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Gérald Darmanin, nouveau Garde des Sceaux, a dressé sur RTL un constat assez sévère sur le traitement du trafic de drogue par la justice française. Le locataire de la Place Vendôme souhaite notamment isoler les narcotrafiquants déjà emprisonnés qui réussissent à communiquer à l'extérieur grâce à des téléphones. "Pour l'instant, la République est en échec sur cette question. Mais nous allons remettre la République à sa place", assure-t-il. Jean-Jacques Urvoas, ancien ministre de la Justice sous François Hollande, est l'invité pour tout comprendre dans RTL Soir.
Regardez L'invité pour tout comprendre avec Yves Calvi du 06 janvier 2025.

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Transcription
00:00Yves Calvi, Aude Vernuccio, RTL Soir, jusqu'à 20h.
00:04Bonsoir Jean-Jacques Herboas, vous êtes ancien ministre de la Justice sous le président Hollande, je le rappelle.
00:08Merci de prendre la parole sur RTL. Pour commencer, je vous propose d'écouter notre nouveau garde des Sceaux, Gérald Darmanin,
00:14était ce matin l'invité de la matinale sur RTL. Il est parfaitement clair, rien ne va dans le traitement du trafic de drogue par la justice française.
00:21Il faut tout revoir. Rien ne va dans le ministère qui m'appartient sur cette question de la drogue.
00:27Quand vous mettez quasiment plus d'une dizaine d'années pour juger quelques affaires,
00:30quand vous avez dans les bougies rondes plus de 200 procès d'assises en attente,
00:34quand vous avez des milliers de personnes qui attendent leur bracelet électronique, rien ne fonctionne correctement.
00:40Jean-Jacques Herboas, quelle est votre réaction sur le constat dressé par Gérald Darmanin ce matin ?
00:45D'abord, quand on arrive garde des Sceaux, c'est normal de vouloir donner un ton qui va caractériser la pratique que vous espérez avoir.
00:51Donc on n'est pas vraiment surpris, Gérald Darmanin, c'est un ministre de l'Intérieur qui se prolonge au ministère de la Justice
00:57et il a choisi la justice pénale pour commencer à s'exprimer, notamment en narcotrafic.
01:01Et j'ai de ce fait un premier regret.
01:04La justice du quotidien, celle qui occupe 60% et même peut-être un peu plus l'année dernière de l'activité des tribunaux,
01:11c'est ce que l'on appelle la justice civile.
01:13C'est la justice du litige entre les voisins, c'est la justice commerciale, c'est la justice des désordres bancaires,
01:19c'est la justice de la construction. C'est ça qui embolise les tribunaux.
01:23Donc un ministre qui veut se fixer des priorités, je trouve qu'il aurait été logique qu'il commence par la justice civile
01:28plutôt que de s'intéresser à la justice pénale.
01:30Mais vous nous dites que le nouveau garde des Sceaux prend les choses à l'envers ?
01:34Non, je vous dis qu'il fait des priorités qui ne correspondent pas à ce que sont la réalité des juridictions à travers la France.
01:40Quand vous passez la porte d'un palais de justice, on ne vous parle qu'assez peu des questions pénales.
01:45On vous parle de la justice civile, la justice de la tutelle, la justice de la famille, la justice du divorce.
01:50En nombre, c'est beaucoup plus conséquent que la justice pénale.
01:54C'est un contentieux qui a progressé de 8% en 2023.
01:58Les durées de traitement de ces dossiers dépassent les 14 mois.
02:03Donc c'est incompréhensible pour les citoyens.
02:05Et moi, je pense que d'ailleurs, une grande partie de la défiance ou de l'insatisfaction que les Français ont vis-à-vis de leur justice aujourd'hui,
02:11c'est justement parce que cette justice du quotidien qui les concerne, ils en mesurent justement la dégradation.
02:17Pour en revenir au trafic de drogue, le nouveau ministre de la Justice veut isoler en prison les 100 plus grands narco-trafiquants du pays.
02:2517 000 personnes, pour rappel, sont actuellement emprisonnées pour trafic de drogue.
02:30Est-ce que vous comprenez cette idée de Gérald Darmanin ?
02:32J'aurais aimé d'abord qu'il m'assure que ce n'est pas déjà la réalité.
02:37Puisque le sentiment que j'en avais en visitant chaque semaine et pendant les 18 mois où j'étais garde des Sceaux,
02:44c'est que justement ce type de détenus bénéficiaient, puisque c'est malheureusement un privilège, d'une cellule où ils étaient isolés.
02:51Je dis que c'est un privilège parce que vous savez que la difficulté principale de l'univers pénitentiaire, c'est la surpopulation.
02:57Donc il me semble que c'est méconnaître ou en tout cas pas totalement connaître l'institution pénitentiaire
03:02que d'imaginer que ce genre de précaution n'a pas déjà été prise.
