Tunisie les voix de la révolution

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C’est une révolution inédite qui a emporté la Tunisie. Les Tunisiens se sont emparés de leur destin en renversant un régime en quelques semaines. C’est un processus unique qui s’est instauré dans le monde arabe. Mais aujourd’hui, les espoirs ont presque disparu.
La révolution n’a pas dit son dernier mot.

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00:00C'est une révolution non violente et inédite qui emporte la Tunisie. Par millions et par
00:20la rue, les Tunisiens s'approprient leurs destins et filment eux-mêmes cette vague
00:24de l'extrême-droite et de l'extrême-gouvernement.
00:40C'est une révolution non violente et inédite qui emporte la Tunisie.
00:54C'est un processus unique dans le monde arabe.
00:57Aujourd'hui, sept ans après la révolution, les espoirs s'amenuisent.
01:26Les inégalités et la pauvreté se sont aggravées en Tunisie. Les hommes de
01:31l'appareil, policiers et militaires, sont toujours en place, renforcés par la
01:35menace terroriste. Et le gouvernement tente de faire amnistier les corrompus
01:39de l'ancien régime. C'est dans ce contexte que l'instance
01:43Vérité et Dignité, l'IVD, accomplit sa mission.
01:48En ce printemps 2016, la révolution n'a pas dit son dernier mot.
01:55Instance Vérité et Dignité, bonjour. Monsieur, l'instance Vérité et Dignité
02:01a pour rôle d'examiner les violations aux droits de l'homme. Il faut que l'État
02:09soit impliqué dans ces violations aux droits de l'homme pour la période entre
02:121955 et 2013. Entre ces murs se raconte la dictature.
02:19Comment l'État tunisien a, durant un demi-siècle, brisé des vies, instillé la
02:24peur et fait de chacun un suspect potentiel. Cette sombre histoire qui
02:30s'est produite durant leur enfance est devenue le quotidien des 200 jeunes
02:33auditeurs de l'IVD. Ils découvrent au fil des entretiens
02:38jusqu'où pouvait aller l'absurdité d'un système capable de fabriquer un
02:42coupable à vie. Bienvenue à vous monsieur Salah, vous allez nous parler de ce qui
02:48vous est arrivé depuis le début. Salah était un garagiste à l'existence
02:53tranquille jusqu'au jour où la police l'accusa injustement d'avoir peint sur le
02:57mur un slogan hostile au président Ben Ali.
03:01Monsieur Salah, vous n'aviez que votre travail, vous n'aviez pas d'autres
03:04activités ? J'avais aucune activité, je n'appartenais pas à Ennardam, ni au parti
03:09au pouvoir, ni à aucun autre. Je me contentais de mon travail et de ma
03:13maison, c'est tout. De quoi étiez-vous inculpé ? Je vous l'ai dit, d'avoir écrit
03:17sur les murs. C'est tout ? Oui, on m'a dit hier tu t'es enfui en moto, on t'a
03:21poursuivi parce que tu avais écrit sur le mur.
03:23Ils avaient dit que pour l'écriture sur les murs, j'ai insulté le président et je
03:28ne sais plus quoi. Monsieur Salah, je vais vous citer des moyens de torture
03:34et vous me direz s'ils ont été utilisés sur vous ou pas.
03:38Ils vous ont agressé seulement ? Non. Avec l'électricité ? Non. On vous a emmené dans
03:45une chambre à savon ? On vous met sur une surface glissante et on vous frappe quand
03:48vous glissez ? Non, on m'a frappé avec un bâton en plastique.
03:52Sinon on m'a accroché et après on m'a descendu. Ils vous ont déshabillé ? On m'a
03:59laissé en slip. On ne vous a pas enfoncé la tête dans une baignoire d'eau ? Non.
04:04La position du poulet rôti ? Oui, c'est ça. C'est comme ça qu'on m'a attaché.
04:07Vous n'avez pas eu de blessure grave ? La seule blessure qui me reste, c'est celle
04:14de mes nerfs. Je tremble souvent, je ne peux pas travailler, je ne peux rien faire. C'est
04:18pour ça que j'ai fini par signer, car je ne pouvais plus tenir sur mes jambes. Je ne
04:22savais pas ce qui m'arrivait ni les raisons de ce qui m'arrivait. Je n'avais rien fait,
04:26c'est tombé sur moi comme ça. Qu'est-ce qui s'est passé ensuite,
04:30M. Salah ? À ma sortie, j'ai voulu reprendre le travail. Les gens de l'administration fiscale
04:35m'ont harcelé. Ils m'ont envoyé les huissiers. Quand d'autres payaient 20 ou 30 dinars,
04:42moi j'en payais 150 ou 200. Quand j'ai haussé le ton, ils m'ont dit « que ça te plaise ou non,
04:48c'est comme ça ». À partir de quand ils vous ont embêté comme ça ? Ils ont commencé dès ma sortie.
04:55À chaque fois, ils me faisaient quelque chose. J'ai fini par fermer la boutique. J'en pouvais plus.
05:02À cause de mes nerfs, je ne pouvais plus travailler. Maintenant, mon frère m'aide un peu. Et ma femme
05:11a une parcelle de terre qui a servi à subvenir aux besoins des enfants.
05:16Quand on a souffert de l'arbitraire d'État, il n'est pas facile de venir se confier à un
05:27service public, même s'il a été créé pour vous rendre justice. Certains plaignants ont besoin
05:35d'être accompagnés pour franchir le seuil de l'IVD. Beshir est là pour eux. Depuis un an,
05:41il est le coordinateur des victimes de l'instance.
05:43Salut, ça va ?
