• il y a 8 heures
Chaque dimanche, Pierre de Vilno reçoit un invité politique dans #LeGrandRDV, en partenariat avec Europe 1 et Les Echos.

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00:00Bonjour, bonjour à tous.
00:11Bienvenue sur le plateau de CNews d'Europe 1 et des Échos.
00:16Bonjour, Jérôme Fourquet.
00:17Bonjour.
00:17Vous êtes politologue, directeur du département Opinion et Stratégie de l'IFOP.
00:21Vous publiez tout récemment Métamorphose française, Etat de la France en infographie et en image aux éditions du Seuil.
00:28C'est votre grand rendez-vous ce dimanche, aujourd'hui, peut-être demain, peut-être après-demain.
00:35Qui sait ? L'annonce du nouveau gouvernement Bayrou, ce qui ne changera pas grand-chose à la situation de blocage politique dans laquelle nous nous trouvons,
00:42c'est-à-dire trois couloirs de nage hermétiques les uns aux autres, un budget au compromis quasi impossible à trouver, le tout à l'heure où la France décline.
00:52Et vous le dites d'ailleurs dans votre livre, économiquement, stratégiquement, socialement.
00:57Quelle perspective en cette fin d'année ?
00:59Nous allons voir tout cela avec vous, avec le ressenti des Français que vous mesurez au quotidien dans votre métier de sondeur.
01:04Pour m'accompagner ce matin, je suis avec Clémence, le maître des échos.
01:08Bonjour Clémence.
01:08Bonjour.
01:09Et Mathieu Beaucôté.
01:10Bonjour Mathieu.
01:10Bonjour.
01:11L'annonce du gouvernement est donc imminente demain, peut-être même aujourd'hui.
01:16Deux informations européennes.
01:17D'abord, Bruno Retailleau serait reconduit au ministère de l'Intérieur.
01:22Mais ce matin, dans le JDD, il pose une condition, c'est-à-dire une nouvelle loi immigration.
01:26Et puis, Laurent Wauquiez pourrait peut-être faire son entrée.
01:29On parle du ministère des Finances à Bercy.
01:32Mais fondamentalement, Jérôme Fourquet, que pourra faire ce gouvernement de plus que ce qu'a fait le gouvernement précédent ?
01:38On a déjà un élément d'information ou une indication.
01:42C'est le baromètre que l'IFOP a réalisé pour le JDD qui paraît ce matin et qui montre que François Bayrou est lesté d'une impopularité record
01:53pour un nouvel entrant à Matignon sous toute la Ve République.
01:57C'est 60...
01:58C'est-à-dire que ça remonte à 1958.
01:59Voilà, tout à fait.
02:01Et on rappelle aussi que la censure qui a été votée il y a quelques semaines était la première depuis 1962.
02:09Donc, on emploie souvent de manière un peu galvaudée le terme historique dans les commentaires.
02:15Mais là, nous sommes effectivement dans une crise politique qui est historique.
02:19Pour voir comment cette crise s'est un peu approfondie et aggravée sur toute l'année 2024,
02:26on peut reprendre ce baromètre de l'IFOP en mesurant le niveau d'impopularité dont souffraient les nouveaux entrants à Matignon
02:34à partir du début de l'année 2024.
02:36Donc, Gabriel Attal, c'est à peu près 45% d'impopularité à son arrivée à Matignon.
02:42Michel Barnier, il y a quelques mois, c'était 55%, donc 10 points de plus.
02:46Et là, aujourd'hui, François Bayrou, c'est 66%.
02:48On prend 10 points d'impopularité supplémentaire à chaque nouvelle nomination de Premier ministre,
02:54comme si les Français intégraient le fait que, de plus en plus, nous nous acheminions vers le bout d'une impasse politique.
03:03Le bout d'une impasse politique, est-ce qu'il pourrait avoir aussi comme nom la crise de régime ?
03:07On a quelquefois l'impression que des institutions incapables d'accoucher d'un gouvernement,
03:11incapables d'accoucher de véritables orientations, d'un budget,
03:14il y a quelque chose qui s'appelle une crise de régime qui fait penser peut-être à 1958
03:18avec des circonstances très différentes.
03:19Bien sûr, mais on réfléchit effectivement à cela.
03:22Vous voyez qu'on nous parle de réformes institutionnelles avec les modes de scrutin, la proportionnelle.
03:28Certains considèrent que le nœud de la crise se situe à l'Élysée
03:33et qu'il va être très difficile pour Emmanuel Macron d'aller jusqu'au terme de son mandat présidentiel.
03:41D'autres parient déjà ouvertement sur des élections législatives ou présidentielles anticipées
03:48pour justement essayer de dénouer cette crise avec le secret espoir qu'en faisant tapis,
03:55comme on dirait aux cartes ou aux casinos, on puisse bénéficier d'une donne politique
04:01qui clarifierait grandement les choses, ce qui est loin d'être sûr à l'heure où on se parle.
04:07Pardonnez-moi, pourquoi est-ce qu'on parle de crise alors qu'en fait, on est dans un scénario inédit
04:11qui est celui de l'angle mort de la Ve République ?
04:13C'est-à-dire qu'on a bien vu que la Ve République, ça marchait parfaitement quand il y avait une majorité absolue.
04:18Ça marche beaucoup moins bien qu'avec une majorité relative.
04:21Ça ne marche pas du tout et c'est peut-être, je parle sous votre contrôle, la première fois qu'on le vit,
04:25quand il y a, comme je le disais, trois couloirs de nage totalement hermétiques les uns aux autres.
04:31Ça marche, sauf si on fait ce qu'on appelle,
04:34je reprends une expression qui a été beaucoup utilisée ces dernières semaines,
04:37l'alliance de la carpe et du lapin.
04:38Et dans ce cas-là, effectivement, quand il y a, j'allais dire, deux parties totalement antagonistes qui s'allient,
04:42soit pour voter une motion de censure, soit pour faire un autre acte parlementaire,
04:45dans ce cas-là, on arrive à faire bouger les choses.
04:47Mais là, ce n'est plus vraiment une crise, c'est, j'allais dire, c'est presque un défaut de fabrication.
04:52Oui, alors vous avez raison.
04:55On voit comment notre Ve République et nos modes de scrutin,
05:00pour l'essentiel à deux tours, étaient parfaitement adaptés à un paysage politique qui était bipolaire.
05:06À partir du moment où la tripartition semble s'installer et s'ancrer dans le paysage,
05:13eh bien, tout se met à dysfonctionner, un peu comme si...
05:16C'est au moment où Emmanuel Macron a décidé de casser le clivage gauche-droite.
05:21Alors, pas uniquement, parce qu'on voit que sur son premier quinquennat,
05:26les institutions lui ont permis de fonctionner.
05:29Puisqu'il avait une majorité à sa main.
05:31Là où les choses se compliquent, c'est quand ce bloc central n'est plus majoritaire,
05:36qui a eu le refus en 2022 de la part d'Emmanuel Macron, et peut-être de la droite aussi,
05:41de passer à un contrat de gouvernement,
05:43quand ce qu'on appelle le bloc central avait quand même pas loin de 240 sièges.
