Jeudi 30 janvier 2025, INTROSPECTION reçoit Soumia Malinbaum (Présidente, CCI Paris)
Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:00Bonjour et bienvenue à l'émission Introspection.
00:12J'aurai le plaisir d'accueillir dans quelques instants Soumya Malimbaum, qui a cofondé
00:17la FMD, qui est dirigeante de James et qui est la présidente de la CCI de Paris.
00:24Nous allons apprendre à mieux la connaître et je vous dis à tout de suite.
00:30Soumya Malimbaum, bonjour.
00:33Je suis absolument ravie de vous accueillir aujourd'hui dans l'émission Introspection.
00:38Vous êtes présidente de la CCI de Paris.
00:40Comment est-ce qu'on arrive à la présidence de la CCI de Paris?
00:44Bonjour Lucille.
00:46On y arrive à la fois avec de la chance et du travail et puis une opportunité,
00:52celle d'avoir été repérée, j'imagine, par le MEDEF, puisque c'est le MEDEF qui
00:58m'a proposé d'être tête de liste à l'occasion de cette campagne des élections
01:03consulaires pour être présidente, la deuxième en un siècle, de la Chambre de Commerce et
01:10d'Industrie de Paris, qui est le plus gros département de France.
01:14J'étais déjà élue CCI et j'étais Madame numérique au sein de l'Ile-de-France.
01:21Et donc je donnais un peu de mon temps, ça fait partie de mon engagement à chaque fois
01:26de pouvoir prendre des engagements auprès d'un intérêt général ou d'un service public.
01:31Je le faisais à la Chambre de Commerce.
01:33Et puis on est venu me proposer de faire campagne et de lancer ce défi de gagner ces élections.
01:43Donc j'y suis allée, très peu préparée finalement, mais tout arrive très vite et
01:49on a des ressorts d'énergie qui nous arrivent quand on veut se donner aussi ce défi.
01:55Et j'y suis allée pour gagner et effectivement j'ai gagné.
01:59Ça c'est clair que de l'énergie vous en avez, donc vous êtes juriste de formation,
02:04vous êtes très engagée dans tout ce qui est diversité, inclusion, parité, ça vous
02:10porte et vous avez cette envie d'aider les femmes.
02:13Votre sœur est ministre, a été ministre, il y a quelque chose dans votre famille qui
02:18fait qu'on a envie de faire bouger les lignes.
02:21Oui, c'est l'énergie de cette différence, de cette singularité, du fait que finalement
02:28on n'est pas forcément toujours à sa place puisque moi je suis originaire d'Algérie,
02:34mes parents sont arrivés fin des années 50 dans le nord de la France, dans une petite
02:39ville de province et là j'ai vécu avec mes frères et sœurs, nous étions six dans
02:45une cité, donc à un moment donné évidemment nos parents nous élèvent dans l'école,
02:53dans l'école de la société dans laquelle on est et en même temps dans les traditions
02:59musulmanes que sont celles de mes parents.
03:02Et à quel âge vous êtes un petit peu sortie ?
03:05Mais à un moment donné il faut étudier, c'est vraiment l'école, c'est vraiment
03:09l'enseignement qui est le chemin de la meilleure intégration et à l'époque c'était possible
03:14et ça marchait.
03:15Pourquoi c'est plus possible aujourd'hui ?
03:16Parce qu'aujourd'hui il y a un demi-million de décrocheurs en France qui sont ici de
03:20la quatrième génération qui est de l'Allemagne.
03:23Trois générations plus tard, les Français d'origine étrangère qui ont fait des enfants
03:27qui sont nés ici, l'accord principal ce sont des jeunes issus de l'immigration et
03:33qui n'ont pas le bac, qui décrochent, post-bac, qui n'atteignent pas.
03:37C'est multifactoriel, on n'est pas en train d'expliquer les raisons mais la situation
03:42c'est qu'à mon époque, la chance c'est que l'intégration par l'école, par les
03:46études supérieures et par le travail était la voie royale.
