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Transcription
00:00Bienvenue au Cœur du Crime, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:08Savez-vous que plus d'un tiers des crimes et délits commis en France sont traités par la gendarmerie nationale ?
00:18Bonsoir, je m'appelle Jan Kermadek, je suis commandant de gendarmerie.
00:27Je dirige une section de recherche dont la mission essentielle est une mission de police judiciaire.
00:42L'histoire que je vais vous raconter est une histoire vraie.
00:46Tous les faits sont réels et se sont déroulés en France.
00:50Seuls les noms des personnes et des lieux ont été changés.
00:57Ce jeudi 23 mars, au petit matin, le ciel est gris, bas.
01:05Le jour se lève, froid, triste et sale, comme la marne qui charrie ses eaux boueuses.
01:13Il a plu toute la nuit.
01:16Du haut de sa péniche, un marinier aperçoit, entre deux eaux,
01:21une masse sombre, retenue par des branchages entrelacés tout près de la berge déserte.
01:28Quelques centaines de mètres plus loin, le marinier alerte l'éclusier qui fait appeler les gendarmes de la brigade territoriale.
01:37L'adjudant Henry, commandant la brigade, se rend aussitôt sur les lieux accompagnés de quatre de ses hommes.
01:45Au bout d'une demi-heure de cheminement pénible dans les hautes herbes et les ronces mouillées,
01:50ils approchent enfin de ce qui semble être une forme humaine.
01:55Après bien des efforts, ils parviennent à sortir de l'eau froide et boueuse le cadavre ruisselant d'une femme.
02:05L'adjudant Henry me fait aussitôt prévenir.
02:08C'est ainsi que, vingt minutes plus tard, accompagné des gendarmes Malvin et Beauvais, le technicien des investigations criminelles,
02:17j'arrive sur les lieux de la macabre découverte.
02:21L'enquête commence.
02:24L'inconnue est âgée d'une quarantaine d'années.
02:28Elle porte au visage de larges échymoses, comme si elle avait été martelée de coups violents avant de mourir.
02:36Elle est vêtue d'un lourd manteau de laine sous lequel elle porte un pull-over à col roulé et un pantalon de velours.
02:45À son poignet, une montre arrêtée sur six heures.
02:51La mort semble remonter à une dizaine de jours environ.
02:56Des trois hypothèses, crime, suicide, accident, formulées comme toujours en pareilles circonstances,
03:03celle du suicide ne semble pas, a priori, devoir être retenue.
03:09Le médecin qui vient d'arriver avec l'ambulance déclare que, d'après ses premières constatations,
03:15la cause de la mort ne serait pas la noyade.
03:19Il faudra donc pratiquer une autopsie.
03:23Les premières recherches d'indices auxquelles nous nous livrons, Beauvais et moi,
03:27consistent en une fouille minutieuse des vêtements ruisselants et imprégnés de vase portés par la morte.
03:35Nous n'y trouvons aucun papier d'identité, aucune photographie, rien,
03:40si ce n'est un vieux porte-monnaie en cuir renfermant 49 francs 60 et trois fiches de paye détrempées.
03:49La dernière datait du 7 mars.
03:52Ces fiches de salaire révèlent le nom et l'adresse de l'employeur.
03:57Les établissements Eugène Carrière et fils, 115 boulevard Lamarque,
04:02ainsi que le nom de la salariée, mademoiselle Odette Sarrois.
04:09Tandis que l'ambulance repart en portant le corps de la morte vers la morgue de l'hôpital municipal,
04:14je fais le point avec l'adjudant Henry.
04:18Nous allons mener cette enquête de concert.
04:20Lui et ses gendarmes vont poursuivre leurs investigations,
04:23tendant à établir si la victime a séjourné dans la région,
04:27tandis que de mon côté, je demande à deux de mes hommes de se rendre aux établissements Eugène Carrière
04:32afin d'obtenir tout renseignement concernant Odette Sarrois.
04:38Moins de deux heures plus tard,
04:40mes hommes me confirment que la morte que nous avons repêchée dans la Marne est bien Odette Sarrois,
04:4738 ans, célibataire, employée à la manutention, et qu'on ne lui connaît aucune liaison.
04:55Les hommes de l'adjudant Henry travaillent d'arrache-pied.
04:58Ils vont partout alentour, dans les meublés, les auberges, les hôtels, les cafés-restaurants, les asiles,
05:04le long de la Marne, cherchant des traces du passage de la femme disparue.
05:10Mes hommes de la section de recherche ne chôment pas non plus.
05:13Ils transmettent des messages aux brigades territoriales limitrophes,
05:17établissent des croquis, prennent des photos,
05:20et questionnent tous les habitants du quartier dans lequel résidait Odette Sarrois.