05:49Donc, ils en rêveraient aujourd'hui.
05:51Et donc, il y avait l'appoint avec la soixantaine de députés LR.
05:56Et donc, l'image qu'on peut retenir sur ce caractère dysfonctionnel,
06:01ce serait un peu celui d'un moteur de voiture qui est réglé à deux temps,
06:04et que vous voulez faire fonctionner sur trois temps.
06:06Eh bien, la voiture va octer, et puis au bout d'un moment, le moteur va caler.
06:10Et nous sommes dans cette situation aujourd'hui.
06:14– Clémence Lemestre.
06:15– Du coup, la solution, ce serait de rétablir de la proportionnelle
06:18pour encore peut-être plus éclater le paysage politique
06:20et essayer de reformer quelque chose ?
06:22– Alors, ce qui se passe, c'est qu'un régime, pas, un système politique,
06:29c'est à la fois des institutions, des modes de scrutin,
06:31mais aussi une culture politique.
06:33Et vous avez quelque part la culture politique de vos institutions.
06:36Et je pense que nous sommes matricés, comme on dit en bon français,
06:40collectivement, non pas du tout sur le mode de fonctionnement
06:44d'un régime parlementaire, qu'il soit proportionnel ou non,
06:47et qui appelle par la force des choses à des compromis et à des coalitions,
06:52mais nous sommes structurés sur une 5ème République
06:55qui avait pour mérite de dégager des majorités claires et nettes,
06:59et quelque part, le vainqueur imposait ses vues à l'opposition qui était défaite.
07:05Cet état d'esprit-là, de mon point de vue, est bien synthétisé dans une phrase
07:10que le socialiste André Léniel avait rétorqué à un député de droite en 1980,
07:17quand celui-ci s'offusquait que la gauche qui venait d'arriver au pouvoir
07:21nationalise à tout va, il lui avait dit
07:24« vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaire ».
07:28Donc tout était dit, en fait, c'est-à-dire que celui qui gagne l'élection
07:31avec les modes de scrutin qui font les nôtres…
07:32– Il y a un écho de ça aujourd'hui chez certains partis.
07:34– Quand Jean-Luc Mélenchon dit « le soir des législatives,
07:37c'est tout le programme, rien que le programme », on est là-dessus.
07:40Et tous ont encore en tête ce mode de fonctionnement.
07:43Quand on disait tout à l'heure que certains espèrent
07:45soit une nouvelle dissolution, soit rêvent-ils une élection présidentielle
07:51anticipée, c'est pour pouvoir…
07:52– Revenir au temps d'avant.
07:53– Au temps d'avant, avoir 50% des voix et dire
07:55« je vais pouvoir appliquer tout le programme, rien que le programme,
07:58donc juridiquement nous serons bordés parce que politiquement
08:01nous sommes majoritaires ». Mais est-ce que cette situation va se reproduire ?
08:05Et donc le pari d'Emmanuel Macron, c'est-à-dire on va faire accoucher
08:11la société politique française d'une nouvelle culture
08:14qui serait celle des accords, du compromis, sauf que tout ça prend
08:18énormément de temps à se mettre en place.
08:21– Et est-ce qu'il n'y a pas de contradiction, parce que j'entends
08:23François Bayrou, parmi d'autres, dire qu'il faut développer
08:25une culture du pluralisme, une culture de la coopération
08:27entre les partis, mais en décrétant que cela ne s'applique
08:29qu'aux partis autoproclamés républicains, c'est-à-dire l'ERN d'un côté
08:33et les filles de l'autre sont jugées ex-eux.
08:35Près de la moitié du peuple français est jugé anti-républicain aujourd'hui,
08:38donc est-ce qu'il n'y a pas de contradiction dans les termes,
08:40en dire pluraliste d'un côté et cordon sanitaire de l'autre ?
08:44– Chacun jugera, mais si déjà, dans le schéma d'Emmanuel Macron
08:49et de François Bayrou, ce qu'on peut appeler l'arc central,
08:54arrivait à se mettre d'accord, sans doute que la crise
08:57pourrait en partie être dénouée, mais vous voyez que rien
09:00que se mettre d'accord, en gros, il y avait une formule
09:03qui circulait à l'issue des élections législatives,
09:08c'est-à-dire qu'il va falloir travailler sur un arc
09:10qui va de Tondelier à Wauquiez.
09:12– Oui, mais Roland Lescure dit des LR aux communistes aussi,
09:15oui, mais là, se mettre d'accord, c'est genre là,
09:16il y a quand même une somme de désaccords significatifs
09:19entre ces gens, aussi autorépublicains soient-ils.
09:21– Oui, oui, mais vous voyez, sans même aller chercher
09:24LFI et le Rassemblement national, mettre tout ce monde-là d'accord
09:28supposerait déjà qu'on ait fait un grand pas dans la mise en place
09:32d'une culture du compromis et de la négociation.
09:35– Même si on va les chercher, parce que LFI sont invités
09:37généralement aux négociations et c'est eux qui décident de ne pas venir,
09:40donc c'est aussi une posture, ils disent qu'on ne vient pas
09:45tant qu'on n'a pas accepté un Premier ministre
09:47issu du Nouveau Front Populaire et l'application du programme du NFP.
09:52– Oui, bien sûr, mais dans l'avènement de cette nouvelle culture politique,
09:56on peut penser que toutes les formations politiques
09:58ne la partageraient pas forcément, mais il suffirait que…
10:02mais c'est déjà énorme quand on voit la situation dans laquelle nous sommes,
10:05en gros, du Parti socialiste et d'une frange des écologistes jusqu'à LR,
10:09en passant par le Bloc central, on acquiert et on accepte de se salir les mains
10:14en passant des accords qui feraient qu'on revienne sur certaines des fameuses lignes rouges
10:19pour qu'une majorité puisse éventuellement tenir.
10:22Je ne pense pas que ni François Bayrou ni Emmanuel Macron
10:26aient caressé l'espoir d'embarquer avec eux le Rassemblement national
10:29et la France insoumise, mais même avec un périmètre déjà plus réduit,
10:32ça semble aujourd'hui une tâche hors d'atteinte.
10:36Jérôme Fourquet, l'invité du grand rendez-vous européen CNews-Les Echos,
10:39on se retrouve dans un instant, on parlera du budget et de la réforme des retraites.
10:43A tout de suite.
10:55Jérôme Fourquet, l'invité du grand rendez-vous européen CNews-Les Echos,
10:59ce dimanche, Jérôme Fourquet, le grand challenge de François Bayrou,
11:03bien sûr, ça va être de faire adopter le budget 2025.
11:07Un pas en avant a été fait l'autre jour à la télévision
11:11envers les adversaires de la réforme des retraites.
11:14Sur cette réforme retraite à 64 ans, le Premier ministre ne la considère pas comme actée.
11:19Il est prêt donc à rouvrir le dossier, proposer une nouvelle réforme d'ici à septembre.
11:23Et si aucun compromis n'est trouvé, alors, dit-il, on appliquera celle qui a été votée.