05:46Très bien, et toi ?
05:47Ça va ?
05:47Je m'appelle Kader Ktedi. J'ai été condamné à 20 ans de prison. J'en ai fait 16. J'ai été victime
05:54des trabelsis.
05:54Écoute, maintenant l'instance est la seule institution qui accepte les dossiers.
05:59Ah ben tant mieux, je me sens rassuré.
06:03Bon, où sont les dossiers que tu as apportés ? Ce sont des photocopies de la carte d'identité ?
06:09Oui.
06:10C'est ton certificat d'amnistie ?
06:12Comme je te l'ai dit, ils vont t'appeler le plus tôt possible. Sois rassuré.
06:17À l'IVD, Beshir est le mieux placé pour comprendre ce que les victimes ont vécu.
06:26Tous les mauvais traitements, toutes les tortures, il les a subies. À sa libération,
06:32au lendemain de la révolution, il était l'un des plus anciens prisonniers politiques du pays.
06:37J'ai passé 17 ans en prison après avoir été condamné à 52 ans. J'ai visité presque
06:44toutes les prisons tunisiennes, celles du Nadour, Eroumi, celles de Gabès, dans l'extrême
06:50sud du pays, et celles de Sfax, Madia, Kasserine. Je les ai presque toutes visitées. C'était des
06:58endroits où on pratiquait les pires tortures. Il faut qu'on soit du côté des opprimés,
07:06des asservis et des victimes. Mais nous, les opprimés, notre seul but, c'est que la Tunisie
07:13rompe avec l'oppression, que ce pays puisse jouir de la liberté. On ne veut pas se venger de personne,
07:20non à l'oppression, non à la dictature, non à la torture, non à la torture, non à la torture,
07:29parce que torturer un être humain, c'est ce qu'il y a de plus horrible, le fait de l'accrocher.
07:47La torture m'habite encore. Au revoir.
07:59La torture le hante comme elle hante tous les Tunisiens tant elle était
08:10devenue quotidienne sous le règne de Ben Ali. Il avait pourtant redonné l'espoir aux Tunisiens
08:19et fait souffler un vent de liberté sur le pays en renversant le 7 novembre 1987 le vieux président
08:26Abid Bourguiba. Ce n'est pas une destitution, il s'agissait d'un acte de redressement, de salut
08:39national. Vous savez, avant le 7 novembre, la loi était bafouée, les institutions paralysées.
08:50Et je devais bien entendu rétablir l'état de droit. Deux ans plus tard, Zine El Abidine Ben Ali
09:03organise ses premières élections, apparemment pluralistes. Il est le seul candidat à la
09:09présidence mais les législatives sont ouvertes à plusieurs formations politiques. Ben Ali est
09:16élu président avec plus de 99% des suffrages. Et à l'Assemblée nationale, son parti, le RCD,
09:23remporte l'intégralité des sièges. Le très populaire parti islamiste Ennahdha, dirigé par
09:31Rashed Ranoushi, n'obtient aucun député, même dans ses bastions, et dénonce une fraude massive.
09:37A l'inverse de ses engagements, Ben Ali verrouille alors le régime, ne tolérant plus aucune opposition véritable.
09:49Totalement exclu du jeu politique, Ennahdha multiplie les manifestations, parfois violentes.
09:57En 1992, en quelques mois, 8000 présumés militants d'Ennahdha sont arrêtés. La plupart sont
10:06condamnés à de lourdes peines et torturés en prison.
10:17Hamida Ajengi était une toute jeune fille lorsqu'elle fut soupçonnée par le ministère de l'Intérieur de sympathiser avec le parti islamiste.
10:29Elle est reçue par Ibtiyel Abdelatif, la présidente de la commission femmes de l'IVD.
10:37A un certain âge, j'ai eu envie de mettre le voile. J'étais pratiquante et je craignais Dieu.
10:43Je me suis dit, puisque je fais la prière, autant mettre le voile.
10:47A cette époque, il était interdit d'étudier avec le foulard. Je n'ai pas pu poursuivre mes études.
10:54C'était une défaite dans ma vie, alors que j'étais encore jeune.
10:58Donc je me suis dirigée vers les œuvres caritatives.
11:02À ce moment-là, il y avait une famille dont le mari était en cavale.
11:06Et la mère faisait vivre ses enfants toute seule.
11:10Elle nous parlait de son mari. On lui disait, ça va, il va revenir, n'aie pas peur.
11:17Elle a cru que nous étions en contact avec lui, que c'était lui qui nous envoyait pour lui donner de l'argent.
11:23Donc c'est à ce moment-là que, pour la première fois, j'ai été arrêtée par le ministère de l'Intérieur.
11:29Tu avais quel âge ?
11:30J'avais 19 ans.
11:34J'étais au milieu d'un groupe de 15, enfin, un grand nombre d'hommes.
11:41Je suis entrée, ils m'ont dit de me déshabiller.
11:44Je ne sais même pas comment mes vêtements ont été enlevés.
11:49J'étais terrorisée. Ils me tiraient les cheveux, des coups sur la tête avec leurs pieds.
11:54Je ne sais même pas comment je me suis retrouvée accrochée comme un poulet rôti.
11:57Comme ça, devant eux.
11:58Et eux, il y en avait un qui me frappait, qui me menaçait avec un bâton,
12:02qui le mettait dans un endroit sensible en me disant, soit tu parles, soit je te fais ça et ça.
12:07Ça a duré des heures, cet accrochage, ça a duré des heures.
12:10Partout, on a dit que je m'étais fait arrêter, que j'avais été ***, que j'avais été malmenée.
