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Le fléau est national et touche près de 80% des communes de France…Le trafic de drogue est un sujet majeur sur lequel le Sénat vient d’adopter une proposition de loi issue d’une commission d’enquête : un texte visant à "sortir la France du piège du narcotrafic". Alors ce nouvel arsenal juridique va-t-il permettre d’endiguer ce fléau et de protéger toutes les victimes ? Rebecca Fitoussi et ses invités ouvrent le débat. Année de Production :

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Transcription
00:00Marseille, des larmes au combat, signé Anaïs Mérade.
00:04Voilà un documentaire qui s'est positionné
00:07du côté des familles de trafiquants,
00:09des proches qui souffrent, eux aussi,
00:11d'un narcotrafic incontrôlable
00:13qui est en train de tuer leurs enfants, ici, à Marseille,
00:15qui est en effet un cas emblématique,
00:17mais le phénomène s'amplifie.
00:19Le Sénat vient d'adopter un texte majeur.
00:21Va-t-il permettre d'endiguer le fléau ?
00:23Peut-il protéger toutes les victimes ?
00:25Parlons-en avec nos invités. Jérôme Durain, bienvenue.
00:27Merci d'avoir accepté notre invitation.
00:29Vous êtes sénateur socialiste de la Saône-et-Loire,
00:31vice-président de la Commission des lois.
00:33Vous êtes donc l'auteur de cette proposition de loi
00:35adoptée au Sénat qui vise à sortir la France
00:37du piège du narcotrafic.
00:39Vous avez mené des dizaines d'auditions
00:41en commission d'enquête.
00:42Il vous est même arrivé d'être assez stupéfait
00:44parce que vous aviez entendu,
00:46et on en parlera dans un instant.
00:47Clotilde Champérage, bienvenue.
00:49Vous êtes économiste et criminologue,
00:51maîtresse de conférences au CNAM,
00:53Conservatoire National des Arts et Métiers,
00:55spécialiste des mafias et économies criminelles
00:57et autrice de ce livre.
00:59Géopolitique des mafias chez Cavalier Bleu, édition.
01:02Vincent Gautrenau, bienvenue.
01:04Vous êtes journaliste au service
01:06Police-Justice du Parisien Aujourd'hui en France,
01:08co-auteur avec Jean-Michel Décujis et Jérémy Pamelet
01:11d'un ouvrage qui nous plonge dans le narcotrafic marseillais,
01:14Tueurs à gages, enquête sur le nouveau phénomène
01:17des shooters, paru aux éditions Flammarion.
01:19Michel Gandilon, bienvenue.
01:21Vous êtes expert associé au pôle sécurité et défense du CNAM,
01:24co-auteur de Géopolitique du crime organisé,
01:26aux éditions Hérolle,
01:28et auteur de Drugstore, Drogue illicite
01:30et Trafic en France, aux éditions du CERF.
01:33Merci beaucoup à tous les quatre d'être ici.
01:35Dans le contexte de tensions que l'on connaît,
01:37ce film a une approche un peu risquée, un peu osée.
01:40C'est celle d'aller écouter les familles des jeunes
01:43qui sont acteurs de ce narcotrafic à Marseille
01:46et qui prennent les armes pour régler leur compte.
01:48Ils sont en train de s'entre-tuer.
01:49Ils tuent des personnes qui ont le malheur
01:51d'être au mauvais endroit au mauvais moment
01:53et terrorisent des quartiers entiers.
01:55Ce film est un appel à l'aide,
01:57peut-être d'abord une réaction de vous tous
02:00au parti pris de la réalisatrice.
02:02Jérôme Durain, recueillir la parole des proches,
02:05des familles de ces acteurs du narcotrafic,
02:09c'est aussi une parole que vous avez entendue
02:11en commission d'enquête.
02:12Elle est nécessaire, cette parole ?
02:13Oui, bien sûr, parce que ce sont finalement ceux
02:17pour lesquels on travaille, à une fine étape.
02:18C'est les victimes.
02:19Il y a des territoires victimes qui sont sous l'emprise,
02:23sous la coupe réglée des criminels.
02:24C'est ce que décrit le film
02:26et c'est ce qu'on observe un peu partout
02:28dans les quartiers en France, avec des checkpoints,
02:30avec des couvre-feux imposés par les criminels.
02:35Et cette parole des victimes,
02:38elle doit nous interroger sur qui est victime
02:41dans le narcotrafic, qui est coupable,
02:42jusqu'où, parce qu'on voit bien
02:44qu'il y a des petites mains du trafic
02:46qui sont dans des situations de quasi-esclavage,
02:49avec des actes de barbarie,
02:51ils sont victimes de torture,
02:54assignées à résidence dans des conditions déplorables.
02:57Donc, interroger cette frontière
02:58entre la culpabilité et le statut de victime
03:01paraît nécessaire.
03:02Il y a beaucoup de victimes, Vincent Gautrono,
03:05de ce narcotrafic, y compris ces femmes,
03:08ces frères, ces sœurs de ces trafiquants
03:11qui, elles aussi, voient un narcotrafic
03:14complètement incontrôlable.
03:15Oui, ce qui est intéressant dans le reportage,
03:17c'est qu'on voit, en fait, la souffrance,
03:19elle touche tout le monde.
03:20Peu importe les agissements d'une victime,
03:24s'il est assassiné, c'est pas normal.
03:26S'il était narcotrafiquant,
03:27il aurait dû être interpellé et mis en prison.
03:29Il n'aurait pas dû être assassiné.
03:31Ce qui est aussi très intéressant,
03:33c'est qu'on voit le sentiment, parfois, d'abandon
03:37qu'ils ont un peu, sous prétexte que leur fils,
03:40leur frère, leur père, était, oui, parfois, un narcotrafiquant.
03:46Ils ont le sentiment que ce sont des enquêtes
03:48qui sont prises un petit peu au ralenti
03:51ou alors qu'elles n'intéressent pas vraiment les politiques.
03:55Et il faut, d'ailleurs, qu'il y ait des victimes,
03:58entre guillemets, innocentes, collatérales,
04:01pour qu'il y ait des déplacements d'hommes politiques,
04:03de ministres de l'Intérieur, du président de la République
04:05à Marseille.