11:30Mais est-ce que ça ne remet pas en cause le fonctionnement démocratique ?
11:33Parce que cette réforme, elle a été votée.
11:35Elle a été votée par 49.3, mais elle a été votée quand même.
11:38Oui, alors, François Bayrou acte néanmoins le fait que c'est une ligne rouge,
11:43cette application de la réforme des retraites à gauche,
11:46et que s'il veut élargir sa base, son pôle de sustentation,
11:51eh bien, il faut qu'il...
11:52Mais il est adopté en 49.3, je me corrige, c'est pas un vote, oui.
11:56Il faut lâcher du laisse là-dessus.
11:58Il regarde aussi les enquêtes d'opinion.
12:00Quand on parlait tout à l'heure de sa cote de popularité,
12:02elle n'est que de 28 %, donc il y a 72 % de mécontents parmi les salariés.
12:07Vous avez aujourd'hui 7 salariés sur 10 qui sont a priori mécontents
12:12de la nomination de François Bayrou.
12:15Et on voit dans toutes les enquêtes que dans le monde du travail,
12:18cette question de la réforme des retraites n'est pas passée.
12:22Donc, il y a eu cette adoption par 49.3, mais ça reste...
12:25Elle n'est pas passée, c'est-à-dire que les gens ne l'acceptent pas, c'est ça ?
12:27Oui, ça suscite toujours énormément de mécontentement.
12:32On se souvient des mobilisations très importantes
12:35qui ont eu lieu au moment du débat sur ce texte.
12:38On avait vu d'ailleurs la cote de popularité du président de la République
12:42décrocher singulièrement à ce moment-là.
12:45Donc, c'est un sujet structurant que François Bayrou
12:50essaye, si vous voulez, un peu de contourner en disant
12:52voilà, il faut lâcher un peu de l'Est
12:54pour pouvoir peut-être avancer sur d'autres sujets et d'autres dossiers.
12:58Mais on verra si c'est le prix à payer pour que plusieurs personnalités
13:03issues de la social-démocratie rejoignent son gouvernement.
13:10Et puis, vous voyez, c'est-à-dire qu'on remet tout sur la table.
13:12On ne peut pas forcément tout remettre à place.
13:15C'est-à-dire peut-être sur des carrières longues, sur la pénibilité,
13:19lâcher du lest sur tel ou tel point pour dire que le gouvernement,
13:24le nouveau gouvernement n'était pas fermé,
13:26n'était pas droit dans ses bottes et qu'il acceptait
13:29et qu'il mette en œuvre, justement, cette fameuse culture du compromis
13:33et de la discussion.
13:34Clément Sennette.
13:35Est-ce que, justement, c'est pas par ailleurs
13:38rouvrir la boîte de Pandore ?
13:39On a vu toutes les manifestations qu'il y avait eues
13:42au moment de la discussion de la réforme.
13:44Là, il y a un risque de remettre peut-être une pièce dans la machine.
13:47Est-ce qu'il n'y a pas ce risque ?
13:48Et d'un autre côté, il dit qu'il ne suspend pas la réforme le temps des discussions.
13:53Donc, est-ce que ça ne peut pas être aussi une espèce de leurre
13:56« Ok, on va discuter, mais au final, la loi sera mise en application ? »
14:03Alors, encore une fois, on est, vous voyez,
14:05dans ce jeu de posture politique, de communication également.
14:11Sur quoi accepte-t-on de rediscuter ?
14:13Est-ce que les éléments centraux de la réforme sont complètement sanctuarisés
14:17et on fait savoir aux partenaires sociaux et aux autres dirigeants politiques
14:23qu'on ne va pouvoir négocier qu'à la marge ?
14:25Ou est-ce qu'au contraire, on se dit qu'on ouvre tout ?
14:29Vous avez raison, à partir du moment où on dit qu'on ne la suspend pas le temps des discussions,
14:33ça n'incite pas à penser que tout peut être renégocié.
14:37Ça va être des points d'aménagement sans doute.
14:39Et tout ça s'inscrit, mais on le sait aux échos, dans un schéma beaucoup plus global
14:44qui est celui des finances publiques et du budget.
14:47Voilà, je me permets de vous y conduire.
14:51Est-ce que le commun est mortel que vous analysez, l'état d'esprit des Français ?
14:54Est-ce que les Français sont globalement conscients, un, de l'état des finances publiques ?
14:58C'est-à-dire, est-ce que c'est une réalité ?
15:00Est-ce qu'ils craignent l'effondrement des finances publiques
15:02et les conséquences que ça pourrait avoir sur leur vie ?
15:04Est-ce qu'ils sont conscients aussi du fait que le régime des retraites globalement
15:07est vu comme étant incapable de tenir sur la longue durée ?
15:11Est-ce qu'il y a une conscience populaire de la crise des finances publiques
15:14où tout cela semble immatériel ou très lointain ?
15:16Alors, les Français entendent et constatent la dégradation du déficit.
15:24Ce sujet est quand même martelé assez souvent actuellement,
15:27les fameux 3 000 milliards de dettes.
15:31Pour autant, et donc ça les inquiète,
15:33ce qui les inquiète à court terme, ce n'est pas l'effondrement de nos finances publiques,
15:36c'est la potion amère qui va être appliquée,
15:40à savoir qui va devoir régler une partie de cette facture ou de cette ardoise.
15:45Vous vous souvenez, sous le gouvernement précédent,
15:49on parlait d'un effort de 60 milliards
15:52qui devait être réparti entre des coupes budgétaires et des impôts supplémentaires.
15:56Donc ça, c'est ce que les Français ont en tête en disant
15:58où est-ce que ça va couper et qui va devoir mettre la main à la poche
16:02pour essayer de juguler quelque peu ces déficits.
16:06Sur un effondrement à long terme de notre système...
16:09Ou à moyen terme, ou à court terme.
16:11Même à moyen et à court terme,
16:14une majorité de Français ne s'inscrit pas dans ce schéma-là.
16:18Nous avons traversé deux crises de nature très différente ces dernières années
16:22qui ont brouillé énormément de repères macroéconomiques.
16:25La première, c'était la crise importée des États-Unis, si je puis dire,
16:29après les subprimes, donc la crise de la dette souveraine en 2009.
16:32Voilà, et puis 2010 derrière,
16:35où les finances publiques avaient déjà été puissamment mobilisées
16:39pour stabiliser le système bancaire.
16:42Et les Français s'étaient dit mais on a traversé cette crise
16:45qui a été douloureuse mais la puissance publique a pu mobiliser
16:49des milliards de manière massive.
16:52Et puis le deuxième moment où nous avons vécu ça,
16:55c'était à l'occasion de la crise de Covid et le fameux quoi qu'il en coûte.
17:00Et tout ça a installé dans l'opinion publique
17:04l'idée que des marges de manœuvre budgétaires
17:06pouvaient être dégagées de manière massive quand on en avait besoin.
17:11Derrière la crise Covid, nous avons eu la mise en place
17:14du bouclier tarifaire sur l'énergie par exemple.
17:17Donc les Français se disent que c'est infini ?
