"On a l’impression qu’être un être humain, c’est arriver à contrôler parfaitement tout. Et ça, c’est inhumain."
BRUT PHILO — Le découragement, c’est le sentiment de beaucoup face au monde actuel. Le philosophe Fabrice Midal l’a aussi expérimenté au cours de sa vie. Voilà comment, selon lui, on peut retrouver de l’élan.
BRUT PHILO — Le découragement, c’est le sentiment de beaucoup face au monde actuel. Le philosophe Fabrice Midal l’a aussi expérimenté au cours de sa vie. Voilà comment, selon lui, on peut retrouver de l’élan.
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00:00J'étais un très mauvais élève, j'étais prisonnier dans mon parcours scolaire
00:05par l'idée que faire ce qu'on me disait de faire, réussir année après année,
00:11allait m'apporter le succès et la réussite.
00:14Je pensais que ce qu'on raconte partout,
00:17il faut se battre, il faut s'entêter, il faut travailler davantage,
00:22était l'approche juste.
00:24Donc je ne voyais au fond que cet objectif.
00:27Je vivais avec des ornières, il faut que je réussisse, il faut que je réussisse.
00:31Ce qui me passionnait, c'était la philosophie.
00:32Donc j'essayais d'entrer parfaitement dans le moule.
00:36En philosophie, vous devez faire des dissertations,
00:38qui est un exercice tout à fait précis, scolaire, avec toute une logique.
00:42J'essayais désespérément de faire ces dissertations et j'échouais tout le temps.
00:48Quoi que je fasse, j'échouais.
00:50J'ai passé les concours cinq fois.
00:53Cinq fois, j'ai échoué, lamentablement.
00:56Et j'essayais inlassablement de rentrer dans le moule.
01:00Comme j'étais dans mon tunnel,
01:02les milliers d'autres chemins qui existaient, je n'en avais même pas l'idée.
01:06Et c'est en acceptant d'arrêter cette obsession de rentrer dans le moule
01:10que d'un seul coup, j'ai vu plein d'autres chemins,
01:12que j'ai commencé à écrire des livres, que je suis devenu éditeur,
01:15que je suis devenu youtubeur,
01:16des tas de choses que je n'aurais jamais pu voir dans ma petite autoroute
01:22et qui sont apparues comme étant des occasions de devenir plus vivant.
01:27Dans votre dernier livre, La théorie du bourgeon,
01:29vous parlez d'élan vital.
01:31C'est quoi l'élan vital ?
01:34Alors le cœur de mon livre, c'est d'essayer de partir de la vie.
01:36D'essayer de partir, mais qu'est-ce que c'est que le fait d'être vivant ?
01:40Il y a un malentendu philosophique aujourd'hui.
01:43On a l'impression qu'être un être humain,
01:45c'est d'arriver à contrôler parfaitement tout.
01:48Et ça, c'est inhumain.
01:50C'est vraiment une des clés de la barbarie de notre monde.
01:53Il faut tout gérer.
01:54Gérer son stress, gérer ses émotions, gérer ses affects,
01:58potentialiser notre capital santé.
02:01Tout est pris entièrement dans cette perspective,
02:04on pourrait dire, d'un capitalisme fou.
02:06La plupart des grands philosophes, depuis la fin du XIXe siècle,
02:11Bergson, Nietzsche, Kierkegaard, nous disent,
02:15attention, nous allons droit dans le mur collectivement.
02:19Nous sommes en train d'être pris par un aveuglement,
02:22en oubliant la vie.
02:25Nous avons comme horizon,
02:27une sorte de modèle d'une rationalité irrationnelle,
02:30d'un contrôle sur l'ensemble de la réalité,
02:33qui va nous emmener droit dans le mur.
02:34Et Nietzsche, Bergson, Kierkegaard, très différents,
02:38dans des pays différents, sans s'être lus,
02:40disent exactement ce même point.
02:42Qu'est-ce que ça veut dire qu'être vivant ?
02:44Que prendre le risque de la liberté ?
02:46De sortir des routes entièrement, des autoroutes de la pensée ?
02:51Et que c'est ça qui serait la perspective pour nous d'être vivant ?
02:56On voit un siècle après leur engagement et leur livre de philosophie,
03:02à quel point ils ont été prophètes.
03:05Il y a quelque chose de prophétique dans leur pensée.
03:07Parce qu'aujourd'hui, c'est le monde tout entier qui est en train d'être en burn-out.
03:11Ce n'est pas seulement les individus, c'est la Terre.
03:14Alors qu'est-ce que c'est le burn-out ?
03:15C'est l'instrumentalisation de soi-même jusqu'au moment où on éclate,
03:20c'est-à-dire le non-respect de la vie, la non-écoute de la vie en nous.
03:24On s'instrumentalise et on explose.
03:26Aujourd'hui, c'est la Terre entière qui est en train de faire un burn-out,
03:29tellement nous sommes dans un rapport obsessionnel de rentabilité envers elle.
03:34Et c'est ça que nous permet de comprendre la philosophie.
03:37Moi, il y a un truc qui m'a frappé, c'est quand vous faites référence à quelque chose
03:40qui, à priori, m'est paru un peu ésotérique, mais vous allez me dire si c'est le cas ou pas.
03:44C'est la notion de 7e sens. On aurait un 7e sens.
