Jeremy Baneton, diplômé de philosophie à l’Université libre de Bruxelles, est un jeune intellectuel belge qui a fondé la plateforme de formation "Idéochoc".
Après un ouvrage sur Barrès, Jeremy Baneton évoque dans "Pierre Drieu La Rochelle, le rêve ou l’action", la figure controversée d’un des plus grands écrivains de la première moitié du XXème siècle. Drieu est un auteur qui ne se laisse pas aisément définir. L’homme a en effet collectionné les étiquettes les plus contradictoires : nietzschéen, surréaliste, révolutionnaire, radical, réactionnaire, socialiste, nationaliste, européaniste, pacifiste, fasciste etc. Sa vie et son œuvre épousent les convulsions de son siècle et en sont le reflet. Ecrivain maudit, écrivain proscrit, Drieu La Rochelle revient au premier plan grâce à son œuvre qui dévoile un penseur éminemment visionnaire pour qui l’Europe seule pouvait sauver la France.
Drieu La Rochelle aura été comme son siècle : tumultueux, débordant et excessif. Et plein de contradictions.
Après un ouvrage sur Barrès, Jeremy Baneton évoque dans "Pierre Drieu La Rochelle, le rêve ou l’action", la figure controversée d’un des plus grands écrivains de la première moitié du XXème siècle. Drieu est un auteur qui ne se laisse pas aisément définir. L’homme a en effet collectionné les étiquettes les plus contradictoires : nietzschéen, surréaliste, révolutionnaire, radical, réactionnaire, socialiste, nationaliste, européaniste, pacifiste, fasciste etc. Sa vie et son œuvre épousent les convulsions de son siècle et en sont le reflet. Ecrivain maudit, écrivain proscrit, Drieu La Rochelle revient au premier plan grâce à son œuvre qui dévoile un penseur éminemment visionnaire pour qui l’Europe seule pouvait sauver la France.
Drieu La Rochelle aura été comme son siècle : tumultueux, débordant et excessif. Et plein de contradictions.
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00:00C'est toujours un plaisir de recevoir ce jeune intellectuel belge diplômé en philosophie
00:09de l'Université libre de Bruxelles.
00:11Il a fondé la plateforme de formation idéo-choc que je vous invite à découvrir et je le
00:16reçois pour un pierre-drieu, la rochelle, le rêve ou l'action, Jérémy Banneton.
00:21Bonjour.
00:22Bonjour.
00:23Merci d'être présent pour présenter cet ouvrage édité aux éditions de la nouvelle
00:27librairie est en vente sur la boutique de TVL, sur le site TVL.fr.
00:32Je me suis posé la question pourquoi Drieu, la rochelle, après Barrès ? Car vous étiez
00:37venu l'an passé nous présenter un ouvrage sur Barrès à l'occasion d'ailleurs du
00:41centenaire de sa mort.
00:42Et là, on se retrouve sur une évocation donc de l'écrivain Pierre Drieu, la rochelle.
00:46Et de prime abord, je me suis dit, il veut faire ressurgir l'œuvre d'écrivains qui
00:50sont proscrits.
00:51Et puis après, à l'évidence, tout comme Barrès, je me suis dit, Drieu a choisi le
00:56camp de la jeunesse, c'est encore le vôtre, car elle est synonyme pour lui de création
01:01et d'originalité.
01:02Quelle est la réalité entre ces deux propositions que je vous fais ?
01:05C'est vrai que j'ai un intérêt pour les écrivains un peu proscrits par intérêts
01:08historiques et intérêts intellectuels parce qu'on ne les connaît pas.
01:11Drieu est un des plus grands auteurs à mon avis du début du XXe donc forcément est
01:14à connaître, ne plus que pour culture générale ou pour l'histoire de la littérature.
01:18Mais c'est évidemment et surtout pour ce côté professeur d'énergie justement qu'on
01:23retrouve chez Drieu.
01:24Drieu est passionné par la vie, il a été Nietzschéen, convaincu dans sa jeunesse dès
01:2914 ans je crois.
01:30Et toute son œuvre irradie d'un certain goût pour cette énergie, pour une fascination
01:35pour le sport, pour les grandes épopées, les grandes aventures.
01:38Et malgré sa critique de la décanance, malgré aussi une certaine mélancolie qui est parfois
01:47présente dans son œuvre, on retrouve chez lui une exaltation qui en tant que jeune me
01:51plaît beaucoup et à laquelle je m'attache particulièrement et que j'ai envie de continuer
01:55à partager.
