Avec Philippe Pujol, journaliste et écrivain, auteur de "Cramés : les enfants du monstre (Éd. Juillard)", troisième volet d'une trilogie sur le trafic de stupéfiants à Marseille
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NewsTranscription
00:00Il est 7h41. Philippe Pujol, bonjour.
00:03Bonjour.
00:04Merci d'être avec nous Philippe, vous êtes journaliste écrivain,
00:07prix Albert Londres, auteur de « Cramer les enfants du monstre » aux éditions Julliard,
00:12troisième volet de votre trilogie sur le trafic de stupéfiants à Marseille,
00:16anglée cette fois sur les enfants au cœur du trafic.
00:20Votre livre est sorti début septembre.
00:23Nous avons appris ces derniers jours ce qui s'est passé à Marseille
00:27avec cet enfant de 14 ans recruté comme tueur à gage,
00:32mineur du Vaucluse, passé de petit revendeur de cannabis à tueur à gage.
00:36Donc, né en 2010, cet adolescent, pré-adolescent,
00:40avait déjà été interpellé sur des points de deal dans le Vaucluse, puis à Marseille.
00:45Il a été contacté sur Snapchat par un détenu qui se revendique de la DZ de mafia.
00:50Il a accepté le contrat, sa mission était de tuer un trafiquant concurrent
00:55en échange de 50 000 euros en liquide, frais d'hôtel déduit.
00:59L'adolescent finalement a tué un chauffeur VTC totalement étranger au narcotrafic.
01:05Philippe Pujol, c'est effroyable,
01:09mais la jeunesse de ces trafiquants,
01:16de ces tueurs à gage, ne vous surprend plus ?
01:20Non, puisque vu le fonctionnement désormais d'un réseau de stupe,
01:25on va chercher les personnes les plus manipulables et les plus vulnérables.
01:29Donc, que ce soit un enfant, parce qu'en effet, ce n'est même pas un ado,
01:31c'est un enfant, c'est quelque chose qui est à la fois surprenant,
01:34parce que c'est choquant, et à la fois pas surprenant
01:36d'un point de vue pragmatique de réseau, de réseau de stupe,
01:39parce que c'est un enfant qui va être manipulable.
01:42En plus, il a quand même des problèmes psy avérés,
01:46on commence déjà à le voir.
01:48C'est un enfant qui vient de l'aide sociale à l'enfance,
01:50l'ASE, dont les parents sont en prison,
01:53donc c'est quelqu'un qui est de toute façon déjà depuis longtemps
01:56dans une sorte de déviance,
01:58et qui n'a pas été pris en charge comme il faut,
02:01à quel moment, je n'en ai aucune idée,
02:02mais en tout cas, il n'a pas été pris en charge,
02:04et il a été pris en charge par les réseaux de stupe, par contre.
02:07Le réseau de stupe a tout intérêt à faire travailler les gens
02:12le moins cher possible, voire gratuitement,
02:14et embaucher un enfant comme ça, c'est la certitude de ne pas le payer,
02:17puisqu'il se fera choper de toute façon.
02:19Donc, c'est quelque chose qui se fait maintenant,
02:22d'embaucher un maximum de gens que j'appelle vulnérables,
02:25par exemple, l'appétence à la violence est une vulnérabilité,
02:28ce n'est pas normal d'être violent,
02:29et normalement, ça devrait être traité psychiatriquement parlant,
02:32or là, le réseau le récupère,
02:34donc là, ce coup-ci, c'est passé par un canal Snapchat,
02:38d'autres fois, ça passe directement de rencontre après rencontre.
02:43En tout cas, cette recherche de la personne vulnérable,
02:47dans le sens qu'il y a un problème qui va pouvoir être exploité,
02:49donc là, de la violence,
02:50c'est quelque chose qui est maintenant assez commun depuis 5-6 ans, je dirais.
02:54– Oui, alors les réseaux sociaux, on a parlé de Snapchat,
02:57mais aussi TikTok et Telegram, surtout, réseau crypté.
03:02– Parce que c'est crypté, oui, voilà, c'est ça.
03:04– Évidemment, évidemment.
03:05– C'est la meilleure manière de recruter.
03:07– Alors, en permanence, moi, pour écrire le livre que j'ai fait,
03:10j'étais sur ces réseaux-là, cryptés,
03:13et en permanence, il y a des demandes d'embauche.
