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À 9h20, l'écrivaine Marie-Hélène Lafon est l'invitée de Léa Salamé. Elle publie "Paysannes" (éditions Ulmer), avec les photos d’Alexis Vettoretti.

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Transcription
00:00Et Léa, ce matin, vous recevez une écrivaine.
00:05Bonjour Marie-Hélène Laffont.
00:07Bonjour Léa Salamé.
00:08Merci d'être avec nous ce matin.
00:10Si vous étiez un peintre, une saison, un adjectif et une émotion, vous seriez qui,
00:15vous seriez quoi ? Un peintre d'abord ?
00:17Paul Cézanne, Rousset-sous-bois, leur perfection.
00:22Une saison ?
00:25L'hiver, parce qu'on est dans le nu des choses dans l'hiver.
00:34Les arbres sont dus dans l'hiver.
00:36Si vous étiez un adjectif ?
00:37Vaillant, pour l'élan et l'allant du mot.
00:43Si vous étiez une émotion ?
00:45La joie.
00:46La joie ?
00:47L'indispensable, inépuisable.
00:48C'est vrai que vous faites parfois ce portrait chinois à vos élèves, puisque vous êtes
00:54professeur de français et pas seulement écrivaine.
00:56Je le fais parfois et je le fais chinois et grammatical.
01:01Donc un adjectif, un verbe au participe présent, un verbe à la voix passive.
01:06C'est plus dur quoi, je vais y réfléchir pour les prochaines.
01:10C'est proprement jubilatoire.
01:11Vous empruntiez souvent à Robert Bresson cette formule, vous l'aviez mise dans un
01:19de vos premiers livres.
01:20« Ne glisse pas ailleurs, creuse sur place » et de livre en livre, vous ne cessez d'écouter
01:26ce conseil au fond et de creuser sur place, de creuser ce monde paysan, cette terre française
01:30d'où vous venez, de dire ses apretés, son apreté et ses beautés.
01:35C'est ça que vous faites.
01:37Sa vaillance.
01:38Sa vaillance.
01:39Ses vertiges aussi.
01:41Ils sont nombreux, on le sait bien, et ne cessent pas de se faire entendre.
01:49J'y suis née, le hasard de la naissance me a placée là, dans ce milieu et dans ce
01:56lieu et les livres que j'écris en viennent et s'en souviennent, pas tous mais presque
02:02tous.
02:03Presque tous.
02:04Marie-Hélène Laffont, vous êtes professeure de français, je le disais, autrice d'une
02:08dizaine de romans, lauréate du prix Renaudot en 2020 pour « Histoire du fils » que j'avais
02:12adoré, je tiens à vous le dire, vous nous présentez non pas un roman là, mais un livre
02:17de photographie d'Alexis Vettoretti, paysanne aux éditions Ulmère, dans lequel vous signez
02:22un texte de présentation titré « Je les reconnais ». On y voit dans ce livre des portraits,
02:27des portraits très émouvants de femmes, de paysannes, debout, qui posent dans leur cuisine
02:33vêtues souvent de leur blouse, elles nous regardent à travers l'objectif, qu'est-ce
02:38qu'elles nous disent ces femmes, qu'est-ce qu'elles racontent ces photos ?
02:41Elle raconte disons la deuxième moitié du XXe siècle et le premier quart du XXIe siècle
02:54d'un monde paysan qui, à force de ne pas finir de finir, ne finit pas tout à fait
03:00et continue.
03:02Et se réinvente et tient, d'ailleurs le verbe « tenir » est un verbe récurrent
03:12dans mes livres et récurrent aussi dans les propos que tiennent ces femmes puisque chaque
03:17photo est accompagnée d'un très court texte qui est un extrait des conversations
03:21que Alexis Vettoretti a eues avec chacune d'entre elles lorsqu'il est allé les
03:26photographier, il les a photographiées à la chambre, ce qui implique du temps de présence
03:31avec elles et du temps de parole partagé pendant qu'il installe le matériel dans
03:36la cuisine.
03:37Et cette parole, elle est en filigrane dans les photos, elle leur donne aussi cette frontalité
03:44que vous avez soulignée et cette intensité.
03:47Oui, et elle parle effectivement une citation, mais c'est vrai qu'en une citation, c'est-à-dire
03:53qu'à chaque page, il est très beau votre recueil avec ce photographe, il y a la photo
03:58de cette paysanne et il y a son nom, l'âge de naissance, la date de naissance et le lieu.