17:19Que tous ceux qui disent que tout ça aura une fin
17:23ont pour l'instant été démentis.
17:26Et on a, vous vous souvenez, au moment de la crise de la dette souveraine,
17:31une ligne Maginot budgétaire qu'il fallait absolument défendre,
17:34c'était la note AAA de la France.
17:35Depuis, le pays a été plusieurs fois dégradé.
17:38Les Français regardent leurs chaussures,
17:39ils constatent que le sol ne s'est pas ouvert sous leurs pieds.
17:42Donc ils se disent que ça peut continuer en fait ?
17:44Et que ça peut continuer.
17:46Et d'aucuns ont une vision un peu plus stratégique encore en disant
17:51il ne pourra jamais nous arriver ce qu'il est arrivé à la Grèce
17:54parce que, comme on dit, des grandes banques américaines
17:56elles sont too big to fail.
17:57C'est-à-dire qu'on est trop gros pour chuter
17:59et donc la zone euro ne peut pas se permettre
18:01d'arriver dans cette situation-là.
18:04D'aucuns, plutôt dans les états majeurs politiques,
18:08appliquent sans doute, vous savez une fameuse phrase
18:12qui avait été prononcée par le ministre de l'économie américain de Nixon
18:18après que les Américains aient désindexé le dollar sur l'or,
18:24qu'il n'y avait plus d'étalons or.
18:26Et donc le dollar s'est mis à flotter, comme on dit dans le jargon.
18:29Et donc ça avait déstabilisé toutes les économies occidentales.
18:33Et ce monsieur était venu rencontrer ses homologues européens
18:35et il leur avait dit le dollar c'est notre monnaie
18:38mais c'est devenu votre problème.
18:39Et donc je pense qu'aujourd'hui, un certain nombre de responsables politiques français
18:42se comportent de la même manière vis-à-vis de leur partenaire de la zone euro
18:47en disant l'euro c'est notre monnaie mais c'est votre problème.
18:50C'est-à-dire qu'on a un droit de tirage
18:52et tout ça s'installe dans l'imaginaire collectif.
18:56Bien sûr, il y a de l'inquiétude quand on vous dit qu'il y a 3000 milliards de dettes.
18:59On se dit que ça peut mal finir.
19:00Mais jusqu'à présent, ça ne s'est jamais totalement matérialisé.
19:06Les Français sont prêts à faire quand même quels efforts ?
19:09Parce qu'on a vu, il y a quand même eu des enquêtes d'opinion qui disaient
19:12si vous deviez faire le budget, où est-ce que vous couperiez en fait ?
19:18Quels sont les efforts qu'ils seraient prêts à faire peut-être dans la coupe des dépenses ?
19:23Ce qu'on constate souvent, c'est que les efforts qu'on est prêt à consentir
19:27seraient ceux qui seraient demandés aux voisins.
19:31Donc c'est assez simple comme élément.
19:35Et on va vous dire, c'est le train de vie de l'État.
19:38Donc regardez l'écho qu'a eu.
19:40Il est minimal en fait, quand on regarde les deux rues.
19:44On dit, regardez, ils habitent dans des palais.
19:45Tout ça, c'est épitote par rapport au fonctionnement de l'État.
19:48Ça marque beaucoup les esprits.
19:49C'est les voitures de fonction des anciens premiers ministres, etc.
19:53Mais donc, on peut comprendre que ça peut bien évidemment choquer les Français.
19:56Mais on parle de quelques centaines de milliers d'euros.
19:58Comme les anciens premiers ministres qui ont des privilèges.
20:00C'est ce qu'on disait.
20:01Mais là, c'est en dizaines de milliards qu'il faut regarder.
20:03Donc c'est très compliqué de faire consentir un certain nombre d'efforts.
20:08Sachant qu'en matière de fiscalité,
20:11nous sommes déjà à un niveau de prélèvement obligatoire qui est très important.
20:15Et donc, aller encore davantage de ce côté-là paraît assez ardu.
20:21L'autre volet, ce serait tailler dans les dépenses.
20:23Mais c'est mis en place, ce que moi j'appelle un modèle stato-consumériste.
20:28C'est-à-dire un modèle économique qui fonctionne d'abord sur la consommation
20:31plus que sur la production et qui fait jouer à la dépense publique un rôle majeur.
20:36Très concrètement, partout où vous allez en France,
20:39dans beaucoup de villes où les usines ont fermé,
20:40aujourd'hui, le premier employeur, c'est l'hôpital public ou la mairie.
20:44Mais ça ne peut pas tenir ?
20:46Eh bien, quand vous avez une société dans laquelle la dépense publique
20:51représente plus de 50% de la richesse nationale,
20:54vous avez toute une économie, toute une société
20:58qui est quelque part complètement perfusée à la dépense publique.
21:01Mais justement, vous venez de prononcer le mot et comme dit Mathieu, ça ne peut pas tenir.
21:05C'est-à-dire qu'on a cette volonté de réindustrialiser la France.
21:10Vous le dites très bien, dans Métamorphose,
21:12nous sommes passés d'une société, d'une France de production à une France de consommation.
21:15Comment est-ce qu'on peut réindustrialiser la France ?
21:18Comment est-ce qu'on peut retrouver de l'emploi alors qu'on s'est concentré que sur le tertiaire
21:23et plus du tout sur le secondaire qui était,
21:26comme on le voit dans les films de Claude Sotel et Au Fourneau, etc.
21:29Et aujourd'hui, ne plus envoyer tout le monde
21:32justement vers l'hôpital public ou vers les fonctions publiques,
21:34parce que c'est que là où il y a du boulot.
21:37On peut faire encore des réformes structurelles aujourd'hui en France.
21:41Vous voyez que cette société s'est métamorphosée,
21:44notamment à la suite de ces choix, conscients ou non, qui ont été faits.
21:50Il y a quelques semaines, on a eu une mobilisation des artisans-taxis.
21:54On peut dire qu'on est sur une corporation qui est totalement,
21:57comme son nom l'indique, indépendante et on est très loin de la dépense publique.
22:01Pourquoi se mobilisaient-ils ?
22:03Ils se mobilisaient parce que dans le cadre des économies
22:06qui vont être demandées à la Sécurité sociale,
22:07on voulait renégocier la convention qui les lie entre la Sécurité sociale
22:12et leur corporation sur ce qu'on appelle les transports médicalisés.
22:16C'est-à-dire quand un taxi va prendre en charge un patient
22:20pour aller passer des examens à l'hôpital, le ramener chez lui.
22:23Dans beaucoup de villes de province, ce type d'activité,
22:25c'est 70% du chiffre d'affaires des artisans-taxis.
22:28Et on pourrait multiplier à l'infini ces exemples
22:31de très nombreuses corporations qui, aujourd'hui, vivent de la dépense publique.
22:35Ce sont autant d'exemples, des métamorphoses de la France
22:38que vous citez justement dans votre dernier livre.
22:40Merci Jérôme Fourquet.
22:41On se retrouve dans un instant avec vous pour parler de laïcité et de Noël.
22:45Bien sûr, à tout de suite.