12:16Toute ma famille souffrait parce qu'on parlait de moi de cette manière.
12:21Même dans la famille, ma famille ne me parlait plus.
12:26Je suis devenue...
12:28Ils avaient peur.
12:30J'ai un cousin qui était chauffeur de taxi.
12:33Ils lui ont retiré sa licence.
12:36Ils lui ont dit, c'est parce que tu es de la famille de Hamida Ajengi.
12:43Mon prénom est devenu quelque chose de dangereux pour la famille.
12:48Il ne venait même plus chez nous.
12:54Mon amour que j'aimais et que j'attendais impatiemment d'épouser,
12:57il a été condamné à 5 ans de prison et moi je l'ai attendu.
13:01Je suis restée là à l'attendre avec une grande souffrance par la suite
13:04parce que mon père était contre.
13:06Il pensait qu'il était responsable de ce qui m'était arrivé
13:08et me disait de ne pas l'attendre.
13:10A chaque fois que quelqu'un demandait ma main, je refusais
13:13et mon problème se renouvelait avec ma famille.
13:16Il me mettait de grandes pressions.
13:19Mais j'ai supporté, j'ai été patiente et je l'ai attendu.
13:22Au bout de 5 ans, il est sorti de prison et on s'est mariés.
13:25Notre mariage ne correspondait pas tout à fait à ce dont on rêvait
13:28à ce moment-là parce qu'il y a eu beaucoup de souffrances aussi.
13:31Comment tu t'es mariée ? Tu as mis une robe blanche, etc.
13:34Sincèrement, je ne peux pas raconter le jour de mon mariage, Ibtiel.
13:37Pourquoi tu ne peux pas ?
13:40Eh bien...
13:43Parce que...
13:46Je suis désolée.
13:49C'est-à-dire qu'au début, notre mariage n'était pas réussi.
13:52Je le dis, je ne laissais pas mon mari m'approcher
13:55à cause de l'impact.
13:58Oui, plus tard, Dieu soit loué, petit à petit,
14:01lui, il a été compréhensif parce que lui-même a subi beaucoup de torture.
14:04Donc il m'a soutenue parce que psychologiquement,
14:07j'étais renvoyée de la famille,
14:10renvoyée...
14:13Tout était...
14:16Et Dieu soit loué...
14:19Je m'excuse d'avoir pleuré, je ne voulais pas être...
14:22Je ne veux pas pleurer.
14:25Pleurer n'est pas une faiblesse, Amida.
14:28Franchement, je voulais venir et parler avec espoir.
14:31Tant pis, c'est parce que j'ai vécu des choses douloureuses et qui restent.
14:34Pleurer n'a jamais été une faiblesse, Amida.
14:37Toi, tu as pu vaincre.
14:40J'ai vécu plusieurs domaines.
14:43Le système dictatorial essaye de détruire.
14:46Il n'y a pas que toi.
14:49Plus de 90% des femmes que j'ai écoutées,
14:52ils ont essayé de détruire leur vie entièrement.
14:55Même l'amour devait être tué.
14:58Les sentiments d'affection devaient être tués.
15:01Tu sais combien ils en ont forcé à divorcer ?
15:04Combien ils en ont forcé à se séparer de leurs fiancés
15:08Le système dictatorial a réussi à planter la douleur dans ces gens
15:11et à les séparer.
15:14Merci.
15:17Merci à vous.
15:25Le régime de Ben Ali a méthodiquement détruit ses opposants
15:28et leur entourage.
15:31Le parti ouvrier communiste tunisien, le POKT,
15:34bien que minoritaire,
15:37était l'une de ses cibles principales.
15:40Syndicaliste étudiante,
15:43Najwa Rezgi était l'épouse d'Abdeljabar Madouri,
15:46l'un des dirigeants du POKT, interdit par Ben Ali.
15:54Le 1er novembre 1994, on était étudiants.
15:57On a fait un sit-in
16:00et une grève des cours
16:03et on a été arrêtés.
16:06Après nous avoir torturés
16:09puis interrogés au poste de kairouane,
16:12nous sommes passés devant un juge d'instruction.
16:15J'ai été jugée 8 mois plus tard
16:18et j'ai été condamnée
16:21à 2 ans et 4 mois.
16:24Le problème, c'est qu'à l'époque de Ben Ali,
16:27c'était pas seulement le prévenu
16:30qu'on privait de liberté
16:33mais qu'on punissait.
16:36On pratiquait la politique de la punition collective.
16:43Du coup, j'ai été punie une 1re fois
16:46parce que je faisais partie
16:49de l'union générale des étudiants tunisiens.
16:52Une 2e fois à cause des opinions de mon mari
16:55qui appartenait à un parti politique interdit à l'époque.
16:58Donc j'ai été doublement visée.
17:01Une fois, j'ai été arrêtée
17:04parce qu'il recherchait Abdel Jabbar, mon mari.
17:07Quand ils m'ont arrêtée à Babsouika,
17:10mon fils d'un mois était malade avec une forte fièvre.
17:13Quand j'ai demandé aux flics de l'emmener aux urgences,
17:16il a refusé de le faire.
17:19J'ai jamais compris pourquoi.
17:22Mon père est mort d'une crise cardiaque
17:25à cause de toutes ses attaques au quotidien.
17:29J'ai parlé à des flics qui cherchaient son fils.
17:32Il était planqué au secret.
17:35Il n'a même pas pu assister à son enterrement.
17:38D'ailleurs, les flics qui étaient présents à cet enterrement
17:41étaient plus nombreux que les gens venus pour présenter leurs condoléances.
17:44La question, c'est, va-t-il y avoir une vraie révélation de la vérité ?
