Une décision du Conseil d'état du 28 mai 2024 permet à un médecin généraliste de constater un burn-out sans en référer à la médecine du travail. Les prémices d’une recrudescence d’arrêts de complaisance ? On en parle avec l’avocate Justine Godey.
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00:00Générique
00:12Bien dans son job pour s'intéresser à une décision du Conseil d'Etat pour parler droit, vous l'aurez compris, autour du burn-out.
00:19J'accueille Justine Godet, vous êtes avocate en droit du travail au cabinet Lagarendry.
00:25Exactement.
00:26Je l'ai bien prononcé cette fois-ci. Vous m'avez repris à juste titre.
00:29D'abord un mot, et c'est très important. Le 28 mai dernier, une décision du Conseil d'Etat, et c'est le sujet du jour,
00:35va autoriser le salarié à se tourner non pas exclusivement vers le médecin du travail, mais vers son médecin traitant. C'est bien cela ?
00:42Alors c'est exactement cela. En fait, c'est une décision qui va un petit peu libérer les médecins traitants,
00:46puisque jusqu'à présent, en fait, on avait une recommandation de la Haute Autorité de la Santé
00:50qui estimait que le médecin traitant ne pouvait pas diagnostiquer de burn-out sans avoir échangé avec le médecin du travail.
00:56Et régulièrement, les chambres disciplinaires du Conseil de l'Ordre des médecins
00:59estimaient que le fait de diagnostiquer un burn-out sans cet échange caractérisait une faute professionnelle pour le médecin.
01:05Le Conseil d'Etat donc revient sur cette jurisprudence traditionnelle du Conseil de l'Ordre des médecins
01:10et autorise désormais un médecin à poser un diagnostic de burn-out sans aucun échange avec le médecin du travail
01:16et sans aucune connaissance des conditions de travail du collaborateur.
01:22Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'aujourd'hui, là, on est dans une zone grise par rapport à la relation qu'il va entretenir,
01:29ce médecin avec la médecine du travail, où chacun va rester à sa place ?
01:32Alors chacun va rester à sa place parce qu'effectivement, ils ont des compétences distinctes.
01:37Je pense que ce à quoi il faut faire très attention, c'est que le médecin traitant va pouvoir poser le diagnostic de burn-out
01:43par rapport à l'état de santé du salarié. Pour autant, il ne va pas pouvoir intervenir sur les causes de ce burn-out.
01:48Et ça, il n'y a que le médecin du travail qui pourra avoir connaissance de l'entreprise
01:52et pouvoir éventuellement se poser la question du lien entre le burn-out et des conditions de travail qui seraient défectueuses.
01:58Il y a quand même un petit sujet sur le médecin traitant.
02:00Traditionnellement, on va voir son médecin, on pousse la porte d'un cabinet, on attend dans la salle d'attente et on est reçu.
02:04Mais il y a Doctolib, il y a les consultations par visio.
02:08Là aussi, un médecin sur Doctolib peut prescrire ou considérer que le patient qu'il a en face de lui est atteint d'un burn-out.
02:16Alors c'est précisément le risque que crée cette décision.
02:20Parce qu'effectivement, quand on a un médecin traitant, celui qu'on a déclaré à la CPAM, qui nous connaît,
02:24il va pouvoir poser un diagnostic assez fiable sur la dégradation de notre état de santé et le fait qu'on soit vraiment en situation de souffrance professionnelle.
02:31En revanche, lorsque l'on va voir un médecin qu'on a trouvé sur Doctolib, qui ne nous connaît pas du tout,
02:37est-ce qu'en une consultation, parfois même en une téléconsultation, il va pouvoir se rendre compte que notre état de santé s'est dégradé ?
02:43Est-ce qu'il n'y a pas un risque que certains médecins puissent être instrumentalisés par des collaborateurs qui veulent en fait préparer leur dossier prud'homale ?
02:49Il faut préciser qu'une fois que le diagnostic a été posé, le médecin officialise la situation de son patient en burn-out,
02:56j'imagine qu'ensuite le patient retourne voir son entreprise en disant « un médecin a validé mon burn-out ». On est d'accord ?
03:03Alors non.
03:04Non mais cette partie-là, elle est sensible ?
03:06Oui, tout à fait. En fait, effectivement, en tout cas, dans cet arrêt-là, on ne parle pas d'un certificat médical dans lequel le médecin expliquerait la dégradation des conditions de travail, etc.
