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De 1972 à 1975, des mathématiciens regroupés autour de Laurent Schwartz, médaillé Fields français, vont mener campagne à l'Ouest pour faire libérer un confrère ukrainien, Léonid Pliouchtch, accusé de dissidence par le pouvoir soviétique et enfermé en hôpital psychiatrique. Le combat mené par le Comité des mathématiciens va non seulement parvenir à faire plier le Kremlin et libérer Pliouchtch, mais va aussi avoir pour conséquence d'obliger le Parti communiste français à prendre ses distances avec Moscou, une étape majeure qui va permettre l'Union de la gauche en France.
Le 15 janvier 1972, lors de son arrestation à son domicile ukrainien, Léonid Pliouchtch est un inconnu de 33 ans. Mathématicien, communiste, il appartient à un petit groupe de défenseurs des droits de l'homme dans la très peu démocratique URSS de Léonid Brejnev. Mais saisi par sa femme Tatiana, un comité de mathématiciens français, animé par Laurent Schwartz, premier, médaillé Fields français, parvient à fédérer des centaines de collègues à travers le monde pour demander sa libération. Lorsqu'éclate l'affaire, à l'Ouest, on ne connaît des opposants soviétiques que le dissident Sakharov, père de la bombe soviétique, bientôt Nobel de la Paix ; ou encore Soljenitsyne, auteur de L'Archipel du Goulag. Mais grâce au « Comité des mathématiciens » et à la ténacité de Tatiana Pliouchtch, discrètement aidés par des trotskistes de l'OCI, le cas Pliouchtch devient un tel symbole qu'il va amener le PCF, sommé de prendre position, à prendre ses distances avec l'Union soviétique.
Ce documentaire réalisé par Mathieu Schwartz, petit neveu de Laurent Schwartz, repose sur le témoignage inédit et exclusif de Tatiana Pliouchtch, la femme de Léonid, mais aussi sur celui de Michel Broué, cheville ouvrière du comité des mathématiciens, de Pierre Juquin, alors au comité central du PCF, de Laurent Mauduit, ancien trotskiste, ou de Bernard Guetta, alors au Nouvel Obs.

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Transcription
00:00Mon grand-oncle s'appelait Laurent Schwartz, de lui j'ai gardé l'image d'un brillant
00:28mathématicien.
00:29Première médaille filsse française, l'équivalent du prix Nobel.
00:35Une tête comme on dit, à l'image de la sienne avec son grand front, si reconnaissable.
00:42Il avait aussi une passion pour les papillons, avec une des plus belles collections du monde.
00:53Et puis il y avait son engagement politique, une conscience de gauche, pour l'indépendance
01:00de l'Algérie, contre la guerre au Vietnam.
01:02Quand j'étais petit, je traquais son nom sur les pétitions, et je n'étais jamais
01:09déçu, il apparaissait invariablement.
01:12Une rumeur assure même que ses étudiants lui firent signer une pétition contre les
01:17pétitions.
01:18Mais il y a un combat qui m'avait échappé, l'un des plus étonnants pourtant, l'affaire
01:26Léonide Plioutsch.
01:30Jusqu'à ce que je rencontre Michel Brouet, Michel c'était un ami et un disciple de
01:38mon grand-oncle.
01:39Là, le voilà à l'époque, c'est lui qui m'a conté cette histoire à peine
01:50croyable.
01:51Comment des mathématiciens ont tiré un prisonnier des griffes du KGB ? Comment en pleine guerre
01:59froide, ils ont fait plier la puissante URSS de Brejnev ? Comment ils ont poussé le parti
02:09communiste français à un tournant historique ? Comment, mais pas trop vite.
02:14Allez, en route.
02:16Reprenons l'affaire comme Michel me l'a raconté.
02:18Bon, alors, on commence ? On commence par le début ?
02:28Je ne sais pas ce que c'est le début.
02:39L'histoire commence en 1973.
03:02L'Europe est alors partagée en deux, séparée par un mur.
03:08L'Est contre l'Ouest, le communisme contre le capitalisme, la guerre froide.
03:13Dans l'Union soviétique de Léonide Brejnev, ceux qui ne suivent pas la ligne sont sévèrement
03:19réprimés.
03:20Il existe une exception, Andrei Sakharov.
03:26L'académicien, père de la bombe soviétique, est très critique vis-à-vis du régime.
03:32Mais protégé par sa réputation, il peut s'exprimer dans certaines limites.
03:38Or, en cette fin d'année 1973, Sakharov est inquiet.
03:42Deux mathématiciens ont été arrêtés, son ami, Yuri Shiranovitch, et un autre totalement
03:49inconnu, Léonide Pliuch.
03:52On leur reproche de faire circuler des écrits anti-soviétiques, ils sont en grand danger.
03:57Sakharov en parle à une amie, la psychologue française d'origine russe Tania Maton, avec
04:04mission d'alerter l'opinion internationale.
04:07Tania Maton choisit d'avertir mon grand-oncle, Laurent Schwartz.
04:16Pourquoi est-ce que c'est lui qui est contacté à ce moment-là ? Qu'est-ce qu'il représente
04:20à ce moment-là ?
04:21Parce que c'était le mathématicien probablement à l'époque le plus célèbre en France,
04:26et il était très connu pour ses prises d'opposition et ses actions politiques.
04:29C'est tout à fait normal que Tania Maton ait contacté Laurent Schwartz.
04:32Et toi, tu étais quoi alors à l'époque ?
04:34Ah, moi j'étais jeune, tout petit, j'avais 27 ans, j'étais chercheur au CNRS.
04:38Chercheur au fond, presque débutant au CNRS.
04:41Mon grand-oncle se rend alors rue de Grenelle, à Paris, où siège l'ambassade soviétique.
04:47Il est accompagné de quelques collègues, dont le jeune Michel Brouet.
04:52On a été reçus poliment, mais mensongèrement, comme souvent dans les ambassades.
04:57Monsieur le professeur, enchanté de vous avoir reçu, mais tout ça n'est pas vrai.
05:00Et par rapport à Tchiranovitch, Pliuch, vous voyez qui c'était ?
05:03Non, il savait qui était Tchiranovitch, parce qu'il était le traducteur de Sakharov.
05:07Pliuch, ils ont prétendu qu'ils ne le connaissaient pas, qu'il fallait qu'ils enquêtent.
05:10Mais les autorités soviétiques avaient l'intention de faire disparaître ce cas, c'était clair.
05:17Les mathématiciens n'entendent pas en rester là.
05:20Trois d'entre eux vont créer un comité de soutien.
05:23Trois hommes qui forment un drôle d'attelage.
05:26Laurent, mon grand-oncle, habitué des combats pour les droits de l'homme et qui possède d'importants réseaux.
05:32Henri Cartan, un autre mathématicien réputé, plutôt centriste, moins engagé politiquement.
05:37Enfin Michel Brouet, jeune chercheur, qui milite dans une organisation trotskiste.
05:43Il y avait les âges qui nous distinguent. Cartan, je ne sais pas, il est né, j'en sais rien, en 1905.
05:48Laurent Schwarz est né en 1915 et moi j'ai été né en 1946.
05:52Il y a des différences de générations quand même.
05:54Bon, mais ça a toujours marché.
06:02C'est Michel Brouet, la cheville ouvrière.
06:09Pour mobiliser la communauté scientifique, il édite seul, dans son garage, un bulletin d'information.
06:18Ah oui, c'est le tout premier, premier, premier, que j'ai tapé à la machine.
06:21Je tapais avec pas beaucoup d'interdits, mais je pense que j'économisais les feuilles.
06:25Donc, il est petit et bien rempli.
