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«Libération» publie une enquête sur les conditions de vie et les violences que disent avoir subies des femmes domestiques d’ambassadeurs, protégés par leur immunité diplomatique. On en parle avec Gurvan Kristanadjaja, journaliste auteur de l’enquête, et Roxane Ouadghiri Hassani, directrice adjointe du Comité contre l’esclavage moderne.

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Transcription
00:00Cette enquête de libération rapporte des accusations d'esclavage moderne en plein
00:04cœur de Paris.
00:05Des diplomates qataris, koweissiens et chiliens sont visés par leurs anciennes domestiques.
00:10C'est la première fois qu'elles témoignent de leurs conditions de vie et des violences
00:14qu'elles disent avoir subies.
00:16Gurvan, tout d'abord, est-ce que j'ai correctement résumé ton enquête ?
00:19Oui, c'est un bon résumé.
00:20Il faut dire que ça, en fait, c'est la poursuite d'une enquête qui a été menée
00:26il y a un an.
00:27On avait déjà suivi une domestique philippine qui avait été esclavagisée, enfin réduite
00:33en esclavage, pardon, par ses employeurs et on l'avait suivie de sa sortie de captivité
00:40à « on était allé aux Philippines voir ses enfants », etc.
00:44Et ça s'inscrit dans cette continuité-là, cette envie aussi qu'on a à Libération
00:48de donner à la parole à des personnes qui ne l'ont pas forcément dans les médias
00:52et de mettre en lumière des situations qui ne sont pas forcément dites ailleurs.
00:55Et quand on parle d'esclavage moderne, c'est vrai que ça étonne.
00:58Souvent, le réflexe qu'on a dans les médias, c'est de dire « ah, l'esclavage existe
01:03encore ! ». En fait, l'esclavage, quand on l'imagine, on pense à l'esclavage
01:13il y a trois, quatre siècles, deux, trois, quatre siècles.
01:16En l'occurrence, aujourd'hui, c'est un peu… c'est pour ça qu'on dit « moderne »,
01:20c'est une nouvelle définition.
01:22Je parle sous le contrôle de Roxane qui donnera aussi ses précisions.
01:26En fait, il y a quand même une restriction de liberté, un dépassement des horaires,
01:32il y a un rapport quasiment de soumission ou en tout cas de supériorité de l'employeur
01:36vis-à-vis d'une personne.
01:38Et c'est des personnes qui vivent, en tout cas, moi ce que je ressens en tant que journaliste
01:42et ce que je recueille comme témoignage, c'est des personnes qui en souffrent énormément.
01:45Il y a quand même une privation de liberté qui crée la condition de contraintes psychologiques,
01:53contraintes aussi parfois physiques.
01:54Elles sont maltraitées, je veux dire, dans leur vie, parfois, elles dorment au sol, on
02:00leur parle mal.
02:01Et là, on parle du travail domestique, c'est particulièrement vrai dans le travail domestique
02:07puisqu'en fait, ce sont des employés qui travaillent au domicile des personnes.
02:13Ils peuvent être disponibles 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, ce qui crée des écueils.
02:18On va peut-être en reparler.
02:19Mais en tout cas, l'esclavage moderne dans notre société traverse toutes les couches
02:23du travail.
02:24Il existe dans le travail domestique, mais il existe aussi dans les vendanges, il existe
02:30dans le bâtiment.
02:31Il y a des cas d'esclavage moderne où des gens sont retenus.
02:33Et c'est aussi souvent des personnes qui ont un profil de vulnérabilité, des travailleurs
02:37sans papier.
02:38Enfin, ça arrive.
02:39En tout cas, c'est des personnes qui arrivent en France et qui ne connaissent pas aussi toujours
02:44les droits qu'ils ont.
02:45Et je fais une toute petite parenthèse très vite pour vous encourager à vous abonner
02:49à notre chaîne YouTube si vous ne voulez rater aucune de nos prochaines discussions.
02:53Donc en fait, le terme d'esclavage moderne, ça recouvre plutôt une réalité, on va dire,
02:59sociologique, philosophique, économique.
03:02Et ensuite, on a une infraction pénale qui est la traite des êtres humains à des fins
03:07d'exploitation par le travail.
03:08Et là, notre association, le Comité contre l'esclavage moderne, ou CECM, a pour rôle
03:13d'accompagner les personnes qui, a priori, ont été victimes de tels faits.
03:17Donc la grande différence avec l'esclavage, on va dire, traditionnel, ou en tout cas celui
03:22qu'on apprend à l'école, c'est que d'abord, on est sur quelque chose qui est une infraction
03:27pénale.
03:28Alors qu'avant, on était sur un système économique mené par les États, largement
03:33encouragé par les États.
03:35C'était le cas, par exemple, avec le commerce triangulaire, notamment.
03:38Et donc ça, c'est vraiment la première différence.
03:41Ensuite, la seconde différence, c'est qu'avant, on était sur une question de statut, c'est-à-dire
03:45que les personnes esclaves l'étaient parce qu'elles étaient, par exemple, des captives
03:49de guerre, qu'elles étaient elles-mêmes nées en esclavage.
03:51Et ensuite, on le sait, avec le commerce triangulaire, vraiment, du fait de leur appartenance à
03:57certaines ethnies, certaines races, etc.
04:01Dans l'esclavage moderne, on va plutôt s'attarder à la question de la vulnérabilité individuelle
04:06des personnes, avec l'idée qu'en fait, il n'y a pas non plus un profil type qu'on
04:11pourrait découper de la victime d'esclavage moderne, si ce n'est qu'elle est, en général,
04:16au croisement de plusieurs vulnérabilités.
04:18Donc, par exemple, la précarité économique, l'isolement social, culturel, son incapacité
04:23à parler la langue du pays où elle se trouve, le fait de ne pas en comprendre les codes,
04:28les lois, le fait d'être sans papier si elle est étrangère, potentiellement le handicap
04:33mental ou physique qui va la mettre en situation de vulnérabilité, encore une fois.
04:39Donc voilà.
04:40Après, le point commun entre tous les esclavages, toutes les formes d'esclavage, c'est le
04:44gain économique et le fait qu'ils soient motivés par une volonté d'enrichissement
04:49de la part des exploiteurs.
04:51Alors là, normalement, dans le tchat, ça s'agit beaucoup sur le son.
04:55Normalement, j'en ai profité là pour bien régler le son.
04:58Donc normalement, ça devrait tout être OK et je vois les retours qui sont bons désormais.
05:02Donc normalement, tout est bon.
05:03Merci à tous les deux d'avoir un petit peu introduit ce sujet.
05:06Moi, il y a un autre terme aussi sur lequel je voudrais revenir.
05:09On en parle dans ton enquête, c'est le terme de traite des êtres humains.
05:12Qu'est ce que ça veut dire précisément, ce terme là, cette traite des êtres humains ?
05:17Oui, alors comme je le disais, c'est une infraction pénale qui existe en France depuis 2003
05:23et qui a été, on va dire, remise au goût du jour, améliorée, mieux définie en 2013,
05:28suite notamment à la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'Homme
05:33sur la base d'un dossier que notre association a amené à la Cour européenne.
05:37C'était quoi ce dossier, peut-être ?
05:38Alors c'était, c'est un dossier qui, étrangement, est encore assez d'actualité.
05:44Donc c'était un ancien ministre de la justice d'un pays, d'Afrique, qui ensuite a été
05:50en poste à l'UNESCO en tant que diplomate et qui a été accusé par deux de ses jeunes nièces
05:56de les avoir réduites en servitude à son domicile.
05:59Donc notamment l'une des deux n'était pas scolarisée et les deux s'occupaient de tout le foyer.
06:04Il y avait plusieurs personnes en situation de handicap dans le foyer, donc particulièrement dépendantes,
06:09dont elle se serait a priori occupée.
06:12Alors il n'y a pas eu de condamnation en France.
06:14La Cour de cassation a considéré que, a prononcé la relaxe sur les faits de travail et de traite.
06:20Et ensuite le dossier a été amené donc à la Cour européenne des droits de l'homme,
06:23qui elle a considéré que la France aurait dû condamner et devrait revoir sa législation
06:28pour qu'elle soit mieux adaptée à la réalité que vivent les victimes et aussi aux standards internationaux.
06:34Et pourquoi ce dossier est toujours d'actualité ?
06:37Car ce même couple d'anciens diplomates est à nouveau sous le feu d'accusations
06:43par un travailleur que nous accompagnons également.
06:47Donc là ce qu'il faut bien comprendre c'est que dans cette enquête-là,
06:51qui est en quatre volets, il s'agit de quatre situations différentes,
06:55mais qui ont donc pour point commun d'être à chaque fois de se dérouler dans des ambassades parisiennes,
06:59c'est ça, avec des diplomates ?
