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L'écrivain Mathieu Palain et Sylviane Bailbé, lectrice malvoyante

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00:00Tout public avec Frédéric Carbone et tous vos invités Frédéric.
00:05Et on commence Marie, par une légende de la musique, racontée en plus par un de ses
00:09plus proches collaborateurs, je ne sais pas si le mot collaborateur est le bon d'ailleurs,
00:13presque un double, un frère, Yann Bertrand, c'est chic et c'est surtout un des albums
00:16les plus attendus, les plus marquants de la rentrée, Yann Bertrand, je parle évidemment
00:20de Nick Cave, que nous recommandait d'ailleurs dans ce même studio hier, Judith Godrej,
00:24la marraine de l'émission.
00:25Et donc vous en avez parlé avec, oui, le double de Nick Cave.
00:29Et ce double s'appelle Warren Ellis, il est Australien lui aussi, et depuis 30 ans il
00:34forme un duo inséparable avec Nick Cave, même s'il habite à Paris, il se rend souvent
00:39à Londres pour d'interminables sessions en studio durant lesquelles il compose, il arrange,
00:44discute au cœur d'un intense duo créatif, c'est là-bas qu'il se trouvait quand nous
00:48l'avons joint il y a quelques jours.
00:50Moi je pensais toujours, c'était par hasard que j'ai rencontré Nick, et quelle chance,
00:55on a fait des choix avec la musique qu'on aime, les films qu'on aime, les livres qu'on
01:00adore, les trucs qui nous bougent, et quand on a une vraie claque avec des gens, c'est
01:05parce qu'il y a cette confluence d'idéas et l'amour, c'est comme les fleuves quoi.
01:11Il n'y a donc aucun hasard dans cette rencontre, les deux hommes imaginent les albums de Nick
01:16Cave, ils composent aussi des bandes originales de films, dont celle très remarquée pour
01:20La Panthère des Neiges il y a quelque temps, ces dernières années ont été très intenses,
01:24immensément tristes même pour Nick Cave qui a perdu deux fils, dont La Disparition
01:29a été la matière d'albums intenses et magnifiques, mais avec ce nouveau disque,
01:33Wild God, c'est une renaissance assumée.
01:35Alors que les Bad Seeds, son groupe historique était logiquement en retrait avant sur des
01:55chansons dépouillées, ici Nick Cave et Warren Ellis ont voulu retrouver l'énergie du collectif.
02:01La puissance de la groupe, c'est de reconnaître ça, de laisser l'ego à la porte, d'essayer
02:07de faire ce qui est le meilleur pour les chansons à ce moment-là.
02:11Pour moi, ça donne à la musique un truc qui est vraiment instant, qui est dans la
02:16gueule quoi.
02:17J'ai remarqué quand les gens écoutent le disque, ils sont un peu choqués parce que
02:22c'est direct, c'est frappant.
02:23Et cette énergie qui n'avait jamais disparu des concerts, toujours de grands moments avec
02:35Nick Cave, est aussi le symbole d'une collaboration fusionnelle.
02:38Oui parce que les deux hommes sont sur la même ligne, avec la même curiosité musicale.
02:43Oui, Warren Ellis est un maître dans la construction d'ambiance, artisan de nappes sonores toujours
02:48évocatrices, que ce soit dans la peine ou dans la joie, multi-instrumentiste, mais surtout
02:53violoniste.
02:54Il s'adapte en permanence aux textes du chanteur, chargé de références religieuses ou historiques.
02:59Leur relation, y compris en studio, est profondément organique.
03:04Il a toujours la même curiosité, l'envie de prendre des risques et le savoir qu'on
03:10peut faire la merde et on s'en fout quelque part dans le processus.
03:15On va trouver quelque chose qui nous intéresse, qui nous fait peur et qui est itérante.
03:21Ça c'est des idées qu'on a besoin de souffler dessous et regarder s'il peut voler tout seul éventuellement.