03:47Alors c'est très très ordinaire.
03:49Rien de plus ordinaire que le 7e sens.
03:51Juste, on ne fait pas attention.
03:54Les 5 sens, tout le monde sait ce que c'est, c'est notre manière d'entrer en rapport avec le monde.
03:57Le 6e sens, on dit que c'est l'intuition, donc j'ai appelé ça le 7e sens
04:00parce que c'est la capacité d'entrer en résonance avec les situations et avec les choses.
04:05En venant ici, quelqu'un s'est arrêté dans la rue que je ne connaissais pas,
04:10qui avait lu un de mes livres, elle voulait juste me remercier.
04:13Si j'écoutais uniquement ses mots, c'était purement informatif,
04:16« Bonjour, j'ai lu votre livre, ça m'a aidé. »
04:19Mais j'ai senti dans sa présence, en ouvrant mon 7e sens, quelque chose de très profond,
04:26que j'aurais du mal à dire, mais qui était vraiment extrêmement émouvant.
04:32Le livre a dû toucher des choses en elle,
04:34et d'un seul coup, elle s'ouvrait à moi avec une très profonde intimité.
04:40Même si les mots restaient absolument simples,
04:43j'ai senti, en m'ouvrant à ça, une profonde intimité.
04:46Puis après, elle est partie, cet échange a duré une minute,
04:50mais ça a complètement changé ma manière d'être encore maintenant.
04:55On a tous cette capacité-là.
04:57Alors après, évidemment, on veut tellement être efficace, tellement rentrer dans le moule,
05:01on se coupe tellement de notre corps, on veut tellement être dans la tête,
05:04on veut tellement tout comprendre qu'on le perd, on l'oublie, on l'abandonne.
05:10Il reste là, mais il est comme un peu nécrosé.
05:12Et c'est ça aussi l'image du bourgeon, c'est comment on peut redonner droit à cette vie.
05:17Et c'est vraiment très simple.
05:18On peut s'entraîner par des petits exercices à entrer en rapport, à entrer en relation
05:23avec un arbre, une forêt, le ciel, voilà.
05:26Et c'est des petits gestes tout simples qui nous réapprennent.
05:29Moi, par exemple, tous les matins, quand je me lève, avant de faire quoi que ce soit,
05:33je regarde, même 30 secondes, le ciel ou la nuit,
05:37et j'essaie juste de sentir comment je me sens devant le spectacle du monde par ma fenêtre.
05:43Et j'essaie d'ouvrir mon septième sens.
05:44Vous voyez, c'est d'une banalité complète, mais c'est une banalité absolument merveilleuse
05:51parce que ça nous aide à redevenir vivants et que c'est la clé pour sortir du découragement.
05:56Le problème, c'est que quand on parle du découragement,
05:58on n'en parle que d'un point de vue psychologique,
06:00en pensant si je suis découragé, c'est un peu de ma faute,
06:03je devrais me remuer, je devrais faire plus d'efforts.
06:06Moi, je crois important d'avoir une lecture philosophique du découragement
06:10et comprendre que c'est un problème structurel.
06:12Nous sommes découragés parce que l'univers dans lequel nous sommes
06:16nous donne le sentiment d'être complètement impuissants
06:19par cette domination de la gestion et du contrôle,
06:22qui fait que par rapport à ça, on a l'impression qu'on n'arrivera jamais,
06:26on a l'impression qu'on ne sera jamais assez fort, assez efficace, assez performant,
06:31qu'on n'aura pas assez bien géré son stress, ses émotions.
06:34On se sent honteux d'être un être humain,
06:37donc on est découragé parce qu'on a honte d'être humain.
06:39Puis, deuxième axe du découragement,
06:42cette nouvelle société dans laquelle nous sommes,
06:46qui est entièrement construite sur le vol de notre attention,
06:50les réseaux sociaux, l'ensemble de nos téléphones, etc.
06:53Notre capacité à faire attention a énormément diminué.
06:58Les études sur le cerveau humain montrent de manière absolument indiscutable
07:03et stupéfiante que nous perdons chaque année la capacité à être attentif à ce qui se passe,
07:08on est de plus en plus impatients,
07:10on a de moins en moins de capacité à être attentif, à savoir attendre,
07:15et cela nous ronge de l'intérieur et participe de notre découragement.
07:21Choisir quand on a cinq choix, c'est possible.
07:25Quand on a dix chaînes, par exemple, de télévision, on peut encore choisir.
07:28Quand on en a cent, on n'arrive plus à choisir, on est obligé de déléguer la capacité de choisir.
07:33Or, on voit aujourd'hui que la multiplicité des choix partout
07:37nous entraîne à perdre la capacité de pouvoir être libre et de pouvoir choisir.
07:45Donc, l'analyse philosophique de la situation dans laquelle nous sommes dans notre monde
07:51nous permet de comprendre pourquoi le découragement est structurel
07:54et nous permet de comprendre que la réponse au découragement,
07:58c'est d'apprendre à redevenir humain,
08:01à retrouver une capacité de savoir ce qu'on aime, ce qu'on veut, ce qu'on sent, ce qu'on désire,
08:07de revenir à quelque chose qui nous habite, de refaire alliance avec la vie,
08:11qui est là justement instrumentalisée, et la vie instrumentalisée, ce n'est plus la vie.