03:49Et mon père nous a enseigné ça, il nous lisait Le Monde tous les soirs en français
03:54et donc on a été très biberonnés je dirais à l'école, à l'enseignement, à l'apprentissage
04:01et puis très vite, après mon bac, moi j'ai voulu quitter Saint-Quentin parce que cette
04:07ville représentait justement ce déterminisme social dans lequel on nous avait finalement
04:13assignés à résidence et puisque dans le nord il y avait beaucoup d'immigration de
04:18travail d'origine maghrébine et je suis partie pas très loin, je suis partie à Lille
04:22qui était déjà la première étape pour faire une partie de mon droit et très très
04:27vite ma destination finale devait être Paris et ça l'a été.
04:32Et déjà à l'époque, vous étiez très engagée pour les causes féminines ou c'est
04:37venu après ça, quand vous avez peut-être rencontré des difficultés à être femme ?
04:42Oui, en fait à l'université, je suis arrivée à Assas pour ma dernière année de droit
04:48donc là c'était le GUD qui sévissait à l'époque, fin des années 90, et effectivement
04:56tout de suite j'ai compris qu'il y avait des sujets de discrimination et puis c'était
05:02déjà, je dirais un peu dans mon ADN, cette différence, on vous la rappelait assez souvent
05:08puisqu'à l'époque on était dans un environnement où le sexisme, le racisme étaient totalement
05:15décomplexés, ordinaires, on ne pouvait pas aller frapper à la porte du défenseur des
05:20droits ou d'une quelconque association, je vous parle de cette époque, c'était dans
05:23les années 90, 80-90.
05:26Il y avait quoi ? Il y avait de la colère en vous, de l'incompréhension ?
05:28Non, il y avait plutôt de la résilience, toujours de l'énergie et puis une volonté
05:32effectivement de changer la donne, de vouloir changer les choses et donc ça c'est quelque
05:38chose qui m'a tout le temps animée et ensuite quand je suis arrivée dans la première entreprise
05:44après mon droit, là aussi j'ai été repérée, on m'a proposé de...
05:49Repérer comment ?
05:51Repérer parce que l'énergie je pense, parce que j'ai terminé mon droit à ça, c'est
05:55en même temps j'avais pris ce job pour gagner ma vie et trouver un logement puisque je voulais
05:59venir à Paris donc il y avait beaucoup de désavantages, il fallait, voilà, je partais
06:04de rien donc je travaillais en même temps que je terminais mes études et j'ai trouvé
06:08un job dans une boîte d'informatique américaine où j'étais standardiste et donc en faisant
06:17le standard j'en faisais tellement plus je pense qu'à un moment j'ai été repérée
06:21et on m'a proposé de rejoindre le département à l'époque achats et ventes d'ordinateurs
06:27donc ça s'appelait Brockridge et ils ont cru en moi, là aussi c'est de la chance et
06:32là j'ai...
06:33La chance, pas de la chance, la méritocratie...
06:35La chance qu'on va chercher, non mais la chance qu'on va toujours évidemment chercher
06:41parce que la chance elle vient aussi en allant vers les autres.
06:44Bien sûr.
06:45Mais le meilleur c'est de se donner la chance et donc c'est là où ma carrière dans la
06:52tech a commencé, j'y suis restée, j'y suis depuis plus de trente ans.
06:56Et vous y êtes encore.
06:57Et c'est là où vous avez constaté qu'on manque de femmes et que vous vous souhaitez
07:02contribuer à ce déséquilibre et on va parler de ça dans quelques instants après une rapide
07:08pause.
07:09Merci Soumia.
07:10Soumia, vous êtes donc présidente depuis bientôt trois ans à la Chambre de Commerce,
07:18en plus de votre job, ça on l'a compris.
07:19Qu'est-ce qui s'y passe ? Quel est votre rôle ? Quels sont vos enjeux et vos objectifs
07:26?
07:27Alors, l'intérêt de présider un établissement public comme la Chambre de Commerce de l'industrie
07:31de Paris, c'est que ce sont des élus entrepreneurs dans la vraie vie qui viennent et qui ont
07:37une vision et qui ensuite travaillent avec des équipes, une équipe de salariés de
07:42la Chambre.
