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Transcription
00:00Bienvenue au Cœur du crime, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:08Savez-vous que plus d'un tiers des crimes et délits commis en France sont traités par la gendarmerie nationale ?
00:18Je m'appelle Jan Kermadek, je suis commandant de gendarmerie.
00:27Je dirige une section de recherche dont la mission essentielle est une mission de police judiciaire.
00:42L'histoire que je vais vous raconter est une histoire vraie.
00:46Tous les faits sont réels et se sont déroulés en France.
00:50Seuls les noms des personnes et des lieux ont été changés.
00:56Je vais te confier un secret.
00:59Si tu me le confies, ce ne sera plus un secret.
01:02Mais si, puisque tu ne le répéteras pas.
01:06Et ainsi de suite.
01:08C'est ainsi que le secret d'une personne devient le secret de tous.
01:14Le secret de polichinelle, comme on dit.
01:17Surtout dans les petits villages des provinces reculées.
01:21Encore que ce genre de discours est également fréquent dans les grandes villes.
01:26A ceci que le secret de quelqu'un devient plus facilement le secret de tous
01:31quand le coin compte quelques milliers d'habitants plutôt que quelques millions.
01:35Bref, toujours est-il qu'un secret ne le reste pas longtemps
01:40dans une petite ville comme Neuvik-du-Sel, en Corrèze.
01:44Surtout un secret comme celui-là.
01:48Un secret appartenant à l'aristocratie des secrets
01:52qui ne compte que deux éminentes catégories, n'est-ce pas ?
01:55Le sexe et l'argent.
01:58Comme Berthe Molay a passé les quatre-vingt-quinze ans,
02:03là il s'agit d'argent, bien évidemment.
02:07En fait, il s'agit d'un magot, dissimulé par une très vieille dame.
02:14Ce secret est tellement connu qu'il pourrait figurer sans peine
02:20sur le tableau d'affichage de la mairie.
02:23C'est dire.
02:25C'est ainsi qu'à Neuvik-du-Sel, tous pensent que Berthe Molay
02:30a une lessiveuse pleine de pièces d'or
02:33planquées quelque part dans sa ferme délabrée.
02:37Une casieruine où elle vit en recluse depuis la mort de son mari,
02:41Joseph Molay, survenu quelques années auparavant.
02:45Et à Neuvik-du-Sel, les commentaires vont bon train.
02:50— Ça doit représenter un fameux magot.
02:52— Ah ben, pour sûr !
02:54— Vous avez une idée, vous ?
02:55— Bof ! Moi, je dirais entre cinq et huit cent mille francs, au bas mot.
03:00— Au bas !
03:01— Vous avez une idée, vous ?
03:03— Une idée de quoi ?
03:05— Ben, d'où qu'il est planqué.
03:07— Ah, ça ! Mystère profond !
03:10— Je me demande pourquoi elle ne le place pas à la banque, son magot.
03:15— Mais oui, pourquoi ?
03:17— La raison est toute simple.
03:20De son vivant, Joseph Molay n'a jamais fait mystère
03:24de son mépris de la chose bancaire.
03:27— Pas confiance, nom de Dieu !
03:30— C'est qu'il avait du bien, le Joseph,
03:34des terres, des bêtes, des forêts.
03:38Ceci étant, l'opinion générale tourne autour des trois, quatre millions.
03:45Nouveau, bien sûr.
03:47Remarquez, si personne n'est capable de dire d'où elle vient,
03:51cette opinion générale, qui l'a établie,
03:54on raconte que c'est la Berte elle-même qui l'aurait un jour énoncée.
03:59Mouin !
04:01Seulement, à quatre-vingt-quinze ans passés,
04:04on a parfois tendance à une certaine confusion dans ses propos, n'est-ce pas ?
04:09Même si on jouit d'une santé relativement bonne.
04:14À Neuvik-du-Sel, tous s'accordent pourtant sur un point.
04:19Quelle que soit l'importance du trésor,
04:22la Berte est assez vieille et stupide pour conserver l'argent caché chez elle.
04:28Et ça, ça en fait maugrer plus d'un.
04:33Tenez, le père Lamasière, par exemple.
04:36Le père Lamasière, curé de la paroisse de la Berte,
04:40s'en inquiète même particulièrement.
04:43Il sait en effet que la confiance puérile
04:47que la Berte accorde aux habitants de Neuvik-du-Sel
04:50n'est plus aussi justifiée qu'elle a pu l'être autrefois.