22:53Toujours avec le politologue Jérôme Fourquet, invité du Grand Rendez-vous ce dimanche.
22:57Noël, c'est mardi, dans la nuit de mardi à mercredi.
23:00Noël qu'on attaque, comme à Magdebourg en Allemagne.
23:03Cinq morts, 200 blessés.
23:05Sociologiquement, qu'est-ce que ça veut dire cette attaque ?
23:08Qu'on attaque Noël ? Qu'on attaque les chrétiens ?
23:12Alors, il faut être quand même très prudent sur ce qui s'est passé là-bas.
23:17Quand on voit le profil de l'auteur de cette attaque,
23:21c'est sur les motivations qui pourraient être les siennes.
23:25On est sur des choses qui sont assez confuses.
23:29Néanmoins, on avait déjà eu pour le coup d'autres attaques de marché de Noël.
23:33Notamment à Strasbourg.
23:34À Strasbourg, à Berlin, il y a quelques années,
23:36où là, la signature djihadiste était totalement irréfutable.
23:43Je vous pose la question parce que dans une bonne partie de vos observations,
23:46depuis des années maintenant, Jérôme Fourquet,
23:49vous constatez tristement, à juste titre,
23:51à dire que la religion chrétienne s'est effacée en France.
23:55La religion catholique, celle des Français, depuis 15 siècles, faut-il le rappeler.
23:59Deux choses, elle a été remplacée par des pratiques diverses,
24:01comme par exemple les cours de yoga.
24:03Je fais de l'humour, mais c'est vous qui en faites dans votre livre.
24:05L'autre argument, et il nous est sorti à tout bout de champ, c'est la laïcité.
24:09Comment est-ce qu'on peut comprendre cette fameuse laïcité aujourd'hui ?
24:13Peut-être sur Noël, pour faire un pas de côté,
24:18on a posé l'année dernière, pour le magazine chrétien La Vie,
24:22une question assez simple en disant, est-ce que vous faites la crèche de Noël à la maison ?
24:25Et donc on a encore 40 % de Français qui pratiquent la crèche de Noël.
24:29Donc, même si cette empreinte du catholicisme s'efface quand même de plus en plus,
24:35un certain nombre de symboles demeurent, notamment dans des occasions...
24:39On ne peut pas dire que c'est résiduel, 40 %.
24:4040 %, ce n'est pas résiduel, même si, pour beaucoup de Français,
24:44ce n'est plus uniquement un symbole ou un geste chrétien.
24:47C'est également se rattacher à un certain nombre de traditions.
24:51Alors, dans le même sondage, on leur demandait, à ces Français,
24:53si, quand ils étaient enfants, chez leurs parents, la crèche était installée.
24:59On était à 60 %, donc on voit que la crèche fait de la résistance,
25:03mais qu'elle est quand même en déclin.
25:05Et on voit aussi comment les audiences ont été très, très hautes
25:10sur toutes les émissions spéciales qui ont été organisées
25:12au moment de la réouverture de Notre-Dame.
25:14Donc, il y a des racines qui continuent d'exister,
25:17même si tout ça s'efface quand même assez rapidement.
25:21Alors, pour définir leur identité,
25:23aujourd'hui, souvent, les Français font référence à la laïcité,
25:25le terme de référence par lequel ils veulent nommer leur espace public.
25:28Mais est-ce que le mot laïcité n'a pas changé de sens ces dernières années ?
25:31Est-ce qu'il n'a pas été surinvesti culturellement ou sur le plan identitaire ?
25:35En faisant ce mot-là, va-t-il servir à accueillir
25:37toute la défense de l'identité française, puisque c'est un mot légitime ?
25:41Alors, peut-être en partie.
25:43Quand on regarde comment la notion de laïcité s'est installée en France,
25:49historiquement, c'était un outil, j'allais dire, de combat de la République
25:54pour faire reculer l'influence de l'Église dans la société française,
25:58qui était encore fin du 19e et début du 20e siècle.
26:01Pour le coup, cette influence de l'Église était très importante.
26:04Et puis, au fil du temps, j'allais dire un peu faute de combattants,
26:10cette question de la laïcité était venue à s'éteindre dans les années 80-90,
26:15puisque le pacte de non-agression, si je puis dire,
26:19entre la République et l'Église était globalement respecté,
26:23et surtout que, vu les forces sociales et démographiques qui étaient derrière l'Église,
26:29eh bien, la République ne se sentait plus menacée
26:32dans son magistère politique et culturel.
26:36Et donc, on a un retour d'intérêt autour de la question de la laïcité,
26:41à partir de 1989, c'est avec l'affaire des foulards de Creil,
26:46où cette laïcité va être réinvestie dans une acception nouvelle
26:52pour faire pièce à l'affirmation et la manifestation d'une autre religion
26:59dans l'espace public et dans l'école.
27:03C'est intéressant, ces années charnières, parce que 1984,
27:08c'est la grande mobilisation des défenseurs de l'école privée,
27:12alors eux parlaient d'école libre, contre la volonté de la gauche
27:15d'intégrer l'école privée, l'école de l'Église,
27:20dans un système unifié qu'on appelait le spulen,
27:22un système unifié de l'enseignement public.
27:26Et puis 1994, si je puis dire, on a le match retour,
27:30ça c'est la France laïque qui défile, quand un certain François Bayrou,
27:34alors ministre de l'Éducation, voulait réformer une très vieille loi française,
27:39qui s'appelait la loi Fallou, pour permettre aux collectivités locales
27:43de financer un certain nombre d'établissements privés.
27:45Donc 1984, les deux écoles auraient dit Sardou,
27:50et quelque part c'est le chant du signe de ce vieux combat séculaire.
27:54Et entre les deux, vous avez 1989, avec l'affaire du foulard de Creil,
27:59où la question de la laïcité va être du coup de nouveau posée en France,
28:04mais sur des bases qui sont totalement nouvelles,
28:06avec là aussi, métamorphose française, un changement de positionnement
28:11et une inversion des rôles.
28:13C'est-à-dire que c'était la gauche républicaine et la gauche en France
28:16qui avaient été la génitrice de cette question de la laïcité.
28:20La droite avait toujours été moins à l'aise sur cette question-là,
28:24puisqu'elle avait ses racines chrétiennes et catholiques.
28:27On voit comment aujourd'hui, on a une droite qui est très alente
28:30sur la question de la laïcité et une certaine gauche
28:33qui est plutôt sur le pied, le pied sur le frein.
28:35Donc on voit comment les perspectives se sont inversées.
28:38C'est là le côté paradoxal, presque, des deux exceptions de cette laïcité.
28:43Vous avez ce sondage CSA pour Europe 1, CNews et le JDD,
28:46qui dit que 77% des Français sont favorables à la tolérance zéro
28:51dès la première atteinte à la laïcité à l'école.
28:54Et là, on rejoint l'histoire du voile que vous raciez.
28:59Tout à fait.
29:00Alors, j'ai retrouvé des textes de 1989.
29:04SOS Racib avait dit que ce n'était pas grave, cette histoire de voile.
29:10Beaucoup de partis des Français étaient sur cette position-là également.