04:06Sentiment d'abandon, voire de rejet, Michel Gondelon.
04:08Ce sentiment de rejet...
04:09Je ne sais pas. En tout cas, je regardais
04:12les statistiques à Marseille depuis dix ans.
04:14Il y a environ 320 personnes qui ont été tuées,
04:16sans compter les blessés, les blessés graves,
04:18donc il y a beaucoup de familles qui sont affectées.
04:20Et le mérite, si vous voulez, de ce documentaire,
04:23c'est de remettre en avant la population de ces quartiers
04:26et peut-être la nécessité pour elles de se mobiliser aussi
04:29et de devenir un acteur de la lutte contre le crime organisé.
04:32L'année dernière, à Marseille,
04:34il y avait une expérience intéressante
04:36de mobilisation de la population
04:37contre l'implantation d'un point de deal.
04:39Ça s'est répété à plusieurs reprises.
04:41Donc, à l'instar de l'Italie,
04:43même si on n'a pas de mafia à l'italienne,
04:45où il y a des associations de victimes de la mafia
04:49qui ont une audience de masse en Sicile,
04:51je crois, Libéra a des milliers d'adhérents,
04:54mobiliser la population des quartiers
04:56contre ces drames est une nécessité.
04:59Et donc, le mérite du documentaire,
05:00c'est de faire le point là-dessus.
05:02Oui, parce que là où on pourrait croire
05:03que les familles ne font rien pour arrêter leur fils
05:06ou leur frère, écoutez ce que dit cette mère de famille
05:09dans le documentaire, c'est assez édifiant.
05:11J'ai peur qu'on tue mon fils,
05:12mais j'ai peur qu'aussi il tue quelqu'un.
05:14Il faut que ça s'arrête, quoi.
05:16Toutes les mamans, tous les parents,
05:18ils sont responsables de leurs enfants.
05:19Par contre, quand ils sortent dehors,
05:21ils sont plus à nous.
05:23Ils sont à la rue. Ils appartiennent à la rue.
05:25Comment t'as essayé de le sortir ?
05:27Moi, des fois, à une heure du matin,
05:29j'étais en voiture, à tourner dans les réseaux...
05:32Et le chercher.
05:33Le chercher. Je le trouvais pas.
05:36J'ai porté plainte contre mon fils, moi, plusieurs fois.
05:40Elle a porté plainte contre son propre fils, Jérôme Durand.
05:43C'est assez édifiant d'entendre ça.
05:45Et on sent que ça protège son fils.
05:47Elle fait ça pour protéger son fils.
05:49C'est assez émouvant, et ça renvoie à des questions
05:52que nous avons eues ici, au Sénat,
05:54en travaillant sur le texte.
05:57Comment éviter qu'on stigmatise
06:00un quartier, une communauté, un hall d'immeubles,
06:04une famille, pour les comportements d'un seul ?
06:07Comment la sœur n'est pas responsable
06:10de ce que le frère fait.
06:11C'est vrai pour la mère, le père.
06:13Et ce discernement et ce respect
06:17dû à la vérité des actions et des responsabilités,
06:21c'est extrêmement important de l'avoir.
06:23Mais le débat politique écrase un peu ça.
06:25Et donc, du coup, on est quand même dans une période
06:27où on a l'impression qu'il faut lutter
06:29de manière indifférenciée contre les trafiquants,
06:32les victimes, les consommateurs...
06:33Et punir les familles.
06:35Et punir tout le monde.
06:36Et quand on commence à parler d'aller toucher
06:38aux allocations familiales...
06:40Jusque quand on va être responsable
06:43de ce qu'a fait un enfant ?
06:45Combien de générations ?
06:46Les individus sont responsables aussi.
06:48Mais oui, il bouscule cet extrait
06:49parce qu'il montre que les familles ne font pas rien.
06:52Et est-ce qu'on irait les punir ?
06:54Est-ce que ce serait une double peine
06:56que d'aller aussi peut-être leur enlever leurs allocations ?
06:59Alors qu'on voit que cette mère, elle lutte,
07:00elle essaye de protéger son enfant de ça.
07:03Dans le livre qu'on a écrit,
07:05on parle d'un jeune qui a été assassiné à Marseille,
07:07qui s'appelait Ryan.
07:09On a échangé avec ses deux parents.
07:11Ils ont trois enfants.
07:13Il y en a deux qui n'ont aucun problème,
07:15qui sont des bons gamins, comme on pourrait dire.
07:18Le troisième, ses parents ne s'en cachent pas,
07:21il a vrillé un moment, il a sombré dans le narcotrafic,
07:25au point de se faire assassiner.
07:27Quand on entend ces gens-là,
07:30on n'a pas l'impression que c'est des gens
07:31qui se sont dits aller faire de l'argent,
07:34vendre la drogue.
07:35Non, il y a des parents qui luttent incontestablement
07:38pour essayer de sortir leurs enfants de cette difficulté.
07:42Mais là, on en vient à l'étape d'après.
07:43C'est comment, quand, une première fois,
07:45ils sont arrêtés, ils sont pris en charge,
07:46qu'est-ce qu'on fait pour les sortir de ce phénomène ?
07:49Dans la suite de l'extrait, Clotilde Champérage,
07:52cette femme nous dit aussi que c'est en prison
07:55que son fils prend du galon.
07:57C'est un peu comme ça qu'elle dit les choses.
08:00Ça veut dire que les prisons, finalement, loin d'aider,
08:02elles accompagnent, voire elles alimentent
08:04et elles entretiennent ce narcotrafic.
08:06Alors, la prison, ça a toujours été
08:08un problème d'incubation criminelle.
08:10Ce n'est pas un phénomène récent.
08:11On a les gangs de prison qui sont bien l'expression
08:14qu'au sein de la prison,
08:16vous avez des hiérarchies qui se créent,
08:18des montées en grade, effectivement.
08:20Et puis, en plus, quand on est dans un cadre carcéral
08:23comme le cadre français,
08:24où il y a une surpopulation massive,
08:27vous entassez des gens dans une même cellule,
08:29qu'est-ce qu'ils font ? Ils se parlent,
08:30et effectivement, il y a un apprentissage criminel
08:32qui peut tout à fait se faire dans la prison.