04:54La bourgade, suivant le progrès vaille que vaille,
04:57a aujourd'hui son quota de cambriolages, de violences et de crimes de sang.
05:04Dans ce cas, si la Berte garde réellement de l'or chez elle,
05:10le père Lamasière aimerait bien qu'elle l'en retirât pour le ranger en un lieu plus sûr.
05:15À la banque.
05:17D'abord pour sa sécurité personnelle, bien entendu,
05:20mais également pour une autre bonne raison.
05:23Eh oui, oui, en effet, ce que laissera la vieille dame
05:27ira directement par testament à l'église.
05:32N'est-ce pas ?
05:34En tout cas, ainsi en avait été décidé par Joseph Mollet,
05:38peu de temps avant sa propre mort.
05:41Cependant, le curé ne veut surtout pas affoler la Berte en l'effrayant
05:45avec des histoires de voleurs susceptibles de venir la nuit pour la cambrioler,
05:50avec ou sans violence.
05:52Non, il préfère la convaincre de l'importance d'investir l'argent, enfin l'or.
05:59Mieux vaut la persuader que, quoi qu'ait pu en dire feu son mari, le Joseph,
06:05l'argent, enfin l'or, serait plus en sécurité à la banque.
06:11C'est ainsi que, depuis la disparition du Joseph Mollet,
06:15le père Lamasière rend visite à la Berte au moins une fois par semaine,
06:20sans oser toutefois faire la moindre allusion aux magots cachés.
06:24Patience et longueur de temps, n'est-ce pas ?
06:28Jusqu'à ce jour neigeux de décembre,
06:32où le brave curé se résout à lui parler ouvertement.
06:38— J'hésitais à aborder ce sujet avec vous, la Berte,
06:42parce qu'il me déplait de mêler des affaires personnelles de mes parvoisiens.
06:46Seulement, elle ne vit que le bruit court, n'est-ce pas,
06:50que le Joseph dissimulait dans cette maison une importante somme d'or, d'argent,
06:56et qu'après lui vous avez continué à le faire.
07:03Le vieux curé et la Berte se tiennent dans la cuisine,
07:07où la vieille dame vit désormais la majeure partie de son temps,
07:10assise sur son vieux tabouret dans le cantout,
07:14c'est-à-dire la vaste cheminée, seul élément de chauffage de la misérable bicoque.
07:24— Joseph, il déteste les banques, M. le curé.
07:28Je ne l'avais pas confiance.
07:30Il disait que jamais, jamais il leur confierait un centime.
07:35C'est ce qu'il avait l'habitude de dire, M. le curé, le Joseph.
07:40Le curé hoche la tête avec commissération.
07:44— Je comprends ce que vous éprouvez, la Berte,
07:47mais il ne faut pas que votre heure, enfin, votre argent,
07:51dame chez vous, alors qu'ailleurs il pourrait vous rapporter un intérêt, n'est-ce pas ?
08:00Berte mollet lisse l'ourlet de sa robe du bout des doigts,
08:04réfléchit un long moment, puis hoche la tête.
08:10— Vous savez, M. le curé, je ne souffre pas du péché de convoitisme.
08:15Je n'ai pas besoin d'argent, en plus.
08:18De la sécurité sociale me suffit.
08:21Il ne me faudrait de l'argent que pour une urgence, vous voyez,
08:24s'il m'arrivait un accident.
08:26Dans ce cas, j'en possède amplement, n'est-ce pas ?
08:31— D'accord, Berte.
08:33Amplement d'argent en cas de coup dur.
08:36Mais n'oubliez pas que s'il peut les soigner,
08:41l'argent peut les attirer aussi, les coups, les mauvais coups,
08:48comme vous le verrez peut-être dans quelques instants.
08:54En France, les petites villes de province sont réputées pour leur commérage.
09:00Dans ce cas, allez donc garder un secret.
09:03Tenez, prenez l'exemple de Berte Mollet, 95 ans.
09:08Tout le monde sait, à Neuville-Dussel, en Corrèze,
09:12qu'elle cache un magot fabuleux chez elle.
09:16Tout le monde sait, à Neuville-Dussel, en Corrèze,
09:20qu'elle cache un magot fabuleux chez elle.
09:23Ce qu'on ignore, c'est la somme exacte.
09:27Cela dit, un magot est un magot.
09:31Le vieux curé, qui sait que l'Église sera le légataire universel de Berte Mollet,
09:38essaie de la persuader de placer sa fortune, quelle qu'elle soit,
09:43dans les banques, avec intérêt.
09:46C'est trop stupide, n'est-ce pas, l'argent qui dort ?