07:00Au domicile des ambassades parisiennes, oui, parce que c'est des travailleuses domestiques.
07:05Et elles ont plusieurs points communs ces enquêtes, enfin ces articles et ces cas.
07:10C'est que déjà c'est toutes des travailleuses étrangères qui arrivent en France
07:15par l'intermédiaire de leur employeur et qui voient une dégradation de leurs conditions de travail en France.
07:23Pour la plupart, certaines étaient déjà dans des conditions difficiles,
07:26mais souvent la France est le moment où en fait elles sont loin de chez elles,
07:31l'employeur aussi, et dans le huis clos de l'appartement ou du domicile, les conditions se dégradent.
07:37Il y a aussi un autre point commun dans ces enquêtes,
07:39c'est que toutes les personnes qui ont été accusées par des plaintes de traite,
07:44tous les employeurs ou le couple d'employeurs, sont protégés par l'immunité diplomatique,
07:49puisqu'ils ont des fonctions diplomatiques.
07:51Donc l'immunité diplomatique, pour résumer, c'est quand on occupe des fonctions diplomatiques,
07:56certaines accusations ne peuvent pas nous atteindre, puisqu'elles bénéficient d'un statut privilégié.
08:08Et pour faire lever l'immunité diplomatique,
08:10il faut que le parquet de Paris fasse une demande auprès du ministère des Affaires étrangères,
08:14que le ministère des Affaires étrangères, donc la France, fasse une demande auprès du pays étranger,
08:18et que le pays étranger accepte de lever cette immunité pour que la justice puisse être instruite.
08:24Ce qui arrive de temps à autre, mais ce qui est relativement rare,
08:27d'autant plus quand il y a une relation si disproportionnée dans la façon de fonctionner,
08:34c'est-à-dire là, en l'occurrence, des personnes assez puissantes,
08:38qui ont des représentations, qui tiennent des discours, qui serrent les mains de personnes importantes,
08:41de ministres, face à des domestiques qui n'ont pas de papier, qui ne parlent pas la langue, et qui sont...
08:49– Issus de milieux très précaires déjà dans leur pays.
08:52– Par exemple, il s'agit de qui, très concrètement, pour certaines des enquêtes ?
08:55Est-ce qu'on peut peut-être parler de ces personnes-là qui sont accusées ?
08:59– Dans le premier article, il s'agit de l'ancien ambassadeur adjoint du Qatar à Paris,
09:06qui est désormais ambassadeur en Équateur, qui est accusé par deux de ses anciennes domestiques
09:12de traite des êtres humains et par une de ses anciennes domestiques de viol répétée à son domicile parisien.
09:18Il y a aussi un ancien haut-gradé qatari, qui est accusé par une de ses domestiques
09:25aussi de traite des êtres humains à la portée plainte.
09:27Et pour viol, il n'y a pas eu de plainte, puisque le viol se serait déroulé à l'étranger.
09:33Il y a l'ancien ambassadeur qui vient tout juste de quitter son poste, le 30 septembre dernier,
09:39du Kuwait à l'UNESCO.
09:41Donc vous voyez comme quoi, même à l'UNESCO, avec l'image qu'on en a,
09:44il y a aussi des personnes qui abritent parfois...
09:48– Il a quitté son poste par rapport à cette affaire-là ?
09:50– On ne sait pas. Après, ça faisait quatre ans qu'il était en poste,
09:54on sait que c'est aussi parfois la durée d'un contrat.
09:57En tout cas, c'est vrai que de ce que nous, on a appris, ça se savait à l'UNESCO,
10:01et donc peut-être qu'il y a eu...
10:03Puis elle, elle a aussi entamé une procédure au Prud'homme,
10:07ce qui fait qu'il intervient, et c'est le CCEM d'ailleurs qui suit cette affaire-là,
10:13au Prud'homme, qui intervient en avril prochain.
10:16Peut-être qu'il y a aussi eu une volonté de la part du Kuwait
10:19de ne pas avoir à faire face à cette personne-là.
10:21Et le dernier cas, c'est l'ancien ambassadeur du Chili à l'OCDE, à Paris.
10:27Donc en fait, Paris est une ville particulière pour les diplomates,
10:29puisqu'il n'y a pas seulement les ambassades,
10:31il y a aussi des institutions comme l'UNESCO, l'OCDE,
10:34qui donnent à des personnes un statut diplomatique.
10:37C'est pour ça aussi qu'on retrouve un nombre important à Paris de cas comme cela.
10:42– Il y a une question dans le chat de Stéphane Keldan qui demande,
10:46les diplomates ne peuvent pas être poursuivis,
10:47mais est-ce qu'ils peuvent être virés du territoire ?
10:51– Je ne dirais pas... En fait, ils ne sont pas virés, en réalité, ils sont rappelés.
10:55En gros, c'est le pays dont ils sont originaires qui dit qu'on le rappelle.
11:01Après, il faut voir, quand ils sont rappelés,
11:03en général, c'est pour être nommé ailleurs, ce n'est pas une sanction.
11:07– Voilà, et ce n'est pas des suites d'une procédure administrative ou pénale.
11:12En France, c'est vraiment des négociations aussi entre les deux pays,
11:16entre le pays d'accueil et le pays d'origine du diplomate.
11:20On a eu déjà un cas, il y a quelques années maintenant,
11:23en CCM, je n'aimerais pas, le pays qui était concerné,
11:25où ça avait un petit peu défrayé la chronique
11:27et ça avait fait beaucoup de bruit dans le pays d'origine,
11:29qui est un pays francophone, et donc les informations ont rapidement circulé.
11:33Et donc, la consul qui était mise en cause avait été rappelée,
11:37et on lui avait redonné un poste bien placé, etc., ailleurs.
11:41Et ça avait permis de mettre fin à la polémique.
11:45Le pays d'origine pouvait dire, vous voyez, on a pris des mesures,
11:48elle n'est plus en poste en France, etc.
11:50Et la France pouvait dire, on a réglé le problème.
11:53Mais c'est plus un déplacement du problème,
11:55puisque ça n'apporte aucun droit à la victime, aucune indemnisation, etc.
11:59– Mais c'est vrai que, bon, on va peut-être parler de certains cas,
12:02mais moi, ce qui m'interroge, après ces enquêtes,
12:05c'est que j'ai deux questions principales,
12:07en tout cas sur l'évolution de la loi et de la façon dont on fonctionne en France.
12:12Un, moi, je me questionne sur l'essence même du travail domestique.
12:15Est-ce que ça ne pousse pas à des cas comme ceux-là ?
12:17Puisque, comme je le disais, les personnes sont au sein des domiciles,
12:20et surtout quand elles viennent de l'étranger, etc.
12:24Il y a une position de vulnérabilité, quand même.
12:25– Il n'y a pas vraiment de contrôle du travail en plus,
12:27comme c'est à des domiciles, c'est compliqué d'avoir un bus.
12:29– Il peut y en avoir, mais la France ne le fait pas toujours, voire rarement.
12:34Et la deuxième chose, c'est la question de l'immunité diplomatique,
12:39qui est systématique en France et qui est très difficile à lever.
12:43Est-ce que c'est quelque chose qui est raccord avec les valeurs
12:47que nous, on souhaite porter au sein de notre société ?
12:51C'est une question que je me pose après cette enquête et je n'ai pas la réponse.
12:54En tout cas, c'est vrai que c'est des choses qui datent d'années,
13:00qui sont assez figées, et que peut-être qu'il faudrait faire évoluer à un moment,
13:04en tout cas, entamer des débats.
13:06Le fait est qu'il n'y a pas de débat, et c'est aussi pour ça qu'on fait cette enquête.
13:09C'est pour relancer, parler de ces sujets et dire, voilà, ça existe.
13:12– Mais d'ailleurs, si je peux rebondir, pardon, sur ce que Johan a dit tout à l'heure,
13:16en disant que Paris est une ville particulière pour les diplomates,
13:18oui, parce qu'il y a aussi des institutions internationales, etc.
13:22Mais une particularité de la France, peut-être par rapport à d'autres pays,
13:25alors je pense que c'est plutôt la France qui est dans la norme de ce qui se fait dans le monde,
13:27mais c'est qu'il n'y a pas de contrôle sur le travail des employés personnels,
13:31des diplomates, en tout cas, pas qu'on sache.
13:33Nous, en tant qu'association spécialisée, on sollicite le ministère de l'Europe
13:36et des Affaires étrangères pour des rencontres, pour savoir,
13:39quelles sont les dispositions qu'ils prennent,
13:40quelles sont les procédures, processus de contrôle qui pourraient exister.
