"Systématiquement, quand les hommes venaient à la ferme, ils demandaient : 'Il n'est pas là, le patron ?'"
Céline est éleveuse de chèvres en Ardèche. Elle vit au quotidien le sexisme dans le monde agricole…
Céline est éleveuse de chèvres en Ardèche. Elle vit au quotidien le sexisme dans le monde agricole…
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00:00Après quand t'arrives à faire quelque chose en tracteur, t'es trop fière de toi.
00:09Je pense que nous on se met des barrières en fait, on a peur de pas y arriver, de faire une fausse manipulation.
00:15Tu vois les petits garçons qui jouent avec les tracteurs, les modèles réduits et les remords qui font des créneaux et tout,
00:21et en fait ils n'ont qu'une envie c'est de conduire avec papa.
00:24Et pourquoi nous on n'a pas cette envie là ? C'est pas dans nos gènes.
00:27Moi je pense que c'est un blocage psychologique sexiste en fait.
00:32Mon chien après il me dit, t'y es arrivé, bravo !
00:34Il comprend que je suis sincère, il est très enthousiaste pour moi-même.
00:38Grand soutien.
00:41J'ai fait un stage de dressage chien de troupeau avec un dresseur qui était très viriliste dans sa façon de voir l'éducation des chiens.
00:49Par exemple il me disait que j'avais une voix trop aiguë, il voulait la soumission totale du chien à son maître.
00:55En fait le petit sexisme ordinaire il est dans tous nos quotidiens parce qu'il nous entoure dans la manière dont les gens parlent.
01:02Par exemple on nous dit les fermes se transmettent de père en fils, tout est masculinisé.
01:07Quand Gilles nous a transmis la ferme qu'il avait avec sa femme, du coup les gens, les hommes lui disaient au marché,
01:13ah t'as trouvé deux jolies repreneuses, elles sont bien mignonnes tes petites repreneuses.
01:18Est-ce qu'on peut dire qu'on a des bonnes éleveuses ou des bonnes fromagères ou des bonnes gestionnaires ou des bonnes commerciales ?
01:24Je ne sais pas, on a plein de compétences en fait, beaucoup plus intéressantes que le fait d'être une nana.
01:29Au début quand je suis arrivée à la ferme et que les gens ne me connaissaient pas trop encore,
01:34systématiquement quand les hommes venaient à la ferme ils demandaient, il n'est pas là le patron ?
01:39Et quand je devais aller dans un magasin agricole par exemple pour acheter des fournitures pour la ferme,
01:43demander, et il veut quoi le patron ?
01:45Alors qu'on est deux femmes associées, donc avec quatre copines paysannes et une copine dessinatrice,
01:52on a réalisé cette bande dessinée « Il est où le patron ? » chronique de paysannes,
01:56où on raconte un peu nos histoires de sexisme dans le milieu paysan.
02:00Donc on a créé trois personnages qui incarnent des anecdotes qui ont été réellement vécues par nous ou par des amis paysannes.
02:06Souvent dans les fermes, quand c'est un homme et une femme qui sont en couple et qui gèrent la ferme,
02:10la fromagerie elle est sous la maison d'habitation, comme ça madame elle peut faire les fromages,
02:15remonter lancer le petit plat à cuire, redescendre mouler une bassine,
02:19remonter s'occuper des enfants pendant que monsieur il fait les tâches difficiles.
02:23Du coup c'est souvent la femme qui se retrouve à faire la fromagerie.
02:26Et toi, toutes les deux ?
02:28Ben oui, en fait Marceline et moi on fait tout, toutes les deux,
02:31parce qu'on aime autant l'élevage que la fromagerie.
02:35Du coup il n'y a pas du tout de répartition genre des tâches entre nous.
02:38Et ce qu'on appelle les tâches difficiles c'est quoi ?
02:41Eh ben ce serait amener de l'eau aux chèvres, leur mettre du foin, passer le giro broyeur,
02:48tout ce que les gens y voient en fait.
02:50Là ça personne ne le voit en fait, personne ne rentre dans notre fromagerie,
02:53c'est vraiment la partie immergée de l'iceberg quoi, c'est la partie invisible.
02:57Alors que c'est énormément de rigueur et énormément de travail.
03:00Parce qu'en fait pour faire des fromages réguliers il faut quand même bien observer les fromages,
03:05respecter chaque étape, bien assurer la traçabilité.