05:26De mon côté, je me rends aux établissements Carrière.
05:29Je tiens à entendre moi-même le chef du personnel qui, d'après mes hommes,
05:33semblait bien connaître la victime.
05:37Fort aimablement, il me confirme tout ce qu'il a dit au gendarme ce matin,
05:42c'est-à-dire qu'Odette Sarrois était une fille sans histoire,
05:46et brusquement, au soir du 20 mars, sans donner la moindre explication,
05:51elle a définitivement quitté son travail.
05:55Personne ici ne l'a jamais revue, ni ne sait ce qu'elle est devenue.
06:02À son domicile, la concierge nous apprend qu'Odette Sarrois vivait maritalement
06:08avec Robert Dussel, chauffeur de taxi.
06:12Il y a une dizaine de jours, une dispute terrible a éclaté entre Odette et son amant.
06:17Police secours a même dû intervenir.
06:20Depuis, personne dans la maison n'a revu Odette.
06:25Au commissariat de police, La Main Courante, c'est-à-dire le grand livre
06:29dans lequel on consigne chaque jour toutes les déclarations ou les incidents,
06:33La Main Courante donc fait mention qu'effectivement, le 15 mars, à une heure du matin,
06:39M. Dussel Robert et Mlle Sarrois Odette ont été amenés au sujet d'un différent qui les opposait.
06:46Mlle Sarrois, blessée à la main, a reçu des soins à l'hôpital municipal.
06:50M. Dussel a porté plainte contre sa maîtresse pour violences et dégâts mobiliers.
06:59De retour à mon bureau, je réfléchis à tous les renseignements qui sont en ma possession.
07:06De nombreuses questions demeurent sans réponse.
07:10En effet, s'il s'agit d'un accident, que venait faire Odette Sarrois à 6 heures du soir ou du matin ?
07:18Rappelez-vous, la montre-bracelet est arrêtée à 6 heures.
07:22Que venait-elle faire à cette heure-là sur les bords de la Marne, à 20 kilomètres de chez elle ?
07:29D'autant que nous le savons, elle ne possède pas de voiture.
07:34Un crime ?
07:35Évidemment, cette hypothèse n'est pas à rejeter.
07:39Une dispute au bord de la Marne, des coups portés au visage, une chute...
07:44Jusqu'ici, rien ne prouve que le cadavre n'a pas été transporté jusqu'à un point quelconque de la rivière, puis jeté à l'eau.
07:52Le corps, entraîné par le courant, aura dérivé jusqu'aux basses branches dans lesquelles, ce matin, le marinier l'a aperçu.
08:02À 21 heures, l'autopsie pratiquée par le médecin légiste révèle que les hématomes existants autour des yeux
08:10et l'entaille profonde de la main droite proviennent d'accidents ou de coups reçus avant la mort.
08:18Le médecin ajoute qu'à son avis, le décès remonterait à 8 jours environ et aurait été provoqué par immersion.
08:32Le problème reste entier.
08:35Odette Sarrois a été jetée ou s'est jetée vivante dans la Marne.
08:42Ce qui est certain, c'est qu'en aucun cas, elle n'a pu être tuée d'abord, puis transportée et jetée dans les eaux boueuses de la Marne.
08:52Alors...
08:54Crime ?
08:56Accident ?
08:58Suicide ?
09:01C'est ce que vous saurez dans quelques instants.
09:10Dans les eaux boueuses de la Marne, on a repêché le corps d'une femme âgée d'une quarantaine d'années.
09:18On a trouvé sur elle qu'un bulletin de salaire avec son nom, Odette Sarrois,
09:23et celui de l'entreprise qu'il employait, les établissements Carrière et Fils.
09:27Au cours de leur enquête, les gendarmes apprennent qu'Odette Sarrois vivait avec un certain Robert Dussel, chauffeur de taxi, âgé de 60 ans.
09:38Le rapport d'autopsie est formel.
09:41Odette Sarrois est morte noyée.
09:46Le lendemain matin, dès 7 heures, j'envoie deux de mes gendarmes au domicile de Robert Dussel.
09:51À 7 heures 30, il pénètre dans mon bureau.
09:56Robert Dussel est âgé d'une soixantaine d'années.
09:59Il est grand, assez bien bâti.
10:02Son visage est agréable et ses yeux bleus sont emprunts de douceur.
10:08Il paraît très surpris d'apprendre que son amie Odette est morte noyée.
10:14Son regard s'attriste quelque peu.
10:16Mais il reste calme et silencieux.
10:20Et puis, soudain, il éprouve le besoin de raconter.
10:26« J'ai connu Odette il y a quinze ans.
10:30Elle mendiait dans la rue.
10:33Elle était sans famille, sans logis, sans travail.
10:37Elle était mignonne.
10:40Alors je l'ai amenée chez moi.