03:16Alors, rarement des assassins, mais on demande en permanence,
03:20tel réseau, tel point de vente a besoin d'un tel,
03:23tel point de vente a besoin d'un tel,
03:24parce qu'ils n'ont pas une grande facilité à trouver des jeunes,
03:27parce que comme les jeunes qui n'ont pas de vulnérabilité particulière
03:32ont compris pour beaucoup que c'est une carrière impossible,
03:37la mort ou la prison,
03:39pas d'élévation sociale par le crime, beaucoup l'ont compris,
03:42ils ont donc de plus en plus de mal à recruter,
03:44donc ils vont chercher des vulnérables de plus en plus atteints,
03:48on va par exemple chercher,
03:50quand vraiment on ne trouve personne pour être guetteur,
03:53ils vont chercher des migrants à côté des plateformes du bâtiment.
03:56Mais ça, c'est vraiment une dernière ressource.
03:58Ou alors, ils vont devant les foyers de la ZEU,
04:01l'aide sociale à l'enfance,
04:02parce qu'ils sont persuadés qu'ils ont des jeunes
04:04qui sont totalement dans des problèmes majeurs,
04:08et ils vont pouvoir utiliser leur vulnérabilité
04:10pour les prendre sur les réseaux.
04:12– Ensuite, des tueurs, là,
04:14ce n'est pas si courant, heureusement.
04:16– Oui, heureusement, évidemment, Philippe Pujol,
04:18dans votre livre, justement, ces jeunes perdus,
04:22vous les appelez des cramés,
04:24ils s'appellent d'ailleurs entre eux des cramés.
04:28– C'est ça, cramés, c'est l'appellation pour le destin brûlé vif,
04:32on brûle la vie extrêmement vite,
04:34et on brûle tout ce qu'il y a autour en même temps.
04:36– Voilà, ils deviennent guetteurs,
04:38parfois certains sont prostitués,
04:40garçons et filles.
04:42– Oui, quelques garçons prostitués,
04:44mais de force, c'est toujours de force,
04:46et les filles, elles sont vraiment,
04:48pratiquement toutes sélectionnées
04:50dans les foyers d'aide sociale à l'enfance,
04:52c'est terrible, quelques-unes sont sélectionnées
04:54sur les réseaux sociaux,
04:56on leur fait consommer beaucoup de protoxyde d'azote,
04:58vous savez les ballons, les capsules,
05:00et quand ils prennent beaucoup de protoxyde d'azote,
05:02après, on leur fait faire ce qu'on veut.
05:04– Oui, oui, une main d'œuvre,
05:06si je puis dire,
05:08exploité,
05:10plongé dans la violence,
05:12dans la misère,
05:14mais qui sont ces exploiteurs ?
05:16– Alors,
05:18ce qu'il faut comprendre, c'est qu'on n'est plus
05:20aujourd'hui dans un système pyramidal des stups
05:22avec un grand chef, des lieutenants
05:24et des adjoints, il n'y a plus ça.
05:26Dorénavant, chaque niveau
05:28de banditisme est autonome,
05:30il y a donc le fournisseur qui est ailleurs,
05:32quelque part dans le monde, ils sont plusieurs,
05:34ils sont très très riches, il y a les semi-grossistes,
05:36c'est la cinquantaine de dealers sur Marseille,
05:38de vrais dealers, qui sont plutôt riches,
05:40mais qui ont beaucoup de problèmes,
05:42par exemple les patrons d'Adelsaine Mafia
05:44ou ceux-là,
05:46et après, il y a toute l'armée en dessous
05:48de, moi j'appelle ça les mains noires,
05:50qui sont les exploités
05:52des semi-grossistes
05:54et qui, eux, sont dans une concurrence
05:56effroyable, qui sont surtout régis par la dette,
05:58ils n'ont pas d'argent, ils ont des dettes,
06:00et qui vont donc être dans une telle concurrence
06:02qu'ils vont s'entretuer dès que possible
06:04au profit de ceux qui sont au-dessus, qui ne sont pas leur chef,
06:06parce qu'il n'y a qu'une relation commerciale,
06:08achavante de drogue, c'est tout.
06:10Ce qui fait que pour la police, c'est très dur de remonter
06:12une filière, parce qu'il n'y a pas de filière.
06:14Évidemment. Philippe Pujol, je vous remercie.
06:16Alors, je recommande vraiment votre livre
06:18« Cramer les enfants du monstre »
06:20aux éditions Julliard,
06:22c'est une enquête formidable,
06:24c'est le dernier volet de votre trilogie,
06:26je rappelle que Philippe Pujol est pris à Albert-Londres,
06:28il est reporter,
06:30journaliste, écrivain,
06:32et s'il y a un livre à lire,
06:34c'est bien celui-là.
06:36Merci Philippe Pujol, 7h48.
06:38Merci beaucoup.