06:28Le premier date de février 1974, le deuxième, 2 avril 1974, le bulletin numéro 3 devient plus présentable.
06:35Il date de juillet, donc c'est à peu près tous les trois mois.
06:38Mais il est en anglais, celui-là ?
06:39Il est en anglais, oui.
06:42Internet n'existe pas, mais les mathématiciens ont l'habitude de travailler en réseau.
06:48Les bulletins de Michel font le tour du monde.
06:50Des comités de soutien se forment dans une quinzaine de pays.
06:53Aux Etats-Unis, en Italie, au Japon.
06:56En quelques mois, la mobilisation donne son premier effet.
07:00Chiranovitch, sans doute parce qu'il est proche de Sakharov, est libéré.
07:04Les soviétiques pensent avoir réglé la question.
07:12Ce n'est en fait que le début de l'affaire Pliuch.
07:17Ils ont pensé que ce débarrassant de Chiranovitch, qui était le cas le plus people, si je puis dire,
07:23on leur foutrait la paix avec Pliuch.
07:25Mais ils se sont gourés.
07:26Nous, on a tout de suite compris qu'il fallait mettre le paquet sur Pliuch.
07:32Mais qui est donc ce Léonid Pliuch ?
07:35De lui, on ne connaît qu'une photo prise quand il avait 20 ans.
07:39Lors de son arrestation, il en a 34.
07:41Il est marié, père de deux enfants.
07:44C'est un chercheur en mathématiques qui travaille à l'Institut de cybernétique de Kiev.
07:49Car Pliuch est ukrainien.
07:51Et il le revendique.
07:56J'ai rencontré l'historienne qui le connaît sans doute le mieux.
08:06Sophie Cuéré est une spécialiste des dissidents soviétiques.
08:14C'est un jeune intellectuel qui, peu à peu, s'engage dans une dissidence.
08:18C'est-à-dire une critique, en réalité, intérieure du régime soviétique.
08:23Et il se bat pour quoi, lui ?
08:24Les droits civiques, les libertés.
08:26Donc, liberté de publication, liberté d'expression.
08:31Et ça, c'est donc une dissidence de l'intérieur
08:34qui veut plutôt améliorer le socialisme.
08:37Le rendre à ses valeurs.
08:39Ça a été un vrai choc pour moi.
08:41J'ai regardé ce qui avait motivé l'arrestation de Pliuch.
08:44J'ai regardé ses prisonniers.
08:46J'ai regardé ce qui avait motivé l'arrestation de Pliuch.
08:48J'ai regardé ses prises d'opposition politique.
08:50Et ça m'a ahuri.
08:52C'était une légende, l'opposition de gauche au socialisme.
08:54Pour moi, ils avaient tous été détruits.
08:56Ils avaient tous reçu leur balle dans la nuque.
08:58Ben non, il en restait un qui était assez gonflé pour le faire savoir.
09:01Donc, ça m'a immédiatement motivé.
09:03Et je l'ai écrit, quelque part.
09:05J'ai le souvenir d'avoir pris...
09:07Ça paraît très prétentieux de dire ça, ou très fou.
09:10Mais d'avoir pris la décision qu'on le libérerait.
09:13J'ai mis toute ma ténacité à ça.
09:16Pour Léonide Pliuch,
09:18les ennuis avaient commencé avec son arrestation en janvier 1972.
09:23Surveillée depuis plusieurs années,
09:25on lui reproche de faire circuler des écrits qui critiquent le régime.
09:32Sophie Cuiret a récupéré l'énorme dossier du KGB
09:35monté contre ce modeste chercheur.
09:40C'est essentiellement des milliers de pages d'interrogatoires
09:44et de rapports sur l'année 1972.
09:46Donc, l'instruction par le KGB de Kiev du cas Pliuch.
09:51Donc, c'est beaucoup d'interrogatoires, de proches, d'enquêtes de voisinage, c'est ça ?
09:55Exactement.
09:56Donc, on a par exemple l'inventaire
09:58et même les photographies des perquisitions qui sont menées chez lui.
10:03Ils avaient effectivement construit une petite cachette
10:06sous leur bibliothèque, sous leur parquet.
10:09Et donc, on dissimule là la littérature clandestine.
10:12Et puis, encore plus peut-être dangereux, la presse qui vient de l'étranger.
10:17Donc, ça circule clandestinement.
10:19Et évidemment, c'est tout à fait dangereux d'avoir ça chez soi.
10:25Après un an de prison, Pliuch est jugé en son absence
10:28et incarcéré à l'hôpital psychiatrique de Dnipropetrovsk.
10:32C'est la nouvelle doctrine du régime.
10:34Faire des opposants, des malades mentaux.
10:38Il y a des cliniques spéciales
10:40qui ont été créées dans l'entre-deux-guerres pour ces cas-là.
10:42Et à partir des années 1960,
10:45on utilise cet outil de la psychiatrie légale
10:49comme outil de répression politique.
10:51On accusait de folie, de folie paranoïaque les opposants.
10:55Ils étaient fous.
10:56Pour penser qu'il était nécessaire de s'opposer au régime,
10:59ils venaient d'être fous.
11:00Schizophrénie, tendance paranoïaque, menace pour la société,
11:05délire réformiste, idée réformiste
11:07qui se transforme en délire mégalomaniaque,
11:10donc danger aussi pour lui-même.
11:15Mais Léonide a un atout que personne n'a vu venir.
11:19Il est marié à une femme à la volonté de faire.
11:23Malgré les pressions exercées sur elle et sur ses deux enfants,
11:26Tatiana Pliuch soutient sans faille son mari.
11:29C'est elle qui a alerté Sakharov.
11:32Sans elle, il n'y aurait pas eu d'affaire Pliuch.
11:34C'est elle qui l'a défendue contre vents et marées avec un courage.
11:38Elle n'était même pas courageuse, elle était inébranlable.
11:41On avait l'impression qu'on ne pouvait pas la toucher tellement elle était forte.
11:46Cette femme admirable, m'apprend Michel Brouet, est toujours vivante.
11:54C'est bien loin de la fureur du monde, à Bessèges,
11:57dans un petit village des Cévennes,
11:59que Tatiana Pliuch se repose.
12:07Elle est fatiguée et elle a du mal à marcher,
12:10mais elle est heureuse de pouvoir m'évoquer le combat de sa vie.
12:14C'est la seule photo qu'il existe avant qu'il n'ait pas été arrêté ?
12:18Oui.
12:20Dans un entretien, où elle passe de l'Ukrainien au Français,
12:23du Français au Russe,
12:25elle revient sur cette période où elle s'est débattue seule,
12:28face aux autorités soviétiques.
12:32C'est la seule photo que j'ai,
12:34avant qu'il n'y ait pas de photos.
12:36C'est la seule photo qu'il existe, avant qu'il n'y ait pas de photos.
12:38C'est la seule photo qu'il existe, avant qu'il n'y ait pas de photos.
12:40Oui.
12:41C'est ça.
12:42C'est la seule photo qu'il existe, avant qu'il n'y ait pas de photos.
12:48Ils l'ont mis exprès dans une des chambres les plus effrayantes.
12:56Et ils ont commencé à le piquer, avec un médicament.
13:05Il avait des vêtements sales, déchirés.
13:08C'était pour le rabaisser, pour le déshumaniser.
13:13Après, la police a commencé à m'appeler,
13:16pour que je confirme qu'il était fou.
13:21Mais je leur disais non, il n'est pas fou.
13:24Et je n'écrirai jamais ce genre de choses.
13:30Elle ne lâche rien.
13:32Elle réaffirme que son mari est un mathématicien,
13:34donc il est rationnel, il a l'esprit clair.
