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00:00Bienvenue au Cœur du Crime, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:08Savez-vous que plus d'un tiers des crimes et délits commis en France sont traités par la gendarmerie nationale ?
00:18Bonsoir, je m'appelle Jan Kermadek, je suis commandant de gendarmerie.
00:27Je dirige une section de recherche dont la mission essentielle est une mission de police judiciaire.
00:42L'histoire que je vais vous raconter est une histoire vraie.
00:46Tous les faits sont réels et se sont déroulés en France.
00:49Seuls les noms des personnes et des lieux ont été changés.
00:57M. Paul Mouleau, fonctionnaire à la retraite, avait comme chaque matin enfilé un survêtement,
01:03chaussé ses vieux tennis et, en petite foulée, suivi de sa chienne vodka,
01:08il avait quitté son minuscule pavillon situé en bordure de la forêt de Beaurange.
01:14Il faisait très beau ce jour-là.
01:17Les couleurs mordorées de l'automne commençaient à faire leur apparition et rendaient la forêt plus chatoyante encore.
01:25Au bout de quelques mètres, Paul Mouleau commença à manquer de souffle et préféra marcher.
01:30« J'ai plus 20 ans, ma pauvre vodka ! Je fume peut-être un peu trop.
01:35L'important, c'est de respirer l'air pur de la forêt, n'est-ce pas ?
01:38D'ailleurs... Vodka ? Vodka, où es-tu ?
01:42Où est-ce qu'elle est passée, cette vieille folle ? Vodka ? »
01:46La chienne avait continué son petit bonhomme de chemin et, follâtrant de ci et de là,
01:51était parvenue jusqu'à un buisson d'aubépines.
01:54Là, elle s'est mise à gratter furieusement le sol, furtant et reniflant en poussant des cris plaintifs.
01:59« Ah, te voilà, vieille coquine ! Qu'est-ce que t'as trouvé encore ? Une vieille chaussure ?
02:05Mais qu'est-ce que c'est que ça ? »
02:08Intrigué, Paul Mouleau s'accroupit, souleva les basses branches de l'arbuste et resta pétrifié.
02:18Aussi vite que ses vieilles jambes le lui permettaient, il regagna son pavillon et se précipita sur le téléphone.
02:23« Hello ! Hello, la gendarmerie ! Je viens de découvrir le cadavre d'un homme dans la forêt de Beaurange ! »
02:31Quelques minutes plus tard, prévenu par le commandant de compagnie de Chaumont,
02:36je me dirigeai, accompagné de trois de mes hommes, vers la forêt de Beaurange.
02:40Au passage, nous avions pris à notre bord M. Mouleau, encore tout tremblant d'émotion,
02:45afin qu'il nous guide sur les lieux de sa macabre découverte.
02:51Le corps est là, à demi enfoui sous les branches.
02:56L'homme est vêtu d'un pantalon de velours marron et d'un blouson de cuir.
03:01Il est couché sur le ventre, les bras allongés devant lui, le long de la tête, les jambes pliées, formant un angle droit.
03:09Immédiatement, les gendarmes fumelles et nos gens procèdent aux premières constatations et prennent des photos du cadavre et des abords immédiats.
03:18À quelques mètres du corps, de l'autre côté du chemin, sur l'herbe, il y a des traces de sang à peine séchées.
03:26Le gendarme Beauvais, technicien des investigations criminelles, découpe soigneusement le carré d'herbe et l'enfouit dans un sac en plastique.
03:35La victime a vraisemblablement été tirée par les bras. En effet, on voit très nettement sur le sol les rainures laissées par ses talons.
03:44Et, bizarrement, sa tête est dans le prolongement de ses sillons, alors que les jambes ne sont pas dans le prolongement du corps.
03:52Tous les indices ayant été méticuleusement relevés, nous pouvons à présent retourner le corps.
04:00Avec d'infinies précautions, nous soulevons délicatement le cadavre pour le coucher sur le dos.
04:08L'homme doit être âgé d'une quarantaine d'années. Son visage est douloureux.
04:14Il a sur le front deux entailles profondes et, sur le haut du crâne, une horrible blessure.
04:21La cause de la mort paraît évidente.
04:24Dans ses poches, on trouve des papiers, un carnet dans lequel on relève quelques adresses et une carte d'identité.
04:33L'homme s'appelle Victor Factur. Il a 45 ans et réside à Montignal.