17:52Rétablir la vérité pour laver leur honneur,
17:55c'est ce qui amène les victimes à l'IVD.
17:59Depuis que Hamida a eu la force de témoigner,
18:02elle n'a plus honte de raconter ce qu'elle a subi.
18:09C'est ça, le ministère de l'Intérieur, mon chéri.
18:12C'est là où j'ai été incarcérée,
18:15là qu'on a frappé maman, là que...
18:18Parce que j'ai des principes.
18:21Pas pour autre chose, mon chéri.
18:24Quand tu seras grand, je veux que tu sois fière de ta mère.
18:27Parce que j'ai été arrêtée,
18:30pas parce que je suis mauvaise ou voleuse,
18:33mais parce que je défendais la justice
18:36et que je voulais vivre avec dignité.
18:39C'est pour ça, mon chéri.
18:42Je veux que tu aies toujours la tête haute
18:45et que tu sois fière de maman. D'accord ?
18:48Fais un bisou à maman.
18:57Plusieurs années après la Révolution,
19:00l'ombre de Ben Ali plane encore sur le pays.
19:03Mais il y a une autre ombre venue d'un passé plus lointain,
19:06celle de Habib Bourguiba.
19:09Habib Bourguiba est le premier président
19:12de la République tunisienne.
19:15Il est pour le peuple, au moment de son élection en 1957,
19:18l'incarnation d'une nouvelle ère,
19:21celle d'une Tunisie indépendante,
19:24une Tunisie libre et moderne.
19:27Il lutte pour l'émancipation des femmes,
19:30abolit la polygamie et étend le droit au divorce.
19:38Sur le plan politique, l'opposition est tolérée,
19:41une certaine liberté d'expression est reconnue.
19:44Mais dans sa marche forcée vers la modernité,
19:47le combattant suprême exclut ceux qui, avec lui,
19:50ont conduit le pays vers l'indépendance.
19:53En 1962, il échappe à un coup d'État
19:56organisé par ses anciens compagnons d'armes.
19:59Parmi eux, Lazare Chraïti, le chef des Félagas du sud tunisien.
20:02Bourguiba lui-même l'avait nommé chef militaire
20:05pendant la guerre d'indépendance.
20:08Les instigateurs du coup d'État sont immédiatement arrêtés,
20:11jugés et fusillés le 24 janvier 1963.
20:17Certainement, il y aurait eu de la casse,
20:20de la guerre civile.
20:23La Tunisie aurait été plongée dans un gouffre
20:26de Félagas, d'anarchie, de chaos.
20:29Ça aurait été un désastre.
20:38Au lendemain du verdict, les Tunisiens
20:41continuent de soutenir leur président.
20:44Sa popularité est sortie renforcée de l'épreuve,
20:48et la Tunisie est en train d'émerger.
20:51Plus question de tolérer quelque opposition que ce soit.
20:54Il interdit le Parti communiste
20:57et met au pas la presse avant de développer
21:00un véritable culte de la personnalité
21:03qui culmine en 1975 lorsqu'il se fait proclamer président à vie.
21:08De plus en plus de Tunisiens pensent
21:11que les promesses de l'indépendance ont été trahies.
21:14Les inégalités deviennent spectaculaires.
21:17En décembre 1983,
21:20le gouvernement cesse brutalement de subventionner
21:23le prix du pain, qui double du jour au lendemain.
21:26C'est la rupture.
21:29Immédiatement, la révolte se propage.
21:37Jeunes pour la plupart, les émeutiers
21:40s'en prennent aux édifices publics
21:43et aux symboles d'une richesse réservée à quelques-uns.
21:47Le bilan de la répression est lourd.
21:50143 morts, 400 blessés, plus d'un millier de prisonniers.
21:53Bourguiba doit céder à la colère de la foule.
21:56Très affaibli, manifestement sénile,
21:59il apparaît à la télévision pour mettre fin à la crise.
22:03J'ai décidé de revenir à ce que nous étions
22:07avant les augmentations.
22:12Après, j'ai demandé au gouvernement
22:15de me donner un autre budget.
22:18Pour que je puisse faire autre chose.
22:24Pour que je puisse réduire les prix du pain.
22:27Pour le pain, je veux des macarons et des sweets.
22:3333 ans après les émeutes du pain,
22:36la souffrance est toujours vivace,
22:39imprimée dans le corps comme elle l'est dans l'esprit.
22:42L'instance Vérité et Dignité
22:45accueille aussi ceux qui ont subi la répression de Bourguiba.
22:48Depuis qu'il a été arrêté et torturé en janvier 1984,
22:51Fatih traîne ses douleurs en silence.
22:56Aujourd'hui, il a droit à une prise en charge médicale complète
22:59qui commence ici,
23:02dans le cabinet du docteur Dalila Zagdoudi.
23:12Combien ?
23:15Je vais vous le dire.
23:18Avez-vous des bourdonnements dans la tête ?
23:21Mes oreilles sont douloureuses,
23:24j'ai très mal à la tête
23:27et il y a un peu de bourdonnement.
23:30Que ressentez-vous ?
23:33C'est comme un sifflement.
23:36Pendant les émeutes du pain,
23:39ils m'ont dit que je ne passerais en procès
23:42qu'après avoir dénoncé au moins 50 personnes.
23:45Ils m'ont ligoté à la chaise avec des câbles électriques
23:48et les coups pleuvaient sur mon dos, sur ma tête.
23:51Ils m'ont dit que je ne pouvais pas avouer
23:54et que je devais donner des noms.
23:57J'ai pris un coup de matraque.
24:00Ils m'ont fait tomber.