07:43Et dès que je suis arrivée il y a trois ans, j'ai lancé ma feuille de route autour
07:47de trois I.
07:48Mais on va parler du I qui est le plus important pour moi, c'est le I de l'inclusion.
07:53Et l'inclusion, ça passe aujourd'hui depuis trois ans par plusieurs programmes.
07:57D'abord, de travailler en recrutement diversifié, c'est-à-dire qu'on accompagne toutes les
08:04entreprises du territoire à recruter autrement et avoir un candidat et une candidate à travers
08:10ses compétences et son savoir-être plutôt que sa différence, son origine, son handicap
08:15ou ses QPV.
08:16Parce que je vous rappelle qu'il y a 230 quartiers politiques de la ville en Ile-de-France.
08:20Ce sont des quartiers où il y a quatre fois moins de chances d'accéder à un entretien
08:24d'embauche.
08:25Il y en a 22 à Paris.
08:26Donc, on fait des sittings dans les quartiers, dans le 19e, dans le 18e, avec les groupes
08:31qui veulent recruter autrement et les équipes de la Chambre.
08:35Ça, j'en suis très fière.
08:37Deuxièmement, il n'y avait que 25 %, il n'y a toujours que 25 % de femmes qui entreprennent
08:43à Paris, à peu près 30 % en France.
08:46Et donc, c'est déjà 20 % de moins puisque les hommes sont majoritairement des entrepreneurs.
08:50Donc, j'ai lancé un grand programme pour accompagner l'entreprenariat au féminin
08:56en Ile-de-France et plus largement en France.
08:59Parce que je considère que, comme moi, la liberté des femmes passe aussi par la liberté
09:04d'entreprendre.
09:05Parce que cette liberté d'entreprendre, elle permet d'accéder aussi, finalement,
09:10tout simplement, à son autonomie financière.
09:13Et qu'aujourd'hui, dans des situations où les femmes sont de plus en plus monoparentales,
09:18où il y a beaucoup de grandes difficultés, elles sont les premières à être licenciées.
09:22Et donc, il faut aider et pousser les femmes à créer leur entreprise, à oser.
09:27Et donc, je l'ai fait.
09:28Aujourd'hui, en deux ans, on a formé, enfin, on a accompagné une centaine de femmes sur
09:33un programme qui s'appelle « Boost entrepreneur au féminin ».
09:36Et ça, c'est mon action à la Chambre de commerce.
09:39Mais parallèlement à ça, mon engagement en faveur de la diversité et des femmes, il
09:44est depuis que je suis toute petite et adolescente parce que l'AFMD que j'ai cofondée, c'était
09:53justement pour lutter contre toutes les discriminations et tous les engagements que j'ai pu avoir
09:57en faveur des femmes, ça a été justement non pas pour les rendre encore plus victimes
10:04ou se poser en victime, mais plutôt pour être dans la débrouillardise et se lever
10:09le matin en disant « on est des femmes comme les hommes, en fait, et comme les autres,
10:14et on a le droit de prendre notre place, là où on est, et on ne l'a pas encore suffisamment prise. »
10:21Oui, vous savez de quoi vous parlez.
10:22Vous pensez, Soumya, qu'on est encore dans un monde très misogyne ? Ça progresse ?
10:28Alors, on est toujours dans un monde très misogyne, mais surtout très pernicieux, en fait.
10:34Pourquoi ?
10:35Parce que tout se fait de manière très insidieuse.
10:39Parce que je pense que les hommes sont assez mécontents, notamment plus on tutoie le pouvoir
10:49et plus les femmes sont absentes, et moins les femmes appréhendent le pouvoir, moins
10:55elles ont les codes du pouvoir, et plus c'est difficile pour elles.
10:59Donc aujourd'hui, les hommes qui sont à la tête et qui détiennent le pouvoir en France
11:03sur le plan économique, sur le plan politique, sur le plan des institutions, voient toujours
11:07d'un mauvais œil les femmes arriver.
11:09Donc on doit nous-mêmes, aujourd'hui, créer nos codes, et grâce à la fraternité entre
11:14les femmes, qu'on appelle la sororité.
11:16La fameuse sororité.
