Chocs du monde avec Michel Geoffroy - Essor de nouvelles puissances : l’hégémon américain s’effondre à bas bruit

  • il y a 20 heures
Pour ce nouvel épisode de "Chocs du monde", le magazine des crises et de la prospective internationale de TVL, Edouard Chanot reçoit Michel Geoffroy.
Le déclin semble-t-il inéluctable de l’Occident, sa perte de vitesse face à l'essor de nouvelles puissances nous angoisse. Les Français et les Européens sont-ils condamnés à le subir ? Michel Geoffroy vient de publier "Occident go home", plaidoyer pour une Europe libre, aux éditions Via Romana. Un essai impertinent : pour lui, la décadence et l’effacement de l’Occident face au monde multipolaire sont une opportunité à saisir. Ancien haut fonctionnaire, Michel Geoffroy est contributeur de la fondation Polémia.

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00:00Bonjour à tous et bienvenue dans Choc du Monde, le magazine des crises et de la prospective
00:26internationale de TVL. Les guerres en Ukraine ou au Proche-Orient nous font craindre le
00:30pire, le déclin progressif mais semble-t-il inéluctable de l'Occident nous angoisse.
00:35Les Français sont-ils condamnés à le subir, à subir la marche du monde ? Pour répondre
00:40à cette question, je reçois un essayiste impertinent. Michel Joffroy, bonsoir.
00:44Bonsoir. Et merci de répondre présent à l'appel
00:47de Choc du Monde. Vous venez de publier un essai, donc, Occident
00:50go home, plaidoyer pour une Europe libre aux éditions Via Romana. Je dis impertinent
00:56car votre thèse est surprenante. Pour vous, la décadence et l'effacement de l'Occident
01:02face au monde multipolaire qui émerge sont une opportunité à saisir. Vous ai-je bien
01:07compris ? Oui, je reprends ce que disait le grand politologue
01:12Julien Freud, à savoir qu'avoir conscience d'une décadence, ça peut devenir une force
01:18positive dès lors qu'on essaie d'y remédier. Alors, le thème de mon essai, il est simple.
01:24L'Occident, d'abord, ce n'est plus l'Europe. L'Occident est en train de jouer contre notre
01:29civilisation. Mais nous vivons un paradoxe. Nous sommes dominés par une superpuissance
01:36qui est principalement la superpuissance américaine, mais elle-même est en déclin à l'échelle
01:41du monde parce qu'elle est concurrencée de plus en plus par les nations émergentes,
01:47par la civilisation. Et donc, je considère que c'est une opportunité pour nous de nous
01:51libérer de notre suzerain, en quelque sorte. Une opportunité, mais à condition bien sûr
01:57de la saisir et d'agir en ce sens, et de ne pas attendre tranquillement que les choses
02:02évoluent favorablement, spontanément. Elles n'évolueront pas favorablement, spontanément.
02:07Elles évolueront dans le sens que nous voudrons bien donner aux événements. Donc, c'est
02:12un appel à l'action. D'ailleurs, je termine ce petit essai par un appel à l'action, en
02:18disant qu'on ne va pas se sauver par l'intellectualisme. On ne se sauvera pas par des émissions. On
02:23se sauvera par d'une action.
02:25Nous allons revenir sur votre plaidoyer pour l'action. Vous évoquez le monde polycentrique
02:30dans votre essai. Il y a évidemment un dirigeant qui évoque sans cesse ce monde avec un autre
02:35terme, multipolaire. Et il a sans doute été l'un des premiers à le faire et à plaider
02:40en sa faveur. C'est bien sûr Vladimir Poutine qui est aujourd'hui décrié.
02:43Alors, je vous propose, Michel Joffroy, de comprendre rapidement ce qu'il a récemment
02:48dit à ce propos, à propos du monde multipolaire qui, selon lui, est en train d'émerger.