04:41Voilà. L'enquête peut commencer.
04:45Je mets sur pied dix équipes de deux gendarmes afin d'effectuer les opérations de routine destinées à exploiter tous les renseignements trouvés sur le cadavre.
04:55Les enquêteurs ne vont pas tarder à recueillir diverses informations.
05:00La première de ces informations vient des gendarmes chargés de l'exploitation des fichiers.
05:05La victime s'appelle bien Victor Factur, domicilier à Montignal et sorti récemment de prison où il a purgé une peine de 18 mois pour vol qualifié et violence.
05:17À son domicile, Mme Factur déclare que son mari n'a pas reparu depuis la veille après qu'il ait provoqué une bagarre dans un café du centre-ville, le Café du Marché.
05:28Devant la porte de son immeuble, mes hommes découvrent quelques taches de sang.
05:34Spontanément, à la vue des gendarmes, le voisin de la maison d'en face traverse la rue.
05:39Oh, c'est la bagarre d'hier soir ! Un type accusait Victor de lui avoir crevé les pneus de sa fourgonnette, alors ils se sont battus comme des chiffonniers, je vous dis pas. Il était 11h, enfin je veux dire 23h environ, hein.
05:52Dès que j'ai pris connaissance de cette information, je lance un ordre de recherche.
05:58Il doit y avoir dans le secteur une fourgonnette dont les quatre pneus sont crevés. Il faut me la trouver, les gars !
06:05Et on la trouve. Il ne reste plus qu'à identifier son propriétaire grâce aux fichiers des cartes grises de la préfecture.
06:14Il s'agit de Pierre Bazas, domicilier chez madame Pierrette Lascaux, 37 Place du Marché à Montignal.
06:22C'est à cette adresse que se rendent les enquêteurs qui constatent que le logement de monsieur Bazas est situé très exactement au-dessus du Café du Marché, celui-là même où, d'après madame Facture, son mari aurait déclenché une bagarre la veille au soir.
06:38Pierre Bazas n'est pas à son domicile. Tout naturellement, les gendarmes pénètrent dans le café et c'est là qu'ils le trouvent, attablé, en train de lire son journal.
06:49Sans opposer la moindre résistance, il accepte de les suivre à la gendarmerie.
06:55Arrivé dans mon bureau, il répond de fort bonne grâce aux questions que je lui pose.
07:01« Ben voilà, je m'appelle Pierre Bazas. Je suis né le 18 février 1939 à Montignal. Je suis déménageur spécialisé en coffre-fort et piano. Je suis divorcé et j'ai un fils de 25 ans.
07:13Je vis avec madame Lescaux, qui est propriétaire du Café du Marché, et souvent, en dehors de mes heures de travail, je lui donne un petit coup de main au bar.
07:22Alors l'autre soir, c'était quand déjà ? Ben c'était mardi, devait être 7h30-8h, l'heure de l'apéro. Le victor Facture était fin sous, comme d'habitude. Alors le garçon a refusé de le servir.
07:34Et blati-poc, Facture a commencé à faire du scandale. Il voulait tout casser, seulement avec moi, ça n'a pas traîné. Je l'ai sorti du café à coup de pied au cul. C'est pas un ivrogne qui va faire la loi ici, hein !
07:44Mais salopard, pour se venger, il a été crever les pneus de ma fourgonnette. Quand je m'en suis aperçu, c'était vers les 9h.
07:51J'ai fait ni une ni deux, j'ai été le trouver chez lui. Et comme c'était pas la première fois qu'il me faisait le coup, il méritait une bonne correction.
07:57Eh ben, je peux vous dire que j'en ai mis une sévère. Après quoi, je suis retourné au café.
08:01Eh ben, il faut croire qu'il avait pas son compte, le victor. J'étais à peine revenu que v'là qu'il débarque avec un air de bœuf à la main.
08:07Alors là, mon commandant, j'y avais rouge. On s'est coltés devant le café. En trois coups les gros, je l'ai mis KO.
08:12Et pour lui ôter l'envie de recommencer, j'ai décidé de le punir. Alors je l'ai chargé dans le coq de la voiture du barman, et je l'ai emmené dans la forêt de Baurange.
08:19Ben, je pensais qu'une bonne marche de nuit, quand il serait dessoulé, ça lui ferait les pieds. Je me trompais pas, parce qu'il est pas revenu au café.
08:27Monsieur Bazas, quand vous avez transporté Victor Facture dans la voiture de votre barman, vous étiez seul ?