11:17C'est bien de l'appeler fraternité, puisque c'est le terme que la majorité emploie.
11:22Et il faut non pas singer les hommes, comme moi j'ai dû le faire pendant très longtemps
11:29quand j'ai créé ma boîte dans la tech.
11:31Leur ressembler pour qu'ils nous considèrent.
11:33Il faut justement créer notre chemin.
11:34Et ce chemin, c'est pas dans l'autocensure, c'est pas dans la victimisation, c'est pas
11:40dans la singerie non plus, c'est cette voie qui est la nôtre et dont l'économie a besoin.
11:46Et plus il y aura de femmes dans l'économie, plus l'économie sera durable et sera soutenable.
11:51Parce qu'elles ont conscience de ce que sont les générations futures, je le dis vraiment,
11:57j'en suis persuadée.
11:58Elles sont mères, ou elles ne le sont pas, mais elles ont conscience que le monde change
12:02et que ces grandes transformations, notamment environnementales, vont bouleverser notre
12:07planète et notre économie.
12:09Et elles sont plus conscientes de ça.
12:11Et moi, je le vis tous les jours.
12:13C'est pas business uniquement pour le business, ça doit être une croissance qui doit tenir
12:18compte de cette…
12:19De la complémentarité des gendres.
12:21Oui, de cette complémentarité, de cette durabilité de ces écosystèmes et surtout
12:25des générations qui arrivent.
12:27Alors, vous êtes une femme dans la tech.
12:29Il n'y a pas assez de femmes dans la tech.
12:31Non, il y en a très peu.
12:33Et pourquoi elles n'ont pas pris cette voie, selon vous ? Pourquoi il y a ce vide ?
12:37Ce qui est dramatique, c'est que depuis 15 ans, ces femmes disparaissent de plus en
12:41plus de la tech.
12:42C'est-à-dire qu'elles y vont et qu'elles n'y restent pas ?
12:45Elles étaient plus nombreuses il y a 15 ans que maintenant.
12:48Mais pourquoi ?
12:49Une fois de plus, c'est multifactoriel.
12:51La raison principale, c'est l'école, c'est la famille, c'est l'environnement social.
12:57Ça, c'est très important parce que les parents ne vont pas systématiquement proposer
13:02à leurs filles de devenir ingénieurs.
13:04C'est pas quelque chose de…
13:06Il y a beaucoup d'autocensure, il y a peu de rôle-modèle.
13:11Mais on y travaille beaucoup, on y travaille beaucoup.
13:14Parce qu'on peut être dans la tech, et j'en connais, sans être ingénieur.
13:18Mais évidemment, bien sûr, c'est pas uniquement lié.
13:21Moi-même, je ne suis pas ingénieur.
13:22Mais ce que je veux dire, c'est que la force, l'inertie aujourd'hui dans la tech,
13:27des profils qui dominent la tech, que ce soit dans les GAFAM, dans les boîtes de tech,
13:33c'est que tout a été fait par les hommes, pour les hommes.
13:37Je ne dis pas que ce n'est pas bien, même s'il y a beaucoup de biais quand on développe
13:40les algorithmes et qu'on voit qu'on a oublié parfois les femmes au passage.
13:44C'est qu'il faut pouvoir faire sa place et mettre les femmes au devant de postes
13:53de direction, opérationnels, dans le commerce, dans les développements, dans la data,
14:00dans la cyber, dans toutes ces… Dans l'IA, il n'y a que 5% de femmes dans l'IA.
14:06Mais il faut évangéliser un maximum pour rendre ces métiers méconnus un peu attractifs.
14:11Est-ce que la chambre de commerce fait des changes ?
14:13La chambre de commerce le fait, je le fais aussi dans mon syndicat,
14:16le syndicat qui s'appelle Numéum, qui est le Synthèque Numérique.
14:19Je préside la commission formation avec Famate Numérique.
14:23On mobilise beaucoup, mais on voit qu'on dérange parce qu'en ne parlant que de ce sujet
14:28systématiquement, on a un parterre de gens qui sont des gens qui sont convaincus.