02:52Pour Vladimir Poutine, le monde multipolaire est devenu une réalité. Le cercle des États
02:59prenant un ordre mondial juste est prêt à défendre résolument leurs droits légitimes
03:03et à protéger les valeurs traditionnelles s'élargit. De nouveaux centres de pouvoir
03:08et de développement économique se renforcent, a-t-il affirmé le 4 juillet à Astana.
03:14Devant Xi Jinping, le dirigeant russe a dénoncé l'hégémonie des États-Unis et appelé
03:20à résister aux ingérences extérieures. Fin septembre, à l'Assemblée générale
03:25de l'ONU, le ministre chinois Wang Yi a salué l'émergence du Sud global. Réaliser
03:31la modernité est un droit inaliénable de tous et non un privilège de certains, a-t-il
03:37déclaré, ajoutant qu'aucune civilisation n'était supérieure aux autres. L'aspiration
03:44des pays du Sud à la modernité n'a jamais été aussi forte, a-t-il estimé.
03:48Le chef de la diplomatie russe, Sergeï Lavrov, a fustigé l'incapacité occidentale à
03:54« renoncer à des pratiques néocoloniales et à siphonner les richesses naturelles et
03:59culturelles des pays du Sud ». Lavrov a également accusé les Occidentaux de maintenir leur
04:05hégémonie en déclenchant ou finançant des conflits dans le monde. La diplomatie
04:10russe veut réanimer l'ONU et revendique le principe de l'égalité souveraine de
04:16tous les États membres.
04:17Alors Michel Geoffroy, vous citez régulièrement Vladimir Poutine dans votre essai. Est-ce
04:25celui qui a le mieux compris cette nouvelle marche du monde, selon vous ?
04:29En tout cas, mieux que les dirigeants occidentaux, qui eux n'ont rien compris. Et je pense
04:35qu'il n'y a pas que le président russe. D'ailleurs, on vient de le voir. En réalité,
04:40la plupart des pays... On aurait pu rajouter des interviews d'Africains qui auraient dit
04:44exactement la même chose. Les Africains qui disent qu'on ne veut plus être obligé de
04:48prendre parti pour les Occidentaux. D'ailleurs, dans le conflit ukrainien, l'Ukraine est
04:53loin... Les pays africains sont loin d'avoir soutenu l'Ukraine d'une manière comme nous
05:01le faisons, nous. Donc je crois qu'il y a une prise de conscience. Je dirais que c'est
05:08un écho à ce que disait en 1990 Samuel Huntington dans son fameux livre Le choc des civilisations.
05:15Il a une très belle formule. Il dit que le monde se modernise sans s'occidentaliser.
05:20Et là, nous voyons quoi ? Nous voyons la Chine qui est en train de devenir la première
05:26puissance mondiale, la Russie qui est la quatrième puissance économique en parité de pouvoir
05:31d'achat, l'Inde qui est aussi une nation puissante, émergente. Ce ne sont pas donc
05:36des petits pays. Ce sont des blocs puissants. Et donc ça veut dire qu'aujourd'hui, toutes
05:41ces nations, parce que ce sont aussi des nations, même si elles ont parfois des formes fédérales,
05:48toutes ces nations ont acquis la capacité de résister à l'Occident. C'est ça, le
05:53phénomène nouveau du XXIe siècle. Les Indiens, dans leur histoire, ont résisté.
05:59C'est un point très important que vous soulignez dans votre essai. C'est qu'en réalité,
06:02c'est un retour, on a envie de dire un retour de l'histoire. Vous dites, je vous cite,
06:06la multipolarité, la répartition de la puissance entre les civilisations constituent en réalité
06:10la norme historique.
06:11Oui. Si vous regardez à l'échelle du monde, la domination européenne sur le monde, elle
06:17se limite à 200 ans, grosso modo. La domination américaine sur le monde, et c'est encore
06:23plus court, c'est 1991-2001, jusqu'au 11 septembre, où les Américains pensent qu'ils
06:29sont en mesure de... Ils pensent qu'ils ont gagné toutes les guerres et qu'ils sont enfin
06:32en mesure d'imposer leur système. Ça ne va pas durer longtemps.