24:03Quand ils vous ont donné ce coup de matraque, vous vous êtes évanoui ?
24:07Je ne me suis pas seulement évanoui, je me suis absenté.
24:10Vous vous êtes évanoui ? Vous avez perdu connaissance ?
24:13J'ai perdu connaissance avec ce coup-là.
24:16Mais pour le coup, sur ma nuque, j'étais debout.
24:19Il y avait une chaise derrière moi.
24:22L'un d'entre eux est venu et m'a fait comme ça.
24:25Et quand il m'a poussé sur la chaise,
24:28je suis tombé en arrière et j'ai entendu ma nuque faire du bruit.
24:31Vous voyez, ça a fait du bruit.
24:34Ils ne m'ont jamais emmené consulter.
24:37Quand je suis sorti, je n'ai pas pu aller consulter
24:40parce que je me suis marié.
24:43Je me suis dit que je vais rester en retrait,
24:46je vais travailler, oublier, rester tranquille.
24:49Mais je dois avancer et pas chercher des histoires
24:52à celui qui m'a fait ci ou ça,
24:55ou aller le frapper chez lui, ou aller le tuer.
24:58Et depuis votre dos à cet endroit-là, il vous fait mal ?
25:01Je peux faire qu'un travail limité, un petit boulot de jardinage,
25:04ratisser un peu d'herbe, mais je n'ai même pas de quoi vivre.
25:07Je n'ai pas assez de travail pour gagner des sous.
25:10Oui, vous n'avez pas beaucoup de force.
25:13Mais je supporte en silence, je suis patient face à mon destin.
25:31Ce qui est vrai pour des individus,
25:34l'est également pour des provinces entières,
25:37ostracisées durant des décennies,
25:40tant par Bourguiba que par Ben Ali.
25:43Après la Révolution,
25:46les représentants de ces zones sinistrées
25:49ont demandé que cet abandon soit considéré comme un crime.
25:52L'instance Vérité et Dignité
25:55crée le statut de Région de Dignité.
25:58Comme pour les individus,
26:01les équipes de l'instance doivent enquêter,
26:04rassembler des faits, des témoignages
26:07afin d'évaluer l'ampleur des préjudices.
26:10Pour cela, 5 camions, transformés en bureaux mobiles,
26:13sillonnent les coins les plus reculés du pays.
26:17Aujourd'hui, Ibtihel Abdelatif
26:20se rend dans la région enclavée de Gafsa, au sud du pays.
26:46Ouled Chraït est à le village de Lazar Chraïti,
26:49l'un des poutchistes exécutés par Bourguiba en 1963.
27:08Nous avons eu une punition politique
27:11parce que cette région a donné naissance à Lazar Chraïti.
27:14Elle a donné naissance à un Moudjaïd.
27:17Elle a donné naissance à des combattants qui sont morts en martyr.
27:20Même après qu'ils aient rendu les armes,
27:23les femmes leur acheminaient le couscous et les pâtes et les armes
27:26et moulaient la farine jusqu'au milieu de la nuit.
27:29Dans les années 60, il y avait plus de 3000 personnes installées ici.
27:32Maintenant, toutes les maisons ont été abandonnées
27:35et elles sont restées vides.
27:38Pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas de travail.
27:41Nos enfants sont chômeurs et nous n'avons pas d'eau potable.
27:44Il n'y a pas les moindres nécessités.
27:47Pas de chaussée, pas d'hôpital.
27:50Ils nous l'ont fermé.
27:53Vous vous soignez où ?
27:56Il y a le dispensaire.
27:59C'est un dispensaire, pas un hôpital.
28:02Regardez, voilà mon fils. Il a deux enfants et il est chômeur.
28:05Il a une maîtrise en économie et gestion.
28:08Aujourd'hui, on doit acheter des bidons.
28:11Ils nous les apportent en voiture. Le bidon coûte 1 dinar.
28:14Ils nous ont promis 4 millions de dinars pour faire une zone d'irrigation.
28:17Ils sont où ?
28:20Ils ont été enterrés dans les barrages.
28:23En tout cas, pas à Ouled Schraït.
28:26Ouled Schraït est situé dans la principale région minière du pays.
28:29Les phosphates produits ici sont principalement vendus en Europe
28:32et rapportent chaque année 1 milliard de dollars à la Tunisie.
28:35Les habitants n'en bénéficient pas
28:38et subissent les conséquences sanitaires de ces exploitations.
28:41Les terres sont polluées.
28:44L'eau est contaminée par la poussière de minerais.
28:47Les gens meurent empoisonnés.
28:56Comment vous vous appelez ?
28:59Saja Ibrahim.
29:02Nous allons insister sur vos problèmes physiques
29:05et dire que vous êtes même tombée malade.
29:08C'est à cause de l'eau. J'allais très bien.
29:11À cause de l'eau ?
29:14Oui, à cause de l'eau. L'eau polluée.
29:17Un virus qui s'est transmis par l'eau.
29:20Asseyez-vous.
29:26Comme je vous ai dit, nous n'avons toujours pas de route.
29:29Pas d'électricité, pas d'éclairage public en ce moment.
29:32Hier, il y a un poteau qui a pris feu et tout le village s'est retrouvé dans le noir.
29:35Les autorités ne font pas attention à nous.
29:38Ils ne nous regardent pas.
29:41Comment on va faire ? Mourir ?
29:44Non, non. C'est vous, Zohra Chraïti ?
29:47Oui. Où il est, votre mari ? Pourquoi il n'est pas venu ?
29:50Il est malade. Le pauvre, il est tout le temps allongé.
29:53Il est en traitement à l'hôpital régional.