03:06Pour ce qui sont les détenus condamnés lourdement et en général pour ceux qui relèvent du trafic de leçons,
03:11ils sont dans des prisons qu'on appelle maisons centrales et qui sont souvent déjà à l'isolement.
03:15La façon dont circulent les téléphones dans nos prisons vous inquiète ?
03:18Évidemment que ça m'inquiète, mais là encore moi j'ai hâte de voir comment Gérald Darmanin va proposer,
03:23ou va concrétiser son engagement de nettoyer les prisons, puisque c'est ce qu'il a dit à vos confrères quand il est arrivé.
03:28Je ne peux que souscrire à cette intention.
03:30Mais imaginez par exemple, il est allé à la prison des Beaumet.
03:34On dit qu'il faut utiliser des brouilleurs.
03:36Parfait, peut-être que la technologie a évolué.
03:40Mais quand j'étais ministre, mettre des brouilleurs dans les Beaumet,
03:43c'était aussi brouiller les téléphones portables de tous les voisins qui sont autour de Beaumet.
03:48Et je peux vous assurer que ceux que j'avais rencontrés quand j'y étais allé m'avaient dit qu'effectivement ce n'était pas leur demande.
03:53Sans parler du personnel pénitentiaire aussi, qui par définition est touché ?
03:58Oui, et sans parler le fait que vous avez des magistrats qui demandent à ne pas brouiller les téléphones portables
04:06parce que ça permet d'écouter les détenus et ainsi de démanteler des filières qui sont à l'extérieur de la pénitentiaire.
04:14On ne peut quand même pas dire aux éditeurs d'RTL ce soir que la présence des téléphones est parfaite pour mener des enquêtes ?
04:21Non, je ne dis pas ça.
04:22C'est la raison pour laquelle je crois que l'année dernière, il y en a 54 000 qui ont été saisis en prison.
04:27Et qu'évidemment, quand vous les voyez, j'ai vu comme vous, j'ai lu comme vous des reportages, j'ai vu des émissions de télé.
04:32Évidemment qu'on ne peut avoir qu'un sentiment de révolte devant ce qui est un désordre à l'intérieur.
04:38Mais une fois qu'on s'est irrité ou qu'on s'est agacé, quelle est la réponse que l'on apporte ?
04:43Parce que le travail du ministre, ce n'est pas de hurler avec les loups.
04:46Ce qu'il faut, c'est qu'il apporte des solutions.
04:48S'il a une technologie qui permet de brouiller les téléphones portables de manière définitive,
04:53sans que ça altère le quotidien de ceux qui vivent en bordure des établissements pénitentiaires, qu'il le fasse, il aura mon soutien.
04:59Justement, vous parlez de l'action, le constat, il est entre guillemets assez facile à faire.
05:03Quand vous, vous étiez garde des Sceaux, qu'est-ce que vous avez fait sur ce sujet ?
05:08Justement, c'est exactement ce que je suis en train de vous dire.
05:10Je suis arrivé avec des intuitions, je suis arrivé avec des irritations et puis j'ai écouté les personnels.
05:17Et là où j'ai pu bouger les choses, j'ai bougé.
05:19Par exemple, nous avons réfléchi les détenus djihadistes, ceux qui étaient emprisonnés pour radicalisation.
05:26Nous avions une interrogation, fallait-il qu'ils soient rassemblés dans un établissement qui aurait été en matière de haute sécurité
05:32ou est-ce qu'il fallait qu'ils soient disséminés dans plusieurs établissements ?
05:35Nous avions à l'époque entre 300 et 400 détenus qui étaient qualifiés de cette incrimination.
05:40Nous étions le premier pays en Europe et donc d'ailleurs quand j'allais dans les conseils des ministres européens,
05:45mes collègues me disaient « mais comment vous allez faire parce que vous en avez beaucoup ? »
05:48Eh bien, nous avons réfléchi, nous avons organisé un travail scientifique avec des experts extérieurs à la pénitentiaire
05:54qui connaissaient ces univers.
05:56Nous nous sommes déplacés, je suis allé voir au Canada comment ils le faisaient
05:59parce qu'ils avaient des gestions de gangs qui paraissaient intéressantes
06:02et puis nous avons décidé d'avoir des procédures qui étaient effectivement des procédures d'encadrement
06:07avec aussi des procédures de dissémination.
06:09Il faut écouter, j'entends que Gérald Darmanin, et je ne peux évidemment qu'en féliciter,
06:13dit « mon bureau c'est le terrain ».
06:15Eh bien, qu'il écoute les personnels et professionnels de l'univers pénitentiaire
06:18et je suis sûr qu'une partie de ses intuitions seront évanouies parce qu'il verra la difficulté.
06:24Et puis peut-être qu'il trouvera des bonnes idées et nous serons tous derrière lui pour le féliciter.