08:34À cela, vous ajoutez que la communication
08:37avec l'extérieur, elle est assez facile.
08:39Ce n'est pas un arrêt dans le parcours criminel.
08:44Ça peut, effectivement, être une marche
08:46pour monter en galon.
08:48Ça fait partie du CV criminel, parfois,
08:51que d'être passé dans certaines prisons,
08:53d'avoir rencontré des gens,
08:54d'avoir noué de nouvelles alliances aussi.
08:56Ça, c'est le comble, quand même, Jérôme Dirain.
08:57Je fais des réunions beaucoup en France
09:00parce que les élus nous demandent
09:02de venir parler du narcotrafic avec Étienne Blanc.
09:05J'ai eu un témoignage récemment d'un père
09:07qui est venu me voir à la fin de la réunion
09:08et qui me dit, voilà, j'ai un fils
09:09qui est tombé dans le deal.
09:10Il est passé par la prison, et en prison,
09:13soit on s'effondre, on se soigne,
09:15on prend de la drogue, soit on sort renforcé.
09:18Dans le cas de mon fils, il est sorti renforcé,
09:19il a pris du grade, et il est monté
09:21dans la hiérarchie criminelle,
09:22et finalement, c'est pire qu'avant.
09:24C'est un témoignage très dur,
09:26mais c'est parfois un trophée et une médaille,
09:28le passage en prison.
09:29Parfois ou souvent, parce que là,
09:31on entend que c'est même assez fréquent.
09:33On rend petits trafiquants, voire petits délinquants,
09:36on en sort plutôt grands trafiquants.
09:38Il y a quelque chose qui est assez troublant.
09:40Le meurtre dont a été victime le frère de Amine Kessassi
09:43n'est pas développé très largement dans le reportage,
09:46puisque ce n'est pas le sujet,
09:47mais une personne qui est suspectée de ce meurtre,
09:50qui est aujourd'hui mise en examen,
09:53est en prison depuis environ 2021, je crois.
09:56Derrière les barreaux, il est suspecté
09:58d'être devenu un des patrons de la DZ de mafia.
10:01Donc oui, effectivement, c'est quelque chose que...
10:04La prison n'arrête plus les trafiquants
10:08dans leur ascension, aujourd'hui.
10:11C'est un des vrais soucis qu'avait mis en avant la commission.
10:15C'est même un lieu de recrutement ?
10:16Un des phénomènes inquiétants de l'évolution des prisons en France,
10:19c'est un phénomène qu'on voit beaucoup au Brésil
10:23ou en Amérique latine, la construction de gangs de prison
10:25où les trafics continuent d'être pilotés depuis la prison,
10:28avec ce que ça suppose de criminalisation des prisons,
10:32c'est paradoxal, et de possibilité de corruption
10:34du personnel pénitentiaire.
10:36Une étude de l'OFDT qui est sortie il y a un an ou deux ans
10:38qui montrait l'ampleur des consommations de cannabis
10:41à l'intérieur des prisons.
10:45Donc, effectivement, ce problème du développement
10:49du trafic de drogue touche maintenant
10:51tous les aspects de la société.
10:52C'est des quartiers à l'État directement,
10:56via ses fonctionnaires, que ce soit le personnel pénitentiaire
10:59ou la police ou d'autres secteurs,
11:02ou le secteur des municipalités,
11:04qui sont en première ligne aussi face à ces trafics.
11:08Il est question des prisons, et dans le film,
11:09on entend plusieurs fois aussi sortie des collèges
11:11pour aller recruter des plus en plus jeunes
11:13pour aider à ce narcotrafic.
11:14C'est un phénomène ?
11:15À la sortie des collèges, on va recruter des jeunes ?
11:17Alors ça, c'est de l'instrumentalisation
11:20avec l'idée que la responsabilité pénale
11:22est moindre pour les mineurs.
11:23Donc ça, les organisations criminelles,
11:25les réseaux criminels s'en sont emparés.
11:26Le vent d'aussi aux jeunes, en leur disant
11:28de toute façon, tu ne creras rien ou tu creras un peu de choses
11:30parce que tu auras l'excuse de minorité.
11:32C'est certes de notre droit.
11:33Tout à fait. Il y a cette instrumentalisation-là
11:36qui vient en plus s'ajouter à tout un phénomène
11:39de communication criminelle, de valorisation du crime,
11:43de mise en avant de grands criminels
11:47qui seraient les gagnants aussi du système,
11:50avec un discours aussi parfois
11:54qui est du rejet de la sphère légale,
11:56qui ne fournit pas d'emploi,
11:58qui ne donne pas d'opportunités sociales,
12:01pas d'activités extrascolaires.
12:03Et donc, le crime va vous donner une vie plus exaltante.
12:07Alors justement, pour expliquer la situation,
12:09et parmi les nombreuses pistes possibles,
12:11le film pointe la responsabilité immense
12:13des élus, des politiques locaux ou nationaux.
12:16En l'occurrence, ici, il s'agit de Marseille
12:18et c'est un ancien député En Marche
12:20qui porte une accusation très lourde.
12:22Je voudrais qu'on le réécoute et qu'on en parle après.
12:25Je peux vous dire qu'il y a eu une volonté politique à Marseille
12:27d'isoler le nord de la ville.
12:29C'est un racisme non dit, pour être clair.
12:32Quand on dit qu'on ne veut pas que les Noirs et les Arabes
12:34arrivent facilement, parce que ça, ça m'a été dit textuellement
12:36comme ça par un ancien adjoint au maire,
12:40qui me dit qu'à l'époque, on n'a pas voulu
12:43que les métros et les transports se développent
12:45parce qu'on ne voulait pas que les Noirs et les Arabes
12:46arrivent facilement dans le sud de la ville.
12:49Aujourd'hui, les élus concentrent leurs efforts
12:51sur la population qui vote.
12:53Et la population qui vote, elle n'est pas la décartée de l'or.
12:56Elle est très lourde, cette accusation, Jérôme Durand.
12:58Oui, c'est terrible.
12:59C'est difficile à accréditer
13:02parce qu'il y a une réalité marseillaise.
13:04En plus, ça renvoie à une gestion passée,
13:07la construction de ces grands quartiers d'habitat social.
