La sociologue Eva Illouz a exploré la manière dont le capitalisme s'est emparé de l'amour pour le transformer en marchandise, ce qu’elle appelle une marchandise émotionnelle, à savoir une émotion qui devient une marchandise et vice versa. Elle montre que l'amour, autrefois perçu comme un espace intime et désintéressé, a été progressivement intégré dans les logiques marchandes. Il n'est plus seulement une affaire de sentiments, car il est devenu un produit, cultivé et vendu à travers une industrie tentaculaire : des applications de rencontres aux comédies romantiques, des coachs en séduction aux thérapies de couple. [...]
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00:00La sociologue Eva Illouz a exploré la manière dont le capitalisme s'est emparé de l'amour
00:12pour le transformer en marchandise, ce qu'elle appelle une « marchandise émotionnelle »,
00:17à savoir une émotion qui devient une marchandise et vice-versa.
00:21Elle montre que l'amour, autrefois perçu comme un espace intime et désintéressé,
00:27a été progressivement intégré dans les logiques marchandes.
00:30Il n'est plus seulement une affaire de sentiments, car il est devenu un produit cultivé et
00:35vendu à travers une industrie tentaculaire.
00:37Des applications de rencontres aux comédies romantiques, des coaches en séduction aux
00:42thérapies de couple, cette marchandisation ne se contente pas de monétiser l'amour,
00:47elle en redéfinit les codes et les normes.
00:48Mais le capitalisme ne s'arrête pas à la marchandisation des émotions, il standardise
00:54aussi les relations.
00:56Les plateformes de rencontres, par exemple, transforment l'amour en un marché, par
01:00une sorte de rationalisation de l'amour, profils en ligne, algorithmes de compatibilité
01:06et autres systèmes d'évaluation réduisent les relations humaines à des choix calculés.
01:11Ce processus a non seulement redéfini nos attentes affectives, mais il a aussi créé
01:18des émotions particulières façonnées pour servir des dynamiques économiques.
01:22Cette rationalisation déconnecte les émotions de leur spontanéité et pousse les individus
01:29à consommer des relations en cherchant constamment mieux ou différent.
01:34Le partenaire devient une sorte de produit dont on évalue les qualités et les défauts
01:40et que l'on peut remplacer si les attentes ne sont pas satisfaites.
01:44Ces émotions sont celles que le philosophe et historien de l'art Georges Didier Huberman
01:51appelle les « émotions disjointes ». Ces émotions s'appuient sur la certitude que
01:56chacun de nous est un bloc unitaire, sans faille.
02:00Ce sont celles dont l'autre c'est comme absenté, ce qui signifie qu'ont disparu
02:05le multiple, les contradictions qui sont en nous, mais aussi nos différences avec autrui.
02:10C'est le propre des systèmes de propagande politiques et marchands de faire usage de
02:15ces émotions pour gouverner.
02:17Ces émotions ne sont plus des expressions libres et spontanées, elles sont produites,
02:22canalisées et instrumentalisées.
02:24Ce sont des affects déconnectés de leur racine humaine, mais aussi des grandes questions
02:29sociales et politiques.
02:30Or, la disjonction des affects est un art de fragmenter les émotions pour les détacher
02:37de leur puissance d'action collective.
02:39Cette stratégie affaiblit leur potentiel à mobiliser une réflexion ou une révolte.
02:44Les émotions disjointes nous déconnectent de nous-mêmes et des autres.
02:49En isolant les affects de leur contexte, le capitalisme empêche une réflexion collective
02:55sur ce qui les génère vraiment.
02:56C'est pourquoi, au lieu d'essayer de comprendre ce qui nous rend réellement heureux ou de
03:02résoudre les causes profondes de nos peurs, il est essentiel de contrer cette dynamique.
03:07Et pour cela, il est essentiel de réapprendre à ressentir.
03:12Cela implique de reconnecter les émotions à leur source, de refuser leur instrumentalisation
03:17marchande et de leur redonner une dimension humaine et politique.
03:21Par exemple, transformer l'indignation en action collective ou redécouvrir une joie
03:28qui soit simple et non monétisable.
03:29Cela passe aussi par une réflexion sur les images et les narratifs qui nous entourent.
03:34Car l'acte de regarder est d'abord un acte de résistance, une manière de refuser
03:40la fragmentation pour réinvestir le lien.