03:08En France il y a déjà très peu d'agriculteurs,
03:10mais parmi ce très peu d'agriculteurs il n'y en a que un quart qui sont des femmes,
03:14déclarées chefs d'exploitation avec un vrai statut.
03:17Et après il y a plein de femmes qui travaillent sur les fermes et qui n'ont pas réellement de statut,
03:20et qui du coup ne sont pas du tout, du tout existantes quoi.
03:23Elles sont complètement invisibilisées.
03:25Et en fait c'est ça le problème, c'est que c'est monsieur qui est chef d'exploitation
03:28et qui décide sur la ferme.
03:30Et du coup qui va décider aussi qui paie les charges, qui paie les cotisations sociales.
03:35Et c'est comme ça que madame se retrouve à faire du travail limite déclaré,
03:39ou qui est déclaré avec aucune couverture quoi.
03:41Comme conjoint collaboratrice, qui n'a pas vraiment un statut satisfaisant.
03:46Et du coup arrivée à la retraite, ces femmes là, elles ont des retraites de misère.
03:50Donc ça c'est toute la partie petit sexisme ordinaire.
03:52Après on a voulu aussi parler des violences conjugales.
03:56Parce que la particularité des femmes paysannes, en couple hétéro,
04:00c'est qu'en fait tout est très lié.
04:02C'est à dire la ferme, le couple, les enfants, leur activité, tout est imbriqué.
04:08Et du coup elles ne peuvent pas tellement s'en sortir
04:09quand elles sont dans des situations très compliquées, voire de violences.
04:12Il y a une forme d'isolement aussi, qui peut-être est plus forte dans le milieu rural
04:18parce qu'il y a des fermes qui sont au bout de 40 minutes de piste.
04:22Ces femmes là, elles n'ont pas du tout le temps d'en discuter avec d'autres femmes
04:25et du coup d'en prendre conscience aussi.
04:27Des mécanismes un peu pervers de la manipulation et de l'enfermement qui se mettent en place.
04:31Donc voilà, on voulait aussi parler de ça.
04:33On voulait parler de la difficulté en tant que nana à prendre des responsabilités professionnelles.
04:40En fait, il y a une étude en Bretagne qui a montré qu'il y a seulement 30% des femmes
04:44qui ont des responsabilités dans les instances professionnelles agricoles.
04:47Et quand elles en ont, c'est majoritairement des postes de trésorière ou secrétaire.
04:51Donc c'est pas du tout les postes de pouvoir.
04:53Le système actuellement ne nous permet pas de prendre ces places là.
04:57Les réunions elles sont tard le soir, donc quand on s'occupe de nos enfants.
05:00Et quand bien même on arrive à aller en réunion, les règles de réunion sont faites par les hommes pour les hommes.
05:06C'est-à-dire que c'est celui qui parle le plus fort qu'on écoute.
05:09Il n'y a pas de règles de régulation de la parole, c'est très physique.
05:13On pense en toute modestie qu'on a tapé quand même assez juste dans nos propos
05:17puisqu'il y a eu de nombreux retours de femmes paysannes qui nous ont écrits
05:21en nous remerciant, en nous disant qu'elles se sentaient moins seules dans leur colère,
05:25qu'elles se sont reconnues dans Colline, qu'elles sont comme à nous qui ne trouvent pas la répartie.
05:30Et on a eu aussi des témoignages de femmes qui ne sont pas paysannes qui se sont retrouvées aussi
05:35parce qu'en fait ces mécanismes du patriarcat dépassent le monde paysan.
05:38Ils ne sont pas propres au milieu paysan.
05:40Notamment la planche où Colline est sur son tracteur avec des millions de bulles de pensées autour d'elle
05:46qui représentent sa charge mentale où il faut qu'elle pense à faire à manger,
05:49aller voir son père, aller aux livraisons, à faire vacciner ses enfants.
05:53Et puis en plus il faut qu'elle aille chez le gynéco.
05:56Ça, ça va être la dernière bulle quand même parce qu'elle pense à elle en tout dernier.
05:59Quand la BD est sortie, il y a eu quelques réactions de femmes qui nous ont dit qu'elles n'avaient pas eu de problème.
06:03Mais moi je pense que c'est impossible aujourd'hui d'être une femme et de ne jamais avoir subi de sexisme.
06:09Il faut vraiment qu'on s'entraide en fait.
06:11Il faut qu'on pense que peut-être ça ne nous atteint pas toutes de la même manière
06:16mais que ça peut nous blesser en fait parce que c'est toujours violent.