06:35Bon. Donc c'est ça qui est tout à fait nouveau. Nous vivons un monde où nous ne sommes plus
06:42les seuls à être puissants. Nous ne sommes plus les seuls à avoir l'arme nucléaire.
06:46Et non seulement on n'est plus les seuls, mais on est même en train de perdre notre
06:53puissance par rapport à ces nations émergentes qui, elles, sont dans une phase ascendante.
06:57Et je dirais aujourd'hui, au plan économique, l'Occident, comme on dit, même les États-Unis,
07:05qui comprend donc les États-Unis, même l'Occident américain est en train de décliner au plan
07:10économique. C'est une zone de faible croissance. C'est une zone de paupérisation. C'est une
07:15zone où l'espérance de vie diminue, etc. Donc nous sommes en train de vivre un changement
07:23de paradigme. C'est la fin de la domination occidentale sur le monde, c'est-à-dire en
07:27clair la fin de la domination de la surpuissance américaine, puisque nous, nous ne sommes
07:33pas... Nous sommes des vassaux. Alors nous regardons notre suzerain et on commence à
07:38s'inquiéter de voir que notre suzerain paraît moins en moins en mesure de nous protéger.
07:44Mais c'est pour ça que moi, je considère que c'est une opportunité pour nous, parce
07:47que tout ce qui affaiblit notre suzerain nous redonne des marges de manœuvres politiques
07:52et historiques.
07:53Oui. Enfin, ce que vous dites, c'est qu'il nous faut redécouvrir les vertus de l'obstacle,
07:57je vous cite encore. Mais nous allons revenir encore une fois là-dessus. Pour vous, ce
08:01ne sont pas tant les États ou nations émergents qui sont agressifs, c'est, encore une fois,
08:04l'hégémon nord-américain qui s'effondre, je vous cite, à bas bruit et nous emporte
08:08dans sa chute. Mais allons-nous être entraînés dans sa chute ?
08:11Alors, ça, c'est la bonne question. C'est la question qu'il faut poser à nos dirigeants
08:15qui, jusqu'à présent, n'ont rien trouvé de mieux que de se raccrocher aux titaniques
08:20nord-américains, donc d'en rajouter, d'en faire toujours plus. Et c'est d'autant plus
08:26dangereux que nous sommes dans un monde où la guerre par procuration a tendance à se
08:32développer. C'est-à-dire que nous ne sommes pas, contrairement à ce qu'on entend parfois,
08:37dans un monde où il va y avoir un choc direct entre des puissances nucléaires. La Russie
08:44va attaquer l'Amérique, l'Amérique va attaquer la Chine.
08:47On a quand même, quelquefois, l'impression de s'en approcher.
08:49Oui, mais je pense que ce n'est pas vrai. La vérité, c'est qu'on utilise les guerres,
08:55on utilise des tiers pour faire la guerre, pour votre compte. Nous sommes exactement
08:59dans la même situation que pendant la guerre froide où il n'y avait pas d'affrontement
09:02direct entre l'Union soviétique et les États-Unis. Mais par contre, il y avait partout des fronts
09:07divers, notamment en Afrique et en Asie, où il y avait des guerres par procuration,
09:13par proxy, comme on dit aujourd'hui, pour reprendre une expression anglo-saxonne.
09:17C'est ça qui est en train d'être... Regardez, l'Ukraine, il est manifeste que l'Ukraine
09:22est utilisée par procuration dans un affrontement entre la stratégie américaine de Brzezinski
09:29et la Russie, la volonté de détruire la puissance russe, etc.
09:36Donc c'est ça qui est dangereux aujourd'hui. Regardez ce qui se passe en Merouge avec les outils,
09:41qui sont à l'évidence une force par proxy également. Donc nous sommes dans ce monde-là.