14:33Il faut aller déplacer ce centre de discussion et aller dans les comex, aller dans les codires,
14:39aller dans les instances où il n'y a que des hommes.
14:41Aujourd'hui, moi, je veux changer de discours.
14:44Je ne veux plus parler du sujet des femmes dans un environnement où il n'y a que des femmes.
14:50Ce n'est pas jamais sans elles, ça ne va être jamais sans eux.
14:54Je ne sais pas si vous connaissiez ce mouvement qui était de dire qu'il n'y a pas de table ronde,
15:02de table ronde ou d'événement sans qu'il n'y ait pas une femme autour du panneau.
15:07Oui, oui, j'ai bien connu ce mouvement.
15:09On va faire une pause et puis on va revenir sur un sujet qui vous anime beaucoup
15:14et qui m'anime aussi d'ailleurs.
15:15A tout de suite.
15:20Soumia, j'ai eu un autre invité il y a quelques semaines avant vous
15:25qui disait que pour être un bon manager, il fallait avoir confiance en soi et avoir l'estime de soi.
15:31Est-ce que vous êtes d'accord avec ça ?
15:33Tout à fait d'accord.
15:35Vous avez confiance en vous, vous avez l'estime de vous ?
15:38Alors, moi, la confiance, c'est plus une conséquence.
15:43En fait, moi, je doute beaucoup et donc je me prépare beaucoup.
15:48Je travaille beaucoup parce qu'acquérir la confiance, ce n'est pas inné.
15:53On peut avoir été baigné dans un environnement familial où la confiance est en permanence,
15:59mais je mets au défi quelqu'un qui arrive avec son embarqué de confiance.
16:05La confiance, ça se construit.
16:07On constate qu'on a de la confiance, mais ce n'est pas quelque chose qu'on a.
16:10Et on fait des choses, on ose et on se prépare.
16:14Moi, j'ai beaucoup travaillé en fait pour avoir confiance en moi.
16:18Beaucoup travaillé sur vous ?
16:19Non, mais non, je n'ai jamais été voir de psy par exemple.
16:23Peut-être que je le regrette maintenant, mais j'ai beaucoup travaillé.
16:28J'ai beaucoup été besogneuse, on va dire.
16:30C'est-à-dire toujours le syndrome de la bonne élève.
16:33Il faut toujours en faire plus.
16:35Il faut être dans l'excellence.
16:37Non pas parce que j'étais une femme.
16:39Si, mais j'avais le fameux double plafond de verre.
16:42Une femme d'origine étrangère, en l'occurrence maghrébine.
16:46À l'époque où je suis arrivée dans le monde du travail,
16:50c'était dans un secteur où c'était plutôt des hommes et des ingénieurs.
16:55C'était très, très difficile.
16:57Et donc, je n'ai pas eu confiance en moi.
17:00C'est pour ça que j'ai dû me travestir.
17:03Travestir, vous employez un mot fort.
17:05Oui, je le dis parce que d'ailleurs, je l'ai souvent dit.
17:08C'est pour ça qu'aujourd'hui, je ne veux plus qu'aucune femme ait besoin de cacher.
17:13En vous retournant sur votre propre passé.
17:15Exactement, parce que quand j'ai créé ma boîte en 91,
17:18sous fond de guerre du Golfe et avec un environnement informatique,
17:23économique dans le monde de la tech, où il n'y avait que des hommes,
17:27j'étais toujours habillée en noir, en costume gris,
17:31comme d'ailleurs vous aujourd'hui encore.
17:33J'ai longtemps refusé la couleur.
17:37Après, il y a des séquelles.
17:39Et j'ai fait en sorte d'être le moins féminine possible.
17:45Parce qu'ils vous accueillaient ces hommes.
17:48Non, mais pour être crédible.
17:50Il y avait un sujet de crédibilité.
17:52Vous êtes dirigeante dans les années 90 d'une boîte de la tech.
17:55Vous allez répondre à un projet de data platform, de move to cloud.
18:00Aujourd'hui, je vais utiliser les mots d'aujourd'hui.
18:02Vous avez en face de vous des directeurs informatiques.