04:07Et puis une citation, on lit Angèle, née en 1925 dans Le Morbihan qui dit « j'ai
04:13fait ce métier parce que je n'ai pas eu le choix, tout le monde n'a pas la chance
04:17d'être heureux ». Il y a Paulette, née en 1936 dans La Creuse qui raconte « j'aimais
04:22soigner les bêtes mais on travaillait trop, c'était dur, il n'y avait que le travail,
04:27je n'ai jamais vu la mer ». Ces phrases sont merveilleuses, elles disent tout en fait
04:34avec le visage de ces femmes à côté et leur corps.
04:36Absolument, l'interaction entre les corps et la langue de ces femmes qui se déploie
04:43en bas de la page dans le blanc, puisqu'on a une page blanche, le texte en bas et les
04:48corps de ces femmes et cette interaction à mon avis extrêmement éloquente, elle dit
04:54beaucoup de choses.
04:55Elle est politique, elle est sociologique mais elle est aussi poétique.
04:59D'ailleurs, nous l'avons très bien entendu dans ce que vous venez de lire, la parole
05:02de ces femmes fait texte immédiatement.
05:05Alors je précise une chose, heureusement qu'Alexis Vettoretti m'en voyait uniquement
05:10les photos et que je n'avais pas les paroles de ces femmes pour écrire mon texte, parce
05:14que je pense que j'ai eu beaucoup de difficultés à trouver un ton qui soit autre chose que
05:24un tissage des paroles de ces femmes, juste j'étais tentée de tisser simplement leurs
05:28paroles, qui est magnifique.
05:31Alors que là vous parlez de vous, vous parlez de vous et de ce monde que vous connaissez
05:35et à travers ces femmes qu'on voit et dans ce petit texte que vous écrivez, il y a vous,
05:40il y a votre mère, il y a vos tantes qu'on imagine, il y a vos voisines et ce monde du
05:44Cantal que vous décrivez livre après livre et vous dites souvent, écrire c'est une
05:48histoire de corps, ces photos c'est aussi une histoire de corps, c'est le corps de
05:51ces femmes debout donc, qui a été façonné par le travail de la terre, elles semblent
05:56à la fois ancrées, fortes et elles semblent aussi très fragiles sur leur appui, vous
06:00écrivez, ces femmes ont lutté, ces femmes sont des athlètes, elles luttent encore plus
06:04ou moins pour tenir et se tenir, il s'agit d'abord de se tenir debout, encore debout
06:10et ça coûte, parfois il y faut la canne, la béquille ou un appui que l'on prend de
06:14la main ou de la hanche ou des reins sur le placard, sur le plan de travail carrelé.
06:20En effet, ces femmes font corps avec le lieu dans lequel elles sont saisies, elles ne sont
06:28pas shootées, j'insiste parce qu'on parle d'un shoot parfois pour une photo, là encore
06:34une fois il y a une phase d'apprivoisement qui passe par l'installation du matériel,
06:39de la chambre et par la parole et je pense que les corps de ces femmes peuvent être
06:43ainsi incarnés par la photo parce qu'il y a aussi cette parole qui les accompagne
06:49et en effet ces corps sont très frontaux, très vaillants et ils sont, j'ai presque
06:57envie de dire des corps que nous connaissons ou que nous reconnaissons, j'intitule mon
07:01texte « Je les reconnais » parce qu'encore une fois, je viens de ce milieu et de là
07:07mais je pense que ces femmes, leurs visages, leurs torchons, leurs cuisinières, les tuyaux
07:16de leur cuisinière, les poignées auxquels elles sacrifient plus ou moins pour se tenir
07:25vont faire écho chez bien des regardeurs et ces femmes nous regardent les regarder,
07:32c'est-à-dire qu'elles ne sont pas du tout dans une position doloriste ni dans
07:36une passivité, elles ont une tenue et une dignité qui est tout à fait émouvante.
07:43Oui, il y a de la ténacité, il y a de la rigueur, il y a de l'austérité aussi dans
07:48ces femmes et comme vous dites, elles ne sont pas du tout dans une position de victime ou
07:51doloriste, elles nous regardent et elles sont là et elles ont une vie dure qu'on voit
07:57sur leur peau et dans leurs mains, les mains sont importantes, qu'est-ce qu'elles
08:03montrent leurs mains ?