01:56Il naît en janvier 1893, il va mourir en mars 45, on verra dans quelles conditions.
02:00Mais il sera toujours, dites-vous, un éternel jeune homme.
02:04Oui, parce qu'au fond, Drieu, pour plusieurs raisons, Drieu s'est toujours émerveillé
02:09pour différentes idées.
02:10Il a changé souvent d'avis et ce qui prouve qu'il ne s'est pas sclérosé.
02:14Pour moi c'est une des qualités principales de la jeunesse, on cherche sans cesse des
02:17réponses à des questions et on les évoque profondément, qu'importe les risques, parfois
02:21de manière un peu inconsciente.
02:22Et on retrouve ça, on retrouve vraiment ça chez Drieu, en soi, quand on regarde son
02:27œuvre et sa vie.
02:28On pourrait faire plusieurs films sur chacun des chapitres de son existence.
02:32Il a été jeune homme à la guerre, en première guerre mondiale, il a été ensuite avec les
02:36surréalistes, flirter avec les communistes, puis il est parti avec les radicaux et son
02:41ami Gaston Bergerie, puis il se convertit au fascisme, puis il devient très critique
02:44du fascisme à la fin de la guerre, puis il y retourne, puis il en ressort, puis il
02:47finit par dire des mots assez doux à Staline.
02:50Donc il y a quelque chose de ça intéressant dans cette profondeur de vie qui explore plein
02:54de dimensions et qui respire en fait de la jeunesse.
02:56C'est difficile pour le biographe, et en moins d'une centaine de pages, de définir
03:01Drieu, parce qu'il est vraiment très difficile de le définir.
03:05Alors dès la première page, d'ailleurs, vous avez cette image, Drieu a été, comme
03:09son siècle, tumultueux, débordant et excessif.
03:13Et j'ai trouvé que la définition était parfaite, comme son siècle, il est totalement
03:16de son siècle.
03:17Totalement, c'est pour ça, en fait, il y a quelque chose de particulier dans l'œuvre
03:21de Drieu, à chaque fois qu'on la lit, qu'on l'aborde, il y a un mélange de fiction,
03:25d'autobiographie, et de prophétisme aussi, de prophétie, parce qu'on retrouve chez
03:30lui des éléments assez prophétiques, et en même temps il y a toujours sa personnalité
03:33qui s'y mélange.
03:34Il m'a beaucoup fait penser à Nietzsche, à cette phrase où Nietzsche dit « écris
03:38avec ton sang », et Drieu lui-même a écrit avec son sang, il a été à l'image de
03:42son siècle, et il s'en est fait l'écho, on a senti son époque qui s'est répercutée
03:45dans son œuvre, d'où le fait qu'il ait changé d'avis constamment, et qu'on ne
03:48peut jamais mettre Drieu dans une case comme le XXe siècle, on ne peut jamais le mettre
03:52dans une case, il y a eu tout un tas de mouvements qui l'ont essemé, que ce soit la révolution
03:56communiste, la révolution fasciste, l'entre-deux-guerres, avec les années folles, et Drieu en a vraiment
04:01été l'écho interne, lui-même a été décadent comme son époque, avec la dérégulation
04:05des mœurs sexuelles de l'entre-deux-guerres, lui-même a été enthousiasmé par les mouvements
04:10totalitaires, communistes ou fascistes, et lui-même a cherché surtout, je crois, et
04:15c'est peut-être le plus important dans son œuvre, même si on n'en a pas l'impression
04:18au premier abord, cette clé de la création, cette clé de la renaissance artistique et
04:22culturelle, qu'il appelait Deux C'est Vœux, et qu'on sent partout dans ses essais, cette
04:28recherche de la vitalité, comme nous disions au début.
04:30On va dire que c'est un éternel jeune homme, à 21 ans, quand il a 21 ans qu'il est un
04:35jeune homme, eh bien il est aussi un héros, parce qu'éclate bien évidemment la première
04:40guerre mondiale, il va être mobilisé dès le début de la guerre, il va être d'ailleurs
04:43blessé à trois reprises lors des combats, il s'inspirera de son expérience pour écrire
04:49un très beau recueil qui est la Comédie de Charleroi.
04:51Pour votre part, vous insistez sur le fait que la guerre, ça va être la matrice de
04:55son œuvre, quelque chose qui le marquera suffisamment pour qu'on retrouve cette notion-là à travers
05:00toute son œuvre.