10:42Elle était mignonne.
10:45Alors je l'ai amenée chez moi.
10:47En tout bien tout honneur, vous savez,
10:50moi je n'ai pas de besoins sexuels comme la plupart des hommes.
10:54Odette dormait dans une petite chambre à côté de la mienne.
10:58Je la considérais un peu comme la fille que je n'avais pas eue.
11:02Et puis un soir, c'est elle qui est venue me rejoindre dans mon lit.
11:08Depuis, nous avons vécu comme un couple.
11:13Pendant près de trois ans, on a été heureux.
11:17On travaillait tous les deux.
11:19Moi, taxi, elle, chez les carrières.
11:22On vivait bien, quoi.
11:25Le samedi et le dimanche, Odette m'accompagnait à la pêche sur les bords de la Marne.
11:31Il faut que je vous dise, j'adore la pêche.
11:34Odette avait l'air d'être contente.
11:37Elle me donnait l'impression, non pas d'aimer la pêche, mais d'aimer tout ce que j'aimais.
11:45Elle semblait soumise, reconnaissante, presque aimante.
11:55Mais, comme je vous l'ai dit, l'amour physique, c'est pas tellement mon affaire.
12:01Et certaines nuits, c'était pénible.
12:06Odette, elle acceptait pas mon âge.
12:09Alors, elle me faisait des scènes d'une violence incroyable.
12:14Et puis, elle s'est mise à boire.
12:18D'abord en cachette, et puis ouvertement, mais jamais en dehors de la maison et jamais à son travail.
12:26Bien sûr, je lui reprochais sa conduite.
12:28Et nos disputes devenaient de plus en plus fréquentes.
12:32Il lui arrivait même de m'insulter, de me traiter d'impuissant, de me frapper pendant mon sommeil.
12:40Et puis, elle buvait de plus en plus.
12:44Une nuit, même, elle a tenté de se suicider en s'ouvrant les veines avec mon rasoir.
12:51Moi, j'éprouvais toujours de la tendresse pour elle, mais...
12:55tout dialogue était devenu impossible.
12:59Elle se transformait en furie de plus en plus souvent.
13:04Alors, dès que je pouvais, je m'échappais de la maison et j'allais pêcher sur les bords de la morne.
13:12C'était ma seule distraction, ma seule consolation.
13:17Et les mois, les années ont passé comme ça, tristes, vides, durs à vivre, à se guetter sans se comprendre.
13:31Oh, elle a sûrement eu des amants, mais je ne pouvais pas lui en vouloir.
13:37Aussi, je ne lui posais jamais de questions.
13:39Elle continuait à boire jusqu'à tomber ivre morte certains soirs.
13:45Et puis, le samedi 14 mars, vers 20 heures, je rentre de la pêche et qu'est-ce que je vois ?
13:55Odette, complètement saoule, et l'appartement saccagé, les armoires vidées, les portes vide,
14:04complètement saoule, et l'appartement saccagé, les armoires vidées, les photos de famille,
14:11celle de ma défunte femme brûlée, bref, un spectacle épouvantable.
14:19Odette, elle était couchée sur le lit, tout habillée, ivre morte,
14:25elle avait vomi partout et son poignet saignait abondamment.
14:29Cette fois, j'en ai eu plus qu'assez.
14:32Je l'ai saisie à bras le corps, je l'ai déposée sur le palier et j'ai refermé la porte à clé.
14:40Quand Odette s'est réveillée une heure plus tard, elle a été prise de folie furieuse.
14:44Elle s'est jetée de toutes ses forces contre ma porte en frappant, hurlant, trépignant,
14:49m'insultait et insultait les voisins qui s'en venaient voir ce qui se passait.
14:54Pébosquement, elle a dévalé l'escalier et s'en allait briser la glace de l'avertisseur de police.
15:03Le cap de police est arrivé aussitôt.
15:06Odette m'a accusé de l'avoir battue et jetée dehors de chez moi sans lui avoir rendu ses affaires.
15:12Moi, j'ai dit aux agents que je refusais de reprendre la vie commune avec cette furie
15:17et je leur ai remis une valise contenant toutes ses affaires,
15:20son manteau de laine, son sac, ses gants.
15:23Je lui ai donné également quinze mille francs
15:26et puis je lui ai dit devant témoin que je ne voulais plus jamais entendre parler d'elle.
15:32Odette furieuse a m'acheté l'argent à la figure et puis m'a crié
15:36« Pour aller où je vais, j'ai pas besoin de ton sale fric ! »
15:41Les agents ont emmené Odette au commissariat et puis j'ai pu entendre parler d'elle.
15:47Je mentirais si je vous disais que je n'ai pas eu de chagrin.
15:53Les jours suivants, j'ai imaginé qu'elle était chez un de ses nombreux amants.
