Logiciels libres, licences, science ouverte, ou encore Wikipédia… La notion de « communs » tient une place prépondérante dans le numérique. C’est en tout cas l’idée que défend Serge Abiteboul dans son ouvrage « Vive les communs numériques » sorti aux éditions Odile Jacob en février 2024. L’informaticien français, chercheur à l'ENS et directeur de recherche émérite à l'Inria est l’invité de la Grande Interview.
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00:00On parle de commun numérique, tout le monde ne sait pas ce que c'est, mais on va en savoir
00:09beaucoup plus grâce à Serge Abitboul.
00:11Bonjour Serge, merci d'être avec nous.
00:14Vous êtes informaticien, directeur de recherche chez Meritalinria et puis surtout, pourquoi
00:18vous êtes là aujourd'hui ? Parce que vous êtes l'auteur avec François Bransillon
00:22de « Vive les communs numériques » paru aux éditions Odile Jacob.
00:26Le sous-titre « Logiciels libres, Wikipédia, le web, la science ouverte, etc. » nous donne
00:32quand même quelques indices, mais je ne peux pas ne pas vous poser la question parce que
00:35c'est quand même le cœur de cet ouvrage, qu'est-ce qu'un commun numérique ?
00:38C'est une très bonne question en fait, c'est un terme qui regroupe tout un paquet
00:42de choses qu'on connaît souvent, le plus souvent, mais on n'a pas fait le pas en arrière
00:48pour comprendre ce que c'est.
00:49Donc il faut revenir un peu en arrière.
00:50Les communs, c'est quelque chose qui a eu lieu depuis très longtemps, c'était des
00:55ressources, donc il y a une ressource, ça peut être un étang, une communauté, c'est
01:01les gens qui vont pêcher dans cet étang, et une gouvernance, c'était un ensemble
01:05de règles qu'on a mis en place pour protéger cette ressource.
01:09Donc ça c'est un commun.
01:10Et ça a très bien été étudié par Inger Ostrom qui a eu le prix Nobel d'économie
01:15là-dessus.
01:16Et on s'est aperçu que cette notion de commun, ressources, je le répète, c'est ça le
01:21truc important, ressources, communautés, gouvernance, ce machin-là marchait extrêmement
01:26bien avec le numérique et donc ça a donné tous les exemples que vous avez donnés et
01:29plein d'autres de grands succès du numérique autour de cette idée de partager une ressource
01:35pour plein de raisons.
01:36Et donc bon, il faut quand même lire l'ensemble de l'ouvrage pour bien en comprendre tous
01:41les contours, mais moi je me demandais, est-ce qu'il y a un moyen de savoir qu'est-ce
01:45qui est un commun et qu'est-ce qui ne l'est pas, parce qu'on voit cette tension aussi
01:48à travers le livre ?
01:50Alors d'abord, on n'a pas voulu mettre des bons points, dire ça c'est un commun,
01:54ça c'est pas un commun, on s'en moque un petit peu, ce qui est important c'est
01:57est-ce que ça fonctionne, est-ce que ça ne fonctionne pas, et toujours de l'étudier
02:03avec ces trois points quoi, est-ce qu'il y a une communauté, est-ce que cette communauté
02:07partage des ressources, et puis est-ce qu'ils ont mis en place une gouvernance.
02:10Mais vous dites que ce n'est pas forcément un, par contre on parle de commun numérique
02:13et puis même ce que vous citez comme exemple sur la couverture, on voit tout de suite
02:17le logiciel libre, on pense open source, on pense même gratuité, ce n'est pas toujours
02:22le cas ?
02:23Alors ce n'est pas toujours gratuit.
02:24Et ce n'est pas toujours ouvert non plus ?
02:26Ce n'est pas toujours ouvert, et puis surtout la frontière est un peu bizarre, parce qu'internet
02:30par exemple, tout le monde parle beaucoup d'internet, internet c'est quoi ? C'est
02:34beaucoup de privés, c'est des gros data centers, c'est des tuyaux qui appartiennent,
02:38c'est des opérateurs comme Orange, qui sont des boîtes privées, qui font un travail
02:42considérable.