08:35Hein ? Ben, je pense bien que j'étais seul. J'ai besoin de personne, moi. D'ailleurs, j'ai des témoins.
08:40Il y avait Pierrette, Georges, le barman, et puis mon fils François, qui était venu dîner avec nous. Pourquoi ? La portée pleinte, le victor ?
08:48Non, monsieur Bazas, il n'a pas porté plainte. Il est mort.
08:55Pierrette Lescaux, Georges L'Aigle, le barman, et François Bazas, le fils, sont entendus séparément.
09:04Tous trois confirment les déclarations de Pierre Bazas, que je fais immédiatement placer en garde à vue.
09:11Il sera présenté au juge d'instruction, qui l'inculpera de coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner.
09:19Il est 23 heures. L'enquête est terminée. Je félicite mes gendarmes, qui peuvent rentrer chez eux avec le sentiment du devoir accompli.
09:31À 23h30, seul dans mon bureau, je n'arrive pas à partager l'enthousiasme de mes hommes. Je ne sais pourquoi je tourne en rond, incapable de rentrer chez moi.
09:45Il y a quelque chose qui me tracasse. Mon intuition me dit que tout a été beaucoup trop vite, que tout paraît trop facile.
09:54Dans cette affaire, simple en apparence, trop de points restent obscurs. Alors, un par un, je reprends tous les détails du dossier.
10:05Pourquoi ces traces de sang dans l'herbe, à trois ou quatre mètres du corps ?
10:10Pourquoi la tête de la victime était-elle dans le prolongement des traces laissées sur le chemin ?
10:14Logiquement, ce sont les jambes qui auraient dû se trouver dans cette position. Or, souvenez-vous, celles-ci étaient pliées à angle droit.
10:21Quand on tire un corps par les bras, la tête tombe naturellement sur le côté et les jambes sont droites.
10:28Et puis, François Bazas, le fils qui devait dîner ce soir-là avec son père, était-il au courant des pneus crevés de la fourgonnette ?
10:36De la bagarre entre Victor Facture et son père et de l'expédition punitive dans la forêt ?
10:42Non, décidément, il y a trop de zones d'ombre dans cette affaire.
10:48Alors, je décide de reprendre l'enquête à zéro.
10:53Dès les premières heures du jour, Pierre Bazas est ramené dans la forêt de Beaurange.
10:57Il faut absolument éclaircir cette question de sang dans l'herbe et découvrir la raison pour laquelle les jambes de la victime n'étaient pas dans le prolongement du corps et des traces relevées sur le sol.
11:07À onze heures, de retour dans mon bureau, Pierre Bazas, que je harcèle de question, se trouble et finit par admettre que François, son fils, l'accompagnait le soir de l'expédition punitive.
11:20Et il déclare que, lorsqu'il a ouvert le coffre de la voiture, une fois dans la forêt, Victor Facture était mort.
11:30À quatorze heures, les résultats de l'autopsie arrivent.
11:33Une vertèbre cervicale brisée, c'est la cause du décès de Victor Facture.
11:39Placé dans le coffre de la voiture sans ménagement, c'est probablement à ce moment-là que Facture a reçu cette blessure mortelle.
11:49Alors, coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner, ou meurtres ?
11:57La correctionnelle ou les assises ?
11:59Cinq ans de prison ou vingt ans ?
12:04C'est ce que vous saurez dans quelques instants.
12:14Dans la forêt de Beaurange, on a découvert le cadavre d'un certain Victor Facture qui, la veille au soir, s'est battu avec Pierre Bazas.
12:23Celui-ci prétend que Facture est mort accidentellement.
12:28Pierre Bazas est inculpé de coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner.
12:35Mais, dans mon esprit, un doute subsiste.
12:40Et si c'était un meurtre ?
12:44Victor Facture était-il mort en forêt de Beaurange ou avant ?
12:49Victor Facture était-il mort en forêt de Beaurange ou avant d'être déposé sous les buissons ?
12:58Pierre Bazas, quant à lui, ne veut plus rien dire.
13:01Il ne peut que répéter inlassablement « Je voulais pas la mort de Facture ! Je voulais juste le punir, moi ! C'est la malchance, quoi ! »
13:07Et puis, je suis le seul responsable dans cette affaire.
13:11À 16h30, le barman Georges L'Aigle est dans mon bureau.