18:05Encore aujourd'hui, il n'y a que deux femmes directrices informatiques du CAC 40.
18:09Ça n'a pas beaucoup avancé.
18:11Là, il n'y avait que des hommes, des hommes en costume gris.
18:14Et il fallait aller leur…
18:16Et aucun n'a tendu la main en disant,
18:20c'est quand même formidable d'avoir une femme.
18:22Il faut l'aider.
18:23Elle est courageuse.
18:24Il y en a eu certains.
18:26Il y avait aussi beaucoup de sexisme ordinaire.
18:29D'ailleurs, j'ai fait un TEDx à ce sujet.
18:32Même quand je proposais des consultantes,
18:34à l'époque, on me disait,
18:36elle est belle ? Est-ce qu'elle est mignonne ?
18:39Il y avait quand même ce sexisme décomplexé
18:43qui n'existe plus aujourd'hui.
18:45Parce qu'on a des gardes fous.
18:47Mais qui étaient une réalité.
18:49Et qu'on entend encore parfois dans les entreprises,
18:52ce sexisme un peu ordinaire
18:55que Brigitte Grézy a bien démontré.
18:57Moi, cette période-là a été une période très difficile pour moi
19:00parce que j'ai dû faire justement le déni de ce que j'étais.
19:04Et ça n'a pas duré longtemps.
19:06Puisque dès que j'ai eu un peu des résultats économiques,
19:08dès que j'ai pu sortir la tête et ma personnalité,
19:13je ne me suis plus jamais…
19:16Je n'ai plus négocié avec qui j'étais.
19:21Vous êtes redevenue une femme.
19:23J'ai toujours été une femme.
19:25J'avais pas mis de moustache.
19:27On se comprend.
19:29Vous avez cessé de mettre le code vestimentaire masculin.
19:33Oui, mais il est resté malgré tout.
19:35Parce qu'il y a des codes vestimentaires
19:37dans le business et dans la crédibilité.
19:40Vous êtes féminine, vous vous maquillez,
19:42vous avez les cheveux longs.
19:43Oui, bien sûr, évidemment.
19:44J'ai fait cette même démarche aussi un peu d'appréhension
19:47quand j'ai rejoint le premier board,
19:49mon premier conseil d'administration,
19:51où il y a des codes.
19:53Il y a des codes culturels,
19:54il y a des codes de prise de parole.
19:56Et donc là, je n'ai pas changé de personnalité,
19:59pas du tout, mais j'ai d'abord essayé de comprendre les codes.
20:02En fait, le vrai sujet, c'est la compréhension.
20:04On ne vous prépare pas à ça avant ?
20:05Parce que je sais que vous êtes dans des conseils d'administration prestigieux.
20:08Non, mais ce qu'il faut, c'est d'abord…
20:10On peut casser les codes.
20:11On peut arriver et casser la porte.
20:13Mais on peut aussi mettre un pied dans la porte,
20:17rester, comprendre ce qui se passe
20:19et faire bouger ce qu'il y a à l'intérieur,
20:21mais plutôt avec une approche de main tendue.
20:24Je veux dire, moi, je ne suis pas pour retourner la table,
20:27parce que je pense que c'est compliqué,
20:28y compris pour les femmes aujourd'hui.
20:30Il faut aller faire de la pédagogie.
20:32Il faut que les hommes soient des mentors,
20:34comprennent l'enjeu que représentent les femmes.
20:36On n'est pas là à vouloir prendre leur place.
20:38On est là pour être avec eux.
20:40En même temps, travailler ensemble.
20:43Et voilà, c'est pour ça que mon engagement
20:46aurait pu être un engagement uniquement associatif,
20:49parce que j'ai toujours été très animée par l'intérêt général.
20:52J'aurais pu ne jamais rentrer dans le monde économique
20:54et rejoindre une organisation non-gouvernementale
20:57qui était mon projet au départ,
20:59parce que j'ai appris à aimer mon métier
21:01et je n'ai pas eu une passion.
21:04Ma passion, je n'ai pas pu la révéler,
21:06puisque j'aurais voulu plutôt travailler aux Nations Unies
21:09et travailler pour le bien public.