05:01Tout à fait.
05:02Alors, il y a plusieurs choses qui viennent de la guerre.
05:03Il y a son goût des chefs, évidemment, qui est important, et son goût de cet esprit
05:07un peu autoritaire et totalitaire qu'il retrouve d'ailleurs plus tard chez les surréalistes
05:12avec Breton ou chez Doriot, etc.
05:14Et il y a surtout, et c'est peut-être le plus important, cette ambivalence qu'il crie
05:20dans ses poèmes Interrogation et Front de Cantine sur la paix, l'importance de la paix
05:24parce qu'il voit que la guerre moderne est quand même quelque chose de terrible, mais
05:26en même temps cette importance des vertus viriles qu'il retrouve dans la dimension
05:30du sport.
05:31Et c'est surtout cette matrice qu'il essaie de recréer entre vie spirituelle et vie culturelle.
05:37Il y a des mots assez durs sur le rationalisme occidental et le fait que l'Europe a fait
05:42divorcer le corps et l'esprit.
05:43Et je crois que la guerre lui fait vraiment comprendre qu'en fait, il faut mettre les
05:45deux ensemble, avec cette grande question qu'il jette, et qu'il jette dans toute
05:48son œuvre, c'est comment faire en sorte que la paix soit, elle aussi, un défi jeté
05:53à l'homme et pas simplement un écrasement qu'on pourrait avoir sur soi en se disant
05:57on a gagné, c'est tant mieux, etc.
05:58Non, comment est-ce qu'on va faire pour maintenir un certain niveau d'exigence et d'élégance
06:02vis-à-vis de soi-même ?
06:03Donc, il y a vraiment cette question de l'insatisfait, parce que Doriot est un profond insatisfait,
06:07qui découvre une forme d'absolu politique, d'absolu de la vie, et qui, grâce à la
06:12guerre, essaiera sans cesse dans son œuvre de la remettre au goût du jour.
06:16Du cas où la guerre va renaître dans l'esprit de Driul, le retour à une métaphysique saine
06:21de la vie, orientée, vous l'avez dit, vers l'action du corps, de l'esprit aussi,
06:25et qui va permettre à la France, de son point de vue, de sortir de la décadence.
06:28Parce qu'il aura toujours guetté avec anxiété les signes du renouveau français et de l'Europe,
06:33toute l'Europe, conjurant son obsession de la décadence.
06:36Ça, c'est quand même ce qu'il écrit, on le voit par exemple dans un ouvrage comme
06:38« Mesure de la France ».
06:39Tout à fait.
06:40Alors, il y a cette interrogation fondamentale sur le rationalisme, en fait c'est une critique
06:45très forte que Doriot tire de Nietzsche, et qu'il appuie en disant qu'il faut vraiment
06:50quitter cette dualité de corps et de l'âme, qu'il faut revenir à une vie spirituelle.
06:54Alors, la vie spirituelle, c'est la vie totale, donc c'est la vie du corps et de l'esprit.
06:57Donc, dans ce côté très esthétique que Doriot a, où il est en recherche de la beauté,
07:01et la beauté c'est l'harmonie des facultés de l'homme, de sa tête, de son intelligence,
07:04mais aussi de son corps.
07:05C'est quelque chose de très grec, d'ailleurs, à ce niveau-là, on pourrait en discuter.
07:08Et il a ce goût, dans « Mesure de la France », donc de dénoncer la modernité et ses
07:12excès du rationalisme, notamment les Lumières, le XVIIIe siècle, etc., comme étant profondément
07:17négatifs et destructeurs pour l'homme.
07:18Ça a rompu la première loi de la vie qui est la loi de l'incarnation, donc du coup
07:22on a perdu la démographie, il n'y a plus de natalité, la France s'effondre sur elle-même.
07:25C'est un premier grand constat du déclin de la décadence.
07:28Et il y a aussi, et ça c'est assez intéressant, comme son siècle, comme d'autres auteurs
07:33comme Berdayev, Drieu a ce goût pour le Nouveau Moyen-Âge, et pour lui, le Moyen-Âge
07:37c'est la Nouvelle Renaissance, c'est-à-dire que c'est l'époque, dans son entièreté,
07:40sur le Moyen-Âge, mais c'est l'époque vraiment où on a une harmonie entre les facultés
07:44physiques et spirituelles de l'homme, où on crée des grands systèmes métaphysiques
07:48tout en ayant en même temps des beaux corps et où on sait jouir de la vie.
