Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l’Europe, est l'invité de Sonia Devillers ce mercredi 6 novembre. Il revient avec nous sur la nuit électorale américaine, qui devait départager Donald Trump et Kamala Harris. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-mercredi-06-novembre-2024-2994423
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00:00Sonia Devillers, votre invitée ce matin est le ministre délégué chargé de l'Europe.
00:04Bonjour Benjamin Haddad, avant d'entrer en politique, je le rappelle, vous avez vécu
00:08de 2014 à 2022 aux Etats-Unis, vous étiez alors chercheur en relations internationales
00:13basé à Washington.
00:15Donald Trump en route pour une probable victoire, vous avez donc vécu la première victoire
00:21de Donald Trump, vous étiez à Washington à ce moment-là, avec des scores bien plus
00:24nets que ceux à quoi on s'attendait.
00:26Comment vous réagissez à ces résultats ?
00:28Il faut attendre qu'ils se confirment, mais déjà les Etats-Unis sont nos alliés,
00:34donc nous on travaillera avec le président américain et lui quel qu'il soit.
00:37On a travaillé avec Donald Trump dans le premier mandat d'Emmanuel Macron entre 2016
00:41et 2020.
00:42Il faudra trouver les moyens de travailler sur nos intérêts en commun, mais fondamentalement
00:48ce que je vois et c'est ce que j'avais ressenti déjà lors du premier mandat, c'est
00:50que la réponse elle est chez nous, elle est en nous, c'est la capacité pour les
00:52Européens de prendre en charge leur propre destin, leur sécurité au moment où on
00:56voit effectivement ces tendances aux Etats-Unis.
00:57On va y revenir évidemment, mais là on voit bien qu'il y a eu une forme de naïveté,
01:02il y a eu une forme d'incompréhension sur les raisons qui pourraient à nouveau porter
01:05Donald Trump au pouvoir, voire une forme de déni.
01:08Dans un livre que vous avez publié en 2019 qui s'intitulait « Le paradis perdu »,
01:12vous l'avez écrit, Benjamin Haddad, Donald Trump n'était pas une parenthèse.
01:16Donald Trump n'a jamais été un accident de l'histoire.
01:19Oui exactement, c'est ce que je pense.
01:20Je pense qu'il était l'accélérateur de tendances plus profondes qu'on a vu dans
01:23la démocratie américaine, dans son rapport au monde, au protectionnisme, à la politique
01:26étrangère.
01:27Il y a eu trois écueils en 2016.
01:29Le premier, c'est de ne pas avoir voulu voir les sujets qui ont fait le succès de
01:34Donald Trump.
01:35La question de la désindustrialisation, la question de l'immigration, le rejet aussi
01:39de l'interventionnisme en politique étrangère et ce que ça veut dire effectivement pour
01:41nous Européens, mais pour nous aussi modérés, pro-européens en Europe.
01:45Le deuxième, c'est d'avoir cru en effet que c'était une parenthèse de l'histoire
01:49et que tout allait revenir à la normale quatre ans plus tard et qu'on allait pouvoir repartir
01:53sur cette relation transatlantique sur les mêmes bases.
01:56Et puis, la dernière, au fond, ça a été d'aller à Washington en Européens en rang
02:03dispersé et de privilégier des relations bilatérales, souvent transactionnelles.
02:07Et une fois de plus, c'est l'unité européenne, c'est la souveraineté européenne qui permettra
02:11à la fois de défendre notre sécurité et nos intérêts, mais aussi de réinventer
02:15cette relation transatlantique sur des bases plus équilibrées.
02:18C'est le message que porte la France et le président de la République depuis 2017.
02:21Oui, c'est ça.
02:22Mais il est là l'enjeu.
02:23Combien de temps l'unité européenne va pouvoir faire bloc et faire front ?
02:28Et comme vous dites, est-ce que les Européens, est-ce que les 27 ne vont pas aller à Washington
02:32en ordre dispersé ?
02:34Prenons les dossiers qui sont au cœur de ces enjeux américano-européens les uns après
02:40les autres.
02:41La défense d'abord.
02:42Est-ce que l'Europe a la volonté ?
02:44Est-ce que l'Europe a les moyens de se défendre ?
02:46Benjamin Haddad, est-ce qu'elle a les moyens de prendre en main sa sécurité ?
02:51De toute façon, la réponse est simple.
02:53Elle n'a pas le choix.
02:54On a aujourd'hui une guerre à nos frontières, la guerre d'agression de la Russie contre
02:57l'Ukraine, qui a un impact direct sur notre sécurité.
03:00Les Européens ne peuvent pas accepter que leur sécurité se décide sans eux, que demain
03:04on impose une capitulation aux Ukrainiens sans les Ukrainiens, sans les Européens.