13:10Il est évident que le narcotrafic et les phénomènes dont on parle,
13:15ils sont...
13:16La résultance.
13:16Ils puisent leur racine dans l'échec des politiques publiques.
13:20Alors là, on parle d'une politique publique locale,
13:22mais c'est quand même l'insatisfaction de générations
13:26qui ne trouvent pas d'emploi, qui sont stigmatisées.
13:28Les services publics disparaissent des quartiers.
13:33Donc, il y a évidemment une responsabilité politique collective.
13:35Là, on parle même de clientélisme, de cynisme,
13:37de stratégie électorale, Michel Gondelon.
13:40Pour revenir à la situation de Marseille,
13:41je me souviens d'une déclaration qui, à l'époque,
13:43m'avait beaucoup choqué, en 2012, de Jean-Claude Godin,
13:46paix à son âme, qui allait déclarer sur Europe 1,
13:49à la suite d'un été meurtrier à Marseille,
13:52que, en somme toute, tout allait bien à Marseille,
13:54la situation n'était pas grave, c'est des voyous qui s'entretuent,
13:57et la population est spectatrice.
13:59Donc, on ne porte pas le deuil.
14:01Donc, une sorte de banalisation des règlements de compte
14:05et des morts qui a conduit, effectivement,
14:07à une sorte de passivité des pouvoirs publics,
14:11en se disant, effectivement, pourquoi pas,
14:14le trafic de drogue peut contribuer
14:16à une sorte de paix sociale dans ces quartiers,
14:18et ne dérangeons pas trop l'ordre criminel
14:22qui est en train de se développer, de se mettre en place.
14:24Donc, il y a une responsabilité des politiques.
14:26Puis, à Marseille, aussi, les collusions,
14:29les pactes criminels dans les années 60,
14:31qui ont commencé dans les années 60,
14:34avec la criminalité corso-marseillaise,
14:37qui se sont poursuivis avec, effectivement,
14:39des relations incestueuses entre un certain milieu politique
14:42et des cahiers de quartiers.
14:44Je pense à l'affaire Sylvie Andrieux, en 2007.
14:47Une politique de la ville dont les budgets étaient mal orientés
14:51ont fait qu'on se retrouve dans une situation
14:53de plus en plus incontrôlable.
14:54Alors, on donne l'impression que les responsables politiques
14:57sont coupables dans cette affaire,
14:59mais il y a aussi eu beaucoup d'argent
15:00qui ont été mis dans ces quartiers populaires
15:03pour essayer, peut-être, de sortir les jeunes du narcotrafic
15:05ou de l'éventuelle délinquance, non ?
15:07Oui, il y en a eu.
15:08Après, ce que je ne voudrais pas,
15:09c'est qu'on réduise le narcotrafic à Marseille.
15:11Justement, le problème, il est sur toute la France,
15:14y compris dans des campagnes tranquilles
15:17où il n'y a pas des quartiers sensibles.
15:20Donc, la problématique est plus grave,
15:21et c'est peut-être là que les politiques ont fait une erreur.
15:24C'est-à-dire qu'on s'est intéressés au narcotrafic
15:26parce qu'il y avait règlement de compte.
15:28Mais ça, c'est une partie visible,
15:30qui, en plus, à mon avis, est beaucoup plus problématique
15:33que la simple question du narcotrafic.
15:36Ça fait des années que la consommation de stupéfiants en France augmente.
15:40Et ça s'est fait à bas bruit, sans qu'on réagisse.
15:43Il y a même eu une grosse erreur de diagnostic
15:45pendant la crise sanitaire, puisqu'on a dit
15:47qu'il n'y avait plus de point de deal, il n'y avait plus de trafic.
15:49Ça, c'était ne pas voir la montée en puissance des réseaux sociaux.
15:53Et puis, pour revenir au règlement de compte,
15:56surtout quand ils sont faits par des jeunes
15:59qui sont recrutés sur les réseaux sociaux aussi, en grande partie,
16:02ça veut dire qu'il y a une violence dans la société
16:05qui est indépendante du narcotrafic.
16:07Et ça, c'est extrêmement grave,
16:10parce que ça veut dire qu'il y a des enfants,
16:12des jeunes adolescents, qui sont prêts à tuer pour de l'argent,
16:17supposé ou réel, parce qu'ils ne sont pas toujours payés,
16:20et que, potentiellement, ils peuvent tuer pour n'importe qui.
16:23C'est-à-dire qu'eux n'ont pas d'intérêt particulier
16:25dans le narcotrafic, ils ne sont pas intégrés
16:28à un réseau criminel, mais ils sont prêts à tuer
16:30si on leur dit de tuer pour l'adrénaline, parfois.
16:34C'est monstrueux, les discours qu'ont ces enfants
16:36sur pourquoi ils ont fait.
16:38Jérôme Durand ?
16:39Sur ce que vient de dire Clotilde Chaperache,
16:41il y a un aspect très important sur ce qui nous a amenés
16:45à nous intéresser collectivement au narcotrafic.
16:48Et il est très vrai que, quand on regarde ce que publie l'OFDT,
16:52l'Observateur français des drogues et toxicomanie,
16:54dans son analyse des drogues, le coût social des drogues,
16:59le tabac, c'est plus de 100 milliards de coûts sociaux,
17:03l'alcool, c'est plus de 100 milliards.
17:06Pour ces deux drogues, là, légales,
17:09c'est des dizaines de milliers de morts.
17:11Les drogues, les stupéfiants,
17:14c'était, en 2019, 1 200 morts et 7 milliards.
17:17Donc, s'il n'y avait pas la criminalité,
17:19c'était pas un sujet central.
17:21Donc, on y arrivait par la criminalité.
17:23Et deuxième remarque, sur la responsabilité des politiques,
17:25je pense à un témoignage qu'on a eu dans une réunion
17:28dont je tairai le lieu, où une maire d'une petite commune
17:32nous a dit, moi, j'ai envoyé mon employé municipal
17:36pour nettoyer les murs, supprimer les canapés,
17:39pour éviter le point de ville, petite commune,
17:41en milieu rural, et puis, finalement, j'ai baissé les bras,
17:45et puis, je les laisse faire, parce que c'est mieux.
