Après la nomination de Michel Barnier au poste de Premier ministre, écoutez l'analyse de Franz-Olivier Giesbert, auteur de "Histoire intime de la Ve République, tragédie française", chez Gallimard, paru en novembre 2023.
Regardez L'invité d'Amandine Bégot avec Amandine Bégot du 06 septembre 2024.
Regardez L'invité d'Amandine Bégot avec Amandine Bégot du 06 septembre 2024.
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00:00RTL Matin
00:03Avec Amandine Bégaud et Thomas Soto
00:05Il est 8h19, l'interview d'Amandine Bégaud.
00:07Amandine, en ce lendemain de surprises barniers
00:10comme le titre La Dépêche du Midi,
00:12vous avez eu envie de consulter l'un des plus fins connaisseurs
00:14de l'horlogerie de la Vème République.
00:16Son dernier livre s'appelle d'ailleurs
00:18« Histoire intime de la Vème, tragédie française »
00:20publié chez Gallimard. C'est Franz-Olivier Gisbert.
00:22Bonjour et bienvenue.
00:23Bonjour Franz-Olivier Gisbert.
00:25Bonjour.
00:26Et merci d'être avec nous ce matin sur RTL.
00:29J'ai fouillé un peu en préparant cette interview.
00:32J'ai tapé votre nom et celui de Michel Barnier.
00:35Je suis retombée sur un édito que vous écriviez fin 2021.
00:39Je vous lis.
00:40« Pas folichon, pas charismatique, ni particulièrement inventif.
00:44Plutôt bonne nuit, disent certains.
00:46Mais vous ajoutiez ceci, Franz-Olivier Gisbert,
00:49ce n'est pas une insulte.
00:50Angela Merkel en était un autre de bonne nuit
00:53et ça lui a plutôt réussi.
00:55Est-ce que Michel Barnier, finalement,
00:57n'est pas le Angela Merkel français ? »
00:59Il y a quelque chose de ça.
01:01C'est-à-dire qu'elle n'a pas été une grande chancelière.
01:07C'est clair quand on voit le bilan aujourd'hui.
01:09Mais elle savait faire des compromis.
01:12C'est très important en politique.
01:14Et je crois que de ce point de vue,
01:16le choix de Barnier est un choix intelligent.
01:18Vous savez, il y a quelqu'un qui en parlait bien,
01:20c'était Jacques Chirac.
01:21Jacques Chirac disait toujours « mais qu'est-ce qu'il est chiant ! »
01:24Il disait « dès que je le vois arriver,
01:26dès que je le vois arriver dans mon bureau,
01:28j'ai la migraine ! »
01:29Il est atroce !
01:31Et en même temps, il disait « mais quel bon ministre ! »
01:33C'est un peu ça.
01:34C'est-à-dire que ce n'est pas le roi de la com'.
01:37Ça n'a rien à voir avec Macron à Thal,
01:39c'est un autre monde d'ailleurs.
01:40Hier, c'était amusant la passation de pouvoir,
01:42on voyait bien,
01:43parce que le Gabriel à Thal est très brillant.
01:45Lui, il est dans autre chose d'ailleurs.
01:47Il a très bien dit « humilité »
01:49parce qu'il est humble.
01:50Donc, c'est plus facile de faire des compromis
01:52quand on est humble.
01:53À la recherche de la vérité,
01:55c'est-à-dire qu'on ne fait pas de lesbophes.
01:57Et puis, il essaie de parler des vrais sujets.
02:00Donc, c'est vrai que ce côté, ça va changer.
02:03Et à mon avis, ça peut plaire.
02:05À un certain temps, je vois bien,
02:07l'accueil n'est pas terrible.
02:0951% c'est quand même une majorité.
02:11Oui, c'est plus qu'Élisabeth Borne par exemple.
02:13À la même époque, elle était à 44%.
02:16Donc, il est quand même respecté.
02:18Et je pense aussi qu'il s'en a affaire
02:20entre les uns et les autres.
02:22Quand Jacques Chirac, par contre,
02:24– Je vous coupe deux secondes François-Olivier Gisbert.
02:26Quand Jacques Chirac disait,
02:27il est ennuyeux, je ne vais pas redire le gros mot,
02:30mais c'est un bon ministre.
02:31Un bon ministre pourquoi ?
02:32Parce qu'il travaille ?
02:34– Parce qu'il travaille,
02:35parce qu'il fait des compromis,
02:36parce qu'il écoute,
02:37parce qu'il peut changer d'avis.
02:39Oui, c'est quelqu'un qui a l'esprit de sérieux, c'est clair.