09:49Alors moi, je pense que c'est un monde risqué. Mais effectivement, c'est le monde qu'ont connu nos ancêtres.
09:55Je rappelle que tous nos ancêtres, les Turcs, menaçaient Vienne au XVIIe siècle.
10:00Nous étions dans un monde de confrontation. Et si j'osais, je dirais le monde multipolaire,
10:07le monde polycentrique, quelle que soit l'expression qu'on utilise, c'est jamais que l'application
10:13à la diplomatie d'un principe fondamental de Montesquieu, il faut que le pouvoir arrête le pouvoir.
10:19La caractéristique, et c'est ce qui ne plaît pas aux anglo-saxons, c'est que dans le monde multipolaire,
10:26aucune puissance aujourd'hui n'est en mesure de dicter sa loi au monde.
10:30Pas plus la Chine que la Russie que l'Inde ou que l'Iran ou que les États-Unis. C'est ça qui est nouveau.
10:37Et cet équilibre des puissances n'est pas, contrairement à ce qu'on nous présente régulièrement,
10:43parce que nous vivons dans un monde de propagande, n'est pas un risque. C'est au contraire une opportunité.
10:48Le fait que les puissances puissent s'équilibrer, ça nous laisse des marges de manœuvre diplomatique.
10:53On peut jouer les uns contre les autres. C'est là où je considère que la thèse de Samuel Huttington,
11:00on le lit trop vite, nous ne sommes pas enfermés dans un bloc civilisationnel.
11:05On peut jouer... Les civilisations ne sont pas aussi homogènes qu'on peut le penser.
11:10— Il ne sert à rien de nous y opposer. Il faut s'y adapter. — Oui. C'est pas possible. C'est pas possible.
11:14C'est ce que Poutine a dit quand il a été interviewé par Tucker Carlson, où il a dit que la multipolarité, c'est un fait.
11:23C'est pas une idéologie. Le mondialisme, c'est une idéologie. L'idée que tout le monde va être unifié sous une direction,
11:32bien sûr, nord-américaine, ça, c'est une idéologie. Mais le polycentrique, c'est une réalité. Ce n'est jamais que l'image
11:40de la diversité du monde, de la diversité des valeurs et de la diversité des civilisations. Et c'est ça que ne comprennent pas
11:48les anglo-saxons et donc aujourd'hui fondamentalement les Américains, qui pensent au contraire qu'il y a des valeurs
11:56qui peuvent s'appliquer à tout le monde, qui sont valables, quelles que soient les civilisations, les histoires et les peuples,
12:02ce qui est une erreur fondamentale. — Alors je vais être un peu subjectif et vous dire ce que j'ai apprécié dans votre essai.
12:08Vous êtes profondément identitaire, d'après ce que je comprends, Michel Geoffroy. Mais vous êtes ouvert sur le monde.
12:12Vous plaidez pour – je vous cite encore – « le respect de la vérité de chaque civilisation ».
12:16— Oui, ça, c'est un point important. — Et comment expliquez-vous ce paradoxe ? Comment vivez-vous ce paradoxe ?
12:20— Mais un patriote, il aime tous les patriotes. Je veux dire la préférence n'est pas une exclusion. Là aussi, nous avons hérité...
12:30Je suis désolé de le dire. Nous avons hérité du suprémacisme anglo-saxon, qui considère que tous les autres sont des nuls.
12:37Il n'y a que nous qui avons raison parce que nous sommes anglo-saxons, parce que nous sommes la nation exemplaire,
12:42parce que nous avons hérité du Nouveau Monde, etc., etc. Cette vision des choses, elle est condamnée aujourd'hui.