09:50Mais il n'y a rien à faire.
09:53Pour Berte, les banques, c'est voleurs et compagnies.
09:58Le vieux curé se lève et pose une main apaisante sur l'épaule de sa paroissienne.
10:06« Bon, je vais vous quitter là, Berte, mais j'en reviendrai bientôt vous voir.
10:12Réfléchissez à ce que je viens de vous dire, hein ?
10:15Réfléchissez, Berte.
10:17Je sais bien que le Joseph n'avait confiance que dans les espèces sonnantes et trébuchantes,
10:23mais de nos jours, un compte en banque est parfaitement sûr, la Berte.
10:29Le carnet qu'on vous remet, ben, c'est comme si vous aviez les billets, la Berte.
10:34Vous m'entendez ? Comme si vous aviez les billets. »
10:38La vieille se contente de hocher la tête.
10:42Elle fixe le mur de ses yeux pâles, le regard vague.
10:47A-t-elle entendu le curé ou a-t-elle laissé vagabonder son esprit pendant qu'il discoursait ?
10:55Le père Lamazière ne saurait le dire.
10:58Et il sort de la maison en hochant la tête.
11:05Alphonse Payou s'immobilise devant la porte de la petite maison du curé,
11:12l'oreille tendue vers les voix qui discutent dans la cuisine.
11:17Alphonse Payou est un gars curieux, bizarre, avec de si petites oreilles.
11:24Pourtant, il sait toujours ce qui se dit dans un rayon considérable.
11:31Voici près d'un an qu'il est chargé des travaux d'entretien de l'église.
11:35En fait, depuis le jour où, traînant en ville, il avait échoué la affamée.
11:40Il est de ces errants, comme on en voit depuis toujours,
11:44circulés d'un village à l'autre, sans but, ni départ, sans règles, ni argent.
11:49Des hommes libres, comme on dit.
11:52Parfois de braves types, d'ailleurs, mais parfois des canailles, comme partout ailleurs.
12:00Le père Lamazière lui a proposé une petite somme d'argent,
12:03le gîte et le couvert pour effectuer les tâches nécessaires dans le jardin derrière l'église
12:07et partout ailleurs où un bricolage s'avérait.
12:11En voyant avec quelle dextérité et quelle rapidité l'Alphonse, ce gros type,
12:15s'acquittait des diverses tâches, comme s'il s'était agi d'un jeu d'enfant,
12:19le brave curé lui a proposé de rester.
12:23— Vois-tu, Alphonse, il me faut un sacristain.
12:26Si tu acceptes de faire toutes les petites besognes utiles,
12:29je pourrai te verser un petit salaire régulier, n'est-ce pas ?
12:34Alphonse accepta, et depuis s'est exécuté sans cesser de rouspéter.
12:42Jusqu'à la semaine dernière, où, pour Dieu sait quelle obscure raison,
12:46il a donné son congé.
12:49Aujourd'hui est précisément son dernier jour.
12:55L'une des voix qui parle dans la cuisine du curé est précisément celle du père Lamasière.
13:04Alphonse reconnaît l'autre voix pour être celle de Lucien Mémac,
13:09un vieux fidèle qui est aussi l'un des plus anciens administrateurs de l'Église.
13:15— Je comprends que vous vous doutiez d'épouvanter la vieille dame, monsieur le curé,
13:19seulement on doit penser à l'Église.
13:22— Je sais, mon bon Lucien, mais ne pensez-vous pas que...
13:25— Non, monsieur le curé.
13:27Quand la Berte Moray rejoindra le Tout-Puissant, c'est à nous que reviendra sa fortune,
13:32et le Seigneur sait à quel point elle nous sera nécessaire, va-t-il.
13:36Nous devons absolument convaincre la Berte de déposer son trésor dans une banque.
13:41Si elle peut se permettre de perdre des intérêts d'une telle somme,
13:45nous ne sommes pas dans le même camp, monsieur le curé.
13:47— Avez-vous rappelé le testament et l'intérêt de l'Église, monsieur le curé ?
13:51— Non, mon bon Lucien, je me suis dit que ça manquerait de délicatesse.
13:56— Allons donc, monsieur le curé,
13:58il n'est pas délicat d'évoquer ce qu'on souhaite pour l'Église, va-t-il.
14:02Je crois qu'il faudra que je vous accompagne lors de votre prochaine visite à la Berte.
14:06Après tout, Joseph et moi, on était des amis intimes.
14:10La Berte s'en souviendra certainement, et elle m'écoutera.