03:29Tu sens dans la studio quand c'est riche, c'est pas un sentiment que tu sens dans l'estomac.
03:35Ça peut être deux notes ou quelques textes ou un truc qui fait un changement dans le corps.
03:40Mais on a travaillé comme ça depuis le début de la siècle.
03:52Leur relation, au-delà de donner de très bons disques, c'est toujours construite sur un apparent pied d'égalité.
03:58Nick Cave ne manque jamais de saluer le travail de Warren Ellis, même quand il part en tournée
04:03intimiste avec un autre musicien, Colin Greenwood de Radiohead, qui a également participé à
04:08l'enregistrement de ce dernier album, à tel point qu'aujourd'hui, la longue barbe de
04:13Warren Ellis semble être le prolongement de l'ombre musicale de Nick Cave, deux musiciens,
04:19deux amis, qui affrontent ensemble les peines et les pâches blanches.
04:30« Wild God », le nouvel album de Nick Cave, « The Bad Seeds », et vous savez quoi ?
04:35Yann Bertrand, votre voisin, qui est écrivain, je le vois écouter avec une immense attention,
04:39battre au même rythme que Nick Cave. Bonjour Mathieu Palin.
04:44Bonjour.
04:45Ça vous parle, Nick Cave ?
04:46Paradoxalement, ça ne me parle pas tellement, mais je trouve ça magnifique et j'ai honte
04:51de le dire, mais je découvre.
04:53Ça pourrait être une bande-son de votre livre, parce que votre livre est très en
04:58musique, parce qu'on est de la même manière qu'il y a des road movies, il y a des roadbooks,
05:03c'est l'histoire d'une mère et de son fils adolescent qui partent en voiture pour
05:08fuir et se retrouver à la fois. Il y a une bande-son, on l'écoutera un peu plus tard
05:13Dans l'émission, vous êtes ce qu'on appelle, Mathieu Palin, un écrivain du réel.
05:16Je ne sais pas si vous validez ça, mais ça dit assez ce que vous écrivez.
05:20Les hommes manquent de courage aux éditions de l'Iconoclast, donc la vie d'une femme,
05:25la difficulté de communiquer avec ce fils adolescent, les secrets, les non-dits, peut-être
05:30surtout dans une famille qui se transmet de génération en génération.
05:33Peut-être qu'il faut d'abord, Mathieu Palin, évoquer la jeunesse de ce livre.
05:36C'est une femme, elle s'appelle Jessie dans le livre, mais ce n'est pas son vrai
05:39prénom, qui vous a appelé pour vous raconter sa vie d'une certaine manière,
05:43comme une bouteille à la mer.
05:45Oui, en fait, elle avait entendu un podcast que j'avais fait pour Radio France,
05:50France Culture pour pas nommer, la chaîne qui s'appelait Des Hommes Violents
05:54il y a quelques années et elle l'avait écouté parce que sa meilleure amie lui
05:57avait envoyé les six épisodes et elle m'a juste envoyé sur Facebook un message,
06:02donc on n'était pas amis, on ne se connaissait pas, qui disait juste
06:05Est-ce que c'est vous le Mathieu Palin du podcast ?
06:07Ma meilleure amie m'a envoyé ces six épisodes.
06:09C'est bizarre, je n'ai pas vécu ces violences, donc des violences conjugales,
06:12mais ça me parle, je crois que j'avais enfoui tout ça.
06:15C'est le mot clé, enfoui.
06:16Voilà, c'est ça.
06:17C'est que ce dernier petit bout de message, je crois que j'avais enfoui tout ça,
06:21ça a, je pense, allumé en moi une curiosité qui m'a fait me dire,
06:24tiens, ici je lui répondais et que j'allais la rencontrer, cette femme,
06:28qu'est-ce qui était enfoui si ce n'était pas ce dont je parlais dans le podcast ?