12:51Elle est doublement condamnée. D'abord, elle est condamnable moralement. On le voit tous les jours. C'est pour ça que je dis l'Occident,
12:58c'est la zone des valeurs en caoutchouc. Les Occidentaux, on sait bien que pour les Occidentaux, il y a les bons et les mauvais génocides,
13:05les bons et les mauvais dictateurs, les bonnes et les mauvaises pertes civiles, etc., etc. Donc déjà, c'est moralement condamnable
13:14de prétendre que l'on est supérieur aux autres. C'est du suprémacisme. C'est jamais qu'une forme atténuée de racisme.
13:21Et c'est perçu comme ça par les autres civilisations. Les autres conçoivent très bien que nos prétendues valeurs qu'on veut leur imposer,
13:29c'est jamais – on l'a vu tout à l'heure dans la petite séquence – c'est jamais qu'une forme de néocolonialisme. C'est du néocolonialisme des valeurs,
13:37mais c'est jamais que du néocolonialisme. On veut imposer des valeurs. Je pense que c'est une erreur fondamentale. Certes, il y a des points communs
13:45entre les civilisations. Toute civilisation a par exemple une conception de la dignité. Mais cette conception, elle s'incarne différemment
13:55selon les civilisations. C'est pour ça que le statut de la femme n'est pas le même en pays musulman qu'en Europe ou qu'en Russie.
14:03Bon. Donc je veux dire il faut reconnaître ça. Et si on ne le reconnaît pas, alors que nous sommes dans un monde où les autres civilisations
14:10ont désormais les moyens de nous résister, et de plus en plus. Et on le voit de plus en plus.
14:14— Même des nations modestes... Enfin soi-disant modestes comme celle du Sahel, qui, visiblement, ont mis les Français ou Emmanuel Macron à la porte.
14:21— Je veux dire, nous sommes dans ce monde-là... Encore une fois, le monde s'est modernisé sans s'occidentaliser. Nous avons perdu le monopole
14:29de la puissance et de la force. Nous ne sommes plus capables de dissuader les autres. Pendant très longtemps, on n'osait pas.
14:35Maintenant, on est capables – je veux dire – de regarder ce qui s'est passé il y a un an en Israël. La puissance de l'armée israélienne
14:45a été mise en cause par des terroristes particulièrement motivés et particulièrement bien équipés. Bon. Donc je veux dire
14:52nous sommes dans ce monde-là. Et donc c'est pour ça que je crois qu'il faut faire le contraire de l'universalisme.
14:59Il faut pas prétendre imposer nos valeurs, parce que les prétendues valeurs que l'on veut imposer aux autres sont très largement
15:08des valeurs mensongères, en réalité. Il faut être capable de reconnaître la valeur des autres valeurs, si je puis me permettre.
15:15Il faut être capable de reconnaître que les autres ne sont pas comme nous et qu'on doit les respecter. Et c'est pour ça que je reviens
15:22à ce que vous disiez sur l'identité. Ça veut dire qu'il faut tout simplement retrouver des principes sains, qui sont les principes
15:28du traité de Westphalie, que l'Europe avait inventé pour mettre fin aux guerres de religion, c'est-à-dire de dire qu'est-ce que c'est ?
15:35Il faut respecter la souveraineté des États. Il faut pas s'ingérer dans les affaires des États. Il faut respecter les chefs d'États étrangers.
15:41Il faut pas les mettre en prison ou les tuer, etc. Toute une série de principes qui, aujourd'hui, peuvent devenir universels.
15:50Pas universalistes, mais universels. D'autres peuples se reconnaissent. D'ailleurs, dans le protocole de Shanghai,
15:57les principes de respect de la souveraineté des États, de l'égalité des États... Il n'y a pas des États qui sont plus États que les autres.
16:05Bon. Donc c'est ça qu'il faut retrouver. Je crois que c'est très important. C'est pour ça que, quand je dis « Occident-Gaume », je dis
16:121. Il faut se libérer de cette idéologie occidentale qui est complètement folle et qui est en train de tuer toutes les civilisations.