29:56Nous avons une caisse de dédommagement
29:59et de réhabilitation des injustices
30:02pour indemniser les régions marginalisées.
30:20Durant plus de 50 ans, Bourguiba puis Ben Ali
30:23ont tout misé sur le développement de la côte et de Tunis,
30:26abandonnant à leur sort les régions frondeuses de l'intérieur et du sud.
30:34C'est précisément de l'une de ces zones oubliées
30:37que surgira l'étincelle qui mènera à la révolution.
30:42Le 17 décembre 2010, dans la petite ville de Sidi Bouzid,
30:45un marchand ambulant, Tarek Bouazizi,
30:48se fait confisquer son étal par la police.
30:53Désespéré, il s'y molle par le feu.
30:58En quelques heures, la révolte gagne la ville
31:01avant de se répandre comme une traînée de poudre à l'intérieur du pays.
31:08Trois semaines plus tard, c'est Tunis qui se soulève.
31:15Ezine El Abidine Ben Ali prononce en direct à la télévision
31:18un discours qui fait comprendre à tous
31:21que la peur a changé de camp.
31:42Ce sera son dernier discours. Ben Ali est fini.
31:45Il n'a plus de pouvoir et quittera le pays dans quelques heures.
31:51Dans les quartiers populaires de Tunis,
31:54les jeunes crient leur rejet d'un pouvoir assassin.
32:09Des manifestants sont tués.
32:12D'autres, comme Walid Kasraoui, voient leur vie basculer en un instant.
32:15Il est blessé d'une balle dans la jambe,
32:18et il a été arrêté par un policier.
32:23Il n'apprendra la chute de Ben Ali qu'après plusieurs jours de coma.
32:27Sa blessure s'infecte. Il faut l'amputer.
32:31Pour le restant de ses jours, Walid devra marcher avec une prothèse.
32:49Walid est l'un des premiers à être témoigné à l'IVD, début 2016.
32:54Déterminé à savoir qui est le policier en uniforme
32:57responsable de son handicap,
33:00il est aujourd'hui reçu par Oula Ben Nejma,
33:03la présidente de la commission Recherche et Investigation.
33:06C'est elle qui supervise l'enquête.
33:12J'aimerais juste connaître le responsable de ce qui m'est arrivé
33:15et savoir en quoi je pourrais vous être utile.
33:18Par exemple, les fragments de balles qui sont encore dans mon pied,
33:21ça pourrait vous aider si on faisait une analyse balistique ?
33:28Effectivement, nous allons faire les analyses balistiques
33:31et nous allons découvrir qui a utilisé cette arme.
33:36N'oublie pas qu'on peut savoir quelle patrouille travaillait à ce moment-là,
33:39qui travaillait, et tous les détails.
33:46Dans le cas où le ministère de l'Intérieur apprendrait
33:49que je suis en train de rassembler des informations
33:52sur la personne appliquée le 13 janvier au Crame,
33:55est-ce que ça représenterait pour moi un danger ?
34:00Est-ce que l'instance pourra me protéger ?
34:06Oui, clairement, cela représente peut-être un danger.
34:09Mais pour toute personne ayant déposé un dossier chez nous,
34:12l'instance sera responsable et la protégera.
34:15Mais je te mets en garde,
34:18dès que tu sens n'importe quel danger
34:21ou que tu sens que tu es suivi,
34:24il faut nous en avertir directement par téléphone ou par des amis.
34:27Il ne faut pas jouer au détective.
34:30La collecte des informations, c'est notre travail.
34:33Si tu as une information, tu nous le dis
34:36et nous faisons les recherches.
34:39Depuis la création de l'instance Vérité et Dignité,
34:42dix mille personnes sont venues témoigner.
34:45Des tortures, des disparitions, des morts.
34:52La collecte des informations, c'est notre travail.
34:55Si tu as une information, tu nous le dis
34:58et nous faisons les recherches.
35:01Depuis la création de l'instance Vérité et Dignité,
35:04dix mille personnes sont venues témoigner.
35:08Les auditeurs de l'instance,
35:11pour la plupart des étudiants en droit,
35:14en psychologie ou en sociologie,
35:17ont pris de plein fouet la réalité d'un passé qu'ils ignoraient.
35:20Chaque jour, ils sont confrontés au pire
35:23de ce que l'homme fait à l'homme.
35:30Mohamed Barek, le chef psychologue de l'IVD,
35:33les aide à supporter le poids de la parole qu'ils reçoivent.
35:36Il accueille aujourd'hui en séance
35:39l'auditrice Manel Abroughi.
35:42Combien d'écoutes as-tu fait ?
35:45Presque 800 écoutes.
35:48800, c'est énorme.
35:51J'ai eu affaire à toutes sortes de victimes.
35:54Que ce soit des femmes, des hommes qui étaient en prison,
35:57des syndicalistes, des cas d'enlèvement...
36:00Tu as écouté toutes sortes de violations ?
36:03Oui, même de la corruption financière.
36:06On a l'impression que tout notre passé
36:09n'est fait que d'histoires de violations.
36:12Que des histoires de violations.
36:15Il y a des victimes auxquelles
36:18on ne peut pas rester insensible.
36:21Surtout lorsqu'il y avait des atteintes
36:24à l'intégrité physique ou à la liberté.
36:27Il y en avait un qui pleurait
36:30et qui déclarait qu'il avait vécu toute sa vie
36:33sans se sentir Tunisien à part entière.
36:36Leurs récits vous laissent sans voix.
36:39Mal à l'aise.
36:42Chaque fois qu'une personne me raconte
36:45les violations qu'elle a subies,
36:48sa souffrance,
36:51tout s'accumule en moi.