07:50Et il a vraiment cette recherche de la profondeur de l'existence, et c'est en ça d'ailleurs
07:54qu'il est profondément Nietzschéen, et il veut voir dans Nietzsche le prophète du XXe siècle.
07:59– La lutte contre la décadence pourrait passer par un engagement spirituel, religieux,
08:03c'est pas son cas, on peut dire que Drieu n'a pas de religion.
08:06– Non, il n'a jamais pu croire en Dieu, même si sa famille était profondément catholique,
08:11et je crois sans me tromper que sa mère l'a initiée au catholicisme,
08:15mais lui-même n'y a jamais cru, et sur le plan de la décadence, il est très paradoxal,
08:19parce qu'en fait, il s'identifie à la décadence de son pays,
08:22puisqu'il est lui-même profondément décadent, alors il y a ses histoires avec les femmes,
08:26ses femmes, ses épouses, puis ses maîtresses, puis les prostituées,
08:30trois catégories où il n'est pas très gentleman,
08:32où il a un certain goût presque boulimique pour la chair.
08:35– Il vit quelquefois au crochet de ses maîtresses.
08:37– Tout à fait, avec ce côté jeune homme entretenu qui se pense impuissant
08:40alors que lui-même ne cesse d'exalter la vie, c'est un rapport assez particulier.
08:44– Il verra ça un homme couvert de femmes, il l'écrira d'ailleurs.
08:47– Tout à fait, avec différents types féminins, une recherche de la femme absolue,
08:52puis un goût pour la chair et la prostitution, c'est assez particulier.
08:56– La prostitution dont il dit que ça permet de ne pas avoir de lien d'amitié
09:02ou de sentiment à l'égard des prostituées, donc ça lui convient parfaitement.
09:08– Tout à fait.
09:09– C'est encore très surprenant avec ses épouses dont il sera très loyal,
09:13y compris, on le verra dans d'autres moments du siècle qui va traverser,
09:19du demi-siècle qui va traverser, où il va se montrer très fidèle finalement,
09:22alors qu'il prêche le fait d'être un infidèle avéré.
09:27– Oui, fidèle et gouget à la fois, sa première femme, Colette Jérimèque,
09:30qui est juive, qui va avoir de gros problèmes à la seconde guerre mondiale,
09:33il la sauvera en bravant les dangers que ça impose, évidemment,
09:37et il restera d'ailleurs en contact avec elle pendant des années,
09:40puisqu'il y a une très belle correspondance d'ailleurs entre les deux,
09:42il noue des liens d'amitié avec ses épouses et ses femmes,
09:45alors qu'il est très gouget justement, et ça montre qu'il sait être décanant,
09:50mais qu'il sait aussi ce qu'est la bonne et la grande vie au sens plein du terme,
09:56et derrière ce rapport-là, on a l'impression qu'il a été presque brûlé par la vie moderne,
10:01il sait ses dangers, il sait ce que ça veut dire qu'être décadent,
10:05et en même temps, il sait regarder toujours vers au-delà,
10:07il y a un horizon devant lui, qu'il ne cherche…
10:10– Il est angoissé par le destin de la France,
10:11il s'est quand même angoissé par son propre destin,
10:14ça reste un dandy,
10:17et c'est quelqu'un qui traverse la littérature,
10:25mais qui traverse aussi le monde de la littérature,
10:27puisqu'il en a des responsabilités,
10:29et il est même décisionnaire sur d'autres écrivains qu'il fréquente,
10:34Malraux va dire par exemple que c'est un des êtres les plus nobles qu'il a rencontrés.