06:32Et là, c'est qui tout doute, vous jetez une pièce en l'air,
06:35vous pouvez rencontrer quelqu'un et il ne se passe rien,
06:39et à l'inverse, vous pouvez rencontrer quelqu'un et vous savez immédiatement
06:42que cette personne, vous allez la revendre.
06:43Pourquoi vous le savez immédiatement, d'ailleurs ?
06:45C'est difficile à dire, c'est comme de rencontrer un ami,
06:48ou peut-être même quelqu'un qui va être plus qu'un ami,
06:51c'est-à-dire que vous ne le savez pas vraiment, c'est quelque chose qui flotte dans l'air,
06:54c'est une sensation, la conviction que cette personne, elle est très intéressante,
06:59elle prend peut-être un peu mieux la lumière, c'est aussi simple que ça.
07:02Et vous avez envie d'y revenir parce que vous vous dites,
07:05elle ne m'a pas tout dit, j'ai envie de la connaître.
07:07Et puis au bout d'un moment, je l'ai vue pendant des mois et des mois,
07:10et un jour, parce que c'est mon métier et que j'ai cette déformation professionnelle aussi,
07:15je lui ai dit, écoute, ton histoire me fascine et j'ai envie d'écrire dessus.
07:18Est-ce qu'il y avait une thérapie pour elle, en vous parlant, une forme de thérapie,
07:22et l'écriture, pour vous et pour elle, ça sert à quoi ?
07:26Le journaliste, s'il écoute, il peut se transformer en psy par moment.
07:30Donc moi, elle me l'a dit, elle m'a dit oui.
07:32D'une certaine manière, je dis que je ne suis jamais allé voir les psys
07:35parce que j'ai l'impression qu'ils voient trop de gens
07:39et qu'ils font ça de manière un peu automatique.
07:41Mais je lui ai dit, ce qu'on fait là, c'est quasiment la même chose.
07:44Et elle était d'accord, elle me dit oui.
07:45Je sens que pour moi, de te confier cette histoire qui est lourde,
07:49de te raconter tout ça, tout mon passé, d'où je viens,
07:53ça crée en moi quelque chose qui est une forme de libération.
07:56On ne va pas raconter toute l'histoire de cette dame.
07:59Il n'y a pas de violences conjugales, mais il y a des violences sexuelles.
08:01Et ce qui est essentiel, effectivement, c'est ce qui est enfoui, non dit,
08:06mais qui se transmet de génération en génération.
08:09Oui, ça me fascine parce qu'on a tous des familles,
08:13donc on a tous des secrets de famille.
08:15Et donc, je trouve intéressant de voir comment, parfois,
08:20on se dit que la meilleure solution pour que ça ne touche pas les enfants
08:23ou les petits-enfants, c'est de ne rien dire.
08:25Avant de se rendre compte plus tard qu'en fait,
08:27c'est la meilleure manière pour que tout se répercute
08:29et que ça ressorte par tous les moyens.
08:33Et elle, Jessie, elle a un passé lourd qui est un secret,
08:40avec des traumatismes, avec des plaies qui n'ont pas été cicatrisées.
08:44Et elle a un fils qui ne va pas bien, qui a 15 ans, Marco.
08:47Et elle se dit, après avoir justement tout retenu
08:50et avoir essayé de ne pas lui transmettre ça,
08:53elle se dit que peut-être c'est ce secret qui n'a fait que grossir
08:56et qui maintenant est sur le point d'exploser.
08:59Donc, face à une situation un peu extraordinaire
09:02qui arrive assez rapidement au début du livre,
09:04elle se décide à lui dire ce secret.
09:06Voilà, elle va crever l'abcès et dire ce que tu ne sais pas,
09:11ce qui a été ma vie avant de t'avoir toi, ma vie avant d'être mère,
09:14voilà qui je suis, voilà d'où je viens.