08:04Elles montrent le travail, d'ailleurs le mot revient constamment et les mains elles-mêmes
08:09sont vraiment, on le voit bien, les traces du travail sont dans les mains, elles sont
08:15aussi dans la courbure des corps et dans leur équilibre plus ou moins précaire mais
08:18surtout dans les mains et surtout les mains et les visages sont nus tandis que ces femmes
08:24sont très vêtues, elles sont même caparassonnées de blouses, de gilets, elles ont des âges
08:29où on n'a plus les bras nus par exemple, donc la seule partie de leur corps qui soit
08:35nus et abandonné, ce sont les mains parce que les visages, encore une fois, les visages
08:41montent la garde en quelque sorte, les visages veulent exprimer quelque chose et les mains,
08:50elles les tiennent comme elles peuvent, parfois elles en sont embarrassées parce qu'on
08:53sent que ce sont des femmes qui ont l'habitude du travail, qui ont toujours les mains occupées
08:56et là que faire de ces mains ? Donc ces mains sont d'une éloquence incroyable.
09:01Elles ne montent pas les mains, les visages peuvent mentir mais pas les mains.
09:04Elles peuvent donner le change, tenir justement.
09:07Vous écrivez encore Marie-Hélène Laffont « Je pourrais dérouler des vies, des fiancées,
09:12des maris, des enfants, des mariages, des soirées télévisées, des matins plus ou
09:16moins alertes, des enterrements, des petits-enfants, des communions solennelles, des mots croisés,
09:20un veuvage, un fils resté vieux garçon, des conversations téléphoniques, des réunions
09:25au club du troisième âge, des soirées télévisées.
09:28La télévision, vous racontez souvent cela, fut une révolution pour le monde rural, pour
09:33le monde paysan.
09:34Oui, c'est certain.
09:36Certaines de ces femmes, je crois que la plus âgée doit être née en 1916 et ça doit
09:41aller jusqu'en 1945.
09:42Mais ces femmes-là ont grandi dans un univers dans lequel la télévision n'était pas
09:47là.
09:48Elles ont été enfants et fillettes, mais ensuite à partir des années 50, 55, 60,
09:53elles ont dû vivre avec la télévision, j'ai grandi avec la télévision.
09:56La télévision, c'est le surgissement du monde incarné dans un écran, dans les
10:03moindres cuisines du fin fond, de la Creuse ou de l'Isère.
10:07Et ça change tout parce qu'on peut se mettre à comparer, à comparer la vie qu'on a
10:12avec celle qu'ont les autres.
10:13Et qu'est-ce qu'on découvre à ce moment-là ?
10:15On découvre que ce n'est pas la même chose.
10:16On le sait déjà plus ou moins, on le subodore plus ou moins, on a des échos plus ou moins,
10:22on le pressent.
10:23Mais là, on le voit.
10:24Et je pense, je l'ai vécu pour le coup, je l'ai beaucoup entendu quand j'étais
10:28enfant et adolescente, évidemment, cette comparaison pousse à tirer un certain nombre
10:36de conclusions qui peuvent être décisives, c'est-à-dire qui peuvent pousser encore
10:43davantage, accélérer encore davantage, accompagner encore davantage le mouvement massif, etc.,
10:48exode rural.
10:4945% de la population française est paysanne à la fin de la Deuxième Guerre mondiale,
10:567% en 82, moins de 2% aujourd'hui.
10:59Bon, c'est d'une éloquence totale, je ne dis pas que la télé…
11:02Vous ne dites pas que c'est la télé qui a tout fait, mais elle a accompagné le mouvement.
11:05Mais totalement.
11:06On va les écouter, ces femmes, alors pas celles du livre, mais on a regardé dans l'INA,
11:10on a cherché une jeune paysanne alsacienne de 17 ans en 1961 et une autre mère de famille
11:16dans le Vaucluse en 76.
11:17Écoutez-les.
11:18Le matin, je me lève à 6h30, je porte le lait au camion.
11:24Et puis, après, je prépare le petit déjeuner, je fais la vaisselle, je fais le ménage,
11:29je prépare à grand-mère le repas pour après-midi et après, je donne aux poules, je donne
11:37aux lapins et je fais les lits et après, je pars au champ.
11:42Je reviens pour manger.
