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Vendredi 18 octobre 2024, SMART IMPACT reçoit Jacques Sainte-Marie (Directeur du programme environnement et numérique, Inria) et Jean-Daniel Kant (Responsable du projet, TerraNeon)

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00:00Générique
00:06L'intelligence artificielle au service de la protection de l'environnement, voilà le thème de notre débat.
00:11Je vous présente tout de suite mes invités. Jean-Daniel Kant, bonjour.
00:14Bonjour.
00:15Bienvenue. Vous êtes responsable du projet Terraneon. Jacques Saint-Marie, bonjour.
00:19Et bienvenue à vous aussi, directeur du programme Environnement et Numérique
00:22à l'INRIA, Institut National de Recherche en Sciences et Technologie du Numérique.
00:27Jean-Daniel Kant, je commence avec vous. Vous êtes enseignant, chercheur en intelligence artificielle
00:31et sciences cognitives à Sorbonne Université et responsable de ce projet Terraneon.
00:36De quoi s'agit-il ?
00:37Écoutez, c'est un projet qui vise à essayer d'évaluer l'impact des activités humaines sur le climat
00:44et la biodiversité, bien sûr, pour essayer de les réduire.
00:47Donc, c'est un outil d'aide à la décision qui est fondé sur une nouvelle forme d'intelligence artificielle
00:53assez récente qui s'appelle la simulation multiagent.
00:56Alors, en gros, qu'est-ce que c'est ?
00:57C'est des agents logiciels qui peuvent représenter des individus, des entreprises, des institutions
01:02et qu'on va mettre en interaction pour essayer de créer un monde virtuel,
01:05une économie ou une société virtuelle qui va être à l'échelle de la société réelle.
01:10Donc, actuellement, on a des modèles à l'échelle de la France.
01:12Et ensuite, dans ce monde virtuel, vous allez pouvoir tester des politiques, des stratégies, des décisions
01:19et regarder l'impact, un impact, je dirais, systémique.
01:23Alors, justement, mesurer l'impact systémique d'une décision, ça veut dire quoi ?
01:26Ça veut dire que notre idée, c'est qu'on ne peut pas se contenter uniquement de regarder l'aspect écologique ou économique.
01:32Il faut regarder toutes les dimensions.
01:33Donc, on va essayer d'identifier des solutions qui sont, bien sûr, viables pour l'environnement,
01:37pour le climat et, il ne faut pas l'oublier, la biodiversité, mais aussi pour l'économique
01:42parce qu'il faut pouvoir les financer, ces mesures, et aussi pour la société
01:46parce que dans une démocratie, elles doivent être acceptées.
01:49Et donc, c'est pour ça qu'on veut regarder toutes ces dimensions en même temps
01:52et on a développé, dans mon équipe de recherche, un certain nombre de modèles
01:57qu'on utilise pour essayer d'apparvenir à ce genre de simulateurs.
02:02Oui, et on va donner des exemples, évidemment, pendant ce débat, Jacques Sainte-Marie.
02:06Question très générale, pour commencer, sur comment l'intelligence artificielle peut finalement
02:12permettre d'anticiper ou d'améliorer la prédiction de phénomènes climatiques extrêmes.
02:18On voit qu'on en a de plus en plus souvent.
02:21Ils sont en train presque de devenir la norme, d'ailleurs.
02:23Effectivement, effectivement.
02:25La question IA et environnement, ça reste un sujet de controverse.
02:29Il y a des impacts environnementaux de l'IA, je ne les néglige pas, ils sont très importants.
02:32On en dira deux mots, sans doute, tout à l'heure.
02:34Mais l'IA peut être aussi un outil important pour les prédictions de changements climatiques.
02:39Je vais poser cette question un peu provocante, quelque part.
02:42Qu'est-ce qu'un rapport du GIEC sans numérique ?
02:44Ça veut dire qu'on n'a pas beaucoup de mesures, c'est-à-dire qu'on n'a pas de modèles,
02:47c'est-à-dire qu'on a peu de prédictions, on a peu d'anticipation.
02:50Et justement, la disponibilité des données, aujourd'hui,
02:53on a des satellites, on a des capteurs qui nous donnent beaucoup de données
02:56qui permettent d'améliorer les modèles existants.