29:14Ce sont des adolescentes et, au bout du compte,
29:16à l'époque, on parlait même de Tchador,
29:18parce que c'était l'influence de la révolution communiste.
29:22Et le blue jean sera plus fort que le Tchador.
29:24C'était un des slogans de SOS Racib.
29:26Et on voit ce qu'il en est advenu plusieurs décennies plus tard.
29:32Le verdict des complices de l'assassin de Samuel Paty a été rendu vendredi.
29:39Dominique Bernard, un autre enseignant, a été lui également assassiné dans le sanctuaire.
29:45Vous voyez comment ces termes laïcs ont pu changer d'acceptation.
29:51Dans le sanctuaire d'une école également.
29:53Et donc, quand les Français répondent aussi massivement sur ce sujet-là,
29:57c'est avec tout cet arrière-plan, en disant qu'aujourd'hui,
30:02tout ça peut aller très loin.
30:03D'autres enquêtes que l'IFOP a pu mener montraient qu'une proportion
30:06très importante d'enseignants déclarés s'est déjà auto-censuré
30:12quand ils devaient aborder certaines thématiques
30:15devant leurs élèves dans certaines classes.
30:17Et c'est problématique.
30:18Et ce qui est problématique.
30:19Et donc, on voit comment, encore une fois,
30:21cette question de la laïcité se pose aujourd'hui dans des termes
30:25qui sont assez renouvelés par rapport à ce qu'était la grille de lecture historique
30:30depuis le début du XXe siècle.
30:31Mais est-ce que tout cela s'accompagne d'une inquiétude
30:34pour l'existence même de la nation France, du peuple français ?
30:38On connaît l'inquiétude des Polonais, des Baltes, des petits peuples
30:41qui se disent à chaque génération, on pourrait y passer.
30:44La France, longtemps, lui a prêté une capacité de tenir
30:46à travers l'histoire, à travers les siècles.
30:48Est-ce qu'aujourd'hui, les Français ont une conscience ou une inquiétude
30:50en se disant peut-être que la France ne traversera pas le siècle ?
30:54Alors, je ne pense pas que cette inquiétude soit majoritaire dans le pays.
30:59La peur de l'effacement culturel ?
31:00Alors, ce qui est largement diffusé et repris dans la population,
31:06c'est le déclin, un peu sous toutes ses formes.
31:09Le déclin économique, perte d'influence sur la scène internationale.
31:16L'autre dimension qui serait sur un effacement culturel
31:19ou une disparition de la nation,
31:21je ne pense pas qu'il y ait une majorité de Français
31:23qui, aujourd'hui, soient assaillis par cette inquiétude.
31:27Je dis une majorité, on a des minorités de nombreuses
31:31qui, par contre, partagent ce diagnostic ou cette inquiétude,
31:35notamment l'électorat qui peut se porter sur le Rassemblement national,
31:39ce qui fait quand même beaucoup de monde aujourd'hui en France, 30%.
31:42Et c'est notamment, j'allais dire, synthétisé dans un slogan
31:47qu'on entend dans chaque meeting du Rassemblement national,
31:49qui est le suivant, c'est « on est chez nous ».
31:51Et dire qu'on est chez nous, ça veut dire qu'on a conscience de ne plus l'être totalement.
31:57Et la nécessité de devoir le rappeler indique que, manifestement,
32:03il y a une inquiétude qui est très vive en la matière.
32:04Alors ça, c'est l'inquiétude dans sa forme populaire.
32:06Mais quand une partie des élites de la bourgeoisie et du jeu qui prépare ces enfants
32:10n'ont pas exercé des responsabilités en France, mais à une forme d'exil,
32:13c'est-à-dire le pays n'est plus pour vous, vous irez en Asie,
32:16vous irez au Canada, vous irez au Québec, vous irez aux Etats-Unis,
32:18vous irez ailleurs dans le monde,
32:19mais la France n'est plus un espace viable pour vous, fils de la bourgeoisie.
32:23Est-ce que ce n'est pas une autre manière de se dire finalement
32:26que la page française de l'histoire du monde n'est plus d'actualité ?
32:30Alors c'est un sujet qui est très important, celui que vous pointez là,
32:35qui ne s'appuie pas uniquement sur des considérations dans ces milieux-là
32:43qui soient culturelles.
32:45C'est aussi une question économique, en disant,
32:49nos enfants qui font des écoles de commerce et qui sont ingénieurs,
32:52qui doivent être amenés à constituer la fameuse start-up nation,
32:55compte tenu de l'état du pays,
32:57ce n'est pas la guerre civile ou la guerre culturelle qui le redoute,
32:59c'est un affaiblissement économique.
33:01Et aujourd'hui...
33:03Oui, mais est-ce que l'un ne va pas avec l'autre ?
33:04Est-ce qu'un pays fort, c'est aussi un pays bien ancré dans sa civilisation ?
33:08Encore une fois, rappelons que la France a 15 siècles d'histoire derrière elle
33:14et qu'on a, c'est vrai ces derniers temps,
33:16et vous parliez de Notre-Dame de Paris,
33:19tendance à parfois oublier, parfois aussi à renier,
33:23parfois à s'excuser de cette histoire de France.
33:25Quand je lis Louis Sarkozy, qui a lancé une pique l'autre jour,
33:29qui dit « si dans quatre siècles les Français ont tous la couleur de mon café,
33:32je m'en fous, s'ils boivent du vin et payent leurs impôts,
33:35on aura réussi ».
33:36Est-ce que vous êtes d'accord avec ce postulat ?
33:38Alors ça, chacun jugera.
33:40Je vous demande juste si vous êtes d'accord ou pas.
33:42Je reviens sur ce qu'on disait avec Mathieu Bocoté,
33:44c'est-à-dire, là j'essaie de raisonner,
33:47ou d'essayer d'expliquer ce qui amène une partie de l'élite économique française
33:54à commencer à regarder pour soi-même ou pour ses propres enfants,
33:58et donc sur la pérennité, et donc je pense…
34:00Vous parlez de la même chose là.
34:01Oui, oui, mais je pense que dans ces milieux-là,
34:03c'est pas d'abord sur les questions culturelles,
34:05c'est plus sur les questions économiques.
34:06Moi j'avais été très…
34:07Moi je ne suis pas sûr, mais bon, on va avoir un débat là-dessus.
34:11On peut pas les questionner eux, mais on voit comment ce qu'on appelle
34:17dans la terminologie administrative les Français de l'étranger,
34:19donc c'est les expatriés, sont aujourd'hui de plus en plus nombreux.
34:23Alors c'est le signe aussi d'une globalisation,
34:27et on voit qu'aujourd'hui, moi je m'intéresse à ça notamment
34:29au moment des scrutins présidentiels,
34:33aujourd'hui ils représentent une part non négligeable du corps électoral,
34:37et il est nécessaire d'aller faire campagne pour aller chercher ses voix
34:40quand on est candidat, ou pour aller chercher l'argent.
34:43Quand il y a les fameuses tournées pour lever des fonds,
34:48on voit comment aujourd'hui le passage par Bruxelles,
34:51par Toronto, par Londres est absolument nécessaire
34:54pour pouvoir toucher une partie de cette bourgeoisie
34:57qui peut-être au moment comme les exilés de Coblence a quitté l'Hexagone.