17:47Et dans une réunion publique, où elle avoue,
17:50et là, il n'y a pas de collusion, il n'y a pas de corruption,
17:52il y a simplement une espèce de fatalisme
17:55et d'impuissance à régler le sujet.
17:57Mais le phénomène est quand même national,
17:59et plein de choses ont été faites.
18:00Je voudrais rappeler, quand même, en quelques secondes,
18:01tout ce qui a été fait contre le narcotrafic en France.
18:04Il y a eu un plan antistupéfiant 2019-2024.
18:07La Cour des comptes en a même dressé un bilan,
18:09mitigé, il faut bien le dire.
18:11Trois points précis, la stratégie du harcèlement
18:14des points de ville, ça a marché, nous dit la Cour des comptes,
18:16mais à court terme.
18:17La lutte anti-blanchiment,
18:19qui a manqué d'enquêteurs spécialisés.
18:21Le nombre de cyber-enquêteurs qui reste faible,
18:23au vu des 37 % d'achats qui se font via Internet
18:26et les réseaux sociaux.
18:27Et puis, fin 2023, il y a eu quand même
18:29ces très médiatiques opérations place nette
18:31menées effectivement dans plusieurs villes de France,
18:33et évidemment pas qu'à Marseille.
18:35Vincent Gauthrono, l'État ne fait pas rien face au phénomène.
18:39Non, on ne peut absolument pas dire que l'État ne fait rien.
18:42Après, est-ce que l'État fait bien ?
18:44Là, ça pose plus de questions.
18:46Effectivement, vous avez raison, il ne faut pas parler que de Marseille,
18:49mais Marseille a un cas assez emblématique.
18:51Il y a eu des opérations place nette
18:54qui ont été lancées à Marseille,
18:55notamment avant la venue du président Macron.
18:59À ce moment-là, nous, on était dans l'écriture,
19:00et c'était assez drôle, parce qu'on voyait...
19:02Donc, on était dans plusieurs boucles Telegram,
19:04et on voyait certains réseaux, dont la Castellane, me semble-t-il,
19:07dire... Le Castellas, pardon, dire...
19:09Désolé, aujourd'hui, on est fermé, il y a des polichés partout,
19:11mais revenez demain, il n'y a pas de souci, on sera ouverts.
19:15Donc, c'est bien de montrer les muscles,
19:18de montrer des moyens, mais je pense qu'effectivement,
19:21il y a une notion aussi de bien faire les choses.
19:25Typiquement, vous le disiez, sur le blanchiment,
19:29on parle de créer un parquet national.
19:31Je pense que ce n'est pas forcément une mauvaise idée,
19:33mais ça dépend des moyens qu'on donne.
19:35Les magistrats et les policiers, aujourd'hui,
19:37ils savent lutter contre le blanchiment.
19:38Ils ont les méthodes. Le problème, c'est de leur donner
19:40les moyens de le faire, en fait, de leur donner...
19:44Et pas des moyens législatifs, des moyens humains pour le faire.
19:46Oui, parce qu'on a du mal à savoir par où prendre le problème.
19:48Je lisais que la lutte contre le narcotrafic en France
19:51coûtait à l'État 1,8 milliard d'euros.
19:54C'est ça ? C'est le bon chiffre ?
19:55Ça doit être le bon chiffre.
19:57Après, justement, quand on fait une opération place nette,
19:59on mobilise un nombre extrêmement important de forces de l'ordre
20:03pour une opération qui, finalement, a un impact très limité dans le temps,
20:07avec un nombre de saisies de stupéfiants et d'armes
20:09qui est très limité.
20:11Le même déploiement sur un port,
20:13on capterait beaucoup plus de drogue, mais on ne le fait pas.
20:17Donc, il y a une vraie problématique sur l'emploi des moyens.
20:21Et puis, encore une fois, les opérations place nette,
20:24c'est du court terme une action
20:27qui vise à rétablir l'ordre public,
20:30mais pas véritablement à interrompre le trafic de stupéfiants.
20:34Ce qu'il faut, c'est une police judiciaire
20:36avec beaucoup d'hommes qui arrivent à recruter,
20:39ce qui n'est pas le cas actuellement, il y a des postes non pourvus,
20:41parce que personne ne veut y aller.
20:43Ça paraît rébarbatif, c'est compliqué, effectivement,
20:46c'est du long terme et dans l'ombre.
20:49Et ce qu'on va valoriser, c'est l'action, le coup de poing
20:53dans un quartier, mais qui, en réalité,
20:55ne produit pas de moyens longs termes.
20:57Venons-en à ce que vous proposez, Jérôme Durin,
20:59puisqu'il y a cette proposition de loi votée au Sénat.
21:0124 articles, c'est ça.
21:03On ne va pas développer les 24, mais quand même quelques-uns.
21:05Création d'un parquet national anticriminalité organisée,
21:09refonte du statut de repenti, un DEA à la française,
21:12vous nous expliquerez ce que c'est,
21:14une confiscation des biens rendus obligatoires
21:16et création d'un dossier coffre.
21:18Pouvez-vous nous développer quelques-unes de ces mesures ?
21:20Et pourquoi celle-ci ?
21:21Peut-être parler de la philosophie du texte.
21:23Le constat de la commission d'enquête,
21:26c'est qu'on peut taper dans la fourmilière, place nette.
21:29On donne un coup de pied, quelques gamins,
21:34des petits caïds, éventuellement, un peu de produits,
21:38presque jamais d'argent, quelques armes, voilà.
21:41Pendant ce temps-là, à Dubaï,
21:43les patrons des réseaux, ils sont tranquilles.
21:46Et leurs avoirs criminels quasi illimités
21:49leur permettent de continuer le trafic.
21:52Donc il faut taper en haut, à la tête des réseaux,
21:56les prendre à la gorge et saisir leurs avoirs criminels.
21:58Sauf que le narcotrafic, c'est un contentieux de masse
22:02et qu'il faut s'occuper de tous les gamins,
22:04de tous les homicides, de toutes les saisies, de l'ordinaire.
22:07Et une fois qu'on a fait ça, on n'a plus d'effectifs
22:09pour faire les enquêtes au long cours,
22:11qui sont ingrates, qui sont longues, qui sont arides,
22:13avec une police judiciaire qui est un peu en panne
22:16parce qu'elle manque d'attractivité.