09:17Ce qui est particulièrement intéressant dans votre livre aussi,
09:19c'est qu'il n'y a pas de misérabilisme,
09:21il n'y a pas de tout blanc, tout noir, on va en parler,
09:23mais je voudrais vous présenter, en face de vous,
09:25quelqu'un qui vous écoute peut-être avec d'autant plus d'attention,
09:28que c'est une grande lectrice, mais qu'elle est malvoyante.
09:31Bonjour, Sylviane Beignet.
09:32Bonjour.
09:33Si on vous reçoit aujourd'hui, c'est parce qu'il y a les Jeux Paralympiques
09:36où on dit, grâce aux Jeux, dans la foulée de ces Jeux Paralympiques,
09:40la vie quotidienne va s'améliorer pour les personnes en situation de handicap en France.
09:45Je dis grande lectrice, je ne me trompe pas, c'est le cas.
09:48Je lis, je lis pas mal.
09:50Et pour vous, une rentrée literaire, je précise, vous n'êtes pas aveugle,
09:53mais c'est tellement difficile de lire, par exemple, ça, si je vous donne le Mathieu Panin.
09:58Je ne peux pas, les contrastes ne sont pas suffisamment importants
10:03entre le rouge, du rouge et du noir, voilà, c'est tout.
10:06Et les pages du livre, trop petit, écrit trop petit.
10:09Donc, il vous faut une loupe.
10:11Ça veut dire qu'il y a quelque chose de l'ordre d'une frustration pendant la rentrée littéraire
10:14ou alors c'est quand même un bonheur ?
10:16Alors, il y a les deux.
10:17Les deux s'entrechoquent, en fait, parce que les livres,
10:20une rentrée littéraire, c'est très important,
10:22même si on n'adhère pas à tous les titres ni à tout ce qui est proposé pour la rentrée littéraire.
10:26465, je crois.
10:28Mais je ne sais pas combien d'ils sont disponibles en audio.
10:29C'est énorme, c'est énorme.
10:32Se relancer dans la rentrée littéraire,
10:36c'est prendre quelques livres et se les approprier.
10:39Peut-être pas franchement avec du papier,
10:41mais avec l'audiolecture dont on en va parler.
10:44Mais le papier, il est important.
10:45Le papier, c'est très important.
10:47Ça représente quoi ?
10:48Ça représente tout.
10:49En fin de compte, c'est le préambule à une aventure.
10:52On prend un livre, on le touche,
10:54le papier est tout différent selon les éditeurs.
10:57Il peut être glacé, peut être là, il n'est pas glacé.
11:00Il y a le parfum.
11:02Un parfum, une effluve, ça vous amène vers quelqu'un.
11:05Ça vous amène vers une histoire.
11:06Donc, c'est déjà le préambule.
11:08Et c'est important, on débute le voyage.
11:10Ça vous arrive de tenir un livre en main et d'écouter le même ?
11:14Oui, bien sûr, souvent.
11:16Il y a les deux.
11:17Je prends toujours les deux.
11:18Tous les sens.
11:19Tant que je peux, j'ai le livre avec moi.
11:21Mathieu Palin va vous lire un extrait de son livre dans une minute.
11:24Je laisse se préparer.
11:25Après, le Fil-Info.
11:28La guerre en Ukraine avec une nouvelle frappe meurtrière.
11:33Une frappe russe sur Poltava dans le centre de l'Ukraine
11:36a fait au moins 41 morts et 180 blessés.
11:39Elle a notamment visé un institut militaire et un hôpital voisin.
11:43En France, le déficit public pourrait s'aggraver
11:46et atteindre 5,6% du PIB cette année au lieu de 5,1% espéré.
11:51Bercy pointe du doigt les dépenses de collectivités locales.
11:54Une mise en cause qui fait bondir André Lagnel,
11:57premier vice-président de l'Association des maires de France et maire d'Yssoudun.
12:01En aucun cas, les collectivités territoriales n'atteindront un déficit de 16 milliards.