02:43Mais internet c'est aussi tout un paquet de protocoles, de standards, d'interopérabilité
02:49qui font que ce n'est pas exclusif, tout le monde a le droit de se connecter à internet,
02:52tout le monde a le droit d'utiliser internet et d'échanger sur internet, donc c'est
02:56aussi une ressource commune avec une gouvernance qui est tout un paquet, alors c'est un
03:00petit peu compliqué, mais tous les gens qui sont en place pour essayer de faire que ça
03:04marche.
03:05Tout ça c'est aussi un commun, mais c'est aussi privé et c'est aussi public.
03:09Donc vous voyez, la frontière n'est pas toujours très précise, mais ce qui est intéressant
03:13c'est cette idée de commun, c'est une idée qui prend énormément de puissance avec le
03:17numérique et nous ce qui nous intéresse c'est comment ça fonctionne, c'est pas forcément
03:21de mettre des bons points.
03:22Oui et puis c'est vraiment ce qu'on sent derrière, c'est l'importance de la communauté,
03:26de la motivation aussi à faire partie de ceux qui créent ou qui gardent ou qui gouvernent
03:33ces communs numériques.
03:34Vous en faites partie d'ailleurs ?
03:36Je suis, d'ailleurs on le dit tout de suite, on est complètement biaisé, on est des fans
03:42des communs.
03:43François Bancillon a fait une grande partie de sa carrière dans les logiciels libres
03:47et puis dans l'open data, donc on est des partisans des communs.
03:53Alors après je pense que…
03:55Comment on y entre ? Alors racontez-nous puisque c'est aussi votre expérience personnelle,
03:59comment on entre dans cette communauté des communs ?
04:02Alors c'est ça qui est assez fantastique, c'est qu'il y a énormément de diversité.
04:07C'est pas quelque chose que je peux vous décrire en cinq minutes, il y a plein de
04:09motivations particulières.
04:11Il y a des motivations qui peuvent être des motivations purement altruistes, de défense
04:16des libertés des utilisateurs, de partage, donc tout ça éthique.
04:21Donc ça on retrouve ça beaucoup dans les logiciels libres.
04:24Mais très très près vous avez ce qu'on appelle les logiciels open source, à code
04:28ouvert.
04:29Et ces logiciels open source c'est promu par des grandes sociétés informatiques qui
04:35se sont aperçues que produire du logiciel en laissant le code ouvert c'est finalement
04:39beaucoup plus performant, ça permettait de l'interopérabilité, ça permettait de créer
04:43des écosystèmes, ça permettait d'un point de vue d'avoir des gains de performance
04:48et d'une certaine façon aujourd'hui l'internet fonctionne avec des logiciels libres massivement.
04:54Open source.
04:56Et de la même façon l'intelligence artificielle est très souvent open source, les transformeurs
05:00de Google vous pouvez les avoir en open source.
05:02Donc voilà, ces deux idées qui sont finalement très différentes, l'altruisme d'un côté,
05:08les performances, l'efficacité de l'autre, et on s'aperçoit finalement qu'on arrive
05:11un peu à la même chose, que quand vous allez regarder une licence de logiciel libre ou
05:14une licence d'open source, la plupart des gens ne vont pas voir trop la différence,
05:20c'est juste la motivation qui défère, pas vraiment l'objet.
05:24Mais alors une fois qu'on est motivé, on a envie de participer à cette aventure des
05:28communs numériques, est-ce qu'il faut respecter certaines règles ? Parce qu'on parle de
05:33l'importance aussi du sujet de la gouvernance, comment elle se construit sa gouvernance quand
05:38c'est une communauté disparate qui travaille autour d'un projet, parfois avec des cultures
05:43très différentes ?
05:44Alors c'est évidemment la bonne question.