22:17Donc il faut à la fois une nouvelle organisation,
22:19c'est ce que propose le texte, avec le parquet national,
22:21et puis une coordination des forces.
22:22On ne se parle pas assez.
22:23Les administrations ne se parlent pas assez.
22:25Et donc l'idée de la DEA, la française,
22:27sur le modèle de l'agence américaine,
22:28c'est un peu bling-bling, un peu clinquant,
22:30et finalement, ça sera un État-major, peu importe.
22:33L'idée, c'est qu'il faut les mettre dans une même pièce
22:34pour qu'ils travaillent ensemble.
22:36Et ils ne travaillent pas ensemble pour ne pas travailler ensemble.
22:37Parce qu'on est dans une administration
22:40qui a besoin de faire des bâtons en bas de colonne,
22:41en disant, moi, j'ai fait ça.
22:42Donc ils veulent garder leurs affaires pour eux.
22:44C'est pas naturel de travailler collectivement.
22:46Il faut dépasser ça.
22:47Il faut dépasser ça, donc il faut les forcer à ça.
22:49Et j'espère qu'on y arrivera à la fin.
22:51Et puis, il faut une boîte à outils.
22:52Vous avez parlé des repentis.
22:53On a quand même des mesures nouvelles sur le blanchiment,
22:55sur la corruption, sur le gel des avoirs,
22:57sur la fermeture, par exemple, des commerces éphémères
23:00qui servent à blanchir les faux kebabs,
23:03les fausses ongleries, les fausses barras chichas
23:06qui pululent dans les quartiers.
23:07Donc il y a l'organisation et la boîte à outils.
23:10Maintenant, il faut que ça aille au bout.
23:11Et puis, effectivement,
23:13ça ne dispense pas d'avoir des moyens
23:14pour que les tribunaux ne soient pas engorgés,
23:16pour que les prisons ne soient pas décocottes minutes
23:18et pour que les policiers aient le temps
23:19de faire les enquêtes les plus longues et les plus dures.
23:21Michel Gandilon, Gérald Darmanin a dit
23:23qu'un parquet national anticriminalité organisé,
23:26c'était un pas décisif.
23:27Je ne sais pas si c'est un pas décisif
23:29parce que le grand problème en France,
23:31si on regarde sur le papier avant la création du PNACO,
23:36si on regarde sur le papier l'architecture,
23:38on a les lois réprimant le trafic de supéfiants,
23:41en bande organisée, les plus sévères probablement d'Europe.
23:45On avait la création, en 2004, d'Egirs.
23:48En 92, la possibilité de juger, par le biais de cours spéciaux,
23:52le trafic de supéfiants en bande organisée
23:55et la création d'Egirs,
23:56qui était autant de petits parquets à l'échelle régionale.
24:00Mais le problème, c'est qu'on n'a pas donné
24:02à tous ces dispositifs les moyens de fonctionner.
24:05Ils n'ont pas les moyens d'aller au bout des enquêtes,
24:08notamment sur les questions de blanchiment.
24:10On a été obligés de libérer des détenus impliqués
24:14dans des graves affaires de crimes organisés
24:16pour des questions d'audiencement,
24:17c'est-à-dire qu'on ne les jugeait pas assez rapidement.
24:20Donc, il y a un problème de renforcement de l'existant.
24:24Et ce pauvre PNACO, s'il a les mêmes moyens que la Junalco,
24:28il n'ira pas beaucoup plus loin que ses prédécesseurs.
24:30Attention au sigle, PNACO.
24:32Parquet national contre le crime organisé.
24:35Clotilde Champarage.
24:36Ce qu'il faut dire aussi, c'est que ça fonctionnera
24:39si, en France, on change de regard sur le problème,
24:41c'est-à-dire qu'on résonne en organisation criminelle.
24:45Là, on est sur le narcotrafic,
24:47donc on va penser à un marché, on l'isole,
24:49comme s'il n'était pas connecté au reste.
24:52Il y a le trafic d'armes qui est connecté au trafic de stupéfiants.
24:54Il y a la criminalité forcée.
24:56Quand on emploie des gamins mineurs,
24:59ce ne sont pas des personnes consentantes,
25:01c'est du travail forcé dans l'illégalité.
25:06Il y a aussi la question de la prostitution
25:09qui se greffe là-dessus.
25:10Les prostituées, on les drogue
25:12pour qu'elles arrivent à subir ce qu'elles subissent.
25:14Donc, on a des connexions, on a plein de marchés illégaux
25:17et on a des organisations criminelles
25:19qui, à 70 %, en Europe, sont multiactivités.
25:22Donc, si on les frappe que sur le trafic de stupéfiants,
25:25on les embête, mais ça ne les fait pas tomber pour autant.
25:29Donc, il y a un travail de changement de mentalité sur le sujet.
25:32C'est pour ça aussi qu'au départ, la proposition,
25:35c'était un parquet national anti-stupéfiants
25:37et que c'est très bien que ça soit devenu
25:38un parquet national anti-criminalité organisée.
25:41Mais il faut aussi qu'au niveau des enquêtes,
25:43on pense crime organisé
25:45et non pas des mis en cause qui sont pris individuellement.
25:49Il faut essayer d'identifier ce qui fait partie d'organisation,
25:52quel type d'organisation, des réseaux.
25:54Et puis, toute cette frange qui est instrumentalisée...
25:57En réalité, quand on interpelle des gens,
26:00c'est la frange qu'on interpelle.
26:01Et ça, ça rendra utile le statut de collaborateur de justice,
26:05qui, pour l'instant, à mon avis, ne fonctionnera pas en France
26:09parce qu'une petite main ou quelqu'un qui est externalisé
26:12par l'organisation criminelle, on l'arrête,
26:15il n'a strictement rien à dire.
26:16Donc, on peut lui proposer le régime le plus arrangeant qu'il soit,
26:19il n'a rien d'utile à dire pour la justice.
26:21Vous voulez rajouter un mot ?
26:22Non, c'est très important, ce que vient de dire Clotilde Champérage,
26:25parce qu'il n'y a pas que le trafic de cités.