12:07Je rappelle que les collectivités votent leur budget en équilibre.
12:10Aujourd'hui, les ministres démissionnaires se permettent d'essayer de faire croire
12:14que ce sont les collectivités territoriales qui seront responsables
12:18d'un éventuel dérapage des finances publiques.
12:22Le fauteuil de Matignon toujours à prendre.
12:26Les hypothèses Bertrand et Cazeneuve toujours sur la table.
12:29Le président Emmanuel Macron a reçu ce matin les leaders les Républicains
12:32pour évoquer la potentielle nomination de Xavier Bertrand au poste de Premier ministre.
12:36Le RN, le PS et le groupe d'Éric Ciotti annoncent
12:39qu'ils censureront ce gouvernement s'il devait être nommé.
12:42Une vaste opération de secours en cours dans la Manche
12:45après le naufrage d'un bateau transportant des migrants
12:49et qui tentait de rejoindre les côtes anglaises.
12:52Le ministre démissionnaire de l'Intérieur, Gérald Darmanin,
12:55se rendra sur place cet après-midi.
12:58Il sera dans le Pas-de-Calais aux alentours de 17h ce soir.
13:09Et Mathieu Palin qui vient de nous parler de son livre,
13:12publié aux éditions de l'Iconoclaste, « Les hommes manquent de courage ».
13:15Je vous ai demandé de choisir un extrait que vous alliez lire
13:18à Sylviane Bailbet, malvoyante, dont elle nous dit à quel point
13:22parfois c'est compliqué de lire les livres, l'audio est indispensable.
13:25Allez-y Mathieu.
13:26C'est le tout début du livre.
13:28C'est une nuit qui remonte à la surface.
13:30Je l'enfouis sous des couches de souvenirs, mais elle remonte.
13:33Elle se fraye un chemin.
13:35Elle me surprend devant les élèves, en salle des profs,
13:38à table au milieu d'une phrase avec des amis.
13:40Le soir en prenant ma douche, le matin au réveil, assise au bord du lit.
13:44C'était le week-end de Pâques, deux ans avant l'été où tout a brûlé.
13:48Nous étions condamnés, nous le savions,
13:50mais nous parvenions à nous maintenir dans cette stupide insouciance.
13:53Chacun considérait ses problèmes plus graves et plus urgents
13:56que celui qui nous concernait tous.
13:58Parce qu'elle était encore petite,
14:00j'avais fait l'effort de cacher des chocolats sur le balcon pour Nora,
14:03mais une chaleur inhabituelle s'était posée sur la ville
14:06et j'avais redouté qu'ils fondent avant qu'elle ne les trouve.
14:09Je suais abondamment. J'avais 43 ans.
14:12Je recevais ma belle-famille à la maison
14:14et j'arrivais au bord d'un précipice.
14:16Tout ce que j'avais cherché à fuir
14:18était en train de me rattraper.
14:20Les premières lignes des hommes manques de courage,
14:22déjà, Sylvain Beigbé, il l'a bien lu,
14:24parce qu'il ne faut pas lire n'importe comment pour des personnes malvoyantes.
14:27Non, il ne faut pas lire n'importe comment.
14:29Il y a déjà la maîtrise de la ponctuation,
14:32qui est très très importante.
14:34Le souffle qui engage la phrase,
14:39qui engage l'être qui est en train de lire
14:41et là vous parlez d'une femme qui attend...
14:44on sait quoi d'ailleurs...
14:46On a envie de connaître la suite.
14:48Bon point !
14:50Ça n'entrave pas l'imagination d'entendre ?
14:53Alors, il y a quelque chose de très important,
14:56c'est que lorsqu'on écoute une voix,
14:58un début de livre,
15:00il y a la voix qui nous embarque
15:02ou qui ne nous embarque pas,
15:04parce que c'est une appréciation très intime.