10:38– Oui, il est très ami avec Malraux,
10:40sur le monde littéraire dans lequel il avance,
10:43il y a d'abord l'épisode surréaliste et sa grande amitié avec Aragon,
10:45qui est essentiel pour comprendre la jeunesse de Sandor,
10:48récemment d'ailleurs ont été republiés les trois lettres aux surréalistes
10:52que Drive a écrites et qui signent son divorce,
10:55qui sont vraiment passionnantes à lire,
10:56on voit à quel point il aime la solitude,
10:59et il aime l'action intellectuelle au sens propre,
11:02et c'est pour ça d'ailleurs qu'il rejette les communistes,
11:04parce qu'il voit les surréalistes qui plongent vers le communisme,
11:06puis il fréquente tout le gratin qui tourne autour de ces mouvements-là,
11:12auquel il est introduit d'ailleurs par sa première femme, Colette Jérémé,
11:15et il y a évidemment son engagement à la NRF plus tard chez Gallimard,
11:20qui fera de lui ce qu'il est, donc un grand auteur en vue,
11:25et puis sa prise de responsabilité au début de la seconde guerre mondiale,
11:29dans les années 40, lorsqu'il prend vraiment en main cette revue,
11:31avec cette particularité, c'est qu'on l'a dit, collaborationniste,
11:34mais lui-même dans son œuvre et dans son journal se dit
11:38qu'en fait la reprise de la NRF pendant l'occupation,
11:42c'est le meilleur moyen de maintenir la présence française en Europe,
11:45avec son rêve un peu de balancement, on pourrait d'ailleurs parler de l'Europe,
11:50il est profondément amoureux de la France,
11:51et donc il veut que la France demeure,
11:53mais il veut qu'elle demeure à la hauteur de son époque,
11:56et donc dans un monde qui est plein de bouleversements, de totalitarismes,
12:00et donc il veut voir la France se réformer de l'intérieur, en fait, par ses propres forces.
12:04– Il y a un auteur qui a affirmé une priorité,
12:06je cite un poète égaré sous la pression des événements,
12:09et ses rêves politiques se sont évanouis en 1939,
12:12et alors pour expliquer son adhésion aux idées fascistes,
12:14vous dites, je vous cite,
12:16« il est un entre deux, il suit la gauche et la droite
12:18sans être vraiment ni de gauche ni de droite,
12:20il sait qu'une révolution doit être faite
12:22et est prêt à soutenir le premier groupe qui y sera prêt ».
12:25Est-ce que c'est suffisant pour expliquer un engagement
12:28qui est un engagement qui bien évidemment est un engagement qui compte
12:32et qui va l'amener à être proscrit pendant plusieurs décennies ?
12:37– Oui, jusqu'à il y a très récemment d'ailleurs,
12:39mais les engagements de Rieux sont des engagements particuliers,
12:43paradoxaux et pleins de brisures,
12:45il a été engagé d'abord du côté de la Société des Nations
12:47avec son ami Gaston Bergery,
12:49où il a vraiment défendu cette idée de l'Europe contre les patries,
12:53des États-Unis d'Europe,
12:54et en fait il l'a défendu avec la même, quelque part,
12:57avec les mêmes arguments qui l'amèneront au fascisme,
13:00c'est-à-dire avec cette envie de renouvellement de l'Europe de l'intérieur,
13:03cette envie d'alliance entre l'esprit et l'âme,
13:06cette envie de lutter contre le capitalisme et le communisme,
13:09et cette envie aussi de dépasser les nationalismes,
13:11parce que pour lui le nationalisme est une idée qui arrive à son essoufflement,
13:15et en fait, quelque part, c'était communisme ou fascisme pour Rieux,
13:20mais ça devait être un mouvement totalitaire qui refondait la société,
13:24et alors ce n'est pas pour ça qu'il y a une fascination du fascisme en tant que tel,
13:27d'ailleurs je crois que c'est quelque chose au fond assez esthétique,
13:29cette posture qu'il adopte,
13:31ses amis lui-même ne comprendront pas pourquoi en 1934
13:35ou en 1935 il se convertit publiquement au fascisme,
13:38et ça reste une énigme,
13:40mais qu'on comprend en la remplaçant justement dans l'axe de son œuvre,
13:44et cet axe qui est celle de la recherche de la qualité, du renouveau,
13:47et il voit en fait une possibilité de renouveau dans les mouvements fascistes,
13:51et il se dit voilà, peut-être que là il y aura un chef qui fera quelque chose de l'Europe.
13:55– Il veut dire que c'est plus un attachement à l'esthétique que à l'idéologie elle-même.