21:11Mais en travaillant,
21:13j'ai continué parallèlement à m'engager,
21:15parce que j'ai trouvé que dans le monde économique,
21:18j'avançais plus sur mes engagements
21:21que de rester en dehors de l'entreprise
21:24pour militer sur ces engagements.
21:27Vous voyez, il y a deux manières.
21:29On peut militer en dehors,
21:30on peut militer à l'intérieur.
21:32Et moi, j'ai toujours milité à l'intérieur,
21:34mais avec les codes de l'intérieur.
21:37Et il y a eu des grandes victoires.
21:39Il y a eu des très grandes victoires, oui.
21:42Il y a eu des très grandes victoires
21:44sur les sujets des femmes dans la tech.
21:49Aujourd'hui, à la Chambre de commerce,
21:51j'ai quand même dû proposer ce...
21:54Mon directeur général, quand je lui ai dit
21:56que je vais faire un programme dédié aux femmes,
21:58il m'a dit « Soumya, tu ne te rends pas compte.
22:00Tu ne vas pas faire un programme genré
22:02pour l'entrepreneuriat,
22:03puisqu'on a un grand programme
22:04qui s'appelle 5 jours pour entreprendre
22:06où les hommes et les femmes viennent. »
22:08Il m'a dit « Si, si, je vais faire un programme,
22:10mais pas d'une semaine, d'un an,
22:12pour les femmes, uniquement pour les femmes. »
22:14C'est formidable.
22:15Alors, cette énergie,
22:16parce que vous parliez beaucoup d'énergie tout à l'heure.
22:19Où est-ce que vous allez la chercher ?
22:21Il y a bien des matins où vous êtes fatiguée
22:22avec ces journées de 22 heures.
22:24Dans le sommeil, justement.
22:26J'adore dormir.
22:27Récupération.
22:28Moi, si je perds un jour le sommeil,
22:30je perds mon énergie.
22:32J'ai besoin de dormir.
22:34J'adore dormir.
22:35C'est vraiment quelque chose...
22:36C'est là où vous vous ressourcez.
22:37Oui, je me ressource.
22:38Et puis, ma famille.
22:40Mes enfants.
22:42Ma petite-fille, maintenant.
22:44Mes proches.
22:45Ma sœur.
22:46Ma mère.
22:47On va dire que c'est l'amour.
22:48C'est l'amour et c'est la famille.
22:51Le socle.
22:52Oui, le socle.
22:53Les racines.
22:54Sur cette très belle parole,
22:55on va faire une nouvelle pause
22:56et se retrouver tout de suite après.
22:58À tout de suite, Soumia.
23:03Soumia, on arrive à la fin de cette émission.
23:06Les femmes, c'est 50% de la population,
23:08comme on le sait.
23:10Est-ce que vous pensez déjà
23:12que notre génération fait rêver
23:14la génération qui nous suit ?
23:16Et en fonction de vos réponses,
23:18qu'est-ce qu'il faudrait modifier ?
23:19Parce que tout bouge,
23:20tout va à toute vitesse.
23:21Les codes d'hier sont plus ceux d'aujourd'hui.
23:23Là, on aurait besoin de votre éclairage.
23:26Mon éclairage, c'est mon quotidien.
23:28Je pense qu'effectivement,
23:30on est traversé par de tels changements sociétaux
23:34que le sujet des femmes, aujourd'hui,
23:37il est appréhendé de manière très différente.
23:40Par ma génération, la vôtre,
23:43on veut accéder à une égalité presque parfaite.
23:47Rémunération, mixité, accéder au...
23:51On est même dans des quotas.
23:53On y est arrivé pour les conseils d'administration.
23:56Mais on voit qu'en parallèle,
23:58au niveau de la société tout entière,
24:01le mouvement MeToo a été révélateur
24:04de grandes inégalités,
24:07de grandes souffrances,
24:08de grandes violences.
24:09Et ça, on ne peut pas simplement,
24:12chacun être encore dans son couloir de nage.
24:15C'est des choses qui déteignent un peu
24:18sur le sujet des femmes,
24:19puisque c'est les femmes qui sont victimes
24:21de ces violences sexuelles,
24:22qui ont été dénoncées dans tous ces milieux.