13:37Il n'est en aucun cas fou ni dangereux pour la société.
13:43Quand je travaillais au bureau, il y avait une voiture devant la fenêtre.
13:49Et si je sortais, il me suivait pour me faire peur.
13:54Et puis, j'ai été licenciée.
13:57C'est une guerre à l'usure.
13:59Mais Tatiana ne plie pas.
14:01Et un jour, elle apprend par le réseau des dissidents
14:04que de l'autre côté du rideau de fer
14:06s'activent des gens dont elle n'a jamais entendu parler.
14:09Des mathématiciens comme son mari.
14:13Car à l'ouest, en août 1974,
14:16l'affaire Plioutsch a pris une nouvelle dimension.
14:22Cet été-là, Vancouver, au Canada,
14:25accueille le congrès international des mathématiciens.
14:31Tous les quatre ans, il y a un congrès international de mathématiques.
14:34C'est au cours de ce congrès international, par exemple,
14:36que sont décernées les médailles Fils.
14:38Le congrès international est vraiment organisé
14:40par les mathématiciens, par la communauté mathématique.
14:43Donc, ce n'est pas un endroit où, normalement,
14:45on va parler politique ?
14:47Ah non, pas du tout !
14:49On respecte, justement, le congrès international des mathématiciens.
14:52C'est une affaire de mathématiques.
14:54Et du coup, vous n'avez pas respecté ça ?
14:56On n'a pas respecté ça.
14:58Mais on n'a pas respecté ça parce qu'il y avait une espèce d'unanimité.
15:01C'est beaucoup dire.
15:03Mais il y avait une espèce de bienveillance, oui.
15:05Le comité va donc enfreindre les règles du congrès
15:08et profiter de l'occasion
15:10pour organiser un meeting de soutien à Pliouge.
15:13Mon grand-oncle n'a pu faire le voyage.
15:15Mais le vétéran Henri Cartan fait feu de tout bois.
15:20Moi, je me souviens avoir distribué des tracts avec Cartan.
15:23C'était ahurissant.
15:25Tout le monde connaissait Cartan dans le milieu des mathématiques.
15:27Et le voir distribuer des tracts pour appeler à un meeting,
15:29c'est un événement.
15:31Bon, voilà.
15:33Le congrès est présidé par l'américain Lippmann Bers,
15:35très engagé pour les droits de l'homme.
15:37Il est depuis le premier jour un soutien du comité.
15:40C'est même lui qui en aurait soufflé l'idée.
15:43Dans son discours,
15:45il rapproche Pliouge d'Angela Davis,
15:47la militante noire américaine.
15:50Il y a un an environ,
15:52une jeune professeure passait en jugement aux Etats-Unis.
15:55C'était une jeune femme noire.
15:57Elle s'appelait Angela Davis.
15:59Un groupe d'intellectuels soviétiques de renom
16:01envoya une lettre pour sa défense.
16:03Nous exigeons à notre tour
16:06le droit de protester contre une injustice
16:08où qu'elle se produise.
16:12La comparaison fait mouche.
16:14Les mathématiciens ont fait de Pliouge
16:16un symbole de l'injustice.
16:19Et c'est bien l'intention du comité.
16:21Faire de Pliouge un symbole.
16:25Mon grand-oncle l'évoque dans ses mémoires.
16:29Dès le début, il a une idée derrière la tête.
16:32Il veut s'appuyer sur une autre affaire.
16:36Nous mettions en application
16:38la leçon apprise
16:40lors de la création du comité Audin.
16:44Car le comité a une préhistoire.
16:47Bien avant l'affaire Pliouge,
16:49il y eut donc l'affaire Audin.
16:51Maurice Audin, mathématicien français
16:53disparu en pleine guerre d'Algérie.
16:59Retour 15 ans plus tôt, en 1957.
17:02Maurice et sa femme Josette
17:04habitent en Algérie avec ses trois enfants.
17:07Ils sont enseignants en mathématiques,
17:09communistes et militants
17:11pour l'indépendance de l'Algérie.
17:13Maurice prépare sa thèse.
17:15Il doit la soutenir à Paris
17:17et il a demandé à mon grand-oncle
17:19Laurent Schwarz de faire partie du jury.
17:22La suite,
17:24c'est un autre mathématicien célèbre
17:26qui me le raconte.
17:28Un jour,
17:30pendant ce qu'on appelait à l'époque
17:32les événements d'Algérie,
17:34Maurice Audin se retrouve
17:36arrêté au petit matin,
17:38emmené et il n'y a plus jamais
17:40de nouvelles de lui.
17:42Quelques temps après,
17:44l'armée française explique
17:46à la famille que
17:48Maurice s'est enfui,
17:50il est considéré comme déserteur
17:54et peint de l'histoire
17:56du côté des autorités françaises.
18:00Mais pas du côté des mathématiciens
18:02qui vont frapper un grand coup.
18:10À la Sorbonne,
18:12devant un parterre de personnalités,
18:14mon grand-oncle fait passer sa thèse
18:16à Maurice Audin in absentia,
18:18en son absence.
18:20L'événement a un énorme retentissement.
18:26Et commence alors
18:28tout un scandale
18:30de la part de la communauté mathématique,
18:32de la part de la communauté
18:34communiste.
18:36Où est Maurice Audin ?
18:38Que s'est-il passé avec Maurice Audin ?
18:40Du fait qu'il était à une époque
18:42où il y avait des disparitions sans arrêt,
18:44des tortures sans arrêt,
18:46Maurice Audin devient un emblème
18:48de ces exactions
18:50commises par l'armée française
18:52et de cette répression sanglante.
18:56C'est ainsi
18:58que naît un comité qui exige la vérité
19:00sur Maurice Audin, mais qui plus largement
19:02dénonce la torture en Algérie.
19:06En 2010,
19:08Cédric Villani, nouvelle médaille
19:10fils française, profite de sa notoriété
19:12pour reprendre le combat de ses pairs.
19:14Sous son impulsion,
19:16en 2018 enfin,
19:18le président Macron,
19:20lors d'une visite à la veuve de Maurice Audin,
19:22reconnaît la responsabilité de la France.
19:26Il a fallu attendre
19:2861 ans
19:30pour que le président de la République
19:32enfin reconnaisse
19:34une affaire d'Etat.
19:36Ce serait plutôt à moi de vous demander pardon.
19:38Oui, Maurice Audin a été assassiné.
19:40Oui, la torture faisait partie
19:42d'un système.
19:44Le mathématicien Maurice Audin
19:46a donc été le symbole de la lutte
19:48contre la torture en Algérie.
19:50Le mathématicien Léonide Pliouch
19:52doit être lui le symbole de la dissidence
19:54en Union soviétique.
19:58En choisissant un individu
20:00au lieu d'une collectivité,
20:02nous mettions en application la leçon apprise
20:04lors de la création du comité Audin.
20:06La défense d'une seule
20:08personne particulière
20:10contribue à la défense de toutes
20:12les autres victimes et la renforce.
20:14Et c'est là-dessus
20:16qu'on a été tous les trois d'accord d'emblée
20:18et très très d'accord. On a été extrêmement critiqués.
20:20Oui, vous vous occupez d'un d'entre eux.
20:22Oui, d'une seule personne.
20:24Alors, il y a des centaines de prisonniers.
20:26Et pourquoi vous vous occupez des mathématiciens
20:28et pas des ouvriers du bâtiment, etc.
20:30On disait, on s'occupe de quelqu'un
20:32parce qu'on va le faire libérer et ça va compter.
20:34On a un point précis.
20:36Si on se bat pour renverser
20:38le régime soviétique, on n'y arrivera pas,
20:40nous, les petits mathématiciens.