03:09Nous devons nous donner les moyens de continuer à soutenir les Ukrainiens, à continuer à
03:13défendre l'Ukraine.
03:14C'est la condition de notre sécurité.
03:16Si on veut pouvoir être entendu, il faut qu'on soit capable de peser sur le plan économique,
03:20en réinvestissant dans notre compétitivité, c'est ce qu'a montré le rapport de Rajiv
03:25sur le plan militaire.
03:26Mais l'Ukraine d'abord, à une mère de famille ukrainienne qui se réveille et qui découvre
03:29comme moi les résultats ce matin, qu'est-ce que vous pouvez lui dire ? Que c'est une
03:32victoire annoncée pour Vladimir Poutine ?
03:34On lui dit que ce serait une erreur historique pour les Européens comme pour les Américains
03:39d'abandonner les Ukrainiens, que c'est notre responsabilité à nous Européens de
03:43continuer à soutenir l'Ukraine parce que c'est la condition de notre sécurité et
03:47que si nous Européens voulons peser dans les débats qui vont s'ouvrir à la fois
03:51sur le plan économique, commercial et sur le plan militaire, il faut qu'on investisse
03:57dans notre sécurité, qu'on prenne notre destin en main parce que fondamentalement
03:59sinon les décisions seront prises sans nous.
04:01Les Américains disent « si vous n'êtes pas autour de la table, vous êtes au menu ».
04:05C'est ça aujourd'hui qui joue pour les Européens.
04:07Si vous n'êtes pas autour de la table, vous êtes au menu.
04:09Viktor Orban qui est le premier ministre hongrois, on l'a entendu tout à l'heure, se félicite
04:14déjà d'une belle victoire de Donald Trump.
04:18Il est du côté de Vladimir Poutine, il est du côté de Donald Trump pour faire cesser
04:23la guerre en 24 heures comme l'a promis Donald Trump.
04:27Est-ce qu'à votre avis il peut y avoir un axe Washington-Budapest, un nouveau pivot
04:32de la relation transatlantique ?
04:33La division des Européens, elle nous nuirait à tous, à la fois collectivement mais même
04:37individuellement si on veut être capable de défendre nos intérêts.
04:40Mais moi je voudrais plutôt souligner les déclarations que j'ai entendues chez certains.
04:45Par exemple ce week-end, un tweet du premier ministre polonais, Donald Tusk, qui a dit
04:49« que ce soit Kamala Harris ou Donald Trump, la réponse est en Europe, nous devons être
04:53capables d'assurer notre sécurité ».
04:55Il disait « the era of geopolitical outsourcing is over », c'est-à-dire le fait de délocaliser
05:01notre sécurité à d'autres, c'est terminé.
05:03Voilà, on a là des partenaires qui tiennent un discours sur la souveraineté européenne,
05:09sur la nécessité d'assumer notre destin avec nos alliés américains mais de le faire
05:13pour peser dans cette relation qui est le discours, encore une fois, qui est porté
05:16par la France et le président de la République depuis quelques années.
05:18On va s'interrompre pour aller à Washington, rejoindre Claude Guibal.
05:23Claude, une information vient de tomber.
05:26Oui, effectivement, cette information c'est que Fox News, qui est cette chaîne très
05:32proche de Donald Trump, annonce la victoire de Donald Trump, c'est effectivement une
05:38chaîne très partisane.
05:40Radio France, elle, a décidé de ne pas considérer les résultats donnés par Fox News comme
05:46des résultats définitifs, comme de très nombreux médias.
05:49Nous attendons donc la confirmation par un certain nombre d'autres médias et notamment
05:55l'agence de presse AP qui, traditionnellement, depuis des années, est celle qui donne les
05:59résultats de cette élection américaine.
06:01Voilà la règle ici, merci Claude, c'est AP plus CNN, on attend ces deux sources avant
06:07de donner quelques résultats, que ce soit de manière définitive.
06:12Sonia ?
06:13Benjamin Haddad est donc ministre délégué chargé de l'Europe, il est l'invité du
06:167h50 de France Inter et nous continuons à voir avec vous les dossiers chauds auxquels
06:22seront confrontés les 27 membres de l'Union Européenne.
06:24Si Donald Trump est bien le nouveau président américain, il veut porter de nouveaux droits
06:29de douane qui pourraient s'élever à plus de 10% de l'ensemble des produits américains.
06:34Est-ce que l'Europe se prépare à mener une guerre commerciale face aux Etats-Unis ?
06:39Déjà, le protectionnisme ne serait dans l'intérêt de personne puisque nous sommes
06:42les partenaires commerciaux principaux les uns des autres.