16:18En tout cas, la nôtre est d'une. Deuxièmement, il faut se libérer de cette sujetion, de cette vassalité dans lesquelles nous sommes aujourd'hui.
16:27Et puis troisièmement, il faut se libérer de cette espèce de suprémacisme débile qui nous a fait croire que nous étions supérieurs aux autres,
16:34alors qu'en réalité, c'est pas vrai. Et on le voit de moins en moins aujourd'hui.
16:37— Mais que répondez-vous à ceux qui vous disent tout simplement « Mais l'Occident, c'est nous ».
16:41— Alors ça a été nous. Ça a été nous. Ça a été nous jusqu'au début du XXe siècle, grosso modo. Mais aujourd'hui, l'Occident,
16:51c'est devenu tout à fait autre chose. Nous, nous sommes encore une civilisation. Il y a encore une civilisation européenne.
16:57L'Occident, ce n'est plus une civilisation. C'est un rapport de domination entre un dirigeant, qui sont les États-Unis d'Amérique,
17:06et des vassaux, qui sont les vassaux européens et les quelques vassaux anglo-saxons un peu partout. Et l'Occident, aujourd'hui,
17:15c'est un espace de décivilisation. Nous ne sommes plus dans une civilisation occidentale, puisque l'occidentalisation du monde,
17:24c'est en fait la décivilisation du monde, parce que les valeurs qu'on nous impose de plus en plus sont des valeurs de décivilisation.
17:32— Vous dites que toutes les valeurs folles nous viennent de là. Et par là, vous dites des États-Unis. Visiblement, vous avez une dent aussi
17:38contre le puritanisme anglo-saxon. — Oui. — Et vous fustigez les nouveaux flagellants. — Oui. Alors il y a plusieurs choses.
17:45Oui, parce que je pense que comme souvent dans les clivages politiques, il y a derrière des clivages religieux. Il faut pas perdre de vue
17:54que le puritanisme... Que l'américanisme, qu'est-ce que c'est ? C'est une fusion de deux courants. Le puritanisme, qui est donc
18:03un courant sectaire du protestantisme, qui emprunte un certain nombre de principes qui sont issus de l'Ancien Testament,
18:14la notion d'élection, qui est très importante dans la mentalité protestante, l'idée que Dieu vous a promis la direction du monde,
18:26la méconnaissance du pardon, qui est un aspect important du puritanisme. Donc c'est ça, cette idéologie qui est à la racine du suprémacisme.
18:39Puisque je suis la nation élue, c'est Mme Albright, rappelez-vous, qui n'hésite pas à dire... Ah oui, il y a eu des enfants irakiens qui sont morts.
18:49Mais ça en valait la peine. — 500 000. Oui, oui, oui. — Ça en valait la peine. Voilà. Voilà cette vision des choses,
18:54puisqu'on m'a promis l'empire du monde. Tous les autres n'ont pas de valeur. Moi, ce qui compte, c'est moi. C'est ce que je vais faire.
19:02Moi, j'incarne le bien. Donc c'est ça qui est dangereux. À mon avis, c'est une vision très dangereuse, parce que – comme disait notre sagesse de civilisation –
19:15qui veut faire l'ange fait la bête et qui, inéluctablement, on finit par traiter les autres comme du matériel.
19:24On ne respecte pas les autres. On considère que nous, on a tout à fait raison. Donc c'est ça qui me paraît très dangereux.
19:30Alors oui, j'ai repris l'expression « les vertus devenues folles », qui est l'expression traditionnelle de Chesterton pour désigner le monde moderne.
19:41Oui, ce sont des vertus devenues folles. C'est la folie. Rappelez-vous, au XVIIIe siècle, on nous explique que les droits de l'homme
19:48sont des droits naturels, soi-disant liés à notre nature humaine. Bon. Aujourd'hui, on nous explique que les droits de l'homme,
19:55c'est les droits de refuser la nature, de refuser notre propre nature. Ah oui. On est d'autant plus l'homme et libre qu'on rejette la nature.