20:44Pendant ce temps, à l'hôpital de Dienpopétrovsk,
20:46le temps presse.
20:48Dans ces rares visites autorisées,
20:50Tatiana observe avec angoisse
20:52son mari dépérir.
20:56Il avait peur,
20:58il avait peur.
21:00Il ne voulait même plus sortir
21:02parce que, vous comprenez,
21:04il était malade.
21:06Il lui faisait des piqûres,
21:08lui donnait des médicaments
21:10et il perdait
21:12peu à peu sa conscience.
21:14Vous avez envoyé une lettre
21:16carrément à Brezhnev ?
21:18Oui, j'ai écrit partout, partout.
21:22Et vous avez eu des réponses ?
21:24Non.
21:26On ne m'a pas répondu.
21:30À Paris, le comité tient ses réunions
21:32à l'Institut de Recherche Henri Poincaré.
21:34On comprend qu'il reste peu de temps
21:36pour sauver Pliouch.
21:38Il faut sortir du milieu,
21:40élargir les soutiens.
21:42Le 23 avril 1975,
21:44le comité organise une journée internationale
21:46pour Pliouch,
21:48avec une jeune association
21:50qui vient de recevoir le prix Nobel de la paix
21:52Amnesty International.
21:56Partout,
21:58on diffuse un vibrant appel
22:00au secours de Tatiana.
22:04Le mathématicien Pliouch,
22:06ce léonide que j'ai connu
22:08et qu'ont connu ses enfants,
22:10n'existe plus.
22:12Il ne reste qu'un homme,
22:14à la pointe extrême de la souffrance.
22:16Il a perdu toute mémoire
22:18et toute faculté de lire,
22:20d'écrire, de penser.
22:22Il est infiniment malade et épuisé.
22:24Je ne demande qu'une chose,
22:26qu'on me rende mon mari,
22:28qu'on nous laisse quitter ce pays.
22:32Au Kremlin, l'affaire Pliouch
22:34arrive au pire moment.
22:36Pour sortir de la guerre froide,
22:38l'Union Européenne
22:40propose des accords de coopération
22:42avec l'Europe de l'Ouest.
22:44La question des droits de l'homme
22:46empoisonne les débats.
22:48Sous la pression de l'Ouest,
22:50Moscou vient déjà d'expulser
22:52le plus critique de ses dissidents,
22:54le prix Nobel de littérature
22:56Alexandre Solzhenitsyn,
22:58l'homme qui, dans ses livres,
23:00a dénoncé le goulag.
23:02Donc, c'est vrai que ces questions
23:04qui sont multiples,
23:06de dissidence, de droit de l'homme
23:08ou d'émigration,
23:10de liberté de circulation,
23:12deviennent vraiment préoccupantes
23:14pour le régime soviétique.
23:18Le comité espère profiter
23:20de ce contexte.
23:22Mais Pliouch n'est pas Solzhenitsyn.
23:24Les mathématiciens ne sont soutenus
23:26par aucun État.
23:28Mené par mon grand-oncle,
23:30Laurent Schwarz,
23:32une nouvelle délégation
23:34retourne à l'ambassade soviétique.
23:36Ça ne se passe pas hyper bien ?
23:38Non, ça ne se passe pas vraiment bien.
23:40Il y a un conseiller, je ne sais pas
23:42qui nous a reçus, qui a dit
23:44que Schwarz était fou, quoi,
23:46essentiellement.
23:48Schwarz lui a répondu
23:50qu'il se trompait,
23:52que les mathématiciens étaient
23:54bien implantés dans le monde
23:56et qu'un jour on connaîtrait le nom de Pliouch
23:58dans le monde entier.
24:00Je me rappelle avoir pensé
24:02qu'il était gonflé.
24:04Donc en gros, l'ambassade a dit
24:06qu'il n'y avait pas d'ouverture.
24:08Mais à force de faire du bruit,
24:10les mathématiciens agrègent des soutiens.
24:12Et l'un d'eux va s'avérer déterminant.
24:14Michel Boué fait alors partie
24:16d'une organisation trotskiste,
24:18l'OCI, l'Organisation
24:20communiste internationaliste,
24:22par laquelle passèrent aussi
24:24Lionel Jospin
24:26ou Jean-Luc Mélenchon.
24:28Très engagée contre le stalinisme
24:30de l'Union soviétique,
24:32elle est dirigée par un certain Pierre Lambert.
24:36Lambert suivait ça avec intérêt.
24:38Il se rendait bien compte qu'il s'était passé quelque chose.
24:40Et il m'a appelé. Petit père vient me voir,
24:42parce qu'il m'appelait petit père,
24:44donc je vais le voir.
24:46Il me dit « Tu as laissé un sentiment que vous êtes au bout
24:48de ce que vous pouvez faire ? »
24:50Je lui dis « Oui, je ne vois pas ce qu'on peut faire de plus,
24:52et puis dites-vous, on n'a pas les moyens.
24:54On n'a pas les moyens, nous, mathématiciens, de remplir.
24:56Appel, je te dis. »
24:58C'est la méthode de Lambert.
25:00J'ai compris que ça voulait dire qu'ils allaient s'engager.
25:02Or, à l'OCI,
25:04l'engagement n'est pas un mot en l'air.
25:06Laurent Mauduit,
25:08journaliste à Mediapart,
25:10est un ancien de l'OCI.
25:12Il vient de coécrire un livre
25:14sur l'histoire de l'organisation.
25:16Et il n'a rien oublié de ce qui fut
25:18une des plus belles fiertés de sa vie de militant.
25:22Je garde un souvenir
25:24formidable
25:26de ces combats qu'on amenait,
25:28notamment pour libérer Léonide Pliouch,
25:30parce que ça correspondait
25:32exactement à l'idéal que nous avions
25:34d'un socialisme à visage humain.
25:36À l'OCI,
25:38l'affaire Pliouch devient la priorité.
25:40Les militants se donnent
25:42sans compter pour organiser
25:44le fameux meeting.
25:46Dans notre livre,
25:48on emploie le terme de « cloître laïque ».
25:50On militait pour la révolution,
25:52la révolution socialiste,
25:54et on y passait
25:56nos jours et nos nuits.
25:58Les cotisations, c'était 10%
26:00de nos salaires, de nos rémunérations.
26:02Vous donniez 10% de votre salaire ?
26:04Oui, 10%.
26:06Même militants de base, 10% du salaire ?
26:08Tout le monde.
26:10À l'époque, j'étais surveillant
26:12dans un lycée public.
26:14Le soir, je surveillais les dortoirs.
26:16Et donc, l'OCI a connu
26:185000 militants au milieu des années 70,
26:205000 ou 6000 militants,
26:22militants à temps plein, jour et nuit.
26:24C'était une force de frappe.
26:26Avec toutes les succursales
26:28de l'OCI, notamment
26:30à l'université, grâce à l'UNEF,
26:32qui était contrôlée par elle,
26:34qui était très importante.
26:36Là, l'OCI s'est vraiment engagée dans la campagne.
26:38Et de partout en France,
26:40nous sont revenus des appels aux meetings.
26:42C'est des cracks,
26:44c'est des pétitions,
26:46c'est...
26:48Toute la vie de l'organisation,
26:50pendant plusieurs semaines,
26:52tourne autour de la préparation
26:54du meeting.
26:56On en fait un événement qui devient
26:58un événement national.
27:00Pendant ce temps,
27:02mon grand-oncle, Laurent Schwartz,
27:04active ses réseaux.
27:06Deux journaux s'engagent dans l'affaire Pliouch,
27:08le quotidien Le Monde,
27:10et un magazine qui est alors une référence à gauche,
27:12le Nouvel Obs.