05:47Dans une boîte privée, en gros, on n'arrête pas de vous le dire, c'est le client qui
05:53est le roi, d'accord ? Parce que si le client s'en va, il n'y a plus de boîte.
05:57Dans un commun, c'est les gens qui produisent qui sont les plus importants, parce que si
06:00la communauté se disperse, si les gens partent parce qu'ils ne sont pas heureux dans la
06:04communauté à produire, le plus souvent gratuitement, le plus souvent bénévolement, la communauté
06:09disparaît.
06:10Donc l'idée c'est véritablement d'avoir quelque chose qui satisfasse les gens qui
06:15produisent des ressources.
06:16Et ça c'est véritablement la difficulté d'un commun numérique.
06:19Alors après, s'ils ne sont pas heureux, la communauté va disparaître.
06:23Donc finalement cette communauté c'est une somme d'égos qui s'épanouit ?
06:27C'est une somme d'égos et qui peut avoir des motivations complètement différentes.
06:31Quand vous êtes en train de développer dans Wikipédia, quand vous produisez du texte
06:35sur Wikipédia, vous faites ça pour plein de raisons différentes, pour améliorer les
06:39connaissances mondiales, parce que vous êtes dans un club et vous trouvez ça sympa, vous
06:43avez des copains.
06:44Donc il y a plein de raisons pour faire ça.
06:45Quand vous êtes en train de développer du logiciel en code source ouvert, en open source,
06:52pour IBM ou Microsoft ou Google, vous êtes payé pour faire ça, c'est votre boulot.
06:57C'est seulement l'entreprise qui a décidé que c'était plus efficace d'avoir du code
07:00ouvert.
07:01Mais sur la question de la gouvernance, c'est comment on s'entend sur des règles ?
07:05Par exemple, Wikipédia ça peut être un exemple que tout le monde peut très bien comprendre.
07:09Aujourd'hui, il y a vraiment des règles écrites, partagées, débattues en permanence,
07:15discutées.
07:16Mais comment elles se construisent ? Quand vous êtes arrivé dans ce monde des communs,
07:20racontez-nous un peu de l'intérieur.
07:21Est-ce que ce sont des guerres internes qui se font et qui font émerger des règles communes ?
07:26Déjà, il faut voir ça dans le temps.
07:29Quand un commun se crée, le plus souvent des communs, on ne veut pas de la hiérarchie.
07:34Ce n'est pas comme une entreprise extrêmement hiérarchique avec des patrons qui décident
07:38de déployer des piles.
07:39Est-ce que ce n'est pas plus compliqué quand ce n'est pas pyramidal ?
07:42Du coup, c'est mieux parce qu'il y a plus de distribution, de responsabilité, etc.
07:47Et le numérique permet ça.
07:49C'est aussi un grand abord du numérique, c'est de permettre des échanges d'informations
07:53et de commandes qui sont beaucoup moins hiérarchiques.
07:56Donc la première chose, ça ne se passe pas toujours très bien.
08:00Il y a des engueulades, il y a des gens qui ne sont pas d'accord.
08:04Ce n'est pas un monde de bisounours du tout.
08:07Le développement de logiciels ou d'autres communs, c'est des mondes qui peuvent être
08:11des fois un petit peu rudes.
08:12C'est pour ça que souvent, il y a une présence féminine un peu faible dans ces communs.
08:18C'est quelque chose qu'il faudrait vraiment corriger.
08:19Mais dans les logiciels libres, par exemple, il y a assez peu de femmes et une culture
08:24qui peut être des fois un peu agressive.
08:27Après, il y a toutes les possibilités.
08:29Par exemple, une possibilité importante pour le logiciel, vous avez une communauté
08:34qui développe un logiciel et les gens s'engueulent pour des raisons philosophiques, peut-être
08:38pour des raisons de personnes, et décident qu'ils ne peuvent plus vivre ensemble.
08:41Dans une boîte privée, on voterait au conseil d'administration et on s'arrangerait.