11:43L'après-midi, je repars au champ après avoir fait la vaisselle et le soir, je reviens,
11:48je redonne aux poules et aux lapins, je prépare le dîner et après, je fais la vaisselle
11:57ou bien il y a encore des choses à aider à mon frangin, regarder après les genisses
12:01dans le parc et après, je peux me coucher.
12:04Vous avez l'impression d'être qualifiée, d'avoir un métier ?
12:07Ah oui, bien sûr.
12:09Oui, c'est sûr, c'est un métier.
12:11Vous n'êtes pas simplement une manœuvre, vous avez vraiment une...
12:14Disons qu'on a été souvent les femmes agriculteurs pendant de nombreuses années, on était
12:18considérés comme l'ouvrier qu'on ne paie pas.
12:21Êtes-vous déjà partie en vacances ?
12:23En vacances, à proprement parler, non.
12:27Ça ne vous manque pas ?
12:28Bien sûr, un petit peu, enfin disons qu'à l'époque où logiquement les vacances doivent
12:34se prendre, nous, on n'a pas le temps, c'est sûr.
12:38Vous, vous êtes partie, vous l'avez quittée, mais pas vraiment quittée en fait, ce monde
12:43paysan, puisque vous continuez à la raconter, vous dites dans une interview à Témoignages
12:47« Tiens, quand j'étais enfant, puis adolescente, c'était un mot stigmatisant, paysan, péquenot,
12:52une insulte.
12:53J'ai voulu très vite relever le gant de ce mot, lui redonner son rang.
12:57Vous racontez aussi au pensionnat de Saint-Flore où vous étiez scolarisé enfant, les filles
13:01de nos tables qui regardaient de haut, les enfants de paysans, leur mépris était phénoménal.
13:05Dites-vous, j'avais l'orgueil et j'avais la rage, j'avais instinctivement compris
13:08une chose.
13:09Toutes ces filles de nos terres, de nos tables, il va falloir leur faire mordre la poussière
13:14scolaire.
13:15Et vous l'avez fait.
13:17Je ne me montre pas là sous mon meilleur jour, mais on fait comme on peut.
13:23On a les rages qu'on peut, les colères qu'on peut.
13:26Et la mienne, pour le coup, elle me dépassait complètement, je ne la comprenais pas.
13:30Mais c'était un moteur dans la réussite scolaire.
13:34Et la réussite scolaire, c'était aussi un moyen pour les filles dans ce milieu et
13:37à cette époque de s'arracher.
13:38Et les filles devaient s'arracher.
13:40On ne leur laissait pas tellement le choix d'ailleurs, d'une certaine manière.
13:43La question se posait davantage pour les garçons.
13:46Et dans le livre d'Alexis Vitoretti, c'est très net, les femmes disent qu'aujourd'hui,
13:56les enfants ont le choix et qu'à leur époque, on ne l'avait pas.
14:01Vous avez été professeur et vous avez commencé à écrire des romans à 34 ans.
14:06Parce qu'écrire, c'est transgresser.
14:08C'est transgresser un interdit quand on vient de là où je viens.
14:11Vous avez mis du temps à vous autoriser à écrire.
14:14Oui, pour toutes sortes de raisons qui sont notamment culturelles.
14:18Je viens de loin, d'un lieu et d'un milieu où on ne lisait pas de livres, on n'y avait
14:24pas d'hostilité au livre.
14:25On n'en lisait pas ou peu parce qu'il n'était pas facilement accessible.
14:28Et écrire des livres, c'était complètement inconcevable.
14:33Donc, il m'a fallu franchir un long parcours, on va dire, avec les détours qui sont des
14:40détours très ordinaires, le détour des études.
14:43Et le détour du professora.
14:44Et des lectures.
14:46Pierre Michon dont on parlait souvent, Vinscule-Kiev, qui vous a autorisé, d'autres écrivains
14:51aussi qui vous ont autorisé à un moment à prendre la...
14:53Oui, ça m'a collé au mur de l'écriture quand j'ai compris que certains écrivains
14:55étaient vivants.
14:56Parce que j'ai fait des études de lettres classiques, on étudiait que les écrivains
15:00morts, ils étaient tous très très morts les écrivains.
15:02Et quand je commence à lire des écrivains vivants qui font œuvre de langue à partir
15:06du matériau qui est ce monde d'où je viens, c'est le cas de Pierre Michon, c'est le
15:11cas de Pierre Bergouniou, c'est le cas de Richard Millet, ça me colle au mur littéralement.