27:14J'entre au Nouvel Obs en 1971,
27:16si je me souviens bien,
27:18et très, très vite, je vais me spécialiser
27:20par goût,
27:22par intérêt politique
27:24et par culture politique aussi,
27:26dans les pays communistes
27:28d'Europe centrale.
27:30Aujourd'hui député européen,
27:32Bernard Guetta est alors un jeune journaliste.
27:34C'est lui qui aura en charge
27:36l'affaire Pliouch.
27:38Donc très vite,
27:40je me suis trouvé
27:42totalement impliqué.
27:44J'étais plus
27:46que journaliste, j'étais militant
27:48de cette cause,
27:50de la défense des dissidents,
27:52et donc j'ai beaucoup
27:54vécu avec ce tout petit
27:56monde du comité des mathématiciens.
27:58La machine est lancée.
28:00Le 23 octobre
28:021975, le comité
28:04organise à la mutualité
28:06le mythique des grandes manifestations de gauche
28:08un meeting pour la libération
28:10de Pliouch.
28:14La liste des soutiens
28:16est impressionnante.
28:20Ceux qui n'ont pas pu venir
28:22comme Yves Montand et Simone Signoret
28:24ont envoyé un télégramme de soutien.
28:28Cher Michel Brouet,
28:30nous quittons Paris pour tourner en extérieur.
28:32Nous ne serons donc
28:34pas à la mutualité le jeudi 23 octobre.
28:36Nous vous demandons
28:38instantanément de nous compter cependant
28:40parmi tous ceux qui essaieront ce soir-là
28:42d'obtenir la liberté pour Léonide Pliouch.
28:46À la tribune,
28:48Henri Cartan, Michel Brouet
28:50et Laurent Schwarz, les trois fondateurs
28:52du comité, découvrent une salle
28:54archi-comble.
29:00La grande salle de la mutualité
29:02a pété de monde.
29:04Personne n'a compté.
29:06C'était un événement inouï.
29:08Il y avait une espèce de joie.
29:10Je crois qu'on sentait qu'on allait vers la victoire.
29:12C'est peut-être ça
29:14le début de la graine qui a conduit
29:16à l'effondrement du mur.
29:18On n'a sans doute pas mesuré
29:20à l'époque de ce premier
29:22très grand meeting en défense
29:24d'un emprisonné que ce sera
29:26l'aile de pépillon.
29:28Il y aura un effet
29:30formidable, ça va changer le cours de l'histoire.
29:36Un point va notamment ébranler la gauche française.
29:38Comme le remarquent
29:40les journaux, il y a deux absents de marques
29:42au meeting. La CGT
29:44et surtout le parti communiste français.
29:50Pire,
29:52les communistes ont organisé un contre-meeting
29:54porte de Versailles. Ils n'ont pas
29:56voulu s'associer à une action qui met en cause
29:58l'Union soviétique.
30:02Pierre Laurent, alors jeune
30:04militant communiste, a suivi les consignes.
30:12Il est pourtant troublé par l'affaire Pliouch.
30:14Moi j'ai eu mon bac
30:16en 1974, je suis rentré
30:18à la fac à Jussieu, une fac
30:20dans laquelle le sort d'un mathématicien
30:22avait de la résonance.
30:24Et puis c'était une période où la question
30:26de la démocratie
30:28et notre prise de distance
30:30avec les pays socialistes de l'époque
30:32sur cette question était très importante.
30:36Car le parti est en pleine ébullition.
30:38Les communistes ont établi un programme commun
30:40avec les autres forces de gauche.
30:44Et les liens avec l'URSS sont au cœur des débats.
30:50A la fois le parti communiste
30:52était en train de mettre
30:54la question de la démocratie au cœur de son projet
30:56mais en même temps,
30:58les dirigeants communistes ne voulaient pas
31:00dans leur esprit, je pense,
31:02jeter le bébé avec l'eau du bain.
31:04Donc il y avait des hésitations
31:08durant toutes les années 1970 sur ces questions.
31:18Je suis allé rencontrer un homme
31:20qui était alors au cœur de ces hésitations.
31:24Installé dans sa ville natale
31:26de Clermont-Ferrand,
31:28Pierre Jutkin, 94 ans,
31:30bon pied et bon oeil,
31:32était alors à la direction du parti.
31:36Depuis 2 à 3 ans,
31:38j'étais entré dans un processus
31:40qui était la négociation
31:42avec François Mitterrand
31:44et le Parti Socialiste
31:46en vue d'aboutir
31:48à un programme commun de gouvernement
31:50et à une alliance entre les communistes
31:52et les socialistes.
31:54Cette mention est très importante
31:56pour situer l'affaire
31:58dont nous allons parler.
32:00Ça n'est pas venu
32:02comme un coup de tonnerre
32:04dans la chaise serein.
32:08Un coup de tonnerre,
32:10c'est bien ce que provoque
32:12l'affaire Pliouch au sein du parti.
32:14Car désormais,
32:16il faut choisir son camp.
32:18Il y a encore beaucoup
32:20de militants et de dirigeants
32:22qui ont vécu la libération,
32:26la période d'après-guerre,
32:28qui ont un souvenir très fort
32:30du rôle de l'Union soviétique
32:32pendant la guerre
32:34et qui ne veulent pas qu'on rompe
32:36les liens avec l'Union soviétique.
32:38Il y avait une théorie,
32:40une idée qui courait
32:42chez un certain nombre de dirigeants,
32:44pour la plupart assez anciens,
32:46du Parti communiste français,
32:48dans laquelle,
32:50si on heurtait trop de fronts
32:52l'amour de l'Union soviétique
32:54existant chez les communistes,
32:56ils allaient quitter le parti.
32:58Pourtant,
33:00deux jours après le meeting,
33:02l'impensable se produit.
33:04Dans un éditorial,
33:06René Andrieux, le rédacteur en chef
33:08de l'Humanité, le journal du parti,
33:10prend ses distances avec Moscou.
33:12Le cas de Léonide Pliouch
33:14ne nous est pas indifférent
33:16et nous avons cherché depuis bien longtemps
33:18à obtenir des informations à ce sujet.
33:20S'il est vrai,
33:22et malheureusement jusqu'ici,
33:24la preuve du contraire n'a pas été administrée,
33:26que ce mathématicien est interné
33:28dans un hôpital psychiatrique
33:30uniquement
33:32parce qu'il a pris position
33:34contre certains aspects de la politique soviétique
33:36ou contre le régime lui-même,
33:38nous ne pouvons que confirmer
33:40avec la plus grande netteté
33:42notre totale désapprobation
33:44et l'exigence qu'il soit libéré
33:46le plus rapidement possible.
33:48C'était d'une clarté absolue.
33:50C'est une prise de position
33:52du parti communiste français
33:54parce qu'Andrieux, à l'époque,
33:56n'écrit pas ça
33:58sans l'accord du directeur
34:00de l'Humanité
34:02qui est un membre du bureau politique.
34:04Donc un éditor comme ça, c'était l'expression
34:06de la position du parti communiste français.
34:08C'est alors que
34:10Tatiana Pliuch
34:12prend tout le monde de cours.
34:16Profitant de la situation,
34:18elle envoie du crâne une lettre publique
34:20de remerciement à Georges Marchais,
34:22le numéro un du parti communiste français.
34:28Cher M. Marchais,
34:30ce fut une grande et heureuse surprise pour moi
34:32d'apprendre que le parti communiste français
34:34a manifesté de la compassion et de l'intérêt
34:36pour le sort de mon mari.