15:59Je ne me suis pas inquiété outre mesure et j'ai repris ma vie de vieux célibataire.
16:04Entre mon taxi et la pêche, j'ai de quoi faire.
16:09Une vie sans histoire pour un vieil homme sans histoire, quoi !
16:17Robert Ducelle baisse la tête.
16:20De grosses larmes coulent le long de ses jours idées.
16:26Alors, je me souviens des déclarations de la concierge.
16:31Odette lui disait souvent
16:34« Si un jour on devait séparer Robert et moi, il ne me resterait plus qu'à aller me foutre à l'eau. »
16:39Tout paraît clair.
16:42Mais pourtant.
16:44Pourtant, la dernière feuille de paye trouvée sur le cadavre d'Odette portait la date du 14 mars,
16:50jour où, après une violente dispute, Robert Ducelle était parti seul à la pêche sur les bords de la Marne.
16:56La rupture définitive, suivie de bagarres avec intervention de police secours,
17:01s'était produite dans la nuit du 14 au 15 mars.
17:04Et Odette avait définitivement disparu le 15 mars à l'aube,
17:08alors que le chef du personnel des établissements Carrière et Fils
17:11affirmait, lui, qu'elle avait quitté son emploi définitivement le 23 mars.
17:17Il existait donc, par conséquent, un trou important qu'on ne pouvait expliquer.
17:26Qu'avait fait Odette entre le 15 mars et le 23 mars ?
17:31Qui avait-elle rencontré ?
17:34Robert Ducelle, quoi qu'il en dise, avait-il revu Odette ?
17:40Il me fallait donc contrôler, heure par heure, minute par minute,
17:44tout l'emploi du temps d'Odette Sarrois du 15 mars au 23 mars.
17:51Sous les ordres de l'adjudant Henry,
17:54les hommes de la Brigadier-de-la-Police,
17:56sous les ordres de l'adjudant Henry,
17:59les hommes de la Brigade Territoriale se rendent à nouveau
18:02dans le petit village au bord de la Marne,
18:04où Robert Ducelle va taquiner le poisson depuis bientôt 30 ans chaque week-end.
18:10Après audition de nombreuses personnes, il est établi que Robert Ducelle a dit la vérité.
18:15Il est bienvenu ce jour-là, mais seul, sans Odette.
18:19Tous les témoins sont formels.
18:22D'ailleurs, on n'a pas vu la jeune femme dans la région depuis fort longtemps.
18:28Le 24 mars, lendemain du jour où elle a définitivement quitté son emploi,
18:34d'après le chef du personnel, Robert Ducelle est venu pêcher seul.
18:39Il a trempé ses lignes jusqu'au soir et, vers 19h, au café de l'écluse,
18:45il a confié à ses amis que tout était fini entre Odette et lui.
18:51Qu'elle lui en avait trop fait voir et que, de toute façon, il n'était pas à la hauteur.
18:59Puis, il était reparti, calme, détendu.
19:07Un peu triste tout de même.
19:12Il est 13h. Dans mon bureau, je fais le point avec l'adjudant Henry.
19:16Il nous paraît évident maintenant que la solution se trouve aux établissements carrière et fils
19:22et que nous devons retourner voir le chef du personnel.
19:27Nous y retournons.
19:29Et c'est là que nous trouvons la clé de l'énigme.
19:33Il y a tout simplement eu confusion dans l'esprit du responsable du personnel.
19:38Odette n'a pas quitté son emploi le 23 mars, mais le 14 mars au soir.
19:43Nous consultons le registre.
19:46C'est écrit en toutes lettres.
19:49Odette a été payée pour la dernière fois le 14 mars.
19:54Tout est clair à présent.
19:57Nous pouvons aisément reconstituer les dernières heures de la vie d'Odette Sarrois.
20:03Vers 6h du matin, le 15 mars, elle sort du commissariat,
20:07le visage timéfié par les coups qu'elle s'est porté elle-même dans la folie de la colère et de l'ivresse.
20:15Elle n'ose pas montrer l'image de sa déchéance à l'un de ses amants de passage.
20:20Alors, réalisant qu'elle a tout perdu, tout gâché, tout détruit de ce qui était son bonheur,
20:28elle retourne une dernière fois à l'endroit où elle a passé les meilleurs moments de sa pitoyable existence,
20:35dans ce petit coin paisible des bords de Marne,
20:39où Robert, le seul être au monde qui lui ait témoigné de la tendresse, aimait tant aller pêcher.
20:56Et là, ivre de fatigue, de désespoir et d'alcool,
21:03dans la grisaille du petit matin,
21:07elle met fin à ses jours en se jetant dans l'eau froide et sale,
21:13telle une ophélie des temps modernes.

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