13:45On n'a pas de retour de leur part, donc ça nous laisse plutôt penser qu'il n'y en a pas.
13:49Et on a des voisins européens, comme par exemple en Allemagne,
13:51où tous les ans, toutes, enfin, je vais parler aux féminins,
13:54parce que souvent ce sont des femmes, mais toutes les employées domestiques
13:58engagées au service privé de diplomates, en poste en Allemagne,
14:02sont convoquées à Berlin pour une journée de conférence,
14:05où on leur rappelle le droit du travail allemand,
14:07on leur rappelle qu'elles peuvent tâter leur recours
14:09si elles considèrent que leurs droits ne sont pas respectés,
14:11et elles rencontrent des associations spécialisées dans des temps informels,
14:15pour vraiment se sentir à l'aise de poser des questions.
14:18Il y a des interprètes dans toutes les langues des personnes convoquées,
14:21et ça permet aux ministères des Affaires étrangères allemandes
14:24d'avoir la liste de toutes les délégations étrangères
14:26qui n'ont pas fait venir leurs diplomates,
14:28alors même que cette réunion, cette conférence, est obligatoire.
14:32Alors après, nos partenaires allemands nous disent
14:34qu'on ne sait pas exactement ce qui se passe,
14:36quand ça fait plusieurs fois de suite
14:37que la même délégation a des emplois qui sont absentes,
14:41mais normalement, ça ouvre la porte à des discussions
14:44entre l'Allemagne et ces pays-là.
14:46En tout cas, c'est vraiment quelque chose
14:49que nous, on aimerait bien voir implémenter en France.
14:51Qui n'existe pas en France pour l'instant.
14:52Qui n'existe absolument pas.
14:54Et pourquoi ?
14:55Parce que même si les domestiques sont interdites de se rendre là-bas,
14:58comme on sait que parfois, elles peuvent se rencontrer
15:01quand il y a des événements protocolaires, etc.,
15:06elles peuvent aussi se faire passer le mot entre elles,
15:09donner l'adresse de l'association, le numéro de téléphone,
15:12convaincre celles qui sont le plus isolées,
15:15le plus sous emprise, le plus surveillées,
15:17de dénoncer ce qui leur arrive.
15:19Pour revenir aussi sur la notion d'immunité diplomatique,
15:22ce qui est important et ce qu'on comprend dans cette enquête,
15:26il y a par exemple le cas dans l'épisode 1
15:28de l'ex-ambassadeur adjoint du Qatar à Paris,
15:30qui désormais travaille en Équateur.
15:32Ça, c'est un exemple, par exemple, justement,
15:34il y a un problème, il y a des accusations même,
15:36mais finalement, au lieu qu'il y ait justice
15:40et qu'il soit viré, finalement, on redéplace ces personnes-là
15:43dans d'autres pays, par exemple.
15:45Je me permets, mais à mon avis, il n'est pas du tout...
15:48Enfin, son changement de poste n'est pas du tout lié à...
15:50Ah oui ?
15:51À mon avis, enfin...
15:52Non, mais en plus, ce qu'il faut dire,
15:53c'est que son changement de poste, il devient ambassadeur,
15:56ce qui est quand même une promotion en Équateur.
15:58C'est quand même...
15:59Et c'est dire aussi que je pense que, en fait,
16:04et c'est pour ça que la justice devrait pouvoir faire son travail,
16:07c'est qu'aujourd'hui, c'est des personnes qui ont le droit,
16:10par leur statut, peut-être, en tout cas,
16:13qui semblent avoir le droit, par leur statut,
16:15d'être au-dessus un petit peu des lois
16:17et de ne pas être touchées par la justice.
16:19Enfin, en tout cas, il n'y a pas de moyens de les faire comparaître.
16:24Enfin, il y en a, mais on ne les utilise pas.
16:26En fait, aussi, le problème de la justice en France,
16:30actuellement, c'est que les commissariats sont débordés,
16:34les parquets au sein des tribunaux sont débordés,
16:36les juges d'instruction sont débordés.
16:37Donc, en fait, quand il va arriver un dossier
16:39avec une personne mise en cause,
16:41qui est bénéficiaire de limites diplomatiques,
16:44ils se disent, il ne pourra pas y avoir de condamnation, théoriquement.
16:47Je ne peux pas forcer la personne à venir être entendue
16:50au commissariat ou dans le bureau du juge de l'instruction.
16:52Je ne peux pas aller visiter les lieux d'effet,
16:55puisqu'il s'agit de leurs domiciles privés,
16:56qui sont protégés également par l'immunité.
16:59Donc, en fait, autant classer tout de suite.
17:02Sauf que, en fait, nous, ce qu'on essaye de dire à la justice,
17:05on essaye de convaincre les professionnels de la justice,
17:08c'est qu'il y a quand même des actes d'enquête qui pourraient être menés.
17:10Par exemple, une enquête de voisinage,
17:12aller interroger les voisins,
17:13qui, eux, ne sont pas protégés par une immunité diplomatique,
17:16aller interroger les écoles où les femmes vont chercher les enfants,
17:21par exemple, les professeurs, les maîtresses, etc.
17:25Pourquoi pas les autres employés de l'ambassade,
17:28par exemple, les chauffeurs.
17:29Voilà, essayer quand même de faire des expertises psychologiques
17:32des personnes qui accusent ces diplomates, etc.
17:35pour voir quelles sont les séquelles,
17:37est-ce qu'elles sont crédibles, ce genre de choses.
17:40Et en fait, ça permettrait quand même d'avoir un dossier qui,
17:42même si à la fin, il est classé sans suite,
17:44même s'il n'y a pas de condamnation pénale,
17:45permettrait à la victime d'aller se pourvoir devant d'autres juridictions.
17:49Alors, c'est un petit peu technique,
17:50mais par exemple, devant des tribunaux civils,
17:54pour demander des indemnités.
17:56Et là, en fait, avec les cas qui sont rapportés dans l'enquête de Gurvan,
17:59on a vraiment l'exemple type,
18:01et encore, à mon avis, il en manque un,
18:02mais on a vraiment l'exemple type de la triple peine
18:05des victimes d'agents diplomatiques,
18:10qui est que d'abord, elles sont exploitées,
18:12elles ne seront jamais reconnues comme victimes
18:14et elles ne pourront jamais être indemnisées aux civils.
18:16Et j'ajouterai la quatrième peine qui, là,
18:18n'est pas illustrée dans les quatre articles
18:20qui sont sortis pour le moment,
18:21mais c'est celle des personnes qui sont exploitées
18:25par des gens originaires du même pays qu'elles,
18:27et qui, du coup, parce qu'elles ont osé dénoncer,
18:29ou même simplement parce qu'elles se sont enfuies,
18:31parce qu'elles ont remis en question leurs connaissances de travail,
18:33ne pourront jamais, a priori, rentrer dans leur pays,
18:36parce qu'on leur dit clairement que ce qui les attend,
18:37ça va être la prison,
18:40la marginalisation administrative, économique, etc.
18:44Il faut aussi dire, pour être tout à fait complet
18:46sur cette histoire d'immunité,
18:47qu'elle est assez large.
18:49La femme, ou le conjoint ou la conjointe bénéficient.
18:52– Les enfants.
18:53– Les enfants.
18:54Et puis, au rang d'une ambassade,
18:56il y a tout un tas de personnes qui…
18:59Ce n'est pas juste l'ambassadeur qui est bénéficié de l'immunité,
19:02c'est tout un tas de personnes qui ont le droit à ce statut-là,
19:06qui est un statut privilégié.
19:07Donc, ça concerne quand même énormément de monde.
19:10– Pour revenir aussi sur cette affaire-là,
19:13donc ça, c'est dans l'épisode 1 de ton enquête, Gurvan,
19:16quand même pour rappeler aussi de quoi il s'agit.
19:18Il y a ces deux travailleuses philippines
19:20qui dénoncent des conditions de travail inhumaines
19:21et les viols commis sur l'une d'entre elles par leur ex-employeur,
19:25avec deux dépôts de plainte en décembre 2021.
19:28Là, quand on publie cette enquête-là,
19:31toi, tu en avertis aussi la mise en cause.
19:33Quel retour est-ce que tu as à ce moment-là ?
19:35– En fait, ça passe par l'État du Qatar,
19:39et lui, par l'État du Qatar,
19:42on me dit qu'il réfute complètement ses accusations, et que voilà, c'est tout.
19:49Après, on n'en a pas plus souvent,
19:54et c'est ce qui est un peu frustrant dans ces enquêtes-là.