20:03Vision étrange. – Devenir homme, devenir femme. – Bah oui, on peut faire tout ce qu'on veut. Puis on peut changer.
20:08Puis il n'y a pas de problème. Non, mais pourquoi pas ? Alors on vous dit à la fois « Il faut un homme déconstruit » ou « un homme augmenté ».
20:15Enfin, il faudrait se mettre d'accord. Mais enfin bon, peu importe. Donc tout ça, cet esprit, est très dangereux.
20:20Et aujourd'hui, d'une certaine façon, l'américanisme a repris toutes les tares du progressisme, mais il les a multipliées à l'aune de la puissance nord-américaine.
20:30Alors on va me dire « Oui, mais comment dirais-je ? La déconstruction, c'est une invention française. C'est la French theory ».
20:37Oui, sauf qu'elle nous revient avec toute la puissance américaine, toute la puissance médiatique américaine. Donc c'est un phénomène très...
20:45C'est pour ça qu'aujourd'hui... Et c'est comme ça, en tout cas, que les autres civilisations nous perçoivent. Ils perçoivent l'Occident, les Occidentaux,
20:55comme le pays des fous, le pays des menteurs, le pays du mensonge, des gens qui ne disent pas la vérité, qui vivent dans le mensonge permanent.
21:05Je pense que c'est pas faux, d'ailleurs, parce que c'est comme ça que les autres nous voient, à tort ou à raison. Mais c'est comme ça. Donc il faut en tenir compte.
21:12— Alors comme vous le disiez, votre essai est un appel à l'action. Mais vous soulignez le fait que la fenêtre d'opportunité semble de plus en plus courte.
21:21Vous évoquez par exemple notamment un compte à rebours démographique. — Oui, oui, tout à fait. C'est-à-dire qu'on a une opportunité historique.
21:28Disons que nous sommes dans une situation difficile, parce que toutes les périodes de transition historique sont des périodes risquées.
21:37Effectivement, vous l'évoquiez, il peut y avoir des risques de guerre. On le voit bien, d'ailleurs. La puissance déclinante a tendance aujourd'hui,
21:43manifestement, à essayer de miser sur la guerre pour essayer de reprendre un peu une part de sa puissance qu'elle a perdue, ce qui n'est pas fortuit,
21:54puisque l'histoire des États-Unis est une histoire guerrière. On a recensé au moins 400 conflits depuis l'existence des États-Unis.
22:02La guerre leur a permis notamment de se développer, en particulier les guerres européennes. Bon, je ferme la parenthèse.
22:09Donc nous vivons effectivement une période dangereuse. Nous sommes d'autant plus dans une situation difficile que nous sommes à la fois
22:16dépassés progressivement par des émergents et que nous-mêmes, nous sommes plutôt décadents. Nous perdons un certain nombre d'éléments.
22:24Prenons un simple exemple. Alors il y a la démographie. La démographie, le monde est beaucoup plus prolifique que nous.
22:32Même s'il n'y a jamais eu autant de monde en Europe aujourd'hui par rapport au XVIIe, au XVIe siècle, il n'empêche que nous sommes toujours
22:40dépassés par les autres, et en particulier par l'Afrique. Et pour l'instant, la transition démographique n'est pas encore à l'ordre du jour.
22:48Donc il y a ça. Mais nous sommes dépassés dans un tas d'autres domaines, en particulier les savoirs, parce que les systèmes d'enseignement
22:54sont en train de s'effondrer en Occident, y compris aux États-Unis. Je peux pas mais regarder les problèmes permanents maintenant de Boeing,
23:04qui traduisent aussi une moindre maîtrise technique sur un certain nombre de sujets pointus, ou les difficultés d'astronautes américains, etc.
23:14Nous vivons dans ce monde-là. Donc c'est dangereux. Mais comme je le dis, c'est dans le danger que croire aussi l'opportunité.