08:46Là, ce n'est pas possible.
08:47Ce qu'il va se passer, c'est ce qu'on appelle un fork.
08:50C'est-à-dire qu'on va faire une copie du logiciel et puis il va y avoir deux logiciels
08:53qui vont être dans deux communautés.
08:55Ce n'est pas bon pour la communauté parce que ça affaiblit en nombre la communauté.
08:58La communauté se coupe en deux.
09:00Ce n'est jamais bien.
09:01Mais quand il n'y a pas moyen de faire autrement, il y a deux communautés qui…
09:04On comprend maintenant d'où vient l'effort et ça permet aussi de la créativité finalement
09:08tout ça.
09:09Mais vous avez dit que le numérique permet ça, en fait l'informatique est l'outil
09:15qui permet aujourd'hui ce travail de paire à paire.
09:18Est-ce que, parce que dans le livre, ce qui est cité comme premier commun numérique,
09:22c'est Internet.
09:23Est-ce que ce n'est pas l'informatique le premier commun finalement du numérique ?
09:28C'est compliqué de dire quel serait le premier commun.
09:31Les communs numériques se sont d'abord développés en logiciel, donc l'informatique,
09:34vous avez raison.
09:35Mais c'est là qu'il y a quelque chose que moi j'ai un peu découvert en écrivant
09:40ce livre avec François Mancian, c'est en faisant un pas en arrière, on voit très
09:44bien que les communs numériques, c'est comme tous les communs, c'est non-exclusif,
09:48tout le monde peut en bénéficier.
09:49C'est non-rival, c'est-à-dire que vous pouvez multiplier un logiciel par un million
09:52d'exemplaires et ça ne coûte pas plus cher.
09:54Donc ça on voit bien.
09:55Mais ce qu'on voit moins, c'est que le numérique permet des échanges d'informations,
09:59du travail collaboratif à des niveaux incroyables.
10:02Reprenons le cas de l'encyclopédie.
10:04On aurait très bien pu considérer au XIXe siècle, quand on a fait une encyclopédie,
10:08que plutôt que de la faire écrire par une dizaine ou quelques dizaines de spécialistes,
10:13d'experts, on allait la faire écrire par quelques milliers de personnes.
10:15Mais comment vous voulez faire travailler au XIXe siècle des milliers de personnes
10:19ensemble pour faire un texte commun ? Ce n'est pas possible.
10:23Aujourd'hui, avec les outils qui ont été développés, avec les outils informatiques
10:26qui ont été développés, plusieurs dizaines de milliers de personnes, plusieurs centaines
10:30de milliers de personnes peuvent collaborer à un projet commun, peuvent échanger de
10:33l'information, peuvent échanger des règles et ça fonctionne.
10:38Et ça, c'est aussi un apport fondamental dans l'informatique.
10:41Alors quand même, quand on écoute Tim Berners-Lee, on se dit que quand même l'outil web a été
10:49un peu abîmé, privatisé beaucoup finalement par les plateformes, la question de l'exploitation
10:55commerciale des données, même de la surveillance à travers les données, ont un peu changé
11:02le projet web par rapport à son origine, en tout cas d'après ce que dit l'un de ses créateurs.
11:08Est-ce qu'il vous semble, vous aujourd'hui, que les communs numériques sont malmenés, en danger ?
11:15Oui, c'est-à-dire qu'en même temps, ils se développent considérablement.
11:20Oui, parce qu'à la fin, c'est super quand on regarde les tableaux, on se dit qu'il y a une croissance incroyable
11:24du nombre de projets.
11:25Il y a une très belle croissance, à la fois dans des domaines particuliers mais aussi
11:28géographiquement, ça fonctionne bien.
11:31Par contre, comme vous le dites, il y a des risques, il y a des périls.
11:36Alors la question, ce n'est pas nouveau dans les communs, même les communs matériels,
11:40il y avait les enclosures qui faisaient que les gens, ils avaient un commun, ils allaient
11:43tous glaner sur des champs et puis tout d'un coup, on mettait une barrière et puis le
11:47champ devenait propriété privée.