02:59Ces modèles étaient souvent basés, c'était mon travail de début de carrière
03:02quand j'étais jeune chercheur sur des équations physiques, mécaniques, biologiques.
03:06Et avec les données disponibles, on peut améliorer ces prévisions-là
03:09et avoir des choses qui sont beaucoup plus précises.
03:12De deux façons.
03:13Quand on dit qu'il y aura plus de 3 degrés, plus de 4 degrés à la fin du siècle sur la Terre,
03:17oui, mais quel est l'impact local ?
03:20Qu'est-ce que ça veut dire pour l'agriculteur qui cultive des fruits et légumes en Occitanie ?
03:25Qu'est-ce que ça veut dire pour le tourisme à tel endroit ?
03:27Qu'est-ce que ça veut dire pour l'aménagement ou pour le retrait du trait de côte dans les zones portuaires ?
03:31On a besoin d'avoir des choses beaucoup plus précises, à une échelle très locale.
03:36Et dans ce contexte-là, l'IA, la science des données,
03:39couplée à d'autres formes de modélisation, fournit des outils très précis
03:43et qui améliorent très sensiblement l'existant.
03:46C'est déjà le cas aujourd'hui. On ne parle pas d'une IA fantasmée dans le futur.
03:51Non, c'est déjà le cas.
03:52Il y a déjà une hybridation importante entre ces modélisations que je qualifie de classiques
03:56et qui ont encore beaucoup de choses à nous apprendre, et ces techniques qui sont nouvelles.
04:00L'hybridation, quel sera le point d'atterrissage très proche des données et de leur puissance
04:05ou des modèles et de leur capacité de prendre en compte certains phénomènes et certaines lois physiques ?
04:10La réponse n'est pas claire.
04:12Mais prenons l'exemple de la prévision de la météo à court terme,
04:15des impacts climatiques et des événements extrêmes.
04:18Oui, effectivement, il y a quelque chose d'important.
04:21On va parler de la production d'énergie, les panneaux solaires, les éoliennes,
04:26ont besoin de connaître finement le temps pour pouvoir, et je pense que mon collègue...
04:30Justement, vous m'offrez la...
04:31Il est intéressé par ces questions-là.
04:33Ça offre la transition à Jean-Denis Leconte parce que, par exemple, la gestion des énergies renouvelables,
04:37en quoi Terra Neon, cette intelligence artificielle sur laquelle vous travaillez, peut permettre...
04:43Parce que la difficulté, c'est effectivement la prévision, l'intégration au réseau, au mix énergétique,
04:50le fait que, évidemment, ces énergies dépendent de la météo, du soleil, du vent, etc.
04:56Comment votre outil permet d'être plus efficace en la matière ?
04:59Justement, cet outil va permettre d'évaluer...
05:02C'est le démonstrateur qu'on a actuellement, d'évaluer un mix.
05:05Imaginez que vous êtes au gouvernement et que vous vous posez la question
05:07comment vous allez décider de la façon de produire l'électricité en France.
05:11Évidemment, c'est une question majeure, on connaît les impacts de l'énergie.
05:14Donc, en fait, on va définir...
05:16On a modélisé un peu plus en détail la production d'électricité avec les différentes sources,
05:19donc le nucléaire, le solaire, le voltaïque, etc.
05:23Et ce qu'on demande...
05:24Donc, on part du mix actuel et on demande aux simulateurs de réaliser un mix qu'on pense meilleur.
05:31Donc, on va tester un nouveau mix.
05:32Par exemple, on ne va mettre que des énergies non renouvelables.
05:35Et ensuite, le simulateur qui est complètement calé sur l'économie réelle et la consommation réelle
05:39va essayer de planifier une transition entre le mix actuel et le nouveau mix.
05:45Et il va nous expliquer aussi pourquoi il y arrive ou pourquoi il n'y arrive pas.
05:49Parce que ce qui est intéressant dans la simulation multi-agents,
05:51contrairement à l'IA à base de données actuelles, c'est qu'elle est complètement explicable.
05:54Donc, on peut vraiment comprendre la raison pour laquelle, par exemple, un mix est meilleur qu'un autre.
05:59Et donc, cet outil permet non seulement d'évaluer le mix, mais de nous dire, pour chaque mois,
06:04le nombre de centrales qu'il faut lancer en construction, de panneaux photovoltaïques, d'éoliennes,
06:09les emplois dans tel ou tel secteur qui doivent être créés,
06:12les investissements financiers qui doivent être utilisés
06:17pour pouvoir réaliser au mieux le mix qu'on a mis en objectif.