02:42Ce n'est pas avec lui qu'on va faire des blagues.
02:44C'est tout le contraire de Chirac.
02:46– Pourtant, il n'a pas manqué d'humour,
02:47hier, au tout début de la passation.
02:49– Je suis d'accord.
02:50J'ai vu ça, j'étais même un peu surpris.
02:52Mais bon, peut-être que c'est l'âge qui vient.
02:55Mais voilà, ça a toujours été le bon élève,
02:58vous voyez, dans tous les gouvernements.
03:00Et d'ailleurs, attendez,
03:02Chirac, après ce qu'il en disait,
03:04quand il quitte le pouvoir,
03:05il en a fait un ministre des Affaires étrangères.
03:08Ce n'est pas rien, vous voyez ce que je veux dire.
03:10Il avait du respect pour lui.
03:11– Alors, dans son discours hier,
03:13Michel Barnier a promis des changements
03:15et des ruptures affichants,
03:17notamment sa volonté, je le cite,
03:19d'agir plutôt que de parler.
03:20Vous disiez, ce n'est pas le roi de la com'.
03:22Est-ce qu'il va vraiment avoir les moyens d'agir, quand même ?
03:25Parce que ça, c'est la question qu'on se pose tous.
03:27– Oui, mais alors là, ça ne serait pour une fois
03:31pas la faute d'Emmanuel Macron.
03:32C'est-à-dire qu'à cause de cette stupide dissolution,
03:35parce que c'était une décision vraiment débile,
03:38à cause de cette dissolution,
03:40vous avez très bien, aujourd'hui,
03:41vous avez une assemblée nationale ingouvernable.
03:44Vous ne pouvez rien faire, il n'y a pas de majorité.
03:46Vous risquez la motion de censure à tout moment.
03:49C'est pour ça qu'il a mis autant de temps
03:51pour choisir un premier ministre.
03:52C'était très difficile de choisir un premier ministre
03:55dans des circonstances pareilles.
03:56Parce qu'il y a trois blocs,
03:58on dit toujours trois blocs,
03:59mais en fait, il y a quatre blocs, même.
04:00Il y a le bloc aussi républicain qui est le plus petit,
04:03c'est 47 députés, quand même.
04:04Et ça, ça va compter, parce que c'est un bloc charnière.
04:07C'est pour ça, d'ailleurs, qu'il l'a mis là, comme ça.
04:09Parce que c'est un premier ministre dérépublicain.
04:13Ça va être très compliqué pour le renvoquer, d'ailleurs.
04:15Lui, il voulait un soutien, plus ou moins,
04:18comme ça, sans participation.
04:21Là, on a la participation.
04:22Je ne sais pas s'il y aura le soutien, derrière.
04:24Il y aura des ministres LR, forcément, dans ce gouvernement ?
04:26C'est ce que vous nous dites ?
04:27Oui, il y en aura forcément.
04:28Mais je pense que ça va être très compliqué avec LR.
04:32Tout ça va être très compliqué.
04:34Mais lui, si vous voulez,
04:35l'avantage de quelqu'un comme Bardier,
04:38je pense que Borloo aussi,
04:39c'était une solution à peu près semblable.
04:40C'est des gens qui écoutent,
04:42qui sont capables de faire des compromis.
04:44C'est fondamental.
04:46Parce que le Premier ministre, aujourd'hui,
04:48il est à la merci d'une motion de censure à tout moment.
04:51Donc, il faut faire attention à RN,
04:53parce que c'est un gros bloc, quand même.
04:55C'est le premier groupe à l'Assemblée Nationale.
04:58Et il peut faire mal à tout moment.
05:00C'est-à-dire, s'il décide d'y aller,
05:02que LFI s'y met, que d'autres députés y vont aussi,
05:05ça y est, motion de censure, c'est terminé.
05:07Et avec Emmanuel Macron,
05:09comment ça va se passer, François-Olivier Gisbert ?
05:12Pendant la campagne, j'évoquais la campagne de 2022,
05:15Michel Barnier avait dénoncé la façon
05:17de gouverner d'Emmanuel Macron,
05:19solitaire et arrogante.
05:21Ça peut bien se passer entre eux ou pas ?
05:23Ils n'ont pas du tout la même mentalité, c'est clair.
05:26C'est pour ça que ça peut bien se passer.
05:28C'est plus difficile, par exemple,
05:30entre deux rois de la Com',
05:31comme Gabriel Attal et Emmanuel Macron.
05:33Ça ne marchait pas du tout,
05:34parce qu'ils sont tous les deux dans la Com'.