13:59– Ah oui, tout à fait, c'est pas du tout un partisan,
14:01d'ailleurs il aura des mots très durs, quand il écrira dans la presse d'occupation,
14:06je crois qu'il aura des mots très très durs sur la manière dont les Allemands gèrent la guerre,
14:11et la manière dont ils font la guerre,
14:13et en fait on voit que Dreyfus s'est laissé aveugler,
14:15comme d'ailleurs beaucoup d'écrivains français qui ont pris parti pour le fascisme,
14:20ils se sont laissés aveugler par l'idée d'Europe,
14:22ils ont cru que les Allemands allaient faire une grande Europe,
14:25quelque chose pour contrebalancer le poids des États-Unis, de la Russie et de la Chine,
14:29pour reprendre ce qu'il dit dans mesure de la France,
14:31et en fait il va découvrir, un peu peinot, que les Allemands sont restés très nationalistes,
14:36ils ont vraiment volonté de coloniser et d'envahir,
14:41et en l'occurrence, ce sera sa grande déception,
14:44il aura de cesse dans son journal que de critiquer cet attachement,
14:50mais en même temps c'est rieux, donc il reste plein de paradoxes et de doutes,
14:54donc il s'est engagé par souci et par volonté de voir quelque chose se passer presque,
15:01parce qu'il n'en pouvait plus d'attendre, pour reprendre le titre d'un des recueils d'articles,
15:05mais pas vraiment par choix idéologique,
15:08pas vraiment parce qu'il embrasse le corpus du fascisme,
15:11loin de là, il est toujours resté anticonformiste,
15:14et je crois que c'est pour ça qu'il est un éternel jeune homme,
15:17en fait il s'est posé beaucoup de questions,
15:19il a eu beaucoup de doutes par rapport au fascisme,
15:21il a vu un chef, il s'est dit, un chef parmi d'autres,
15:23celui-là a l'air un peu plus énergique, pourquoi pas,
15:25à la fin de la guerre, quand Hitler le déçoit,
15:28il se retourne vers un autre chef, il regarde Staline,
15:30en se disant, peut-être que c'est lui qui fera l'Europe,
15:32pour finir, mais quoi qu'il arrive, c'est sa grande...
15:34– Quelle est sa relation avec les écrivains patriotes, nationalistes,
15:37on l'appelle ça, Barès jusqu'en 1923,
15:40mais Drieu à moins de 30 ans, bien évidemment Maurras et beaucoup d'autres,
15:45quelle est la relation ?
15:47Une relation facile ?
15:49– Pas facile, non, pas facile du tout,
15:51avec Barès il a eu une relation particulière,
15:53parce qu'il l'admire quand il est jeune,
15:54et puis il appelle à un moment un brûlé, un homme libre,
15:56alors que c'est l'œuvre qu'il préfère de Barès,
15:59il est très critique du nationalisme,
16:01c'est son fameux recueil, l'Europe contre les patries,
16:04qu'il écrit en 1931, avec Maurras,
16:06c'est un rapport d'amour, haine, plus ou moins,
16:10en tout cas d'attacher, détacher,
16:12donc il est intéressé par ce qui se passe à l'action française,
16:14de nouveau parce qu'il voit un chef qui prend en main un mouvement,
16:17et en même temps il est tiraillé par la veine surréaliste,
16:21c'est plus ou moins de la même époque,
16:22où il est aussi attaché à la figure d'André Breton,
16:25parce qu'il voit un chef qui prend en main un groupe,
16:26et en fait on voit vraiment que ce qui intéresse Rieux,
16:28c'est ce côté, il faut un chef qui fasse quelque chose d'un groupe,
16:32pour faire en sorte qu'il y ait une vie intellectuelle,
16:34une vie culturelle française,
16:35qui recommence un nouveau Moyen-Âge,
16:38pour reprendre ce qu'il lit dans Notes pour comprendre le siècle,
16:41et par la suite avec les écrivains,
16:42même les écrivains fascistes, il est assez dénu au fond,
16:46je n'ai pas l'impression, ou je n'ai pas souvenir en tout cas,
16:49qu'ils disent du bien de Braziac dans son journal,
16:52je n'ai pas souvenir qu'ils disent du bien de Céline,
16:55je crois qu'il en dit de Monterland,
16:57parce que Monterland est un peu comme lui en fait,
16:59c'est-à-dire qu'il a ce goût pour le sport, pour la grande vie,
17:02et on comprend vraiment que son rapport aux auteurs,
17:05c'est un rapport très stendalien, c'est un rapport très complexe,
17:08et Rieux s'est vraiment installé au milieu de ce siècle,
17:10et il en a été prêt en fait à assumer toute la mauvaise conscience,
17:13et tous les débordements excessifs.
17:16– Son idée quand même c'est de détruire la démocratie,
17:20parce qu'elle considère que ça empêche le retour à l'autorité.