19:57Nous, on fait un travail en essayant d'enquêter,
19:59et on essaie de faire un travail équilibré.
20:02Et l'exercice voudrait que la personne,
20:04et on essaye par tous les moyens de le faire,
20:06on envoie des dizaines de mails,
20:08que la personne réponde et prenne le temps de nous répondre
20:10dans le détail, et qu'il y ait une forme d'équilibre.
20:14Le problème, c'est que souvent,
20:15les personnes qui sont accusées refusent simplement de répondre,
20:18ou alors nous donnent une phrase,
20:20ce qui ne permet pas d'équilibrer l'exercice tout à fait.
20:23En l'occurrence, là, c'était qu'il réfute ses faits, etc.
20:26Mais on aurait aimé avoir sa version à lui,
20:28savoir comment ça s'est passé exactement.
20:32Mais ces personnes-là, souvent, ne se donnent pas la peine de le faire.
20:36– Il y a une question dans le tchat, sur l'immunité diplomatique précisément,
20:39qui demande si cette immunité diplomatique peut quand même avoir des limites.
20:44Il dit, il me semblait, dans le cas d'un crime avéré,
20:47que cette immunité diplomatique n'entre pas en jeu.
20:50– Non, théoriquement, l'immunité, comme elle est sur le papier,
20:54il y a une convention internationale qui va définir tous les degrés d'immunité.
20:59En fait, ce qui est intéressant,
21:00c'est que toutes les personnes protégées par des immunités
21:03n'ont pas droit au même degré.
21:05Donc par exemple, si on est l'ambassadeur,
21:06ou si on est le conseiller à la culture au sein de l'ambassade,
21:09on n'a pas le même degré.
21:10Donc par exemple, un ambassadeur, a priori, il est protégé sur tous les plans,
21:15c'est-à-dire et professionnel et personnel,
21:17donc également tout ce qu'il fait dans sa vie privée.
21:19Son domicile est protégé, sa femme, enfin…
21:22– Sauf les crimes internationaux.
21:23– Sa conjointe, peut-être, voilà.
21:26Ses enfants, vraiment, voilà, tous les aspects de sa vie.
21:30Par contre, d'autres personnes à des niveaux hiérarchiques moins élevés,
21:34eux, ça ne va être que ce qui est fait dans le cadre professionnel,
21:37ou alors ça va être seulement au pénal et pas au civil.
21:40Donc par exemple, on pourrait attaquer un contrat de travail
21:42qui n'est pas respecté s'il n'y a pas d'immunité au civil.
21:46Donc voilà, après, comme ça a été dit par Gurvan tout à l'heure,
21:49la solution, ce serait que la France rentre dans des négociations
21:53avec le pays d'origine du diplomate
21:55et demande la levée de l'immunité diplomatique
21:57pour que la personne puisse être d'abord poursuivie,
22:00pour qu'on puisse, voilà, entendre sa version,
22:01voir ce qu'elle a à se dire et est-ce qu'elle se défend ou pas,
22:05et ensuite, éventuellement, la traduire en justice.
22:07– Et donc la France, pour l'instant,
22:08elle ne le fait que très peu dans des cas comme ça ?
22:11– Alors, nous, dans les dossiers qu'on suit au CCEM,
22:15on n'a jamais eu de traces de telles négociations,
22:17et justement, voilà, le hasard fait bien les choses,
22:20mais vendredi matin, on a reçu le dossier,
22:24parce qu'en fait, quand les dossiers sont classés sans suite,
22:26on demande, enfin la victime, la personne qui se présente victime,
22:29fait la demande pour recevoir son dossier,
22:31voire tous les actes d'enquête qui ont été menés
22:34depuis le dépôt de sa plainte.
22:36Et une personne qui accusait une diplomate
22:40de l'avoir exploité à Paris a reçu le dossier en question,
22:44et il était composé littéralement de la lettre
22:47où elle demandait à recevoir son dossier,
22:49de l'avis de classement sans suite,
22:51de la plainte qu'elle avait déposée
22:52et d'une attestation de domiciliation au CCEM.
22:55C'est-à-dire qu'absolument aucun acte n'a été fait,
22:58ni de vérification par le procureur,
23:00ni de vérifier le degré d'immunité,
23:03ou alors en tout cas, ce n'est pas dans le dossier,
23:04ce qui pose aussi question.
23:05Aucune démarche officielle du parquet
23:10ou d'autres services de l'administration
23:13ou de la police ne semble avoir été faite.
23:15Et ça, c'est une très belle illustration
23:18de la majorité de nos dossiers dans ces cas-là, en fait.
23:21– Mais comment tu l'expliques, toi ?
23:22Est-ce que c'est parce que la France,
23:26en tout cas les responsables politiques
23:27qui sont en charge de ce genre de dossier
23:29ne veulent pas s'en occuper, c'est insignifiant pour eux ?
23:32– Alors déjà, je pense qu'il faut revenir
23:34à la base de ce dont on parle,
23:35c'est-à-dire la traite des êtres humains
23:36des fins d'exploitation par travail,
23:38l'esclavage moderne.
23:39Donc en fait, déjà, il faut comprendre
23:40toutes les résistances psychologiques, culturelles,
23:46enfin économiques qu'on peut avoir face à ces termes,
23:49face à ce phénomène.
23:50C'est-à-dire qu'en France, aujourd'hui,
23:52on n'a pas de prise de conscience généralisée
23:55du mal que ce phénomène fait à la société,
23:57à tous les niveaux, c'est-à-dire d'abord, bien sûr,
23:59aux personnes qui en sont victimes,
24:00parce que c'est quand même des faits extrêmement graves,
24:02extrêmement lourds, mais aussi à la société,
24:05en termes de concurrence déloyale entre les entreprises,
24:08en termes de besoin de porter assistance aux victimes,
24:11enfin c'est très bête de réagir comme ça,
24:13mais c'est un coup aussi, en termes de fraude,
24:17parce que le point commun, quand même,
24:18entre tous les exploiteurs, que ce soit un petit commerçant
24:22qui exploite quelqu'un dans son bar PMU
24:25ou un diplomate qui exploite quelqu'un à son domicile,
24:28c'est que ce sont tous des fraudeurs.
24:29Personne ne paye de charges salariales,
24:32personne ne paye les cotisations,
24:33personne ne déclare rien du tout.
24:35Donc c'est quand même un vrai phénomène de société
24:39à une échelle systémique, il faut en avoir conscience.
24:42Donc déjà, rien que ça, en fait, à partir du moment
24:44où la justice et les politiques publiques en France
24:47n'en prendront pas conscience,
24:48on aura du mal à faire avancer les droits des victimes,
24:51à faire des enquêtes dignes de ce nom.
24:54Aussi, comme Gurvan l'a mentionné tout à l'heure,
24:56on a toujours un déséquilibre, en fait,
24:57entre la personne qui porte les accusations
25:00et la personne qui est l'objet des accusations,
25:03même quand ce n'est pas quelqu'un qui est un grand diplomate
25:06ou un haut fonctionnaire, un grand chef d'entreprise, etc.
25:09Donc souvent, les victimes ne parlent pas français
25:12ou alors même si elles sont françaises,
25:13il faut quand même savoir qu'il y a des victimes françaises.
25:16Elles sont, par exemple, en rupture sociale.
25:19Ça va être des SDF qui sont à la rue depuis longtemps.
25:22Donc elles ne jouissent pas d'un grand niveau de crédibilité.
25:26Donc déjà, toutes les victimes, elles sont logées à cette ancienne-là.
25:29Et donc si on parle des victimes exploitées par des diplomates
25:32où on rajoute le problème de limités diplomatiques,
25:35c'est sans surprise qu'il y a encore moins d'efforts
25:38qui sont faits par la justice, en fait.
25:40Mais c'est d'ailleurs pour ça que nous, en tant que journalistes,
25:42quand on traite ces sujets-là ou quand on les aborde,
25:46quand on regarde des reportages à la télé,
25:48on dit, souvent l'accroche que font les journalistes,
25:50c'est le début des articles.
25:52Et c'est, oui, l'esclavage moderne existe encore.
25:54Et c'est fou d'avoir à dire ça en 2024.
25:56C'est un constat qui est fou, en fait.
25:58Oui, en fait, ça fait 20, 30, 40 ans qu'on le sait.
26:01On peut peut-être aller au-delà de ça.
26:03Mais ça témoigne de ça, en fait, du fait que,
26:06effectivement, je rejoins Roxane là-dessus,
26:08il n'y a pas de débat sur qu'est-ce que ça crée dans nos sociétés.
26:12Et j'ajouterais même quelque chose.
26:15C'est une question plus politique.