34:40Effectivement, elle écrit
34:42cette fameuse lettre à Georges Marchais
34:44où elle lui dit
34:46dans ce cas, j'espère que ça va aller
34:48encore plus loin et que mon mari va être libéré.
34:50Et cette lettre, aussitôt,
34:52va être publiée dans le monde.
34:54Je tiens à croire
34:56que la voix puissante du parti communiste français
34:58se joindra très bientôt
35:00aux protestations élevées contre la détention
35:02inique et inhumaine qui menace la vie
35:04de Léonide Pliuch.
35:06Sans l'avoir voulu,
35:08Georges Marchais se retrouve ainsi propulsé,
35:10soutien officiel des dissidents.
35:14Au Kremlin, c'est la panique.
35:16Le chef du KGB,
35:18Yuri Andropov, rappelle à l'ordre
35:20les communistes français.
35:22Dans un courrier confidentiel
35:24à la direction du parti,
35:26il fait allusion à l'éditorial de l'Humanité
35:28et à la lettre de Tatiana.
35:30Et il alerte.
35:32Il serait souhaitable
35:34d'avoir des discussions pertinentes
35:36à haut niveau avec les camarades français
35:38pour leur expliquer que la lutte
35:40contre les soi-disant dissidents
35:42n'est pas une question abstraite
35:44mais une nécessité vitale.
35:50Mais l'incendie est devenu incontrôlable.
35:52La suite,
35:54Tatiana s'en souvient minute par minute.
35:56Un matin,
35:58le téléphone sonne dans son petit appartement
36:00de Kiev.
36:02J'ai été appelée par la police.
36:04Une police spéciale.
36:06Celle qui délivre les documents
36:08pour quitter le pays.
36:10Et là,
36:12ils m'ont annoncé
36:14que je pouvais m'en aller avec lui.
36:18Qu'on nous autorisait à partir.
36:20Les soviétiques,
36:22ils ne vous ont pas donné finalement de raisons
36:24pour la libération ?
36:26Non.
36:28Ils n'ont donné aucune raison.
36:30Ils ont juste donné l'ordre que l'on parte.
36:34Et quand ils l'ont amenée
36:36à la gare,
36:38il l'avait très bien habillée.
36:40Avec des beaux vêtements.
36:46Il lui avait mis des...
36:48Comment ça s'appelle ?
36:52Des boutons de manchettes, on dirait.
36:54C'est ça, des boutons de manchettes.
36:56C'était très drôle.
37:00Et moi,
37:02j'ai enlevé les boutons de manchettes
37:04et j'ai enlevé les vêtements
37:06et je les ai jetés.
37:10Et je leur ai dit
37:12allez vous faire foutre.
37:14Et j'ai tout jeté.
37:18Le 10 janvier 1976,
37:20après des heures de voyage,
37:22un train entre en gare de Marchegg,
37:24ville frontière de l'Autriche,
37:26entre l'Est et l'Ouest.
37:32Philippe Pliouch regarde sans comprendre
37:34la foule qui l'attend.
37:38Il vient de passer 4 ans
37:40emprisonné dans un hôpital psychiatrique.
37:46Le train s'arrête.
37:48Personne n'avait jamais lu Pliouch.
37:50Et il descend un homme.
37:54C'était extrêmement impressionnant.
37:58On le voit, il était tout gonflé.
38:00Je ne sais pas si c'était les traitements
38:02de psychotropes qu'il mettait comme ça
38:04ou s'il y avait eu de la cortisone.
38:08Et donc on voit un homme,
38:10je ne dirais pas agarre,
38:12parce qu'il était très digne,
38:14très retenu,
38:16mais on sentait qu'il était totalement perdu.
38:18Il n'était jamais sorti du monde soviétique.
38:20Il ne savait pas ce qui lui arrivait.
38:22Il ne savait pas ce qui lui arrivait.
38:24Tu étais ému quand tu l'as vu ?
38:26Plus que ça, c'était incroyable.
38:28Je croyais au Père Noël à ce moment-là.
38:30C'était fantastique.
38:32Il y avait ce sentiment d'une victoire politique
38:34et il y avait le sentiment
38:36qu'on venait d'arracher
38:38un homme aux griffes du KGB.
38:40Ce n'était pas rien.
38:42Ce n'était pas rien.
38:44On a gagné le bras de fer,
38:46incontestablement.
38:48On a agi pour, en toute conscience,
38:50on a fait ce qu'il fallait.
38:52Le miracle, c'est qu'on a gagné.
38:54Le miracle, ce n'est pas parce qu'on était très forts.
38:56On a agi correctement,
38:58mais le miracle, c'est parce que ça a commencé
39:00à branloter sec de ce côté-là.
39:0276, c'est 13 ans avant la chute du mur de Berlin.
39:04C'est ça qui s'est exprimé.
39:06On ne l'a pas compris tout de suite.
39:12À ce moment-là du récit de Michel Broué,
39:14je m'interroge.
39:16Pourquoi ce sont des mathématiciens
39:18qui ont obtenu un tel succès ?
39:20Est-ce la force de leur réseau ?
39:22L'habitude de parler un langage universel ?
39:24L'importance des maths
39:26pour les autorités soviétiques ?
39:28Mon grand-oncle
39:30avait une autre théorie.
39:32Les mathématiciens seraient
39:34prédisposés à la révolte.
39:38Les mathématiciens transportent
39:40leur rigueur de raisonnement scientifique
39:42dans la vie courante.
39:44La découverte mathématique
39:46est subversive et toujours prête
39:48à renverser les tabous.
39:50Elle dépend très peu
39:52des pouvoirs établis.
39:54La liberté de penser est l'ingrédient
39:56numéro un des maths,
39:58y compris pour faire des maths.
40:00Quand on interdit un type de pensée,
40:02ce qu'il veut, c'est juste contraire aux maths.
40:08Subversives, les maths.
40:10J'étais curieux de savoir
40:12ce qu'en pensait le mathématicien
40:14le plus célèbre de France.
40:16Avec tout le respect
40:18dû à la grande figure de Laurent Schwarz,
40:20personnellement, je ne suis pas sûr.
40:22Et l'expérience
40:24montre que,
40:26par exemple, face à une dictature,
40:28face à un régime injuste,
40:30on trouve chez les scientifiques,
40:32chez les mathématiciens,
40:34toutes les attitudes,
40:36depuis le résistant le plus courageux
40:38jusqu'au collaborative le plus honteux.
40:40En tout cas, la question ne vous a pas surpris tant que ça.
40:42C'est une question à laquelle vous avez déjà réfléchi.
40:44Et ça m'est arrivé à moi
40:46de parler de tel ou tel profil de mathématicien
40:48et d'insister sur le fait
40:50qu'en mathématiques, on dit le vrai.
40:52C'est l'objectif de tout,
40:54trouver la vérité et la dire.
40:56Maintenant, j'ai vu passer
40:58dans les recherches, dans les exemples,
41:00tant contre-exemple justement à cette règle
41:02que j'en suis un peu revenu.
41:04Subversives, les maths.
41:06Ou non ?
41:08Voilà un sujet de méditation.
41:14Mais revenons à notre affaire.
41:16Le 11 janvier 1976,
41:18Lepliouch quitte l'Autriche pour la France
41:20avec un Léonide toujours défait.
41:26A Orly, il est attendu par la presse
41:28du monde entier.
41:30Mais c'est sa femme qui répond aux journalistes.
41:36Il a refusé de parler devant les journalistes.
41:38On ne voulait pas être vu.
41:40On le comprenait, il était complètement bouffé.
41:42Il était abruti.
41:46Je voyais vraiment quelqu'un
41:48qui venait de souffrir affreusement.