35:02Il y en a un qui a levé des fonds, et pas des moindres,
35:05pour être élu à la Maison Blanche, c'est Donald Trump.
35:08On va en parler justement avec vous dans un instant après une dernière pause.
35:19Dernière partie du Grand Rendez-vous avec le politologue Jérôme Fourquet.
35:23Le 20 janvier, Donald Trump prendra officiellement sa place
35:27en tant que président des États-Unis.
35:30Doit-on le voir comme un grand maître du monde
35:33qui décidera nommément ou implicitement
35:36du sort des autres pays du monde ?
35:39C'est objectivement le cas depuis longtemps.
35:42Déjà, les États-Unis demeurent et sont la principale puissance mondiale.
35:49Ça le sera d'autant plus avec une personnalité comme Trump
35:52qui ne s'embarrassera pas de fioritures, qui ira droit au but
35:56et qui a une claire conscience, comme on dit,
35:59outre-Atlantique de la culture du deal et aussi des rapports de force.
36:05J'ai été très marqué par ce qui se passe au Canada,
36:08où ce pays frontalier des États-Unis,
36:12qui a 75% de ses exportations fléchées vers les États-Unis,
36:17qui est sous la menace d'un rehaussement de 25% des droits de douane.
36:23Et donc, dans le monde policé nord-américain,
36:27on ne s'était, je pense, jamais parlé comme ça entre Américains et Canadiens.
36:32Regardez aussi comment tous les regards du public,
36:38qu'on pourrait appeler l'espèce de nomenclatura française,
36:40assistée à la réouverture de Notre-Dame,
36:43se sont tournés quand Donald Trump est rentré dans la cathédrale.
36:48Là, on était un peu sur un retour...
36:51Quelque chose de surréaliste.
36:52Alors, soit de surréaliste ou qui ramenait au temps très ancien,
36:56où il y avait le monarque et tous les barons qui prêtaient allégeance ou qui regardaient.
37:06Mais est-ce que Trump n'est pas, pour plusieurs, une forme de symbole de volontarisme ?
37:09Je m'explique, on est depuis un bon moment devant des politiques
37:13qui sont surtout des gestionnaires,
37:14qui expliquent qu'ils ne peuvent pas faire grand-chose
37:16sinon nous adapter à l'inévitable.
37:19Et là, on se retrouve avec quelqu'un, qu'on l'apprécie ou non,
37:21qui dit « je suis la volonté incarnée, je suis capable de faire des choses,
37:24avec moi, la politique retrouve une capacité de changer le monde ».
37:27Est-ce que derrière la fascination pour Trump,
37:29il n'y a pas aussi une forme de désir ou de fascination pour le retour du volontarisme ?
37:34Alors, quand on parlait de fascination, c'est de la part de nos dirigeants face...
37:40Au-delà même des dirigeants, je pense qu'il y a le phénomène Trump
37:43parce qu'il ne réveille pas quelque chose comme l'idée que la politique redevient volontariste.
37:46Alors, quand vous regardez les enquêtes d'opinion qui valent ce qu'elles valent sur ce type de sujet,
37:52la cote de popularité de Trump en France est très basse.
37:56Il est rejeté pour plein de raisons.
37:58En revanche, il peut être détesté, mais craint.
38:02Parce qu'on dit, voilà, c'est le retour de quelqu'un
38:06qui va être au sommet de la chaîne alimentaire géopolitique mondiale
38:10et avec lequel on va devoir composer.
38:12Tout le monde a bien compris que ce qui se passait en Ukraine
38:16va dépendre énormément du choix que Donald Trump fera en la matière
38:21et que l'Europe, bien que cette guerre se passe à nos portes,
38:26n'est absolument pas en capacité de prendre le relais
38:30en termes de fourniture d'équipements militaires en direction de l'Ukraine
38:35si Donald Trump décidait de baisser le pouce.
38:37Donc, tout le monde l'a en tête, ça.
38:39Et sur cette éventuelle fascination qu'il pourrait y avoir
38:43sur l'incarnation d'un volontarisme politique,
38:47tout ça est possible parce qu'il a été élu à la tête des États-Unis.
38:51Et la France, comme on le dit,
38:53à plus de 70% de nos concitoyens qui considèrent qu'on est en déclin,
38:57se disent que même si nous, nous voulions faire cela,
38:59est-ce qu'on nous en aurait les moyens ?
39:01Ce qui ne fascine pas aussi, c'est le couple qu'il forme avec Elon Musk.
39:06On a quand même l'impression que cette volonté de réformer l'État
39:09et de vraiment, pour le coup, couper dans les dépenses budgétaires américaines,
39:13c'est Elon Musk qui va la porter.
39:15Est-ce qu'en France, on pourrait imaginer un couple aussi improbable ?
39:18Alors, je ne sais pas si on aurait l'équivalent en France, en revanche...
39:22C'est peut-être un travers qu'on a en France de toujours vouloir comparer
39:26par rapport aux États-Unis, mais imaginons ça, effectivement.
39:30Alors, et quand on regarde ce couple, là, pour le coup,
39:33l'image et la popularité d'Elon Musk en France
39:36est bien supérieure à celle de Trump.
39:38Alors, comme on dit dans notre jargon de sondeur, il est très clivant.
39:40Il y a toute une partie de la population qui regarde ce personnage avec horreur,
39:45mais il fascine aussi par sa réussite, par sa vision et aussi par son discours.
39:53Et moi, je suis assez frappé de voir comment, dans certains milieux,
39:57ces dernières semaines ou ces derniers mois,
39:59alors même que la crise institutionnelle et budgétaire s'approfondissait,
40:05on commence à entendre des discours lodateurs sur un Elon Musk
40:10ou, pire en France, sur un certain Milley.
40:14Et avec cette idée que la France, dans notre histoire,
40:18est difficilement réformable progressivement
40:21et qu'il faut souvent avoir touché le fond de la piscine
40:24pour pouvoir remettre tout à plat.
40:26Et donc, face à l'impossibilité de sortir de cette impasse budgétaire
40:32et à ce poids de la dépense publique,
40:34en disant, est-ce qu'il faut couper ?
40:35Ben, ça va être très compliqué, etc.
40:37Et puisque vous en parlez, vous pensez qu'une politique à la Milley,
40:39aujourd'hui, est possible en France ?
40:41Je ne dis pas qu'elle soit possible.
40:44Mais je suis frappé par le fait que,
40:47pour beaucoup de Français, l'Argentine, c'est quand même très loin
40:50et c'est un pays que, généralement, on regarde assez peu.
40:53Et donc, le fait qu'il y ait une...
40:55Mais c'est parce qu'il y a eu ces quelques images où il enlevait des...
40:58Avec sa tronçonneuse.
41:01Mais vous voyez, là, pour le coup, un couple,
41:04pour un couple, là, pour le coup, ce serait Musk-Milley
41:07qui commence à avoir une certaine résonance dans certains milieux.