26:17Mais peut-être que, en tout cas, dans le cas des travailleurs étrangers,
26:21peut-être que les lois actuelles qui tentent à précariser,
26:25à rendre les régularisations difficiles, etc.,
26:29tentent aussi à créer de la vulnérabilité
26:31qui encourage ces cas d'esclavage moderne, en fait.
26:33Et ça, c'est une question qu'on ne veut pas se poser
26:36parce qu'on ne regarde que la question totémique,
26:40je dirais, ce que représente l'immigration
26:42et non pas les conséquences de nos lois sur les personnes.
26:45Et c'est vraiment, nous, en tout cas, en tant que journalistes,
26:49il y a le discours politique
26:50et il y a la réalité du terrain.
26:51Et entre les deux, il y a un monde qui est énorme.
26:53Et c'est ce qu'on retrouve aujourd'hui.
26:54C'est-à-dire que dans l'une des enquêtes,
26:56dans les articles, on va sans doute en parler,
26:59il y a une femme de 31 ans qui doit 190 000 euros aux hôpitaux de Paris.
27:06Et elle le doit parce qu'en 2021,
27:09le gouvernement d'Emmanuel Macron,
27:11un des gouvernements d'Emmanuel Macron a fait voter une loi
27:13qui instaure un délai de carence de trois mois pour obtenir l'AME.
27:17L'AME, c'est l'aide médicale d'État
27:18qui permet à tout étranger de bénéficier de soins.
27:22Ils ont installé ce délai de carence.
27:25Elle était dans ce délai de carence,
27:26donc elle ne bénéficiait pas de l'AME.
27:27Et les autres dispositifs n'ont pas été mis en place.
27:30Résultat, elle doit 190 000 euros en plus d'avoir des blessures,
27:33en plus de ne pas pouvoir obtenir justice.
27:36Et donc, ça crée des cas d'extrême injustice pour ces personnes.
27:40En tout cas, c'est ce qu'elle ressente dans un pays
27:43où on se vante en permanence d'être un pays précurseur
27:47sur les droits de l'homme, quand même.
27:50Mais là, vu que vous nous parlez aussi des causes qui sont aussi politiques,
27:56j'ai envie d'avoir quand même ton avis aussi, Roxane,
27:58sur l'évolution politique récente dans notre pays,
28:02avec un changement de gouvernement, un nouveau Premier ministre,
28:06un nouveau ministre aussi, sans aller non plus si loin,
28:09mais en tout cas savoir l'impact que tu penses, toi,
28:12ça pourrait avoir sur des questions, par exemple, d'esclavage moderne.
28:17La direction politique qu'on prend en ce moment.
28:18Alors, je ne vais pas commenter toute l'actualité politique et le gouvernement.
28:25En tout cas, ce qui est sûr, c'est que là,
28:26ce qui a été annoncé en termes de réduction du budget,
28:30pour nous, c'est difficile de le voir comme une bonne nouvelle pour notre travail.
28:34Je n'ai pas encore rentré vraiment dans le détail de ce que fait le CCEM.
28:38Mais oui, en fait, comme le dit Gurvan, déjà d'une manière générale,
28:44si on ne lutte pas contre les vulnérabilités qui vont toucher
28:47les personnes les plus exposées au sein de la société,
28:50donc que ce soit les personnes en situation d'exil,
28:53que ce soit les personnes en situation de handicap,
28:55encore une fois, les personnes sans domicile fixe,
28:57les enfants qui sont en rupture familiale, qu'ils soient français ou pas.
29:03En fait, on les expose à plus de violence, plus de maladies,
29:07plus de difficultés d'une manière générale.
29:10Pour donner un exemple concret qui est vraiment très, très important
29:14quand on parle d'esclavage moderne, c'est celui de l'hébergement.
29:17Parce qu'en fait, la question de l'hébergement,
29:19elle est absolument centrale à tous les stades de la traite des êtres humains
29:22à des fins d'exploitation par le travail, c'est-à-dire que le fait d'héberger
29:24une victime, ça peut être un des actes constitutifs de la traite.
29:28Le fait de faire du chantage à l'hébergement en lui disant
29:30mais si tu arrêtes de travailler, si tu ne fais pas ce que je te dis,
29:33je te mets à la rue, ça va être constitutif d'un des moyens
29:36de la traite des êtres humains.
29:38Et le fait d'héberger une victime dans des conditions indignes,
29:40même si c'est dans un très bas appartement du 16e arrondissement à Paris,
29:44si en fait la personne dort par terre, on peut parler de conditions d'hébergement indignes,
29:48ça va être une des finalités de la traite des êtres humains
29:50à des fins d'exploitation par le travail.
29:53Donc en fait, c'est vraiment central pour nous,
29:57et tant que les victimes ne sont pas hébergées,
29:59tant qu'on leur propose pas une solution annexe,
30:01alternative d'hébergement, elles restent en exploitation.
30:04Et là, à l'heure où je parle, on a une personne
30:09qui est déjà signalée à notre association et qui est encore en exploitation,
30:13et elle ne pourra pas en sortir tant qu'on n'aura pas de solution pour elle,
30:17sachant qu'on a un appartement d'urgence pour les hommes,
30:19un pour les femmes, et que les deux actuellement sont pleins.
30:22Donc voilà, si on réduit les places d'hébergement au niveau national,
30:26si on ne finance pas l'hébergement d'urgence, le logement social,
30:30si on ne, un minimum, ne contrôle pas aussi les loyers du privé,
30:35les personnes sont à risque de fausses promesses,
30:38donc voilà, d'un hébergement contre un travail,
30:41d'hébergement contre service, etc.
30:43Et souvent, en tout cas dans 74% des cas qu'on a accompagnés en 2023,
30:48on a accompagné 304 personnes, et pour plus de 70% d'entre elles,
30:51la promesse d'hébergement était une des promesses initiales
30:54qui les a menées dans la situation d'exploitation.
30:57Donc voilà, ça c'est un exemple.
30:59Je ne vais pas rentrer dans toutes les politiques publiques,
31:01mais en fait, plus on précarise les gens,
31:04et plus ils risquent de tomber en exploitation,
31:06et moins on finance l'aide en général,
31:09plus les personnes restent en exploitation,
31:11ou alors sont à risque d'y retourner.
31:13Et pour compléter, c'est pour ça que c'est important
31:14d'entendre aussi les discours des associations,
31:16des personnes qui sont sur le terrain,
31:17parce qu'aujourd'hui on entend surtout un discours politique
31:21qui est en fait fait de grandes lignes,
31:22et parfois de lignes qui sont fausses.
31:24Quand on entend des choses comme ça,
31:25des retours terrain sur ce que ça crée concrètement,
31:27en fait, ça permet aussi de critiquer, de comprendre,
31:29et de dire, voilà, quand les personnes à l'hôpital,
31:32dans les universités, les enseignants ou les associations disent
31:35on manque de moyens parce que c'est ça, ça et ça les conséquences,
31:38c'est une réalité et il faut l'entendre.
31:40Et cette réalité-là, il faut l'entendre.
31:42Dire qu'effectivement, les bercements,
31:46déprécier, enfin, rendre moins accueillant le territoire
31:49a des conséquences directes,
31:51c'est des choses qui sont importantes à dire,
31:53parce qu'aujourd'hui on entend tout à fait l'inverse.
31:56Et c'est d'autant plus dommage parce qu'en France,
31:57aujourd'hui, on a un cadre, on a un arsenal juridique
32:00qui permet de bien combattre l'attrait des êtres humains.
32:03Enfin, donc, je l'ai un petit peu mentionné au début du stream,
32:06mais depuis 2013, on a une loi qui est conforme aux standards internationaux,
32:09on a une expertise, on a des associations très spécialisées comme la nôtre,
32:14mais on a aussi des services de l'inspection du travail,
32:16des services de la gendarmerie qui sont spécialisés,
32:18qui connaissent très bien l'infraction,
32:20qui ont l'habitude de travailler entre eux,
32:22et du coup, en fait, se dire que tout repose sur des moyens pécuniers,
32:26c'est quand même très dommage.
32:28Est-ce qu'il y a des situations de travail,
32:31et si oui, quelles sont ces situations,
32:33qui peuvent entraîner justement des situations d'exploitation ?
32:37Je sais pas, par exemple, moi, en tête, je me demande si
32:41des livreurs Uber, par exemple, ça peut faire partie de ces situations
32:45qui peuvent ensuite entraîner vers une exploitation des travailleurs, par exemple.
32:50Je peux répondre.
32:51Vas-y.
32:52Ça a été aussi dit par Gurvan au tout début du live,
32:55mais en fait, aucun secteur économique aujourd'hui en France
32:58n'est épargné par la traite.