26:27Moi, j'ai beaucoup travaillé sur les trafics d'héroïnes,
26:29l'héroïne est une substance qui continue d'être beaucoup consommée
26:32dans la société française.
26:34On a fait des saisis-records ces dernières années.
26:36On a vu ces dernières années la mafia albanaise
26:39quitter la Suisse pour s'implanter en Savoie, en Haute-Savoie,
26:43et dans toute la région, pour prendre, en quelque sorte,
26:46le monopole du marché de l'héroïne.
26:49Et on voit que les magistrats, face à ces dealers albanais,
26:52ne sont pas assez formés, ne résonnent pas
26:53en termes de crimes organisés.
26:55Ils ont affaire, on arrête des dealers
26:57qui font de la livraison à domicile,
26:59qui sont de pauvres herbes, apparemment.
27:02On ne les relie pas à des réseaux, effectivement,
27:05liés à des réseaux mafia
27:07et à une criminalité organisée particulièrement féroce.
27:10Les peines qui leur sont données ces 2-3 ans
27:12avec des OQTF qui ne sont pas exécutées,
27:14alors qu'il faudrait raisonner en termes de crimes organisés.
27:18Et ça suppose aussi une formation des magistrats
27:21adaptée à ces questions.
27:23Aller au-delà de la personnalité de la personne qu'on arrête
27:27et raisonner en termes de réseaux.
27:29C'est systémique, ce qui vient d'être dit,
27:31et très juste, et du coup,
27:33c'est notre objectif politique avec le texte,
27:36c'est-à-dire avoir une vision globale des choses.
27:40Le narcotrafic, c'est une infraction mère,
27:43une infraction matrice qui détermine en cascade
27:45toute une série, ou s'il s'inscrit dans un continuum criminel,
27:48avec toute une série d'autres crimes.
27:51Le blanchiment, la corruption, la traite d'êtres humains...
27:53Et le consommateur, on n'en a pas parlé, et puis c'est...
27:57La poule et l'œuf.
27:58Oui, le consommateur qui est en train d'être un peu responsabilisé,
28:01on l'entend dans le message public, notamment de Bruno Retailleau.
28:03Moi, je ne suis pas choqué qu'on responsabilise le consommateur,
28:05mais c'est quand même plus facile de responsabiliser le consommateur
28:08quand il y a un marché légal, quand il n'y a pas de...
28:10Il y a une consommation qui existe, donc ça, c'est un fait.
28:13Elle existe. Criminaliser la consommation,
28:16ça me paraît vraiment, au mieux, maladroit,
28:20parce qu'il y a des gens qui sont malades,
28:22et donc il faut punir les criminels, s'attaquer aux criminels,
28:26mais il faut accompagner et soigner ceux qui consomment.
28:30Il y a aussi peut-être une consommation récréative.
28:32Oui, ceux qui consomment le cannabis ne sont pas forcément des gens malades.
28:34Mais on ne peut pas lutter de la même façon,
28:36contre tout le monde, avec les mêmes outils,
28:37parce que ce n'est pas les mêmes publics.
28:39Mais ça fait partie de la chaîne.
28:40Oui, ça fait partie de la chaîne, mais il y a aussi une logique d'offre.
28:43Quand on voit que la quantité de produits qui arrivent en France,
28:47en Europe et partout dans le monde, continue d'augmenter,
28:50il y a une logique d'offre et de saturation du marché,
28:52ce qui explique d'ailleurs en partie la criminalité.
28:54On voit que c'est un sujet sur lequel il y a plein de propositions
28:56et peut-être même des slogans.
28:57Je pense aussi à cette prison de très haute sécurité
29:00pour les 100 plus gros narcotrafiquants.
29:01C'est une proposition qui vient de Gérald Darmanin.
29:03C'est en contre nous.
29:04Il y a une surenchère aussi dans les propositions.
29:07En fait, ce qui est amusant, ce n'est pas le bon mot,
29:10mais étonnant dans cette proposition de prison de haute sécurité,
29:14c'est qu'en fait, le but de cette prison de haute sécurité,
29:16c'est juste de faire respecter les règles
29:19de toutes les autres prisons en France.
29:21En fait, on veut mettre les 100 plus gros narcotrafiquants
29:26de France dans la même prison. Pourquoi ?
29:27Pour qu'ils n'aient pas de téléphone.
29:28Il faut quand même rappeler que le téléphone,
29:29c'est interdit en prison.
29:31Et pour qu'ils ne puissent pas diriger leurs activités criminelles
29:33depuis la prison, ce qui est quand même, à la base,
29:34le but de la prison aussi, de couper un criminel
29:38de ses activités criminelles.
29:39Donc, on en revient aussi à une question de moyens.
29:42Si les prisons, depuis des années, n'avaient pas été laissées,
29:46entre guillemets, à l'abandon, j'exagère peut-être un peu
29:48avec le terme, mais si les prisons étaient traitées en France
29:51comme elles devaient être traitées depuis des années,
29:53il n'y aurait pas de difficultés.
29:55Typiquement, je crois, ne pas me tromper,
29:57en disant que, normalement, la norme en prison,
30:00aujourd'hui, c'est l'encellulement individuel.
30:02On est tous d'accord, c'est absolument pas respecté en France.
30:04C'est peut-être plus facile de contrôler un détenu seul
30:07dans sa cellule pour savoir s'il a un téléphone portable,
30:09parce que ça va être plus facile de savoir qui parle,
30:11si on respecte les règles.
30:12Donc, il y a beaucoup de choses comme ça qui arrivent,
30:15on a l'impression, un peu comme un pansement
30:18pour régler un problème...
30:20Qui est beaucoup plus global.
30:21Qui est beaucoup plus global et surtout qui aurait...
30:23C'est pas qui aurait dû être réglé,
30:24mais en tout cas, qui pourrait être réglé
30:27simplement en faisant appliquer les règles.
30:28Regardez, vous parlez du consommateur.
30:30Qu'est-ce qui est le plus traumatisant
30:32pour un consommateur de cannabis ?
30:33C'est de prendre une amende dans la rue
30:35ou de finir devant le tribunal correctionnel,
30:37comme le préconise la loi.