06:45Maintenant, depuis quelques années, l'Europe commence à sortir de sa naïveté sur ces
06:49sujets, sur le plan commercial et se dote enfin des instruments, des outils pour être
06:53capable de défendre ses intérêts.
06:54On l'a fait il y a à peine quelques jours en imposant des droits de douane sur les véhicules
06:58électriques chinois parce que la Commission a meni une enquête de la Commission Européenne
07:01qui a constaté des pratiques commerciales déloyales, des subventions de la part de
07:06la Chine pour son industrie de véhicules électriques.
07:09Et nous avons su faire ce que les Américains de Biden ont fait aussi en imposant des tarifs
07:13de 100% sur les véhicules électriques.
07:14Nous avons imposé des tarifs douaniers.
07:16Donc là-dessus, il faut que les Européens continuent de développer ces outils, ces
07:20instruments pour se défendre collectivement.
07:22Mais une fois de plus, ce n'est dans l'intérêt de personne de rentrer dans une spirale protectionniste.
07:26Mais là aussi, est-ce que les 27 ne sont pas tiraillés par leur divergence ? Est-ce
07:30que la France et l'Allemagne peuvent trouver un terrain commun ? On sait que les Allemands
07:35ont impérativement besoin de leurs débouchés commerciaux aux Etats-Unis.
07:39On sait que les Italiens ont besoin de leurs débouchés commerciaux aux Etats-Unis.
07:43Est-ce que là aussi, on ne risque pas de voir l'Europe se pulvériser sur ces questions
07:47économiques ?
07:48Je crois profondément qu'on est confronté au même défi.
07:50Je vous parlais tout à l'heure du rapport Draghi.
07:52Quand on voit depuis 30 ans, les Américains ont créé deux fois plus de PIB que l'Europe.
07:56Sur des sujets comme l'intelligence artificielle ou le quantique, aujourd'hui, les investissements
07:59vont essentiellement vers les Etats-Unis.
08:02Donc, cet enjeu de réinvestir dans notre industrialisation, dans les industries d'avenir,
08:09de finir le marché unique par l'unification des marchés de capitaux, de donner les moyens
08:13aux innovateurs, aux entrepreneurs, de pouvoir innover aussi en Europe comme c'est le cas
08:17aux Etats-Unis, ça c'est un sujet pour la France, pour l'Allemagne, pour tous nos
08:20partenaires européens.
08:21On comprend bien que la France prône un rapport de force musclé avec Washington, mais est-ce
08:24que vous serez suivi ?
08:25On doit pouvoir assumer des rapports de force, mais on doit aussi pouvoir investir dans notre
08:28compétitivité, notre productivité au niveau européen, ensemble, parce que ce sera la
08:32façon de peser aussi dans les grands équilibres du monde.
08:35Au-delà simplement de la relation avec les Etats-Unis, regardons en Europe ce que nous
08:38pourrons faire pour les Européens, ce sera aussi la façon de peser dans un éventuel
08:42rapport de force.
08:43Le multimilliardaire Elon Musk, on l'a entendu dans la chronique de Dominique Seux, a inondé
08:48de dollars la campagne de Donald Trump et il a mis son réseau social Twitter devenu
08:53X au service de Trump.
08:56J'aimerais vous entendre sur cette question, parce que, par exemple, le Digital Service
09:00Act a été une des grandes victoires de l'Union Européenne, ce grand plan pour réguler
09:06les réseaux sociaux.
09:07Est-ce que si l'Amérique lâche sur ce sujet et dérégule, nous allons nous retrouver
09:11plus seuls que jamais face au chaos des réseaux sociaux ?
09:15C'est pour ça, encore une fois, qu'on a, nous, un modèle qu'on a poussé ces
09:19dernières années, qui est un modèle de régulation, de responsabilisation des plateformes
09:23sur la haine en ligne, sur la désinformation, sur les fake news, ainsi que sur les comportements
09:28monopolistiques.
09:29On peut faire ça tout seul sans les Américains ?
09:30On peut faire ça parce qu'on a un marché.
09:31On a un marché unique, en réalité, qui fait que ça s'impose, y compris aux entreprises
09:35américaines qui viennent investir en Europe.
09:37Et je me réjouis d'ailleurs aussi de constater que nos règles de financement de la vie politique
09:41et de la vie électorale ne sont pas les mêmes, en tout cas en France, et qu'on a des règles
09:45très strictes sur l'argent que les milliardaires pourraient donner dans la vie politique.
09:49Merci beaucoup Benjamin Haddad, ministre chargé de l'Europe.
09:52Et merci Sonia De Villers.