15:08On s'approprie un livre
15:11avec une voix quand on écoute
15:13et c'est compliqué parfois.
15:15J'essaie de ne pas faire fi de cette voix
15:18et d'entrer dans les émotions,
15:20des lignes et des mots,
15:21parce que c'est ça le plus important.
15:23Mais quand même, elle est derrière.
15:25Et il ne faut pas surjouer, c'est ça ?
15:27On ne se prend pas pour un comédien
15:29quand on lit un livre.
15:31En même temps, ce sont des comédiens,
15:32ce sont des acteurs.
15:33Il faut vraiment les mettre en avant
15:35et les mettre en lumière
15:36parce qu'ils font un travail exceptionnel,
15:38mais vraiment exceptionnel.
15:40Et ils essaient de cacher
15:42toutes leurs émotions
15:44pour que nous, lecteurs,
15:46j'ai dit lecteurs,
15:47parce qu'on lit en même temps qu'eux,
15:49mais nous, audiolecteurs,
15:51ne soyons pas frustrés
15:54par des émotions
15:55qui ne seraient pas les nôtres.
15:57Et ça, c'est compliqué,
15:58c'est vraiment compliqué.
15:59Et moi, il m'est arrivé
16:01de ne pas continuer la lecture
16:03parce que je n'adhérais pas.
16:06Là, vous avez envie de continuer.
16:08La ponctuation a été marquée.
16:12On a un camarade de France Info en ligne
16:14que vous connaissez infiniment bien, madame.
16:16Bernard Thomasson, bonjour.
16:18Bonjour à tous.
16:19Bonjour, cher Bernard.
16:20Vous êtes le porte-parole,
16:23le parrain de cette association
16:25qui, justement,
16:27permet de fournir
16:30des livres audios bien lus
16:32à ces personnes non malvoyantes.
16:35Le critère de choix, déjà, des livres,
16:37il est lequel, Bernard ?
16:39C'est un choix général.
16:41C'est-à-dire qu'on lit d'actualité.
16:42A la fois, cette association,
16:43c'est l'association
16:44des donneurs de voix bénévoles,
16:46et ça s'appelle les bibliothèques sonores.
16:48Moi, je les ai connues en 2016
16:50lorsqu'ils m'ont attribué
16:51le prix national d'audiolecture
16:52pour un de mes romans,
16:53parce que tous les ans,
16:54ces personnes non-voyantes, malvoyantes,
16:57mais aussi, il faut l'ajouter,
16:58ceux qui sont empêchés de tenir un livre
17:00parce qu'ils n'ont pas de bras, par exemple,
17:03ou parce qu'ils n'ont pas la possibilité
17:05de tenir le livre,
17:06ou ils ne peuvent pas voir,
17:07les dyslexiques, etc.
17:08Donc, toutes ces personnes
17:09se réunissent en comité,
17:11Sylvain va pouvoir vous le raconter peut-être,
17:13pour attribuer un prix
17:15qui est remis chaque année.
17:16Et donc, ce prix est déterminé à des romans,
17:19mais l'association lit aussi
17:21beaucoup de magazines.
17:22Il y a une centaine de bibliothèques sonores
17:24réparties dans toute la France,
17:26et ce sont 2 000 bénévoles,
17:27dont 1 000 lecteurs,
17:29qui lisent à la fois des livres,
17:31des titres de presse également.
17:32120 000 titres ont été mis en catalogue
17:34depuis 50 ans.
17:35Parce que, Bernard, peut-être faut-il dire
17:37que les audioguides, les audiolivres,
17:39faits parfois par les maisons d'édition,
17:41c'est peut-être autant,
17:42voire plus pour des lecteurs
17:43qui peuvent lire le papier,
17:45mais qui ont envie d'un autre type d'expérience
17:47et pour le coup, moins neutre,
17:49plus surjoué que ces livres-là ?
17:53Il y a deux éléments de réponse
17:55dans votre question.