41:50J'avais dans la tête que
41:52je mettais facilement à sa place
41:54de dire
41:56j'arrive où ?
42:00Marie-Claude est alors la femme
42:02de Michel Brouet.
42:04Elle va vite devenir une intime
42:06de la famille Lepliouch.
42:08Et pour cause.
42:10Rien n'a été prévu pour leur accueil.
42:14Les 4 Lepliouch vont donc s'installer
42:16chez les 4 Brouets
42:18dans leur pavillon HLM de Montreau
42:20en Seine-et-Marne.
42:24Ah oui, ça c'était un peu difficile.
42:26On avait mis nos deux filles dans une même chambre,
42:28les enfants Lepliouch dans l'autre chambre,
42:30donc il y avait plus de gênement.
42:32Et nous on couchait dans le bureau
42:34sur un bâtard pneumatique.
42:36On avait laissé notre chambre au couple Lepliouch.
42:38C'était un peu dur.
42:40On n'a pas beaucoup dormi.
42:42C'était pas confortable du tout
42:44entre un piano et un bureau.
42:46Des fois quand l'interprète
42:48restait couché,
42:50on mettait un bâtard pneu de plus à côté.
42:52Ça arrivait.
42:54Le téléphone sonne de jour comme de nuit.
42:56Tout le monde veut voir le nouveau dissident.
43:00Il faut alors protéger un Lepliouch
43:02encore très faible
43:04de la tornade médiatique.
43:08On n'a pas parlé à personne.
43:10Ce qui a créé une espèce de tension médiatique.
43:12Les journalistes voulaient absolument être
43:14les premiers à parler à Lepliouch.
43:16Et Lepliouch ne voulait pas,
43:18donc on a respecté ça.
43:22Je me rappelle Jean-Pierre Elkabach
43:24me disant « Je viens prendre votre petit déjeuner chez vous ».
43:26Je lui disais « Non, excusez-moi, je ne vous ai pas invité ».
43:28Il a fallu se défendre pendant quelques semaines.
43:32Il y avait des journalistes.
43:34Je me rappelle, ils se cachaient même
43:36à Montreux.
43:38Ça, je m'en souviens.
43:42Pourquoi ? Pour vous filmer ?
43:44Oui, c'est ça.
43:46Tout le monde se précipitait à Montreux.
43:48Il y a un sénateur américain
43:50qui a fait le voyage Washington-Paris-Paris-Montreux
43:52juste pour parler une heure avec lui.
43:54Il voulait absolument l'inviter
43:56à témoigner devant le Sénat.
43:58Et Lepliouch refusait.
44:00Il était sous pression.
44:02Je me souviens qu'il nous a dit une fois
44:04« Vous savez, quand finalement
44:06j'étais en urse
44:08dans mon hôpital psychiatrique,
44:10je savais
44:12à qui j'avais à dire non.
44:14Maintenant que je suis là,
44:16avec tous ces gens qui cherchent à m'influencer,
44:18je ne sais plus. Les oui, les non, je suis perdue. »
44:20En attendant de se remettre,
44:22le dissident et sa famille
44:24découvrent la vie quotidienne
44:26dans une banlieue ouvrière française.
44:30Ça, c'est lui avec ses deux enfants
44:32à Montreux, c'était l'hiver, c'était en janvier.
44:34Et il trouvait ça comment, Montreux ?
44:36Ah, il était super content.
44:38Il disait qu'il était arrivé dans une ville de prolétaires
44:40et qu'il ne pouvait pas rêver mieux.
44:42Il était super content dans une ville de prolétaires.
44:44Voilà, c'était Lepliouch. Il était comme ça.
44:46Moi, je me souviens, j'allais faire les courses
44:48avec Tania.
44:50La première fois que je l'ai amenée avec moi à la boucherie
44:52et de pouvoir dire
44:54« Je voudrais ça.
44:56Ah bah, puis vous me donnez ça aussi. »
44:58Donc déjà, elle était surprise
45:00de voir l'étal.
45:02Et puis, il suffisait que je lui dise « Je voudrais bien de ça, de ça, de ça. »
45:04Hop, on remplissait mon cabas.
45:06Je payais.
45:08Pas de problème.
45:10Elle me disait « Marie-Claude ! »
45:14Je me rappelle quand on allait au magasin
45:16avec sa femme.
45:20La première fois, je suis tombée dans les pommes.
45:24Parce que j'ai vu tous ces magasins.
45:26C'était inhabituel pour nous.
45:28On passait devant
45:30une bijouterie.
45:32Elle voit
45:34une vingtaine de montres.
45:36Elle me dit
45:38« Marie-Claude,
45:40pourquoi tant de montres ?
45:42Une, ça suffit. »
45:46Vous entendez ça.
45:48Vous vous dites
45:50« C'est vrai qu'on ne vit pas du tout
45:52avec les mêmes dimensions. »
45:58Le 3 février,
46:00près d'un mois après sa libération,
46:02Léonide Kliuc
46:04se sent enfin prêt à parler.
46:10Devant de très nombreux journalistes,
46:12il raconte son calvaire en hôpital psychiatrique.
46:14Il tient aussi à rappeler
46:16ses idéaux communistes,
46:18malgré tout ce qu'il a vécu.
46:20Mais, épuisé par l'exercice,
46:22il refuse de s'étendre
46:24sur sa situation.
46:26Comment vous sentez-vous
46:28maintenant, après deux heures d'entretien ?
46:30Est-ce que vous avez le sentiment
46:32que vous allez mieux
46:34et que vous allez vous rétablir facilement ?
46:52Pardon.
46:54Pardon.
47:02L'affaire Kliuc
47:04semble désormais définitivement terminée.
47:08Pourtant,
47:10elle n'a pas encore produit son effet majeur.
47:16Le comité est désormais
47:18connu dans le monde entier.
47:20On lui demande de s'engager sur d'autres causes.
47:22Et Michel Brouet
47:24reprend l'édition de ses bulletins.
47:32Or,
47:34il est un lieu où l'affaire Kliuc
47:36a laissé des traces.
47:38Au Parti communiste français,
47:40l'alignement sur l'URSS s'est fissuré.
47:44Le comité va en profiter.
47:48Un an jour pour jour, après le meeting pour libérer Kliuc,
47:50il organise un nouveau rassemblement à la mutualité.
47:54Cette fois, le comité défend
47:56six victimes d'atteinte au droit de l'homme.
48:00Trois sont emprisonnées à l'Est,
48:02comme le soviétique Vladimir Blukovsky.
48:04Mais pour ne pas être taxé d'anti-soviétisme,
48:06le comité y associe
48:08trois victimes des dictatures sud-américaines,
48:10comme le mathématicien José Luis Macera.
48:14Et en guest star du meeting,
48:16Léonide Kliuc.
48:20Pour le Parti communiste,
48:22c'est le moment de vérité.
48:24Va-t-il cette fois encore
48:26laisser sa chaise vide ?
48:28Comment refuser de participer
48:30à un tel rassemblement ?
48:32Vous êtes contacté par mon grandon,
48:34par Laurent Schwarz,
48:36qui vous dit qu'il faut venir.
48:38Il insiste.
48:40Il insiste, Laurent Schwarz.
48:42Mais là, il insiste
48:44amicalement.
48:46Je sentais
48:48quand j'y repense,
48:50mais est-ce que je reconstruis ?
48:52Dans sa voix,
48:54une façon
48:56de me presser,
48:58un certain intérêt,
49:00qui voulait dire au fond
49:02vous avez une occasion à saisir.
49:04Pour Pierre Jutin, aucun doute.
49:06Il faut y aller.
49:08Mais la question des liens avec l'URSS
49:10est très sensible,
49:12alors que le parti est en pleine négociation
49:14pour une union de la gauche.
