur des niveaux de valorisation qui
06:27sont stratosphériques et que les bénéfices que font les entreprises ne justifient pas.
06:31Qu'est-ce qui vous fait penser à cette possibilité ?
06:35D'abord, la première chose, c'est que même si nous, on s'inquiète chaque année de l'augmentation
06:41de ces dettes un peu partout dans le monde, on en parlait très peu dans la presse grand
06:46public. Aujourd'hui, non seulement des journaux autres que financiers commencent à en parler
06:53et en plus, il y a des grandes instances internationales comme le FMI, etc. et des grandes banques
06:57qui commencent aussi à mettre en garde sur ce risque qui se fait de plus en plus prégnant.
07:02Donc quand on commence à en parler dans la presse, c'est qu'en général, il y a eu
07:07des signes avant-coureurs et on a beaucoup de sujets d'inquiétude.
07:12Donc éclatement d'une nouvelle bulle sur les marchés financiers, quel impact ça pourrait
07:17avoir ? On se souvient de la bulle financière qui a éclaté en 2008-2009 et l'impact que
07:22ça a eu sur le marché des matières premières en général et agricoles. Quel impact ça
07:26pourrait avoir ? Un nouvel éclatement ?
07:29Alors nous, on pense en fait que ça serait tout à fait différent de ce qui s'est passé
07:33en 2008. Nous, on pense que ça serait plutôt haussier sur le marché des commodités parce
07:37qu'on n'est pas du tout dans le même contexte qu'il y a 9 ans. Et donc, on imagine que
07:42ça serait plutôt effectivement haussier et ça pourrait faire sortir justement de
07:45cette espèce de canal prédéterminé depuis un an et demi et faire sortir un petit peu
07:52le fleuve de son lit. Donc effectivement, c'est un scénario qu'on ne peut pas occulter.
07:59L'éclatement de cette bulle serait aussi valable pour l'Europe, la France ? On serait
08:07aussi concerné ?
08:08Bien sûr. Alors nous, au niveau français, on a une chance. C'est qu'on est, vous et
08:15moi, sur des taux fixes en général quand on achète sa maison. Mais les entreprises
08:21achètent plutôt à taux variables et en fait, on est les seuls dans le monde à être
08:24sur des taux fixes. Partout ailleurs, c'est des taux variables. Donc à partir du moment
08:26où les taux remontent, effectivement, ça devient très difficile d'être en capacité
08:32de rembourser. Alors après, on me dit la dette, la dette, elle continuera à augmenter.
08:37On a des banques centrales aujourd'hui pourtant qui nous disent qu'elles vont remonter les
08:40taux. Donc c'est un vrai risque. Nous, on pense qu'il n'y aura jamais d'augmentation
08:43des taux, en tout cas de façon importante parce que si on augmente les taux, on fait
08:49éclater ces bulles. Et donc, en fait, nous, on regarde pas vraiment ce qui se dit au
08:53niveau de la BCE et de la Fed puisque de toute façon, ils nous disent rien. Et en fait,
08:58c'est simplement les supputations de ce qu'ils vont dire qui font bouger les marchés. Par
09:03contre, on regarde beaucoup ce qui va se passer à la Fed en termes d'acteurs, c'est-à-dire
09:06qu'on a cinq administrateurs sur sept qui vont être remplacés, qui vont être nommés
09:10par Trump dans les prochains mois. Donc il reprend la main sur la Fed et je pense qu'on
09:13aura des gens beaucoup plus pragmatiques et moins idéalistes que la présidente actuelle.
09:18Et donc ça, ça peut faire évoluer les choses, mais plutôt toujours dans une volonté de
09:23faire baisser le dollar que de le faire monter.
09:26Vous parliez à l'instant de prêts immobiliers qui seraient au centre et qui étaient au
09:31centre de la bulle il y a quelques années. Est-ce que des incidents climatiques comme
09:37Irma, qui fait beaucoup de ravages et qui a des conséquences derrière sur le financement
09:43des maisons qui sont aujourd'hui détruites, peut avoir un incident, une incidence, y compris
09:48sur les marchés agricoles ?
09:50Alors oui, c'est vrai. Il y a eu deux millions de maisons endommagées par l'ouragan Irma.
09:55C'est deux fois plus que Katrina. Donc ça veut dire que les banques qui ont comme hypothèque
10:01ces maisons en gage n'ont plus rien en face d'elles si les gens ne remboursent pas. Donc
10:05ça met les banques dans un état assez compliqué. Les banques ne sont pas dans une santé
10:08mirobolante. On parle des banques américaines, mais il faut savoir aussi qu'il y a des bulles
10:12immobilières énormes en Australie, dont on commence à parler. Il y a eu un article
10:17dans Le Monde assez récemment. Donc ça, c'est un vrai problème aussi puisque les
10:20banques australiennes sont très importantes et ont vraiment un poids et un impact systémique
10:25sur le système financier mondial. Voilà. Et c'est la même chose au Canada. Et malheureusement,
10:31c'est la même chose en Chine.
10:32Donc les perspectives ne sont pas spécialement très bonnes pour les marchés agricoles,
10:38blé, maïs, soja ?
10:39Ça dépend de quel point de vue vous vous placez.
10:42Pour un agriculteur qui veut vendre ses productions.
10:44Si vous voulez vendre et si on estime que demain, l'éclatement de la bulle pourrait
10:47faire monter les prix agricoles, c'est plutôt une bonne chose. Pour un acheteur, ça l'est
10:53moins, forcément.
10:54Patricia Lecarde, merci beaucoup pour cet éclairage. Et puis je vous invite à retrouver
10:57d'autres informations sur les marchés agricoles sur TerreNet.fr.
11:00Merci.

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