06:21Donc, ça fait un outil assez puissant pour essayer d'avoir la meilleure combinaison.
06:26Outils de décision pour un gouvernement, un État, mais aussi pour des opérateurs privés,
06:34pour un chef d'entreprise, peut-être avant d'installer une usine à tel ou tel endroit,
06:38ou de prendre justement des décisions sur comment elle va être construite,
06:43quel mix énergétique pour la faire tourner, etc.
06:46Et le mix énergétique, c'est un exemple qu'on a traité en ce moment,
06:50mais on s'intéressait au transport. En fait, on travaille dans tous les secteurs.
06:53Quand une entreprise cherche à décarboner son activité, on peut tester des solutions grâce au système.
06:59Quand il y a aussi des réglementations, on voit au niveau européen, et c'est une bonne chose,
07:03beaucoup de réglementations proactives qui sont produites pour l'environnement,
07:06on peut tester l'impact sur un secteur d'activité, ou sur même une entreprise et ses congruents,
07:11donc, l'impact de ces réglementations.
07:14Jacques Saint-Marie, est-ce qu'il faut créer des IA qui sont spécifiques ?
07:19C'est-à-dire spécialisés sur l'agriculture, les énergies renouvelables, etc.
07:25Exactement. Vous avez raison de soulever ce point-là, c'est vraiment capital,
07:28et je pense que ça a deux intérêts, d'un point de vue économique,
07:32mais même de souveraineté, et d'un point de vue environnemental.
07:35La tendance qu'on voit actuellement, et les outils, je vais citer un mot que tout le monde utilise
07:38quand on parle d'IA, Chad GPT, par exemple, ce sont des outils généralistes.
07:41On peut leur poser plein de questions, un poème de Baudelaire, une recette de cuisine,
07:44l'histoire de Victor Hugo, quel temps il va le faire demain.
07:48Bien sûr, c'est très bien, c'est un côté généraliste,
07:50mais on va aller sans doute vers des choses plus dédiées, plus spécifiques,
07:53et ça a vraiment un double intérêt.
07:55Le premier, ce sera des choses plus petites, moins gourmandes en énergie,
07:59tant le matériel informatique qu'il faut construire, les cartes graphiques, les GPU,
08:03que l'énergie consommée, bien entendu, et des fonctionnements plus souples, plus sobres,
08:09une innovation beaucoup plus facile en termes économique,
08:12parce que bien entendu, si vous ne disposez que d'outils gigantesques
08:16qui ne tournent que sur les plateformes de quelques grands acteurs,
08:19vous avez tendance à verrouiller beaucoup le système,
08:21alors que dans des choses beaucoup plus spécifiques dédiées,
08:23je vais donner un exemple, parce qu'on me l'a cité plein de fois,
08:25j'aime bien le citer, en agriculture, la filière Tournesol a créé son propre LLM,
08:28Large Long Wage Model, pour faire du conseil aux agriculteurs,
08:32et je pense que c'est quelque chose qui a vocation à se développer.
08:35Avec aussi la souveraineté dont vous parlez, c'est-à-dire qu'aujourd'hui,
08:38la France ou même l'Europe, on est plutôt en retard,
08:40enfin bon, il y a des grandes entreprises françaises sur l'intelligence artificielle
08:43qui ne sont pas totalement à la rue, mais quand même,
08:46si on prend l'exemple des GAFAM, on a plutôt toujours eu un train de retard,
08:49donc ça peut être un moyen de récupérer, de monter à bord de ce train ?
08:53Exactement, je ne prône aucunement le solutionnisme technologique,
08:56je suis là pour déflammer la priorité des questions environnementales,
09:01mais l'IA est une donnée, dans plein de domaines,
09:03vous l'avez cité, on pourrait en citer plein, c'est une donnée,
09:05c'est quelque chose qui est là, qui est complètement transformant,
09:07il ne faut pas en avoir peur, il faut s'adapter,
09:09mais effectivement, les questions de souveraineté sont des choses qui sont importantes,
09:12et vous voyez, avec des données qu'on connaît, qu'on maîtrise,
09:16et des outils qui sont effectivement complètement souverains,
09:19c'est quelque chose de capital, une IA, si elle est générale et très très grosse,
09:24comme vous l'avez dit, ce n'est pas expliquable,
09:25on a du mal des fois à diagnostiquer son comportement,
09:27et diagnostiquer ses biais, ils peuvent être très importants,
09:30et dans bien des domaines, c'est vraiment quelque chose de stratégique,
09:33d'avoir des outils dont on maîtrise le comportement,
09:35et qui sont compatibles avec nos lois et nos sociétés.