49:16Les jours passent,
49:18le meeting approche,
49:20quand le bureau central
49:22décide enfin de se réunir.
49:24Les membres du bureau politique
49:26présents se retrouvent entre eux
49:28et marcher, dire en quelques mots,
49:30Jean Canapa et Pierre
49:32vont vous résumer
49:34les raisons pour lesquelles
49:36nous pensons qu'il faut y aller.
49:38Nous combattons toutes les répressions
49:40dans le monde entier,
49:42nous ne confondons pas le socialisme
49:44etc.
49:46Et à ce moment-là, un très ancien membre
49:48du bureau politique
49:50prend la parole et dit
49:52si Pierre y va pour dire ça,
49:54je suis d'accord.
49:58C'était la bascule,
50:00tout le monde a dit d'accord
50:02et le temps presse.
50:04– Et c'est vraiment au dernier moment
50:06que vous avez pris cette décision ?
50:08– On a travaillé l'après-midi,
50:10la dactylo a tapé
50:12la poche.
50:20– La salle est tous aguets.
50:22Pour la première fois,
50:24un membre du parti communiste
50:26vient participer à un meeting
50:28pour la défense de dissidents.
50:30– J'entrais dans l'arène.
50:32J'entrais dans l'arène.
50:34D'ailleurs, il y avait un journaliste
50:36de l'Humanité qui me dit
50:38t'as envie de leur sauter à la gueule ?
50:40J'ai envie de leur parler.
50:42– Nous n'accepterons jamais
50:44que dans quelque pays que ce soit,
50:46on recourt au nom du socialisme
50:48à des méthodes qui violent
50:50les droits de la personne humaine.
51:04– J'ai dit, on m'a applaudi.
51:06Il y avait une immense surprise.
51:08Une immense surprise,
51:10parce que ce que j'ai dit,
51:12c'était nous défendons.
51:14Le socialisme est incompatible
51:16avec ce genre de pratiques,
51:18avec ces répressions.
51:20– La conclusion a moins de succès.
51:22Juchin ne peut faire autrement
51:24que de rappeler l'attachement
51:26du parti à l'URSS.
51:28– Antifascistes, nous sommes
51:30et nous serons toujours.
51:32Antisoviétiques, jamais.
51:34– Écoutez, franchement,
51:36à chaque jour suffit sa peine.
51:38L'essentiel était fait.
51:40Et l'essentiel, c'était pas
51:42tellement ce que je disais
51:44que le fait que je le dise.
51:46C'était pas seulement que je sois là,
51:48c'est que je serre la main de Pliouch.
51:50Évidemment.
51:52– Un communiste
51:54qui serre la main d'un dissident.
51:56C'est une petite révolution.
52:00– Pliouch arrive par la droite.
52:02J'étais encore debout, je crois.
52:04J'allais m'asseoir.
52:06Il s'avance, je crois.
52:08Quelqu'un lui serre la main,
52:10je ne sais pas qui.
52:12Et moi, je m'avance.
52:14Il a la main tendue.
52:16Moi aussi, je serre la main.
52:18J'ai pas du tout pensé
52:20que je serrais la main
52:22de Léonide Pliouch.
52:24J'ai pensé que je serrais la main
52:26de quelqu'un à Évique
52:28qui j'allais faire un meeting
52:30pour défendre sa position
52:33– La fameuse photo de Jukin
52:35serrer la main à Pliouch,
52:37évidemment, était un événement
52:39qui a eu beaucoup de résonance.
52:41Il y en avait beaucoup
52:43qui étaient satisfaits qu'on bouge enfin.
52:45Mais il y en avait aussi
52:47qui n'étaient pas contents,
52:49qui considéraient que c'était
52:51nourrir l'anticommunisme
52:53que de participer à ça.
52:55– Alors le lendemain,
52:57si je peux me permettre,
52:59le lendemain, coup de téléphone
53:01directement, coup de téléphone.
53:03– L'ambassade soviétique
53:05fait part de sa stupéfaction,
53:07je ne me rappelle plus les mots,
53:09son bécondentement,
53:11dit mais, qu'a fait le camarade Jukin ?
53:13– L'agence TASS,
53:15organe officiel de Moscou,
53:17ne cache pas sa colère.
53:22– Comment les représentants du PCF
53:24se sont retrouvés parmi les participants
53:26à une sale entreprise de ce type
53:28et d'autant plus incompréhensible
53:30aux opinions publiques soviétiques ?
53:32Oui, là, c'est clair, je ne suis pas allé
53:34passer mes vacances en Union soviétique
53:36l'année suivante.
53:38– La déclaration de Jukin
53:40est imprimée à 6 millions d'exemplaires
53:42par l'Humanité.
53:44Le Parti communiste français
53:46s'oppose à l'URSS.
53:48C'est historique.
53:50– L'affaire Pliout, c'est la première
53:52dans laquelle il y a un engagement officiel
53:54de la direction du Parti communiste.
53:56Pour la première fois,
53:58c'est un acte concret qui concrétise
54:00la prise de distance
54:02avec l'Union soviétique
54:04sur cette dimension des libertés.
54:06Et en fait, ça va continuer,
54:08mais c'est sûr que c'est un moment,
54:10c'est un des moments charnières.
54:16– Quelques mois plus tard,
54:18communistes et socialistes
54:20scellent l'Union de la gauche
54:22qui les mènera au pouvoir en 1980.
54:28Pliout, lui,
54:30s'installe en France définitivement.
54:32À la fin de notre entretien,
54:34Tatiana a tenu à m'emmener
54:36faire un tour.
54:38Elle voulait me conduire
54:40jusqu'au cimetière,
54:42à quelques centaines de mètres
54:44de la maison.
54:46C'est dans ce petit village
54:48Sévnol que s'éteint en 2015
54:50l'Ukrainien qui fit trembler Brezhnev.
54:54Tatiana est partie à son tour,
54:56quelques mois après ma visite.
55:08Quant au comité des mathématiciens,
55:10il ne prend fin qu'en 1989
55:12avec la chute du mur de Berlin.
55:16Mais est-ce bien certain ?
55:18Mon grand-oncle est le premier
55:20à partir en 2002.
55:22Henri Cartan, lui, survivra
55:24avant de disparaître six ans après.
55:28Mais le petit jeune du trio,
55:30Michel Broué, est toujours là.
55:32Et il n'a pas renoncé.
55:34Michel, qu'est-ce que c'est que cette affiche ?
55:36C'est un jeune mathématicien,
55:38j'allais dire soviétique, non, russe,
55:40qui a été arrêté, condamné
55:42à la suite d'un certain nombre de provocations,
55:44à de nombreuses années de prison.
55:46Et il y a un comité international
55:48qui organise une campagne pour Mitafkov,
55:50qui la tienne, qui la prolongera,
55:52de mathématiques, pour l'instant,
55:54sur Mitafkov.
55:56Tu veux dire qu'il y a à nouveau un comité des mathématiciens ?
55:58Ça n'a pas arrêté ?
56:00Ça n'a pas vraiment arrêté,
56:02mais il y a des jeunes,
56:04il y a des gens qui travaillent plus que moi,
56:06mais non, je n'ai pas envie d'arrêter.
56:08En quittant Michel,
56:10j'ai repensé à la dernière phrase
56:12des mémoires de mon grand-oncle.
56:14On a souvent tendance à considérer
56:16les scientifiques comme des gens
56:18peu soucieux de morale, nuisibles,
56:20enfermés dans leur tour d'ivoire
56:22et indifférents au monde extérieur.
56:24Le comité des mathématiciens
56:26est une brillante illustration du contraire.

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