30:38Et finalement, sous prétexte de durcir la lutte
30:42contre le trafic de stupéfiants,
30:43on donne aux consommateurs des peines moins lourdes,
30:47parce que le consommateur, il préfère prendre
30:49une amende qui va régler, s'il la règle,
30:51que de finir devant le tribunal correctionnel,
30:53ce qui, pour certains, peut être un petit peu traumatisant.
30:55Donc, finalement, on dit qu'on veut lutter
30:58en tapant plus fort, mais parfois,
31:00on abaisse aussi les peines, même si l'amende
31:03était soi-disant la solution à tout.
31:06Élevé. On arrive à la fin de cet échange,
31:08donc peut-être que je vais vous demander à vous
31:09de conclure sur un sujet, peut-être,
31:10qui vous a tenu à cœur au cours de ce débat.
31:12Moi, je voudrais revenir sur la question du consommateur,
31:14parce que c'est le grand oublié.
31:16C'est pourtant l'origine de la prohibition.
31:19Donc, pour vous, ce n'est pas accessoire.
31:20Non, ce n'est pas accessoire et je suis assez atterrée
31:22par le clip qui a été fait pour culpabiliser les consommateurs.
31:26Ce n'est pas la solution.
31:27En plus, c'est du détournement de l'argent confisqué
31:30aux criminels qui a servi à financer ce clip.
31:33Et si on s'inspire de la logique italienne,
31:36puisque c'est souvent le modèle qui est pris,
31:38ce qui est fait, c'est de réutiliser les avoirs confisqués
31:41dans une visée positive.
31:43Là, on n'est pas dans le positif.
31:44La culpabilisation ne touche pas la personne
31:46qui est victime, déjà, de l'addiction.
31:48Elle n'entend pas ce discours-là, elle ne peut pas l'entendre.
31:51Et d'autre part, le consommateur, actuellement,
31:54via les réseaux sociaux, fait l'objet de campagnes
31:57de promotion, de harcèlement pour consommer toujours plus.
32:00Donc, ce n'est pas la demande qui a créé l'offre.
32:03Là, on a basculé dans une offre qui crée de la demande.
32:07Le fait qu'on soit passé sur les réseaux sociaux
32:09avec livraison à domicile, ça change tout pour un consommateur.
32:12Vous en aviez qui était arrêté par le fait
32:14d'aller sur le point de deal.
32:15Ceux-là, ils basculent.
32:17On les harcèle par des SMS en leur disant
32:19qu'il y a un nouvel arrivage, on fait des prix, offre fidélité.
32:22Alors que c'est un produit qui est addictif,
32:24encore une fois, à la base, l'envie de consommer est déjà là.
32:27Et en plus, on vient vous chercher...
32:29On parle d'une ubérisation du trafic de drogue.
32:32C'est quand même un renversement dans la logique de consommation.
32:35Et pourquoi ne pas poser la question,
32:36pourquoi en France, on consomme autant de produits addictifs ?
32:39Et ça concerne des produits légaux, alcool, tabac, antidépresseurs.
32:43Et ça, c'est un vrai sujet de santé mentale
32:45qui n'est jamais abordé.
32:46Le ministre de la Santé n'a toujours pas parlé.
32:49Pour terminer sur un point positif sur les consommations,
32:51on s'aperçoit que chez les jeunes de 17 ans,
32:54les 15, 16, 17 ans, les consommations sont en baisse massive.
32:57Donc, pour l'avenir de la société française,
32:59c'est peut-être rassurant.
33:01C'est vrai que la question de l'usage de drogue
33:04et de son augmentation,
33:05c'est une sorte de continent un peu perdu.
33:08On ne sait pas trop quoi répondre.
33:09Et la réponse, effectivement, est insatisfaisante.
33:13Vous avez 5 millions d'usagers de cannabis dans l'année,
33:151 million de consommateurs de cocaïne,
33:17700 000 d'ecstasy,
33:18donc ça fait 6, 7 millions de personnes
33:20qui commencent des drogues illicites.
33:22Vous mettez en rapport les amendes forfaitaires,
33:25les 200 000 divisées par 7 millions,
33:28on voit que la réponse, on ne la connaît pas, en fait.
33:31En tout cas, elle est insuffisante,
33:33que ce soit la prévention, que ce soit la sanction.
33:38Mais si on a mis en place des amendes forfaitaires,
33:40c'est qu'à un moment, la loi de 70,
33:42qui prévoyait un an de prison et 3 750 euros d'amende,
33:45n'était plus du tout adaptée à la réalité d'un usage
33:48qui a beaucoup muté entre usage récréatif,
33:50hédoniste, addictif.
33:53Pour conclure, Jérôme Durand, puis Vincent Roux.
33:56Moi, je pense qu'il faut avoir à l'esprit
33:58quand même l'enjeu démocratique derrière cette question-là.
34:00Je pense que la démocratie,
34:04elle est attaquée directement par un narcotrafic
34:07et des organisations criminelles qui la rongent,
34:10qui la corrompent par la corruption, par la menace.
34:14Et puis, indirectement, ce que renvoient le reportage
34:18et ce que renvoient la situation,
34:19c'est quand même l'impuissance publique.
34:21La situation de la prison, parfois, quand je fais des interventions,
34:23j'hésite à dire, les prisons, ça ne marche pas,
34:25parce qu'on se dit, qu'est-ce qu'on renvoie aux citoyens ?
34:27Est-ce qu'ils en ont pour leur argent,
34:29en termes d'impôts et de droits à la sécurité ?
34:32Notre impuissance collective amène quand même
34:35une dégradation de la confiance dans les institutions.
34:37Et le sujet, le point de bascule où nous sommes, c'est celui-là.
34:41C'est-à-dire qu'il faut quand même que la République,
34:43notre capacité démocratique à lutter contre la criminalité,
34:47à ce que les gens soient aussi en bonne santé,
34:49on puisse la garantir, et pour l'instant, on n'y est pas.
34:52Ce sera le mot de la fin. Merci.
34:53Merci beaucoup à tous les quatre d'avoir participé à cet échange.
34:55Merci à vous de nous avoir suivis comme chaque semaine.
34:57On se retrouve la semaine prochaine.
34:58Débat et documentaire à retrouver
35:00en replay sur notre plateforme publicsena.fr.
35:02À très vite. Merci.

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