33:00C'est-à-dire qu'on peut retrouver des cas de traite
33:02dans absolument tous les secteurs.
33:04Pour donner des exemples des secteurs peut-être les plus atypiques,
33:08on a un dossier dans le ramonnage des cheminées.
33:10On a eu un dossier dans une association
33:13de domiciliation des personnes précaires.
33:15Donc, voilà, des soi-disant bénévoles qui, en fait, étaient complètement exploités.
33:19On a eu un dossier qui, malheureusement, n'a pas donné lieu
33:22à une condamnation pour traite des êtres humains, voilà,
33:25mais au sein d'une congrégation religieuse où on faisait travailler
33:29des travailleuses missionnaires, on les appelait,
33:33dans des commerces qui appartenaient à la congrégation religieuse.
33:36Donc, en fait, tout peut être sujet à la traite.
33:41Maintenant, la question, enfin, comment nous on le fait ?
33:42Il ne faut pas forcément être hébergé par son employeur.
33:44Ça peut être dans d'autres situations.
33:45Alors, on peut peut-être après parler de la définition de la traite.
33:51Ce n'est pas forcément un prérequis, mais dans la très,
33:53très grande majorité des cas, c'est ce qu'on va observer.
33:55Mais du coup, après, nous, notre travail, en tout cas,
33:58en tant qu'association spécialisée, ça va être de regarder chaque cas,
34:01chaque affaire, chaque dossier au niveau individuel de la personne
34:04pour voir si, justement, on tombe dans la définition de la traite des êtres humains.
34:09Il ne faut pas non plus confondre l'exploitation au sens large.
34:13Et c'est pour ça que le terme d'esclavage moderne, il est intéressant
34:15parce qu'il peut s'appliquer à plein de situations à juste titre,
34:18d'un point de vue, encore une fois, philosophique, militant, etc.
34:23Mais la définition vraiment légale, juridique de la traite des êtres humains,
34:27elle est assez spécifique.
34:29Donc, il y a quand même...
34:30Après, des fois, il n'y a vraiment qu'un pas.
34:32Et ça va dépendre aussi de la motivation des parquets.
34:34Si eux ont envie de dire, si là, on est vraiment sur la traite
34:38parce qu'ils ont envie de faire avancer les choses,
34:41l'interprétation qu'on a de cette infraction, c'est super.
34:46Mais voilà. Mais vas-y, tu veux parler spécifiquement des Uber ?
34:48Sur les livreurs, en fait, c'est des cas d'extrême vulnérabilité, déjà.
34:52Tu as eu l'occasion de travailler avec eux.
34:53Ouais, je connais bien le sujet
34:55parce que j'ai beaucoup écrit et enquêté sur ce sujet.
34:59Et c'est un exemple où, en fait, souvent, les livreurs Uber
35:04vont soulouer des comptes à quelqu'un.
35:06Donc, il y a déjà une forme d'emprise sur leur travail
35:08puisqu'ils doivent de l'argent.
35:10Il n'y a pas de contrat de travail.
35:12Après, effectivement, il y a cette dimension de l'hébergement
35:15qui n'existe pas toujours, voire qui existe rarement
35:18puisque les personnes sont soit en foyer, soit c'est des travailleurs sans papier.
35:22Mais en tout cas, il y a effectivement une situation de travail
35:25qui est problématique bien souvent.
35:27Il y a un cas aussi très précis sur lequel je voulais revenir.
35:30C'est un cas dans l'épisode 2 avec l'histoire d'une travailleuse philippine
35:34qui raconte la captivité et le viol dont elle accuse son ex-employeur,
35:37le général Rali Damad Al-Khoury.
35:40Elle raconte aussi, dans cet épisode, du coup, sa fuite,
35:42qui l'a grévement blessée le 19 octobre 2021.
35:45Tu as pu obtenir, Gurvan, une vidéo, toi, de ce moment.
35:47Alors, on va montrer qu'un petit extrait,
35:50qu'un très court extrait de ce moment,
35:51puisque les images sont choquantes et peuvent heurter la sensibilité.
35:55Donc, je vais vous montrer juste quelques secondes
35:58et vous expliquer un petit peu ce qui s'y passe.
36:00Et comme ça, après, Gurvan, tu peux peut-être développer,
36:02expliquer l'histoire qui se cache aussi derrière cet accident.
36:06Donc là, on voit la travailleuse philippine en question au balcon du Kajibi,
36:09dans lequel elle dort, essayer de s'enfuir.
36:12Donc, elle noue un drap sur le balcon.
36:15Et je vais couper ici, puisqu'après, donc, elle cherche à descendre.
36:19Et en fait, elle va chuter de ce balcon en tombant, du coup,
36:23du drap par lequel elle se suspendait.
36:25Qu'est-ce qui se cache, du coup, derrière cette histoire, Gurvan,
36:28qui est donc l'objet de l'épisode 2 de ton enquête ?
36:29Ouais, donc, en fait, c'est une femme
36:34qui vient d'un... qui est issue d'un milieu aux Philippines assez pauvre,
36:40qui a eu un premier enfant à 15 ans.
36:42Et souvent, c'est des femmes, il faut le dire aussi,
36:45qui sont... enfin, qui, en tout cas, font des enfants avec des hommes
36:49et les hommes disparaissent.
36:50Et c'est souvent la raison qui motive...
36:52En tout cas, ils ne payent pas d'argent, etc.
36:54C'est la raison qui motive leur exil
36:58et le fait d'aller travailler à l'étranger.
37:00Donc là, c'était son cas.
37:01Et elle, elle travaillait pour un haut-gradé, un général qatari.
37:07Et cette personne avait deux domiciliations.
37:11La première, c'était au Qatar, dans un hôtel, dans une suite,
37:14où elle s'occupait des enfants, etc.
37:15Elle faisait un petit peu le ménage aussi, la cuisine,
37:18travaillait de 6h à 22h, tous les jours, sans jour de repos, sans pouvoir...
37:24Le passeport est confisqué aussi, c'est quelque chose qui est très important.
37:28Elles n'ont pas la possibilité de le récupérer, de sortir librement, de voyager.
37:32— Ça, c'est pour, du coup, pareil, essayer de les emprisonner ?
37:36— C'est... — Non, d'empêcher leur mouvement libre.
37:38— Ouais, c'est ça.
37:40Et elle, elle va, en fait, aller à Paris avec ses employeurs,
37:46en tout cas, de ce qu'elle nous dit, son récit,
37:48et puis de ce qu'elle dit dans la plainte.
37:50Et là-bas, elle est retenue captive, selon ce qu'elle décrit.
37:57Et effectivement, elle cherche à s'enfuir.
38:00Elle a trouvé par sa tante un contact avec deux personnes philippines
38:05issues de la communauté à Paris, qui, un soir, ils fixent une date ensemble.
38:08Et un soir, elle dit « je vais m'enfuir »,
38:12et eux, ils disent « on sera là, on t'attendra ».
38:14Sauf que dans son récit, ce qu'elle nous raconte,
38:17c'est que la porte est fermée à clé.
38:20Et donc, nous, c'est ce qu'on a vu des messages, de l'échange de messages.
38:23Elle dit « est-ce que je peux sortir par la fenêtre, j'ai très peur ».
38:28Et eux, ils disent « bah oui, fais ce que tu peux, etc. ».
38:31Et puis, elle attache effectivement ce drap,
38:33elle se suspend à ce drap au deuxième étage,
38:36et elle chute, et elle se blesse grièvement.
38:39Donc, elle a eu quatre opérations après ça.
38:41Elle a été en incapacité de travail très longtemps.
38:45D'ailleurs, aujourd'hui, même encore aujourd'hui,
38:46elle a du mal à travailler, à marcher.
38:48Et en fait, je trouve que ce cas, il est extrême,
38:51il est hyper symbolique du désespoir
38:56dans lequel ces situations peuvent placer des gens,
38:58qui, le seul espoir de fuite qu'elle a eu à ce moment-là,
39:02en tout cas, c'est la façon dont moi je l'ai ressenti,
39:04c'est de nouer un drap au balcon d'une fenêtre,
39:08et de se suspendre en disant qu'elle préférait ça
39:12à l'idée de rester un jour de plus dans cet appartement.
39:16Donc, il faut réaliser aussi l'étape psychologique
39:19dans laquelle elle devait être, etc.
39:23Et voilà, après cette fuite,
39:27s'est entamée, pour elle, une tentative de reconstruction, en tout cas.
39:33Alors, ce qu'elle nous raconte, à nous, quand on l'interroge,
39:37c'est qu'effectivement, la captivité qu'elle dit avoir vécue
39:43est encore plus marquée pour elle par le fait que son corps a changé, en fait.