09:38Jean-Daniel Kant, Terraneon, pour l'instant, c'est un projet de recherche,
09:42ça peut devenir une entreprise, vous êtes dans quelle démarche ?
09:44On est justement dans la démarche de transformer,
09:47parce qu'on considère que la simulation multi-agents, c'est très disruptif,
09:50mais c'est arrivé à maturité technologique pour être maintenant diffusé,
09:53et donc effectivement, on est engagé dans un processus de création de start-up autour du projet,
09:57donc on espère créer la start-up d'ici un an, un an et demi,
10:01on est soutenu par une SAT LUTEC, on est soutenu par le CNRS Innovation,
10:06pour justement essayer, parce qu'évidemment il y a beaucoup de travail,
10:11c'est vraiment un nouveau domaine de l'IA qu'il faut maintenant développer.
10:17Mais ça veut dire que pour grandir encore,
10:20c'est aussi une question de financement, de besoin de financement, par exemple ?
10:23Oui, effectivement, s'il y a des investisseurs qui nous écoutent,
10:26nous sommes tout à fait intéressés.
10:28Oui, c'est ça, parce que l'IA actuelle des données, elle date de 1945,
10:35au niveau théorique, l'IDA, la simulation multi-agents, ça date des années 90-2000,
10:39donc vous voyez, on a 60 ans d'écart, alors on va essayer de les rattraper ces 60 ans,
10:43mais néanmoins, effectivement, ça nécessite un peu d'investissement,
10:46mais néanmoins, déjà, on a une base, puisque Terra Neon,
10:50c'est aussi une plateforme d'intégration de modèles,
10:53donc notre idée, c'est qu'on pourra collaborer avec des gens qui développent des briques,
10:56des entreprises, des organismes de recherche,
10:58pour essayer d'avoir un modèle de plus en plus complet,
11:00comme un miroir, encore une fois, de l'économie et de la société,
11:03dans lequel on peut tester des idées.
11:04Oui, alors je voudrais, évidemment, il nous reste une minute trente,
11:07qu'on parle aussi, Jacques Saint-Marie, de l'impact de l'IA,
11:11parce que ça produit quand même pas mal de CO2, expliquez-nous,
11:15il faut l'entraîner, il faut digérer des milliards de données,
11:19donc faire tourner des serveurs, c'est ça l'impact de l'intelligence artificielle ?
11:22L'impact du numérique et de l'intelligence artificielle,
11:25c'est effectivement quelque chose qui est en forte croissance,
11:27alors on cite souvent 2,5% de l'empreinte carbone, par exemple en France,
11:3110-15% de l'électricité consommée,
11:34mais c'est quelque chose qui est en très forte croissance,
11:36en très très forte croissance, effectivement.
11:38Et donc il y a des impacts sur les terres rares, bien entendu,
11:40qui sont extraites dans des conditions un petit peu particulières,
11:43le faible taux de recyclage et la consommation électrique.
11:46Et donc, nous, côté INRIA, des équipes de recherche qu'on a,
11:50on partenaire avec des universités, d'autres acteurs,
11:52d'autres organismes de recherche et des entreprises,
11:54on travaille aussi à réduire cet impact environnemental.
11:56Par exemple, en travaillant sur ce qu'on appelle des techniques d'IA frugales.
11:59Frugales, qu'est-ce que ça veut dire ?
12:01Ça veut dire qu'à nouveau, on va regarder juste les données signifiantes,
12:04on va travailler avec une précision adaptée,
12:06et on va avoir des algorithmes qui vont être très efficients
12:09pour obtenir la réponse, tant dans la forme d'apprentissage
12:12que dans la partie d'interrogation après du modèle.
12:16Merci beaucoup, merci à tous les deux, c'était passionnant.
12:18A bientôt sur Bismarck for Change.
12:20On passe à notre rubrique Smart Ideas tout de suite.

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