06:28Que manque-t-il à notre justice pour être efficace dans la lutte contre le trafic de drogues
06:32à part ce que vous appelez des moyens et donc de l'argent ?
06:36Eh bien, c'est déjà beaucoup.
06:37C'est déjà beaucoup parce que quand vous avez des magistrats qui instruisent des dossiers
06:41et qui sont saturés par le nombre de dossiers qu'ils ont à instruire,
06:44ils ne peuvent pas faire que les journées qui dépassent 24 heures.
06:47Et donc, si vous aviez deux magistrats au lieu d'en avoir un dans une juridiction,
06:50si vous avez trois greffiers au lieu d'en avoir deux,
06:53ça fait déjà beaucoup pour l'accélération.
06:54Vous savez, les personnels du ministère de la Justice, ils sont animés
06:59et franchement cette institution fonctionne en dépit de ce que M. Darmanin peut dire,
07:04elle fonctionne en raison d'abord du dévouement des personnels.
07:08Donc, ce dont ils ont besoin, c'est des locaux, c'est des moyens, c'est du temps.
07:13Moi, je ne crois pas qu'une justice rapide soit nécessairement une justice efficace.
07:16Je sais que je suis iconoclaste en disant cela,
07:19mais le temps, c'est aussi la solidité de la procédure qui est alliée.
07:24Si vous travaillez rapidement, le risque est que vous bâcliez votre procédure
07:29et à ce moment-là, que ça ne finisse pas par des condamnations.
07:32Donc, plutôt que de se dire qu'on va travailler vite,
07:34le mieux, c'est de se dire qu'on va travailler bien.
07:36Est-ce que selon vous, il s'agit du bonhomme au bon endroit ?
07:40Naturellement, le président de la République connaît le ministre de la Justice
07:44puisqu'il l'a vu travailler.
07:46Il a pensé qu'il pouvait apporter un volontarisme et un dynamisme
07:49à l'intérieur d'un ministère, qui je serais,
07:52pour le disqualifier dans cette fonction,
07:53alors même qu'il n'a pas encore eu l'occasion de démontrer son action.
07:57Et le président Sarkozy, qui est comparé face à la justice,
07:59il est lui aussi au bon endroit ?
08:01Ça montre que la justice dans ce pays est indépendante
08:04et qu'à partir du moment où vous avez des incriminations qui vous s'approchent,
08:07vous avez une capacité d'avoir un débat contradictoire
08:10et de faire valoir vos propres arguments, ce qu'il va s'employer à faire.
08:12Une telle accumulation quand même, quand on lit la presse en ce moment.
08:16Je vous parle bien de la presse, pour ceux qui nous écoutent,
08:20ne peuvent pas pour l'instant avoir de jugement,
08:22ils attendent justement un jugement le concernant,
08:24mais peuvent être stupéfaits, non ? Pas vous ?
08:27Que dirait-on si c'était le cas inverse ?
08:30Cinq procès en cinq ans ?
08:32Oui, mais que vos confrères fassent cet art d'éléments
08:35qui apparaissent étonnants, surprenants
08:38et que l'institution judiciaire n'instruise pas.
08:42Les magistrats qui ont instruit les dossiers dont vous parlez
08:45sont tous des magistrats indépendants.
08:47Aucun d'entre eux n'a reçu une quelconque consigne d'un pouvoir politique,
08:51ni dans le sens de la dureté, ni dans le sens de la compréhension.
08:56Ils ont en toute liberté décidé qu'il y avait suffisamment d'éléments.
09:00J'ai cru lire que dans le dossier qui concerne aujourd'hui le président Sarkozy,
09:04le document transmis par les deux juges d'instruction fait 557 pages.
09:08En effet.
09:09Je ne connais pas ce dossier évidemment,
09:11mais je me dis que s'il y avait un magistrat,
09:15on pourrait dire oui, mais quand même, il y en a deux.
09:17Deux magistrats, ils ne sont pas nécessairement tous les deux d'accord.
09:20Surtout, ils ont conclu qu'il fallait organiser un procès.
09:23Le procès a lieu.
09:24Le président Sarkozy a tous les moyens.
09:27Manifestement, il sait les utiliser pour défendre son point de vue.
09:30Merci infiniment, Jean-Jacques Hervois, ancien garde des Sceaux, ministre de la Justice.
09:33Entre 2016 et 2017, très bonne soirée à vous.
09:37Et merci d'avoir pris la parole dans RTL Soir.
09:39Au revoir.
09:40Et demain, c'est le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau,
09:42qui sera l'invité d'RTL à 7h40 avec Thomas Soto.
09:45Et dans un instant, un homme libéré.
09:48Il en reutile.
09:49En 2025, c'est Marc-Antoine Lebré et le Breaking News.

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