39:48Sa vie n'est plus la même depuis qu'elle s'est échappée.
39:51Souvent, la raison est psychologique.
39:53Chez beaucoup de personnes qui ont été retenues comme ça,
39:57elle, c'est aussi physique.
39:58Donc, ça ajoute à cela les dettes qu'on a évoquées de 190 000 euros qu'elle doit,
40:04et l'incapacité...
40:06– Ah oui, c'était pour cette personne-là ?
40:07– C'était pour cette personne-là,
40:08et l'impossibilité aussi d'obtenir justice,
40:11ce qui crée quand même une forme,
40:14et je pense que c'est aussi pour ça
40:16qu'une des raisons pour lesquelles elle témoigne aussi,
40:18nous, en tout cas, ce qu'elle nous dit, c'est qu'on veut obtenir la justice.
40:21Et prendre la parole, c'est déjà obtenir,
40:24et que ce soit publié,
40:26c'est peut-être obtenir une première forme de réparation,
40:29ou en tout cas entrevoir quelque chose,
40:31dénoncer quelque chose qui est injuste,
40:34et pouvoir faire avancer les choses.
40:37En tout cas, c'est vrai que son cas, à elle,
40:40est très symbolique du reste de l'enquête.
40:43Je ne sais pas si, Roxane, tu veux jeter quelque chose ?
40:45– Non, pas forcément sur cette affaire.
40:50– Et c'est vrai que c'est une affaire qui marque,
40:56parce que quand même, on se dit,
40:59quelqu'un qui se suspend à un drap, qui s'échappe de captivité,
41:03bon, voilà, il devrait…
41:06on devrait en parler, on devrait, en l'occurrence,
41:09pour l'instant, c'est en cours d'instruction,
41:11mais on ne sait pas ce que ça va donner pour l'instant.
41:13– Oui, c'est ce que j'avais demandé, où on en était…
41:14– C'est en cours d'instruction,
41:16les personnes qui sont accusées ont été entendues,
41:18et voilà, on ne sait pas plus.
41:21– Donc c'est une enquête pour traite des êtres humains et séquestration.
41:24– Ouais, c'est ça.
41:27– Et dans le tchat, j'avais vu une question…
41:30Ah, simplement, oui, je viens d'arriver, est-ce que c'est en France ?
41:31Ou il s'agit bien d'un… – Oui, c'est ça qui est fou.
41:33– Quelque chose qui se déroule en France,
41:35on ne peut pas faire de pari.
41:36– D'ailleurs, c'est ce qu'on a choisi de mettre dans la une,
41:40esclavage moderne à deux pas de la tour Eiffel,
41:42c'est un peu schématisé, mais c'est ça, souvent,
41:45on a l'impression que c'est chez les autres, en fait,
41:48alors que vous vous baladez dans Paris ou vous vous baladez dans n'importe quelle ville,
41:51aujourd'hui, il y a des cas d'esclavage moderne, en fait.
41:54– Et quand on parle de traite des êtres humains,
41:57en fait, il y a plusieurs formes que peut prendre la traite,
42:00on parle souvent, par exemple, de la prostitution forcée,
42:05on va parler donc de traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle,
42:08il y a aussi la mandicité forcée, la contrainte à commettre des délits,
42:10et l'exploitation par le travail qui est notre sujet aujourd'hui et qui est celui du CCEM,
42:15et en fait, l'exploitation par le travail, c'est, à mon avis,
42:18en tout cas, la seule forme de traite qui nous concerne tous en tant que citoyens,
42:22parce qu'en fait, on est tous consommateurs de produits et de services,
42:25c'est-à-dire qu'un autre corps défendant,
42:28on a peut-être tous acheté quelque chose dans une épicerie
42:31où il y avait quelqu'un qui dormait dans le faux plafond,
42:33qui n'était pas payé, on a peut-être tous mangé dans un restaurant
42:35où, en fait, tout le monde est logé dans la cave,
42:38avec un repas par jour, etc.
42:40On a tous acheté des fruits, des légumes,
42:43parfois dans un circuit court, local, bio,
42:47en se disant « Ah, je fais le meilleur choix pour la planète, pour les humains, etc. »
42:50et en fait, non.
42:52On a bu du champagne et les vendanges, c'était des travailleurs isolatés.
42:56Après, le but, ce n'est pas forcément de culpabiliser pour les personnes qui nous regardent,
43:01mais c'est vraiment d'appuyer sur ce que dit Gurvan de, en fait,
43:04malheureusement, la traite en France, elle est à un niveau systémique.
43:08Il y a des chiffres qui en parlent.
43:11Après, on ne fait des statistiques que sur ce que l'on connaît.
43:15Donc, c'est toujours le haut de l'iceberg et on ne sait pas combien d'autres situations...
43:19– Oui, c'est ce que fait un commentateur dans le tchat qui dit,
43:21en parlant de la vidéo qu'on voyait, qu'il dit « ça, c'est incroyable ce qu'on voit »,
43:24mais combien ont aussi la fenêtre fermée à clés et ce qu'on ne peut pas voir.
43:26– Ce qui est étonnant aussi dans le traitement
43:28et dans la manière dont on a de traiter cette question en France,
43:30moi, je suis ce sujet depuis plusieurs années aujourd'hui pour le journal
43:34et j'ai suivi des procès de traite, j'ai suivi des affaires.
43:38En fait, c'est assez fascinant comme on ne parle que des cas les plus emblématiques
43:43et des cas qui font grand bruit avec...
43:46En fait, on a l'impression parfois que l'esclavage moderne,
43:48c'est forcément des gens enchaînés dans une cave et qu'on va forcer à travailler,
43:52alors qu'en fait, il y a des contraintes qui sont beaucoup plus subtiles que celles-là
43:55et qui poussent parfois à des choses dramatiques.
43:56C'est le cas pour cette femme qui s'est échappée par la fenêtre.
43:59Elle n'était pas enchaînée, mais il n'empêche qu'elle était contrainte
44:02et ça l'a poussé à vouloir s'enfuir de cette manière.
44:05Vous qui travaillez tous les deux depuis plusieurs années sur ce sujet,
44:07est-ce que vous avez l'impression qu'il y a quand même des choses très concrètes
44:09qui évoluent dans le bon sens ?
44:12Oui, comme je l'ai dit tout à l'heure, déjà, on a eu une réforme législative en 2013.
44:17Alors, c'était il y a quand même plus de dix ans, donc il y a un moment,
44:20il faudrait que d'autres choses...
44:21Enfin voilà, maintenant, on demande la mise en application effective de la loi.
44:27Mais il y a des choses, par exemple, en 2016,
44:29il y a eu une nouvelle disposition pour l'inspection du travail
44:32qui permet aux inspecteurs de relever eux-mêmes les cas de traite d'êtres humains.
44:36C'est-à-dire, en fait, eux-mêmes, ils vont enclencher des enquêtes sur la traite
44:40et ça arrive directement au bureau du procureur.
44:44Il n'y a pas besoin de passer, par exemple, par un service de police,
44:46il n'y a pas besoin de passer par une plainte du travailleur, etc.
44:49Et pourquoi c'est important ?
44:50Parce qu'en fait, les inspecteurs du travail sont déjà indépendants,
44:54donc ils ne vont pas normalement réfléchir à
44:58« Ah, mais cette personne, elle est où placée ? Non, mais ça ne peut pas se passer. »
45:01Eux, ils sont vraiment sur la plainte du travailleur,
45:05ses conditions de travail et d'hébergement.
45:07Ils sont spécialisés là-dessus, c'est-à-dire qu'ils apportent un regard aussi extrêmement précis,
45:12par exemple, sur le type de tâche qui est demandé,
45:15les conditions dans lesquelles elles sont réalisées,
45:17les mesures de sécurité, les risques auxquels sont exposés les travailleurs.
45:23Donc ça, c'est très, très intéressant pour les enquêtes.
45:25Et donc, depuis cette nouvelle loi, depuis ces nouvelles compétences,
45:29l'inspection a fait un très, très gros travail pour se former en interne.
45:33On est très contents parce qu'ils nous invitent tous les ans aussi
45:36à participer à ces formations pour apporter notre vision d'associatif
45:41et qui est peut-être un peu plus proche de la vision des personnes victimes.
45:45Mais voilà, donc ça, c'est un exemple de choses qui fonctionnent bien.
45:48Et aujourd'hui, on est, je pense, le seul pays européen, voire peut-être au monde,
45:52avec des inspecteurs du travail qui ont cette compétence et qui sont capables,
45:56juste sur la base de leurs observations, de leurs constats à eux,
45:58d'enclencher des enquêtes pourtraites.