05:35Principalement, c'est ça qui les intéresse.
05:37Même si Attal a énormément de talent,
05:40même une sorte de courage,
05:42il est quand même dans la Com'.
05:44Là, on a quelqu'un qui se fout de la Com',
05:46il va essayer d'en faire un peu,
05:48parce qu'il est obligé,
05:50mais qui est vraiment dans le travail de fond.
05:53On voit très bien, d'ailleurs,
05:54il a parlé de quelque chose dont on ne parle jamais,
05:56dont Attal n'a pratiquement jamais parlé,
05:58ou juste, je crois, dans son discours de politique générale,
06:01que Macron évite aussi,
06:03qui est le problème de la dette.
06:04C'est quoi la dette ?
06:05Vous savez, on en parle comme ça,
06:07on a aujourd'hui une dette,
06:11Emmanuel Macron, depuis qu'il est au pouvoir,
06:13depuis 2017,
06:15elle a augmenté de plus de 1 000 milliards,
06:17donc on est à 3 200 milliards, à peu près, d'endettements.
06:22Et c'est quoi ?
06:23Quand on en parle comme ça, ça n'a l'air de rien,
06:25mais vous savez très bien que la France, aujourd'hui,
06:27vous le savez, parce que tout le monde le sait,
06:29mais on évite de le dire,
06:30est à la merci des marchés financiers.
06:32On parle de motions de censure à l'Assemblée nationale,
06:35il peut y avoir aussi une motion de censure
06:37des marchés financiers à tout moment,
06:39qui vont nous faire une espèce de danse du scalpe,
06:42comme ils l'ont fait d'ailleurs jadis à la Grèce, etc.
06:44Et à ce moment-là, tout devient très compliqué,
06:46c'est une sorte de panique à bord.
06:48Ça aussi, ça a compté certainement dans le choix de Barnier.
06:50C'est quelqu'un qui est rassurant, quoi.
06:53C'est vrai qu'avec Lucie Casté,
06:55bon, vous aviez la motion de censure,
06:56mais avant même la motion de censure,
06:58vous auriez eu ce qui s'est passé en Grande-Bretagne,
07:00vous savez, avec la première ministre,
07:02qui a duré quelques jours,
07:03parce qu'elle avait fait un programme un peu dément,
07:06et immédiatement, les marchés financiers,
07:08on sifflait la fin de la récréation,
07:10c'était la panique, démission, etc.
07:12Parce qu'on est dans ce système aujourd'hui mondialisé,
07:16où il faut un peu respecter certaines règles.
07:19C'est clair que la France n'a pas respecté
07:21des règles sur le plan des finances publiques.
07:23Là, il y a un énorme travail à faire,
07:25parce que la France est fragile,
07:27elle est en danger,
07:28et donc c'est ça le choix de Barnier aussi, c'est ça.
07:31– Il me reste deux petites questions, François-Louis Gésisvert,
07:34et très peu de temps.
07:35Est-ce que le grand perdant de toute cette séquence,
07:38finalement, ce n'est pas Emmanuel Macron ?
07:40– Forcément, puisque là, par exemple,
07:42j'ai bien vu hier soir, il a dit
07:44« ce n'est pas une cohabitation »,
07:46ben oui, c'est quand même une sorte de…
07:48– Coexistence exigeante, dit-il.
07:50– Mais enfin, il joue sur les mots,
07:52parce que c'est une forme d'abdication quand même.
07:54Je pense qu'il aurait préféré…
07:56Vous savez, il a perdu les législatives de 2022,
07:59il ne faut jamais l'oublier,
08:00les législatives de 2022, il les a perdues.
08:02Il n'avait qu'une majorité relative,
08:04c'est-à-dire pas de majorité.
08:05Il a fait croire quand même,
08:07il n'a pas voulu faire des accords avec LR,
08:10ou même avec certains socialistes.
08:13Il a voulu continuer à gouverner tout seul.
08:16Là, il a un peu essayé aussi,
08:18je pense qu'il aurait aimé avoir un technicien, par exemple,
08:20qui puisse tenir un peu, manipuler.
08:22Bon, là, effectivement, il tombe sur un politique
08:25qui n'est pas le genre le plus flamboyant,
08:28mais qui quand même sera dur à manipuler,
08:31parce qu'il a de l'expérience.
08:32Et qui risque de lui tenir tête, si je vous comprends bien.
08:35Ah oui, je pense qu'il a du caractère, oui, bien sûr.
08:38Merci beaucoup, François-Olivier Gisbert.