17:56Le premier, c'est l'antériorité.
17:58C'est-à-dire que les firmes
18:00qui fabriquent aujourd'hui les livres audio
18:02sont des entreprises privées
18:04qui sont nées avec le digital
18:06il y a 10, 15, 20 ans,
18:07ou peut-être moins.
18:08Alors que cette association est née en 1972
18:11avec des gens qui enregistraient à l'époque
18:13sur des cassettes
18:14qui ont ensuite été distribuées
18:16chez les non-voyants de manière gratuite.
18:17Donc, tout un réseau de bénévolats
18:19s'est mis en place en France,
18:20et c'est ça que je trouve formidable.
18:22C'est cette humanité qu'il y a autour du livre,
18:24de l'accès à la lecture
18:25qui a été apporté par tous ces gens
18:27qui se sont donnés la main, en quelque sorte,
18:29pour que les non-voyants
18:30et les personnes qui s'empêchent de lire
18:32puissent accéder à la lecture.
18:34Donc, il n'y a pas de contrôle possible
18:36entre les entreprises privées qui font ça
18:38et cette association des bibliothèques sonores
18:41qui, elle, est entièrement gratuite.
18:43C'est passionnant.
18:45Avant de parler du prix de cette année,
18:47revenons au livre de Mathieu Palin,
18:49Les hommes manquent de courage.
18:50Vous êtes un écrivain féministe, Mathieu Palin.
18:53Oui, à partir du moment, je pense,
18:55où on s'engage dans un travail
18:58qui a pour but de raconter la vie d'une femme,
19:01qu'on le veuille ou non,
19:03on écrit de manière féministe.
19:05Là, ce que je veux,
19:06c'est justement sortir d'un cliché
19:08qui montrerait une femme
19:09qui serait comme ci ou comme ça.
19:10Je veux raconter vraiment sa vie à elle.
19:12Et à partir de là,
19:14refuser les clichés,
19:15rentrer dans le réel,
19:16accepter les 50 000 nuances de gris
19:19qui forment sa vie à elle,
19:21c'est forcément la prendre
19:23comme une héroïne,
19:25comme une femme, j'allais dire normale.
19:30C'est-à-dire que raconter vraiment sa vie,
19:34c'est, je pense, déjà une entreprise féministe.
19:36Et vous savez que certaines disent
19:39oui, très bien, c'est bien que les hommes parlent,
19:41mais ne parlent pas à la place des femmes.
19:43Vous l'entendez des fois ?
19:45Oui, en fait, je le comprends.
19:47Je pense qu'il y a différentes manières de le faire.
19:49Moi, c'est vrai que dans ce livre,
19:51la narratrice dit « je », c'est moi qui écris.
19:53Je ne l'aurais pas fait
19:55si je m'étais levé un matin
19:57et j'avais ouvert mon ordinateur en me disant
19:59tiens, je vais mettre dans la peau d'une femme.
20:01Et pas par indécence,
20:03mais parce que je sais que ça aurait été
20:05à côté de la plaque.
20:06Parce que je ne suis pas une femme de 45 ans
20:08avec un fils de 15 ans.
20:09Donc, c'est parce que j'ai passé
20:11énormément de temps avec elle,
20:12que je l'ai beaucoup entendue,
20:14que je l'ai beaucoup enregistrée,
20:15que j'ai la musicalité de sa phrase,
20:17de ses mots, de sa manière de parler,
20:19que j'ai beaucoup entendu son histoire,
20:20que je m'autorise
20:22à glisser dans la fiction
20:24en acceptant cette prise de risque,
20:26qu'en est malgré tout une.
20:27Alors, la musicalité,
20:28il y a beaucoup de musique dans ce film,
20:29parce qu'on est beaucoup en voiture
20:30et qu'il y a forcément la radio de la musique.
20:32Panic Cave, mais Whitney Houston.
20:48« I will always love you », c'est ça ?