24:25Et demain, il y en aura d'autres.
24:28Et puis, finalement, ce mouvement plus large
24:32de wokisme, où finalement,
24:34les jeunes aujourd'hui ne veulent plus...
24:36En parlant de genre.
24:37Exactement.
24:38Le genre n'a plus d'importance.
24:40Aujourd'hui, c'est mon état de ressenti
24:44et ma vie telle que je suis.
24:46Je veux être un homme, une femme.
24:48Demain, je veux être un elfe.
24:50C'est vraiment chacun avec eux.
24:52Et c'est un mouvement,
24:53même si on ne demande pas
24:55si on est d'accord ou pas,
24:56il est là.
24:57Il arrive et il vient, finalement,
25:00s'immiscer et se mettre
25:04entre d'autres mouvements,
25:06dont le nôtre.
25:07Et effectivement, moi, je me questionne
25:09est-ce que notre engagement aujourd'hui,
25:11il résonne aujourd'hui
25:14chez les femmes,
25:15et notamment les jeunes femmes.
25:17Je n'en suis pas toujours persuadée
25:19pour avoir échangé
25:20avec quelques jeunes femmes.
25:22Les femmes qu'on va aider
25:23de manière très pratico-pratique
25:25à trouver un job,
25:27à mettre en place la boîte à outils
25:29pour les aider,
25:30mais à les militer,
25:32à les porter une parole,
25:34elles ne sont pas toujours
25:35très mobilisées pour venir.
25:37Et ce sont souvent les mêmes
25:39qui reviennent.
25:40Donc, je pense qu'il faut
25:41qu'on commence à réfléchir
25:43à un autre paradigme.
25:45Peut-être un rassemblement
25:47des femmes et des hommes
25:48sur la génération d'après
25:49pour en verticalité aider
25:51cette génération un peu perdue
25:52qui se cherche, finalement.
25:53Exactement.
25:54La génération qui arrive
25:55et dans laquelle il y a
25:56autant de femmes que d'hommes,
25:5750%,
25:58c'est une génération
26:00qu'il faut appréhender
26:03avec leurs codes.
26:04En fait, la réalité,
26:05c'est qu'il faut se mettre
26:07dans leurs chaussures,
26:08dans leurs baskets,
26:09parce qu'elles ne mettent
26:10que des baskets,
26:11et essayer de comprendre
26:13la génération qui va nous,
26:15qui nous succède
26:16et qui est là aujourd'hui
26:18et qui sera aux commandes
26:19demain.
26:20De la génération qui suit.
26:22Absolument.
26:24Il nous reste une minute.
26:25Est-ce que vous auriez
26:26un conseil en particulier
26:27à donner à ces femmes,
26:28à ces hommes
26:29de cette jeune génération ?
26:31Dire en tous les cas,
26:32moi, ma génération,
26:34elle est disponible,
26:35elle est à l'écoute,
26:36elle se bouge,
26:37elle fait aujourd'hui
26:38des actions pour aider.
26:40Je pense qu'on pourrait
26:42se retrouver dans un
26:44grand événement
26:45où on pourrait libérer
26:46chacun et chacune la parole,
26:48et je dis bien chacun,
26:49parce qu'il faudrait
26:50qu'on soit presque à parité
26:51pour débattre de ces sujets,
26:53qui ne soient pas forcément
26:54un sujet des femmes,
26:55mais qui soit un sujet
26:56tout simplement de société,
26:58de vivre ensemble.
26:59Communiquer,
27:00entendre et agir ensemble.
27:02Et de vivre ensemble
27:03et de communiquer
27:04et d'avancer ensemble.
27:05Ce sera le mot de la fin.
27:06Merci Soumya.
27:07Merci.
27:08Nous arrivons au terme
27:09de l'émission Introspection
27:11et j'aurai le grand plaisir
27:13d'accueillir un invité de marque
27:15dans quelques semaines
27:16dont je tais encore le nom
27:18car j'aime bien faire
27:19du Real Suspense.
27:20A bientôt.