15:14Je me dis cette fois, tu y vas.
15:16Oui, et c'est aussi votre cas.
15:18Parce que franchement, vous lire est un ravissement à chaque fois.
15:21Et vous avez cette langue si précise et si vivante et si éblouissante Marie-Hélène
15:28Lafond.
15:29Vraiment, c'est la première fois que je vous rencontre et je disais à Nicolas avant
15:31de vous voir que j'étais très intimidée sincèrement de vous rencontrer.
15:36C'est votre dernière année d'enseignante avant la retraite.
15:40Qu'est-ce que vous ressentez quand ça doit être particulier, ça doit être singulier,
15:44c'est la dernière année, non ?
15:45Il y a une émotion particulière, je ressens aussi une forme de soulagement, je ne vous
15:54le cache pas, parce qu'il y a une mise en tension due à ce que j'appelle la double
15:58vie.
15:59Cela dit, la jeune femme, la jeune paysanne qu'on a entendue, on voit bien qu'elle
16:02a triple vie ou quadruple vie.
16:04Mais donc cette double vie, si vous voulez, crée une mise en tension et j'ai hâte
16:07d'avoir plus de temps pour lire, écrire, écrire, lire.
16:10Donc il y a une émotion particulière et il y a aussi une sensation de soulagement.
16:14Mais j'ai tout de même une sorte de fierté et de joie d'avoir et d'exercer encore
16:20un métier qui a du sens, comme on dit aujourd'hui, n'est-ce pas ?
16:24Vous dites que c'est un acte profondément politique d'enseigner aujourd'hui, notamment
16:27dans le public.
16:28Et la langue.
16:29Oui, et vous dites parfois que vous avez cette frustration, cette tristesse de voir certains
16:32élèves.
16:33Vous dites que dans 10-15 ans, ils seront encore capables de lire les stations de métro,
16:37de lire les gros titres dans les journaux, mais ils ne sauront plus lire du tout, du
16:40tout, du tout.
16:41Ils sauront livrer pied et point à la sauvagerie du monde sans savoir lire.
16:44C'est aussi ça le déclassement.
16:47C'est mon vertige majeur.
16:49Là, pour le coup, on touche une sorte de trou noir du travail de professeur et du
16:54métier d'enseigner, qui est que certains élèves échappent et sont à peine effleurés.
16:59Marie-Hélène Laffont, les impromptus pour terminer, vous répondez rapidement sans trop
17:03réfléchir.
17:04Votre copine à l'école vous disait « un jour, toi, tu passeras à apostrophe ».
17:06Oui, en effet, j'étais en quatrième.
17:09C'est vrai que dans votre bureau, vous avez un buste de Flaubert et une tuile du toit
17:12de la maison familiale de la ferme ?
17:14Buste de Flaubert sous le canapé rouge et ardoise du toit de la grange.
17:18Qu'est-ce qui vous indigne ?
17:20Qu'est-ce qui m'indigne ? La morgue et l'injustice.
17:26Ça m'indigne.
17:27Vous votez ?
17:28Oui.
17:29Les écrans ont-ils leur place à l'école ?
17:31Les écrans n'ont leur place, à mon avis, à l'école qu'extrêmement encadrés.
17:38Et précédés et accompagnés d'un travail qui permet aux élèves de se repérer dans
17:45le maquis sauvage des écrans.
17:47Sexe, drogue, alcool, avez-vous des vices ? J'avais envie de vous la poser, celle-là.
17:54J'en ai beaucoup, mais aucun de ces trois-là.
17:56Liberté, égalité, fraternité, vous choisissez quoi ?
17:59Liberté.
18:00Et Dieu dans tout ça ? Il m'a quitté, je dois dire, nous avons eu une histoire d'amour
18:06jusqu'à mes 15 ans, il m'a quitté quand j'avais 15 ans et nous ne nous sommes plus
18:11jamais retrouvés.
18:12Les dimanches matins sont pour toujours orphelins.
18:14Merci infiniment d'avoir été là ce matin.
18:17Le livre de photos s'appelle « Paysannes » chez Ulmer, signé Alexis Vettoretti avec
18:23un texte de Marie-Hélène Lafon.
18:24C'est un peu con ce que je vais dire, mais c'est un beau cadeau de Noël.
18:29Merci beaucoup.

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