14:13L'Alphonse Payou n'a pas perdu une miette de ce dialogue,
14:19et c'est avec un étrange sourire aux lèvres qu'il file à pas de loup.
14:26Merdiseur ce soir-là, la neige tombe drue
14:32lorsqu'Alphonse pousse la porte non verrouillée de la masure de la Berte Molet.
14:38La vieille dame est assise sur son tabouret dans son cantou.
14:43Souvent, les nuits froides et venteuses, elle dort dans son immense cheminée.
14:49Il y fait plus chaud que dans son lit, installé dans la pièce voisine.
14:54Quand Alphonse apparaît dans l'encadrement de la porte,
14:59elle ne dort pas, mais ne manifeste aucune peur en le voyant se planter là.
15:05L'Alphonse est tout couvert de neige et tient son chapeau dans ses grosses mains rougeaudes.
15:11Fixant le visage de l'homme, Berte se dit qu'elle doit le connaître.
15:17Elle a depuis quelque temps des troubles de mémoire imprévisibles.
15:22Alphonse ne s'attarde pas à tourner autour du pot, surtout s'il est plein d'or.
15:29— Alors, la vieille, paraît que vous gardez de l'or dans cette bicoque ?
15:34Berte acquiesce d'un signe de tête.
15:38— Sans doute quelqu'un de l'église.
15:40De toute manière, à quoi bon nier la vérité ?
15:44— Alors, la Berte, dites-moi où qu'il est le magot.
15:48Berte écarquille les yeux.
15:51— Pas possible que ce grossier personnage soit envoyé par M. le curé.
15:57Elle fait non de la tête.
16:00Joseph ne lui a-t-il pas toujours recommandé de se méfier des étrangers ?
16:05— Oh ! que si vous aimez dire où qu'il est votre magot, la vieille !
16:09— Je ne sais pas qui vous êtes, mais Joseph m'a bien recommandé de ne rien dire à personne.
16:17Cette petite voix ténue agace terriblement Alphonse Payot.
16:22— Mais à moi vous le direz, la vieille !
16:24Et il empoigne la Berte par le col de son vieux manteau.
16:27Comme la vieille femme ferme les yeux et se tait, il la secoue, la secoue et la secoue encore.
16:34Au bout d'un moment, il s'arrête.
16:39La tête de Berte Mollet retombe sur sa poitrine, inanimée.
16:45— Oh ! ben voilà autre chose !
16:49Alphonse regarde de tous côtés.
16:52Il se décide pour la cave.
16:54Intuition, expérience de rapine, allez savoir.
16:59L'endroit minuscule semble moisi, à part quelques vieux meubles qui tombent en poussière,
17:06rien, enfin, presque rien, car des pas ont dessiné leur empreinte dans la poussière.
17:15Ils partent de l'escalier vers le mur du fond.
17:21Alphonse les suit en souriant.
17:25Quand il aperçoit une pierre décelée, il rit franchement.
17:30Il enlève la pierre et plonge la main dans une cavité.
17:35— Quel sens de lâcharité, l'Alphonse, de réparer le mur de la cave de Berte Mollet par cette nuit d'hiver !
17:42Alphonse sursaute et se retourne.
17:45Lucien Memac est là.
17:47Qu'il menace d'un fusil.
17:50— Bouge pas, l'ami !
17:52J'ai peut-être vieux, mais j'ai des réflexes.
17:55Vois-tu, cet après-midi, t'as pas fui assez vite quand t'as écouté notre conversation au curé et à moi.
18:01J'ai eu des soupçons apparemment fondés.
18:04Allez, continue ce que t'as commencé.
18:06Mais attention, mon fusil est chargé.
18:11Alphonse, rouge de colère et de honte, replonge la main dans le trou du mur
18:19et s'empare d'une sacoche de grosse toile cachée au fond de la cavité.
18:25En l'ouvrant, il pousse une exclamation de dépit.
18:31— Mais c'est un vulgaire cahier !
18:35Pas si vulgaire que ça, l'Alphonse.
18:37C'est un livret de caisse d'épargne.
18:40Mais comme M. le curé a persuadé la Berte que c'était comme de l'argent,
18:44elle l'a cachée comme de l'argent, mon vieux.
18:48Alphonse reste là à fixer ce satané livret.
18:53Allez, viens, l'Alphonse.
18:55Là où tu vas te retrouver, tu vas passer quelques années au chaud sans dépenser le moins de centimes.
19:02Heureusement aussi, sans avoir l'occasion d'ouvrir un livret de caisse d'épargne.
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