11:49Donc sur les communs, il y a ça, alors il y a les Etats, par exemple Internet montre
11:55bien que les Etats essaient de limiter la liberté qu'on trouve sur Internet, de recréer
12:02des frontières artificielles, absolument, mais on voit aussi les entreprises privées,
12:07les grandes entreprises privées, pour maximiser leurs profits, on les voit aussi essayer de
12:12mettre des frontières.
12:13On a tous ce machin dans la poche, ce machin dans la poche, il y a des applications.
12:17Une application, c'est uniquement, vous pourriez avoir exactement le même service sur le web,
12:23mais on vous la met dans une application pour vous mettre dans un silo, pour vous encadrer
12:26mieux, garder vos données, vous empêcher d'aller ailleurs, etc.
12:29Et donc ça, c'est une véritable attaque contre les communs.
12:34Il y a des pièges de communs, on voit aujourd'hui avec l'IA Générative, les IA Générative
12:41fabrevend des textes communs qui sont en Creative Commons, en accès ouvert sur l'Internet,
12:49pour créer des produits qui, eux, ne sont pas en accès ouvert.
12:51Donc vous voyez, il y a toutes ces attaques-là, et évidemment, c'est un très bel outil qui
12:57se développe à côté de la propriété privée, donc ce n'est pas quelque chose qui met en
13:00péril la propriété privée, mais c'est quelque chose qu'il faut défendre, parce
13:04que sinon, on perdra tous les avantages de ces outils-là.
13:07C'est la motivation première de cet ouvrage ?
13:09C'est la motivation première.
13:11C'est né d'une inquiétude ?
13:13Alors, c'est né d'abord d'une inquiétude, c'est né aussi, l'ouvrage précédent,
13:18c'était sur les réseaux sociaux, et c'était très drôle quand je parlais de quelqu'un
13:21en disant « je travaille sur les réseaux sociaux, j'écris un bouquin, ils connaissaient
13:23tous mieux que moi les réseaux sociaux ». Et sur les communs numériques, ça, c'est
13:27agréable, parce que vous dites « je travaille sur les communs numériques », je vous dis
13:29« sur quoi ? ». Et en fait, les gens savent, les gens connaissent l'open source, les
13:35gens connaissent l'open data, les gens connaissent l'open science, tous ces trucs-là, ils
13:39en ont entendu parler.
13:40Mais ce qu'on a voulu faire aussi, c'est leur faire faire un peu en arrière en regardant
13:43en disant « mais regardez, tout ça, tout ça, c'est des choses qui tiennent un peu
13:48du même esprit, qui tiennent un peu des mêmes concepts et qui méritent d'être défendues.
13:52Alors, je voulais qu'on… vous allez voir, peut-être je vais vous reposer un peu les
13:56mêmes questions, mais je voulais qu'on fasse ensemble le jeu de l'interview express
13:59où je pose des questions très binaires, qui va être aussi quelque chose qu'on va
14:03pouvoir regarder à part, donc c'est pas mal même si vous répétez des choses, Serge,
14:07n'hésitez pas.
14:08On commence avec un oui-non.
14:10Alors, oui-non, les communs numériques sont des outils numériques gratuits créés par
14:13des bénévoles.
14:14Pas forcément gratuits et pas forcément par des bénévoles.
14:18Vrai ou faux, Internet est le premier des communs numériques, puisque vous le mettez
14:23d'ailleurs dans un tableau, 1983, d'ailleurs vous le datez à 83, c'est pas vraiment le
14:27début d'Internet, mais c'est la date que vous choisissez avec Vinton Cerf à sa tête.
14:32Alors, je ne suis pas historien, je ne sais pas exactement qui est le premier, mais c'est
14:37clairement parmi les grandes réussites, c'est clairement la première grande réussite
14:41des communs numériques.
14:43C'est mieux ou moins bien en ce moment en matière de diversité de projets de communs
14:48numériques ?