23:21Il faut se prendre par la main. Il faut agir. Alors effectivement, nous n'avons pas une fenêtre très large, parce que nous sommes confrontés
23:29à la fois à un effondrement de la population, enfin une très faible natalité, et d'autre part, nous sommes confrontés à une immigration
23:38qui ne s'arrête pas et qui apporte en plus un modèle de société différent, beaucoup plus traditionnel qu'il y a à l'islam, etc.
23:47Et ça va avoir des effets politiques. Nous commençons à le voir en France, déjà. Regardez la dynamique de la France insoumise,
23:55qui a manifestement choisi une stratégie de vote ethnique. Bon. Donc je veux dire que ça peut avoir des effets politiques qui sont loin d'être négligeables.
24:03Donc nous avons une fenêtre d'opportunité qui n'est pas énorme. Moi, je considère que c'est une génération. C'est 25, 30 ans.
24:12Bon. Alors d'autres auteurs ont évoqué des périodes un peu plus longues. Faut pas être complètement pessimiste. L'histoire est ouverte aussi.
24:19Il peut se passer plein de choses. Mais c'est pour ça que je dis qu'il faut qu'on se prenne par la main. Nous ne pouvons pas être indéfiniment
24:26spectateurs de notre propre déclin. — Alors ce que vous dites, c'est que les majorités ne font pas l'histoire.
24:31Vous appelez à l'action. Mais ce ne sont pas les majorités qui apporteront la réponse. Seulement des minorités résolues et des hommes d'exception.
24:38— Oui. L'histoire montre que les hommes d'exception, ils arrivent toujours dans les situations catastrophiques. Sans guerre de 100 ans, il n'y a pas Jeanne d'Arc.
24:50Alors c'est pas un homme. C'est une femme. Mais bon. Sans fronde, il n'y a pas Louis XIV. Sans révolution, il n'y a pas Napoléon.
24:58Sans défaite de 40, il n'y a pas De Gaulle. On pourrait continuer la liste comme ça. Les changements de paradigme violents, malheureusement violents,
25:07souvent liés d'ailleurs à des défaites militaires, peuvent avoir un effet d'entraînement. D'autre part, je pense que les élites existent déjà,
25:16les nouvelles élites. Mais elles sont invisibilisées. Je pense aux militants, aux jeunes militants des mouvements identitaires.
25:24Je pense aux journalistes qui passent au travers de Politiquement correct. Je pense aux entrepreneurs qui produisent quelque chose.
25:30Je pense aux jeunes coupes qui décident de fonder des familles. Je pense aux jeunes qui redécouvrent la religion, etc.
25:36Il y a un peu partout dans le monde, et en Europe en tout cas, et en France, il y a déjà des gens qui ont conscience et qui sont prêts à agir.
25:45Je pense que ce qui leur manque, c'est un projet, c'est une vision globale des choses et un grand moment où ils pourront agir.
25:56C'est ce que disait De Gaulle. Les grands hommes, c'est les gens qui apparaissent dans les circonstances. S'il n'y a pas de circonstances,
26:02il n'y a pas de grands hommes. Ça explique que nous ayons vécu une période plate, très faible historiquement, qui a produit les élites qu'on a aujourd'hui,
26:12c'est-à-dire des élites nulles, qui n'ont jamais rien risqué et qui n'ont peur de tout.
26:17Des élites nulles, mais les circonstances peuvent apporter, eux, des grands hommes. Ce sera le mot de la fin.
26:23Michel Geoffroy, merci infiniment. Je rappelle que vous êtes l'auteur de l'essai Occident Go Home,
26:27plaidoyer pour une Europe libre, publié aux éditions Via Romana. Surtout, merci à tous d'avoir suivi ce nouvel épisode de Chocs du monde,
26:34le magazine des crises de la prospective internationale de TVL. Surtout aussi, n'oubliez pas de commenter et de partager cette émission. Merci.
26:42Sous-titrage Société Radio-Canada

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