46:00Donc c'est vraiment une bonne pratique française.
46:02La question, ça reste encore une fois celle de la généralisation de ça,
46:07de la formation peut-être aussi des magistrats,
46:09c'est-à-dire que quand ils voient ces affaires arriver chez eux
46:11via une procédure de l'inspection du travail,
46:14quel est le degré d'attention qu'ils y accordent ?
46:18Et après, celle des moyens, c'est-à-dire que, oui, il faut traduire en justice,
46:21il faut faire appliquer la loi, les peines,
46:24mais il faut aussi pouvoir accompagner dignement
46:27les personnes qui ont été victimes, en fait, et les aider à se reconstruire.
46:31– Il y a une question dans le chat, je ne sais pas si vous avez eu l'occasion
46:33avec le Comité contre l'esclavage moderne de travailler à ce sujet,
46:36mais qui demande si vous avez eu un retour d'expérience
46:38avec l'affaire des stades de la Coupe du Monde au Qatar.
46:40– Alors, je ne dirais pas un retour d'expérience,
46:42par contre, le Comité contre l'esclavage moderne a été associé à une plainte
46:47déposée par l'association Sherpa contre Vinci et sa filiale au Qatar
46:54pour se faire le relais des plaintes des travailleurs
46:59qui disent avoir été exploités là-bas.
47:00Donc, le dossier, il est en cours, donc on verra dans quelques années.
47:05Après, là, c'est un cas très particulier puisque les faits sont passés en dehors de France,
47:09donc on est vraiment sur la question de la responsabilité pénale
47:12des entreprises en dehors du territoire français, etc.
47:16Mais la question, elle pourrait se poser en France,
47:19enfin, sur le territoire, à d'autres échelles.
47:21Comme Curven l'a dit, il y a l'exemple emblématique du Champagne
47:25où on a obtenu une condamnation en 2022,
47:28condamnation définitive dans un cas de vendangeurs exploités à côté de Reims
47:33pour traitre des êtres humains.
47:34Mais par contre, les maisons donneuses d'ordre n'ont pas été inquiétées,
47:38alors qu'elles sont, elles aussi, commanditaires de ce travail.
47:43Et qu'en fait, quand tout le monde,
47:44quand on a 2, 3, 4 échelons de sous-traitance
47:47et que tout le monde réussit à faire une marge
47:49et à acheter le raisin à un bas prix,
47:52on peut quand même se poser la question de,
47:53mais est-ce que tout le monde n'était pas au courant qu'en fait,
47:55ce qui arrive dans les poches des travailleurs est absolument insignifiant, quoi ?
48:00Il y a aussi une autre question sur,
48:01est-ce que vous avez travaillé avec des communautés Emmaüs du nord de la France ?
48:04Alors, on a été au courant assez tôt de cette affaire.
48:09On a beaucoup, beaucoup échangé avec les personnes qui étaient mobilisées dessus,
48:14qu'on connaît très bien.
48:15Par contre, on n'a pas, nous, accompagné les travailleurs
48:18et on n'était pas constitués par civils dans cette affaire,
48:21qui a débouché, si je ne me trompe pas,
48:23sur une condamnation pour soumission de personnes vulnérables
48:26à des conditions de travail, peut-être d'hébergement aussi, indignes.
48:31Je ne suis pas exactement sûre, il faudrait vérifier.
48:32Mais en tout cas, c'est un cas intéressant,
48:36et qui quand même peut-être, on voit quand même sur ces dernières années,
48:39une accélération des affaires dites globalement d'esclavage moderne,
48:43dont certaines poursuivies jugées sur la traite des êtres humains
48:47à des fins d'exploitation par le travail.
48:48Donc, on peut quand même se dire que les choses vont dans le bon sens.
48:50Là, on a parlé, beaucoup de médias ont parlé cet été
48:54des conditions de travail des saisonniers, par exemple,
48:56dans le sud de la France, dans le sud-ouest, aux alentours de Bordeaux, etc.
49:01Donc, il y a peut-être une prise de conscience qui arrive progressivement.
49:05Nous, ce qu'on dit tout le temps,
49:06ce qu'on dit beaucoup au Comité contre l'esclavage moderne,
49:08par contre, c'est qu'il y a toujours un angle mort,
49:11qui est celui du travail domestique,
49:12parce qu'on ne voit pas le travail domestique,
49:14c'est au sein des domiciles privés.
49:16Les victimes, elles n'ont pas forcément conscience
49:19que ce qu'elles font, c'est un travail.
49:21Je veux dire, si vous êtes engagé pour travailler dans une épicerie,
49:23dans un restaurant, sur un chantier,
49:24vous savez pertinemment que vous êtes un travailleur,
49:26que vous devriez avoir un contrat, etc.
49:28Après, vous avez des vulnérabilités qui font que vous ne pouvez pas
49:30revendiquer ces droits.
49:32Peut-être que vous en connaissez pas toutes les tendues,
49:34mais en tout cas, vous avez conscience d'être un travailleur.
49:36Quand vous étiez à la rue, que vous sortiez, par exemple,
49:40d'un centre d'hébergement d'urgence qui ne peut plus vous garder,
49:43que vous sortiez de l'aide sociale à l'enfance qui ne peut plus vous garder
49:45parce que vous avez 18 ans, et que quelqu'un a un arrêt de bus
49:48ou via un groupe WhatsApp vous dit
49:49« Ah bah, viens vivre chez moi, t'inquiète pas, je vais t'héberger. »
49:54Et quand on arrive, on dit « Ah, au fait, par contre,
49:55est-ce que ça te dérange de garder mes enfants ? »
49:57Et qu'en fait, tous les jours, il y a une tâche qui se rajoute
49:58jusqu'au jour où, quand les personnes refusent de travailler,
50:00on la frappe, on la menace, etc.
50:03Ces femmes-là, c'est très souvent des femmes,
50:06n'ont pas conscience que ce qu'elles ont fait, c'est un travail
50:08et qu'elles pourraient, en fait, le faire reconnaître comme tel.
50:11Et en plus, la police, c'est normal aussi,
50:15mais ne pénètre pas normalement dans les domiciles privés.
50:18L'inspection du travail, il est encore assez réticente pour le moment.
50:21En tout cas, on a eu un cas récent où ça s'est passé,
50:24mais c'est très inédit.
50:25Et voilà, c'est pas encore dans les mœurs, on va dire, dans les pratiques.
50:30Donc voilà, il y a quand même cet angle mort du travail domestique.
50:34Et on appelle les parquets, les policiers,
50:38toute la chaîne d'assistance et de la justice à s'en saisir aussi,
50:41à se dire, en fait, c'est pas aussi parce qu'on a une victime isolée,
50:45on n'a pas une entreprise qui est concernée,
50:46on n'a pas un réseau, entre guillemets, de travailleurs exploités
50:49et de commanditaires, de complices, etc.,
50:52qu'on n'est pas face à un cas de traitre des êtres humains
50:54à la fin de l'expression par le travail.
50:56L'enquête de Gurbane au sujet des femmes esclaves de diplomates
50:58est toujours disponible sur le site de Libération.
51:02Le tchat, on va se faire une petite pause
51:03avant que je vous renvoie aussi vers les différents liens
51:06pour lire et suivre cette enquête.
51:08Merci à tous les deux d'avoir été avec nous ce midi pour venir en parler.
51:11Je n'ai pas du tout présenté l'association.
51:13Est-ce que je peux le faire en deux mots ?
51:14Je suis vraiment désolée.
51:16Donc, pour ceux qui ne savent pas,
51:17le Comité contre les âges modernes, le CCM,
51:19on est une association à but non lucratif qui existe depuis 1994.
51:23Donc voilà, quand Gurbane a dit ça fait 30, 40 ans
51:26qu'on parle de ça en France,
51:27il n'y a toujours pas de prise de conscience.
51:28C'est vrai, parce que nous, ça fait 30 ans qu'on en parle.
51:31Et on a quatre missions principales qui sont l'identification des victimes,
51:34leur accompagnement au niveau psychosocial et juridique,
51:37la sensibilisation du public et la formation des professionnels,
51:39et enfin, le fait d'alerter les pouvoirs publics via un travail de plaidoyer.
51:44Voilà, n'hésitez pas à nous suivre sur les réseaux sociaux,
51:47à nous soutenir, à parler de notre association autour de vous.
51:50C'est aussi comme ça qu'on pourra faire avancer les choses.
51:52Merci.
51:53Merci à tous les deux d'avoir été avec nous ce midi.
51:55Merci au tchat.

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