03:15On parle tout simplement du CERFA d'arrêt de travail du médecin traitant qui, sur la partie qui est envoyée à la CPAM, mentionne son diagnostic et la raison de l'absence du salarié.
03:26L'employeur, lui, ne reçoit que le CERFA sans aucune mention des causes de l'arrêt puisque c'est couvert par le secret médical.
03:33Mais je vous pose la question, maître. Est-ce qu'il ne faut pas une passerelle ? Peut-être que l'arrêt du Conseil d'État va être amélioré et la jurisprudence va le nourrir,
03:40mais est-ce que le salarié ne doit pas aussi et en même temps aller voir la médecine du travail avec ce document de son médecin traitant pour dire « voilà, on vient de me diagnostiquer un burn-out, à vous de faire votre travail de médecine du travail ».
03:51Alors c'est effectivement idéalement ce qu'il faudrait faire. Le médecin du travail, en principe, n'a pas vocation automatiquement à recevoir un salarié qui est en arrêt de travail.
04:01Il le reçoit que lorsqu'il y a lieu à une visite de reprise. Mais il y a tout à fait la possibilité pour le collaborateur de demander un rendez-vous avec la médecine du travail pendant son arrêt pour être reçu pour que le médecin du travail.
04:12Alors le rôle du médecin du travail, ça va être notamment de déclarer une inaptitude au poste et dans ces cas-là, il doit nécessairement échanger avec l'employeur et prendre connaissance du poste et des conditions de travail.
04:21Un dernier mot, le burn-out, ce sont des arrêts souvent très longs, c'est une maladie très très longue et qui a souvent pour cause du relationnel, du harcèlement, une surcharge de travail. Qui règle ce sujet ?
04:34Alors la cause de l'arrêt, effectivement, peut être éventuellement évaluée par le médecin du travail. Néanmoins, je dois quand même un peu nuancer vos propos parce que c'est pas parce qu'un collaborateur est en burn-out que c'est nécessairement dû au comportement de son employeur, à un harcèlement, à des mauvaises conditions de travail.
04:56Ça peut être des motifs personnels ?
04:57Ça peut être des motifs personnels qui font que, de manière ponctuelle, il n'est plus à même de gérer sa charge de travail habituelle. Et d'ailleurs, dans l'arrêt qui était soumis au Conseil d'Etat, en fait, la durée de l'arrêt n'était que de 15 jours, donc c'était pas un arrêt très long.
05:08Ce qui est d'ailleurs assez contradictoire, qui veut dire que le Conseil d'Etat n'est peut-être pas allé assez loin, les arrêts de travail sur un burn-out sont très longs, 3 mois, 6 mois, parfois un an. Vous êtes d'accord ?
05:18Alors c'est vrai qu'en général, c'est des arrêts très longs et qui aboutissent quand même assez régulièrement à la négociation d'une option du contrat de travail.
05:25Dernier mot, tout dernier mot, l'avocat que vous êtes, pour répondre à notre question, est-ce que le Conseil d'Etat s'est fourvoyé dans cette décision du 28 mai dernier ou pas ?
05:33Alors, il ne s'est pas fourvoyé mais, encore une fois, il faut prendre un peu de recul par rapport à la décision.
05:39Ce qui est très intéressant, c'est de lire les conclusions du rapporteur général du Conseil d'Etat qui a estimé qu'en l'espèce, le médecin avait fait preuve de légèreté mais que pour autant, ça n'était pas un certificat de complaisance.
05:50Donc, il va falloir distinguer les médecins qui peuvent faire preuve de légèreté ou être volontairement mensongers et ça, c'est quand même relativement rare.
05:59Les téléconsultations, les médecins que l'on prend comme ça en une consultation, c'est vrai que c'est un peu léger de pouvoir diagnostiquer le burn-out, il faut le reconnaître.
06:06C'est au moment où le patient devient un client et ça pose quand même des difficultés.
06:10Donc, il y a un vrai débat autour de cette décision, cet arrêt du Conseil d'Etat du 28 mai dernier.
06:16Merci Justine Godet, avocate en droit du travail, spécialiste de ces questions au cabinet de la garanterie.
06:22Je l'ai dit donc deux fois parfaitement, merci de nous avoir rendu visite.
06:25D'ailleurs, on va se tourner dans notre cercle RH le débat justement sur le rapport au travail, au bien-être au travail, à nos conditions de travail.
06:32Qu'est-ce qui fait qu'on aime ou qu'on n'aime pas son travail ?
06:35Eh bien, on va en parler avec des experts, des spécialistes de ce sujet.
06:38Je les accueille juste après le jingle.