36:54Mais je me dois de lui remonter le moral,
36:57lui redonner espoir.
37:00Tant qu'on vit, il y a encore de l'espoir.
37:03Et surtout lorsque la victime
37:06vous le raconte en détail et en pleurs.
37:13C'est quoi ce soupir ?
37:16Quelle réhabilitation ?
37:19Quelle justice aura la victime ?
37:22A ton avis, est-il nécessaire
37:25d'être formé et de faire un travail
37:28sur soi pour se préparer ?
37:31Même pour les auditeurs comme toi
37:34qui ont fait plus de 500 ou 600 écoutes de quart.
37:37Effectivement, avec l'expérience,
37:40tu arrives à mieux les comprendre.
37:43Tu connais d'avance leurs réponses.
37:46Tu sais quelles questions
37:49va les faire pleurer,
37:52et à quelles questions
37:55ils ne pourront pas répondre.
37:58Par exemple, pourquoi n'avez-vous pas porté plainte ?
38:01Ils disent, mais porter plainte à qui ?
38:04Et presque tous répondent de la même manière.
38:07Les victimes ont perdu tout espoir de justice.
38:10Lorsqu'ils viennent à l'instance,
38:13ils disent que c'est leur dernier espoir.
38:16Cela nous rend encore plus responsables.
38:19On sent tellement le poids de la responsabilité
38:22qu'on se demande
38:25si on peut continuer avec eux jusqu'au bout.
38:28Quelles sont les choses
38:31qui pour toi sont les plus pesantes ?
38:34Qu'est-ce qui a changé dans ta vie quotidienne ?
38:37Avant, quand je marchais dans la rue,
38:40je ne faisais pas attention
38:43aux policiers qui étaient toujours sur l'avenue
38:46Je ne les regardais même pas.
38:49Je savais qu'ils étaient là pour faire leur travail.
38:52Mais j'ai tellement entendu d'histoires
38:55de violations qu'ils ont faites
38:58que je me demande s'ils sont là pour protéger les gens
39:01ou pour les torturer,
39:04pour leur rendre justice
39:07ou pour bafouer leurs droits.
39:10Il y a beaucoup de questions enfouies en moi.
39:13Cela provoque en moi des sentiments de haine.
39:16Surtout que la victime demande la réconciliation.
39:19Elle pardonne ?
39:22Elle pardonne tout ce qu'elle a subi de torture,
39:25de prison ou de garde à vue ?
39:28Alors que l'agresseur ne demande pas la réconciliation.
39:31De quel côté est l'humanité ?
39:34En tant qu'être humain, ils ont torturé,
39:37ils sont connus en tant que bourreaux
39:40et ils se sont ramenés qu'ils sont des êtres humains au fond d'eux.
39:43Est-ce qu'ils peuvent même dormir ?
39:46Qui vises-tu ?
39:49La sécurité, le ministère de l'Intérieur en particulier.
39:52Il doit se corriger à ses racines.
39:55Il doit se corriger.
39:58Mais je ne veux pas parler de ça.
40:01Si je critique, ce n'est pas pour humilier.
40:04Pas du tout.
40:07J'espère que le futur sera meilleur.
40:10J'espère que nous y aiderons.
40:13Très bien.
40:16Merci.
40:19Faire advenir un pays
40:22où la police protège les citoyens au lieu de les torturer,
40:25c'est très exactement l'objectif de l'instance Vérité et Dignité.
40:2865 000 dossiers ont été déposés
40:31et attendent d'être instruits.
40:34A ce jour, aucun responsable des exactions
40:37ne s'est fait connaître.
40:40L'IVD dispose en principe
40:43de tout le soutien de l'État,
40:46mais depuis 2015, la Tunisie subit une vague d'attentats sans précédent.
40:49Les terroristes ont frappé
40:52au cœur de l'industrie touristique.
40:55Le musée du Bardot,
40:58puis les plages de Sousse.
41:01L'état d'urgence a été instauré,
41:04érigeant la sécurité en priorité absolue.
41:07En première ligne,
41:10dans le combat contre le terrorisme,
41:13la police est plus que jamais protégée par le pouvoir exécutif.
41:16Le climat pour une justice transitionnelle
41:19est devenu moins favorable.
41:22À l'IVD, on le constate chaque jour.
41:25Homsaad a perdu son fils
41:28le 12 janvier 2011, pendant la révolution.
41:31Le policier qui l'a tué a fait partie d'un petit nombre
41:34à avoir été jugé dans la foulée
41:37et condamné pour les crimes commis durant les derniers jours de Ben Ali.
41:40Elle vient tout juste d'apprendre
41:43que le meurtrier de son fils a été libéré.
41:46Asseyez-vous, madame. Que Dieu soit avec vous.
41:49Cela n'est jamais arrivé dans l'histoire de la Tunisie.
41:52Quelqu'un est condamné pour un meurtre avec préméditation
41:56Le 20 mai,
41:59ils ont demandé lors d'une audition
42:02la libération conditionnelle du criminel.
42:05Le procureur général a refusé.
42:08Le juge aussi a refusé cette libération conditionnelle.
42:1115 jours après,
42:14le syndicat a redéposé une demande de libération conditionnelle.
42:17Cette demande a été déposée
42:20par l'avocate Yoldes Echargui.
42:24Elle est l'épouse de l'assistant du procureur général du tribunal militaire.
42:27C'est elle qui a travaillé sur le dossier
42:30et qui a fait libérer ce criminel.
42:33À une semaine du verdict, ils nous ont menacé.