41:11Je ne dis pas l'ensemble de la population, ni même la majorité
41:14de la société française.
41:16Alors, vous connaissez probablement la forule.
41:17C'est un échange entre Raymond Haron et le général de Gaulle.
41:19Et Haron dit, la France ne fait pas de réformes,
41:22mais fait des révolutions de temps en temps.
41:23Et de Gaulle corrige en disant, non, la France ne fait pas de réformes,
41:26mais fait des révolutions.
41:27Et pendant cette révolution, on en profite pour faire quelques réformes.
41:30Le point commun dans les deux cas, c'est cette idée qu'il y a besoin...
41:32La France préfère les grands moments de bascule
41:35plutôt que les réformes à la britannique, peu à peu,
41:37pour conserver un système.
41:38Est-ce que les Français sont en attente, aujourd'hui,
41:40d'un tel moment de bascule, d'un tel grand geste politique
41:44qui relancerait la machine ?
41:46Alors, ils ne sont pas forcément...
41:47Je ne sais pas s'ils sont en attente.
41:50Il va falloir poser la question, si je puis me permettre.
41:53En revanche, on voit bien, on revient au début de notre discussion,
41:57qu'une grande majorité ne voit pas comment
42:02la situation peut se débloquer progressivement.
42:06Et donc, ce n'est pas forcément un souhait
42:08que cette vieille méthode française soit appliquée,
42:13mais c'est peut-être ce qui peut être envisagé par la suite.
42:17Vous voyez, c'est-à-dire qu'il n'y a pas forcément une grande attente,
42:20mais le métabolisme ou le fonctionnement interne de la société française,
42:24peut-être à un moment ou à un autre, nous conduira à cela.
42:28Alors, quelqu'un qui l'attend et qui le souhaite et qui le théorise,
42:31c'est Jean-Luc Mélenchon, qui a encore répété récemment,
42:34ça se finira entre nous, sous-entendu la LFI, et le Rassemblement national.
42:40Et donc là, on voit bien qu'on n'est pas du tout dans un scénario à la Scandinave
42:44ou à l'anglo-saxonne de réformisme progressif.
42:47Ce serait encore toujours la culture de la rupture face à un système
42:54et une société française qui n'arrive pas à accoucher de ces propos.
42:57Mais on l'a vu pendant sa dernière campagne présidentielle,
43:00Donald Trump recentre ses activités et son point sur les États-Unis, sur les Américains.
43:07Il veut travailler pour les Américains, il veut donner moins d'argent aux autres.
43:11Est-ce que pour autant, peut-être qu'il attend de nous aussi qu'on se réveille
43:16et que la France fasse des réformes structurelles,
43:19qu'elle puisse effectivement engager des métamorphoses,
43:23pour reprendre le titre de votre livre ?
43:24Je ne suis pas sûr que Trump attende que l'Europe s'effondre.
43:29Non, non.
43:30C'est peut-être justement un élan.
43:32Peut-être qu'on devrait s'inspirer d'une politique qu'on aime ou qu'on n'aime pas.
43:37Vous avez dit que Donald Trump avait une mauvaise image en France
43:39pour la plupart de nos concitoyens.
43:41Peut-être qu'au contraire, il faudrait se réveiller et se dire
43:44que c'est peut-être le moment de faire des réformes structurelles.
43:46Parce que, et puis on l'a vu dernièrement dans un sommet européen,
43:50qu'il va falloir maintenant compter sur nous-mêmes.
43:52Et quand je dis nous-mêmes, c'est l'Europe à minima
43:54et pourquoi pas la France en tant que France souveraine.
43:58Alors, je ne suis pas dans la tête de Donald Trump,
44:01mais il a clairement indiqué les choses, en matière de défense notamment,
44:05dans le cadre de l'OTAN, en disant qu'il faut que les pays membres
44:09acquittent leur cote-part de 2% du PIB consacré à leur propre défense.
44:14Et le moment historique pendant lequel les États-Unis offraient généreusement
44:21et de manière très intéressée un bouclier protecteur
44:24à toutes les nations européennes est révolu.
44:26Et donc, Donald Trump est clairement dans une demande de réveil,
44:33au moins sur la question de la défense et de la géopolitique, ça c'est clair.
44:39Alors, certains dirigeants européens ont dit quelque part
44:42que ça peut être un mal pour un bien pour l'Europe,
44:45cette élection de Donald Trump, parce que ça va nous mettre
44:48face à nos propres responsabilités.
44:50Et c'est quelque part une Europe qui va sortir de l'adolescence,
44:54qui va arriver à l'âge adulte en disant maintenant on ne peut plus compter
44:57sur le papa américain qui a d'autres sujets de préoccupation.
45:01Nous verrons si en France, comme chez nos principaux partenaires européens,
45:06ce réveil, cette émancipation et cette prise en main ont lieu.
45:10Ça se passera d'abord sur le plan géopolitique et militaire
45:13avec la situation en Ukraine.
45:16Il y a une concomitance d'États aussi de part et d'autre du Rhin,
45:19parce qu'il y a des élections qui vont avoir lieu en Allemagne.
45:22On va voir si l'Allemagne et l'élite politique allemande
45:28est habitée par ce souhait d'émancipation ou si le réflexe historique
45:34qui prévaut dans les élites allemandes depuis 1945,
45:37c'est toujours de chercher la protection américaine.
45:39Vous y croyez, ça justement, qu'il puisse y avoir un réveil de l'Europe ?
45:43On le voit, c'est la crise en France.
45:45C'est aussi quelque part la crise en Allemagne.
45:49Nous, on a fait une enquête aux échos.
45:50On voit que les patrons français, ils ne rêvent que d'une chose
45:53depuis la dissolution, c'est d'aller éventuellement se coter à New York
45:57ou alors, en tout cas, quitter la France.
45:59D'un autre côté, Trump, lui, demande à ce que les Européens
46:02achètent plus de gaz et plus de pétrole.
46:04Donc, comment la France et l'Europe peuvent-elles résister ?
46:07C'est l'enjeu, c'est-à-dire qu'on est au pied du mur.
46:10Et donc, soit il y a un sursaut collectif,
46:13soit la situation risque, hélas, de se dégrader.
46:17Donc, encore une fois, parler d'un terme galvaudé
46:20qui est celui d'historique.
46:21Je pense que là, la France et l'Europe vivent un moment historique.
46:24Et quand vous voyez comment, en dix jours, le régime de Bachar el-Assad
46:28est tombé, comment la carte du Moyen-Orient se redessine,
46:31ce que les Israéliens ont modifié en termes de rapports de force
46:36dans toute la région suite au 7 octobre, l'Ukraine et autres.
46:38Donc, il y a des moments de bascule très importants.
46:41Et donc, l'Europe est face à ces responsabilités.
46:42Merci beaucoup, Jérôme Fourquet.
46:44Métamorphose française, État de la France en infographie et en images.
46:48C'est édité au Seuil.
46:50Merci. Très bonne journée sur nos deux antennes.
46:52Très bonne fête de Noël.
46:54Le Grand Rendez-vous vous donne rendez-vous dimanche prochain.

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