20:50Ça, c'est « Will I know ».
20:53Parce que c'est un moment de paix et de douceur,
20:55un des rares dans votre livre.
20:57Oui, c'est un moment au petit matin,
20:59ils ont roulé toute la nuit,
21:01ils sont fatigués.
21:03Et elle avoue à son fils,
21:05parce que cette chanson passe à la radio,
21:07que son rêve, quand elle avait son âge,
21:0915-16 ans, c'était de devenir célèbre,
21:11c'était de devenir Whitney Houston,
21:12qui était la grande star avec Madonna
21:14de la fin des années 80.
21:16Et donc, elle connaît cette chanson,
21:18elle la connaît par cœur,
21:19elle s'est entraînée,
21:20et elle se met à chanter,
21:21elle se met à nu devant son fils,
21:23en se lâchant comme ça,
21:24comme Whitney Houston.
21:25Et c'est vrai qu'elle a cette phrase dans le livre,
21:28elle dit « ces dix petites minutes-là
21:31sont probablement les plus belles
21:32que j'ai vécues avec mon fils ».
21:34Et c'est un moment suspendu dans le livre.
21:36Il y a au moins ça de gagner dans,
21:39on va pas dire comment ça se termine,
21:41mais il y a au moins ça de gagner
21:42dans ce rapport entre cette mère et ce fils.
21:44Oui, parce que malgré tout ce que vous vivez,
21:46une mère et son fils, ils s'aiment.
21:48Et parfois, ça ressort dans des petits détails du quotidien.
21:51En l'occurrence, chanter ensemble une chanson
21:53de Whitney Houston dans une voiture.
21:55Sylvain Bailbet, je sais que vous n'avez pas lu
21:57le livre de Mathieu Palin.
21:58Non.
21:59Vous allez le lire celui-là ?
22:00Bien sûr.
22:01Ne t'arrête pas de courir,
22:02je vous le recommande fortement également.
22:03C'était un des précédents.
22:04Mais ça résonne avec le prix que vous allez distribuer
22:07le 28 septembre,
22:10parce que c'est aussi une écriture du réel.
22:12Oui, en fin de compte, c'est de Anthony Passeron.
22:16Le titre est « Les enfants endormis ».
22:18C'est une histoire familiale également.
22:21Il y a l'histoire de son oncle,
22:25de l'oncle d'Anthony Passeron.
22:27Il y a aussi des noms dits dans cette famille
22:32avec ces quatre lettres qui sonnent très fort,
22:35le SIDA.
22:36Quand dans les années 80, le terme SIDA apparaît,
22:40c'est catastrophique.
22:43Il y a des personnes qui sont complètement évincées
22:47de la vie publique, de la vie tout court.
22:49Ce sont des parias,
22:51parce que c'est synonyme de vie débridée,
22:54d'homosexualité.
22:56Et ça se passe à la campagne en plus.
22:58Oui, ça se passe dans l'arrière-pays niçois.
23:01Et franchement, c'est un livre qui devrait être
23:04au sein de toutes les familles, à mon avis.
23:06Parce que c'est un documentaire.
23:08Et en parallèle, les paragraphes sont très courts.
23:12Les chapitres sont très courts.
23:14Et il y a en parallèle l'histoire de la famille
23:17et l'histoire de la lutte contre le SIDA.
23:19Et je crois que c'est un premier livre.
23:21C'est un premier livre.
23:22Je vous le recommande aussi,
23:23il se trouve que je l'avais lu l'an dernier.
23:24Et on recommande également, chaudement,
23:26Mathieu Palin, Les Hommes manquent de courage,
23:28publié aux éditions de l'Iconoclaste.
23:30Merci Mathieu Palin.
23:31Merci beaucoup.
23:32Merci madame Baigou.
23:33Merci beaucoup.
23:34Et bonne lecture.
23:35Merci.
23:36Bonne lecture à tous.
23:37Éric Carbone.

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