42:36Ils nous ont dit qu'ils allaient le libérer
42:39et que nous ne pourrions rien y faire.
42:42Je vous jure que je n'ai rien dit.
42:45Nous allons étudier votre dossier et allons faire tout le nécessaire.
42:48Je ne peux rien dire pour l'instant.
42:52Il y a le tribunal militaire, le ministère de l'Intérieur
42:55et surtout Chokri Hamada et les syndicats de sécurité.
42:58Eux, ils prennent et ils font ce qu'ils veulent si vous ne les arrêtez pas.
43:01Nous comptons sur vous pour porter nos droits.
43:04Vous êtes notre seul recours.
43:07Nous allons vous appeler très bientôt.
43:10Nous allons travailler sur votre dossier bientôt
43:13et il sera transmis aux chambres spécialisées.
43:16Je vous jure, si je ne craignais pas Dieu et de tomber dans le péché,
43:19j'aurais une bouteille d'essence sur le corps.
43:25Je n'ai plus envie de vivre.
43:28Je vous en prie, excusez-moi.
43:31Je ne serai jamais contre la volonté de Dieu.
43:34J'accepte tout ce qui vient de Lui,
43:37mais pas l'injustice des gens.
43:40Ils n'ont aucune humanité.
43:43Ils ont détruit toute une famille.
43:49L'assassin de son fils doit sa libération à l'action
43:52d'une coterie de juges, de militaires et de policiers.
43:55Ces acteurs de l'État profond, revenus en force
43:58depuis l'élection à la présidence de la République
44:01et de Béjikaï Dessepsi, ancien ministre de l'intérieur de Bourguiba.
44:11Et lorsqu'en 2015, le nouveau président veut faire passer une loi
44:14amnistiant les crimes économiques commis sous Ben Ali,
44:18les partisans de la justice transitionnelle ne s'y trompent pas
44:21et descendent dans la rue.
44:33C'est pour mettre une ligne rouge bien claire,
44:36pour dire que la justice transitionnelle est une ligne rouge
44:39sur laquelle on ne reculera jamais,
44:42pour dire que le fait que la Tunisie ait changé
44:45est une réalité et que ça ne changera jamais
44:48et qu'une fois pour toutes, il faut que ça change.
44:57Journaliste, militante des droits de l'homme,
45:00emprisonnée à plusieurs reprises sous Ben Ali,
45:03Siem Ben Sedrin est la présidente de l'instance Vérité et Dignité.
45:06Cet après-midi, elle prépare son discours
45:09de lancement des auditions publiques de l'instance.
45:13Cela marquera l'aboutissement de deux ans et demi de travail.
45:26À ce jour, le ministère de l'Intérieur
45:29refuse toujours toute coopération avec l'IVD
45:32et interdit à ses fonctionnaires d'aller y témoigner.
45:43La soirée débute dans un climat difficile,
45:46presque hostile.
45:51Alors, on a eu énormément de menaces, entre guillemets,
45:54pour qu'il y ait des troubles
45:57et qu'il y ait des gens
46:00qui vont nuire à la sécurité de l'événement.
46:03Donc, nous avons pris la mesure de la menace
46:06qui consiste à ce que,
46:09beaucoup de gens qui représentent le Deep State,
46:12l'État profond,
46:15ne sont pas contents de cet événement,
46:18mais il a lieu envers et contre eux
46:21et il aura lieu et nous le réussirons
46:24et personne ne parviendra à nous déstabiliser.
46:39Ce soir, 17 novembre 2016,
46:42commencent les auditions publiques
46:45de l'instance Vérité et Dignité.
46:48Un événement extraordinaire et unique dans le monde arabe
46:51qui sera retransmis en direct à la télévision nationale.
46:54Pour la première fois et pendant plusieurs mois,
46:57des millions de Tunisiens vont faire face à leur passé.
47:00Ils verront le visage des victimes,
47:03ils entendront le récit des histoires,
47:06et ils découvriront l'identité des tortionnaires.
47:37Ce soir, à travers l'écoute
47:40de la voix des victimes tunisiennes,
47:43s'élèvera la voix de toutes victimes
47:46de violations des droits de l'homme
47:49et de toutes victimes dans le monde entier
47:52qui a été privée de son humanité.
47:55La Tunisie n'acceptera plus désormais
47:58les violations des droits de l'homme.
48:01La Tunisie n'acceptera plus
48:04les violations des droits de l'homme.
48:07Elle ne permettra pas l'impunité.
48:10Et ceci est la condition de la réalisation
48:13d'une réelle réconciliation nationale.
48:19Pour l'instance Vérité et Dignité,
48:22le combat contre l'impunité commence.
48:25Il reste à faire juger les bourreaux.
48:28Ni le président de la République,
48:31ni le chef du gouvernement,
48:34ni le président de l'Assemblée
48:37n'ont fait le déplacement,
48:40évitant ainsi la confrontation directe
48:43avec la vérité crue des années de la dictature.
48:46Ce soir, la parole devient une arme politique
48:49pour la Tunisie tout entière.
48:52Ce qui se dira ici ne pourra plus être effacé
48:55et pèsera sur l'avenir de la jeune démocratie tunisienne,
48:58qui a été détruite par les aspirations de la révolution.
49:29C'est normal.
49:32C'est normal.
49:35C'est normal.
49:38C'est normal.
49:41C'est normal.
49:44C'est normal.
49:47C'est normal.
49:58C'est normal.
50:01C'est normal.
50:04C'est normal.
50:07C'est normal.
50:10C'est normal.
50:13C'est normal.
50:16C'est normal.
50:19C'est normal.
50:22C'est normal.
50:25C'est normal.

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