13:15Il nie farouchement sa participation à toute cette histoire.
13:18Il a prêté sa voiture, un point, c'est tout.
13:20Et puis, il se trouble, se contredit et finit par reconnaître que le fameux soir, c'est lui qui conduisait.
13:26Mais qu'arrivé en forêt, il n'a rien vu. Il n'est pas descendu de voiture.
13:30Et il ignorait que Victor Facture était mort.
13:34À 17h30, c'est Pierrette Lescaux, la maîtresse de Bazas, qui fait des aveux identiques.
13:38Elle reconnaît avoir assisté avec son barman au chargement du corps dans le coffre de la voiture à Montignal.
13:42Et elle affirme qu'à ce moment-là, Facture vivait encore.
13:48Je sens confusément que je touche au but.
13:51Mais pour cela, je dois répondre à une question essentielle.
13:55Quel est l'endroit précis où Facture a cessé de vivre ?
14:00Pierrette Lescaux et Georges L'Aigle ne se doutent pas que je leur tends un piège quand je leur demande
14:06« Vous êtes resté dans la voiture en forêt de Beaurange, donc vous n'avez rien vu.
14:09Mais vous pouvez, en revanche, me décrire l'état dans lequel se trouvait Victor Facture
14:14au moment où M. Bazas l'a mis dans le coffre de la voiture à Montignal. »
14:18Et sans réticence, ils déclarent tous deux que la victime avait deux entailles au front,
14:25qu'un peu de sang coulait le long de ses joues, mais rien de plus.
14:29La vérité éclatait enfin.
14:32L'horrible blessure observée sur le haut du crâne n'avait donc pu être faite qu'à l'endroit même
14:36où l'on avait découvert des traces de sang dans l'herbe.
14:40Facture était bien mort dans la forêt de Beaurange.
14:43À 19 heures, après un interrogatoire serré,
14:47Pierre Bazas, à bout de nerfs et de fatigue, fait des aveux complets.
14:52À 20 heures, son fils François est appréhendé.
14:55Deux heures plus tard, il a reconnu les faits et précisé son rôle.
14:59Le soir du meurtre, il a assisté à la deuxième bagarre entre son père et Facture
15:03devant le café de la Place du Marché à Montignal.
15:06Il a aidé son père à charger le cori inerte de Facture dans le coffre de la voiture du barman,
15:10qui accepte, lui, de prendre le volant.
15:12Après avoir fermé le café, Pierrette Lescaux monte en voiture avec les trois hommes
15:17et les accompagne jusqu'à la forêt de Beaurange,
15:19où Pierre Bazas a décidé d'abandonner Facture pour le punir.
15:23Dans la forêt, Facture, qui a repris connaissance, cherche à s'enfuir.
15:28Bazas et son fils veulent en finir une fois pour toutes avec cet homme qui ne s'avoue pas vaincu.
15:31Ils le rattrapent et s'acharnent sur lui à coups de nerfs de bœufs.
15:36Le barman et Pierrette Lescaux sont restés dans la voiture, osant à peine regarder la scène.
15:41Les choses vont décidément trop loin.
15:44Bazas et son fils, ayant constaté la mort de Facture,
15:48cachent le corps dans un taillis avant de rentrer à Montignal.
15:52Sur le chemin du retour, Bazas se déclare seul responsable
15:56et invite tous les autres à garder le silence.
15:58Si les gendarmes arrivent jusqu'à lui, il dira que c'est une bagarre qui a mal tourné.
16:04Ça n'ira pas chercher bien loin.
16:07Effectivement, les choses auraient pu se passer ainsi.
16:12Une banale affaire de pneus crevés,
16:16se terminant par la mort involontaire d'un homme.
16:20Bazas et son fils furent inculpés de meurtre.
16:23Pierrette Lescaux et Georges Leigle, le barman,
16:26furent tous deux poursuivis pour non-assistance à personne en danger
16:31et non-dénonciation de criminels.
16:34Je pouvais refermer le dossier Victor Facture et rentrer chez moi.
16:39Un homme était mort pour quatre pneus crevés.
16:43Dehors, la nuit était froide, le vent s'était levé.
16:49Je pensais à la Bretagne et à mon père, le marin-pêcheur Carmadec.
16:54Là-bas, il devait faire gros temps.
16:58J'avais soudain très envie d'être avec lui sur le bateau en pleine tempête.
17:04Ça me changerait de la folie meurtrière des hommes.

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