14:49C'est mieux, mais il y a aussi beaucoup de risques sur les communs et d'attaques contre
14:54les communs.
14:55Pour ou contre l'idée que les productions des IA génératives puissent être justement
15:00considérées comme des communs numériques ? C'est cette idée qui m'est venue, je
15:04me suis dit finalement, puisque ça utilise des bases communes et que ça ne fait que
15:10les compiler, est-ce qu'on ne pourrait pas considérer que toutes ces productions sont
15:12des communs ?
15:13Je peux répondre longuement là-dessus, elles devraient l'être, puisqu'elles ont été
15:22fabriquées à partir de communs, mais il y a du travail en plus, donc on pourrait aussi
15:26vous faire payer le travail en plus pour les construire, d'accord, mais l'idée d'avoir
15:31des ressources, premièrement que les données d'apprentissage soient des communs, c'est
15:37très souvent le cas, massivement, pas que, mais les données d'apprentissage sont très
15:40souvent des communs, les logiciels qui font tourner ces IA génératives sont souvent
15:44des communs aussi, ce sont des logiciels open source, souvent des communs, on peut aussi
15:48imaginer que les modèles qui sont générés puissent être vus aussi comme des communs
15:52et laissés en accès libre pour que les gens puissent construire au-dessus, mais ce n'est
16:00pas le cas.
16:01C'est ce que je veux dire, on peut imaginer pour l'instant, vous êtes plutôt dans le
16:05camp de j'aime ou je n'aime pas le piratage, parce que dans le livre, j'ai noté que vous
16:10parliez du piratage, est-ce que c'est comme presque une façon de transformer finalement
16:15une propriété privée en un commun ?
16:17Encore une fois, difficile d'avoir une réponse.
16:20C'est mon interprétation, pardon.
16:21Non, mais vous avez raison, et je vais prendre un exemple, Alexandra Elbakian, qui pirate
16:26tous les articles scientifiques et qui crée un site web qui s'appelle Sci-Hub dans lequel
16:30elle met à disposition de tout le monde les articles scientifiques de la planète, 98%
16:35dans Sci-Hub.
16:36C'est illégal, parce que certains de ces articles sont protégés par le copyright,
16:41la seule question c'est que vous avez là deux lois, vous avez une loi qui dit, un scientifique,
16:45on ne peut pas lui limiter l'accès à des articles scientifiques parce que c'est ça
16:49qui fait avancer les connaissances de l'humanité, et l'autre loi qui dit, il faut protéger
16:53la propriété intellectuelle.
16:55Alexandra Elbakian a décidé de placer la valeur scientifique au-dessus.
16:59Je ne dis pas que c'est bien ou que ce n'est pas bien, mais elle a fait bouger les choses
17:02parce qu'aujourd'hui, tout est devenu la plus grande masse des données scientifiques
17:06et aujourd'hui, on a open access grâce à des travaux comme le sien.
17:10Allez, très vite.
17:11J'y crois ou je n'y crois pas qu'on peut encore réparer le web ?
17:14J'espère bien.
17:16Et refaire un commun numérique.
17:18D'accord ou pas avec ce qui se passe au niveau des réglementations aujourd'hui européennes
17:22pour les communs numériques ?
17:24Alors ça ne va pas assez loin.
17:25Je pense qu'il faudrait développer des lois et des règlements pour les protéger plus,
17:31mais ça commence à aller dans le bon sens.
17:32Et un rêve ou cauchemar ? La viabilité des communs numériques, est-ce que ça vous inquiète
17:35cette viabilité aujourd'hui ?
17:37Je pense que c'est un combat.
17:39Merci beaucoup d'avoir été avec nous dans Smartech.
17:42Serge Abitbou, je rappelle que vous êtes directeur de recherche et mérite à l'INRIA
17:45et le co-auteur de « Vive les communs numériques » chez Odile Jacob.
17:49Je vous recommande cette lecture.