17:24– Oui, oui, d'une certaine manière quand même.
17:26– Donc il y a quand même un engagement idéologique,
17:28parce que là, tel que vous me le dites, Jérémy Vintore,
17:30je finis par voir un homme brinc-ballé dans son siècle,
17:34et qui est en recherche d'énergie, d'autorité,
17:36et qui se propulse dans l'ensemble des doctrines ou des idéologies.
17:40Non, il sait ce qu'il veut quand même.
17:43– Oui, il y a ce goût pour l'autorité.
17:45– Il veut une destruction pour un renouveau,
17:46et cette destruction, il la définit parfaitement.
17:47– Oui, tout à fait, il y a ce goût pour l'autorité,
17:49et pour le nouveau Moyen-Âge.
17:50Donc la destruction sera faite au nom de valeurs spirituelles
17:53qu'il retrouve dans un Moyen-Âge,
17:55alors je crois qu'il le dit à la fin de Gilles,
17:57qui retournera avec ce catholicisme et ce christianisme viril
18:00de nos ancêtres, et en effet, il y a un goût de l'autorité
18:03qui lui vient de la guerre et qui lui vient des chefs,
18:05parce qu'à ses yeux, seuls eux arriveront à redéfinir la société,
18:10et la manipuleront suffisamment pour pouvoir la renouveler.
18:15– Alors, il reste dans les esprits de quelques-uns,
18:18un trieu collaborationniste qui s'est rendu dans l'Allemagne nazie,
18:24avec d'autres intellectuels,
18:25d'avoir été en intelligence avec l'ennemi,
18:31il répondra d'ailleurs, c'était son intelligence
18:33donnée au service de l'ennemi, un antisémite aussi.
18:36Et c'est pourtant le même qui fera donc, vous l'avez dit,
18:39libérer sa femme, juive des griffes des nazis,
18:43et avec une certaine forme de courage,
18:46qu'il fera aussi libérer d'ailleurs ses amis, Malraux entre autres,
18:51et puis il finira par écrire, Hitler est un con,
18:53Hitler est vivant à ce moment-là, je précise,
18:55plus facile que de l'écrire en 2025.
18:59Pourquoi a-t-il collaboré ?
19:00– Je crois qu'il a collaboré parce que…
19:03– En naïveté ?
19:03– Peut-être un peu, parce qu'il a cru justement,
19:09que le fascisme, le fascisme allemand,
19:12allait réaliser son rêve d'une grande Europe,
19:14des États-Unis d'Europe, et il s'est trompé.
19:18Il s'est trompé, ce qu'il a vu,
19:21je crois, ce qui l'a séduit, c'est le côté esthétique aussi.
19:26Dreyau raconte, je crois, dans son journal,
19:29sa vraie conversion au fascisme, c'est 1935,
19:31quand il va en Allemagne et qu'il voit des jeunes Allemands
19:35qui font du sport et qui chantent.
19:37Et c'est assez intéressant de voir qu'il se convertit pour ça,
19:40parce que je crois qu'il aurait pu le trouver ailleurs,
19:41je crois qu'il aurait pu retrouver ça aussi dans une forme de communisme.
19:46Mais il collabore aussi pour une autre raison,
19:51et qui est assez intéressante,
19:52c'est que Dreyau aime profondément la France,
19:54il l'a toujours dit, c'est sa patrie,
19:56et c'est la patrie qu'il veut défendre.
19:58Il veut défendre l'identité française et la culture française,
20:00presque contre elle-même,
20:02et en l'occurrence, il espère que les Allemands
20:07vont permettre à la France de devenir, elle aussi,
20:09une patrie autoritaire, une patrie qui s'est ressourcée,
20:13et à ce titre, il se trompe,
20:15parce qu'il n'a pas vu que le fascisme allemand
20:17était resté en preune de nationalisme,
20:19alors que lui a cru qu'ils aideront
20:21à monter un parti fasciste français, c'était son espoir,
20:24et que ce parti-là permettrait ensuite
20:26de presque tutoyer l'Allemagne,
20:27d'une certaine manière,
20:29que l'Europe se reconstruise autour de ce couple,
20:31ou de deux coqs à se regarder face à face,
20:34parce qu'ils ont la même force, la même énergie.
20:36L'histoire lui a donné tort,
20:38et c'est probablement ce qui l'a amené
20:40à ses grandes déceptions,
20:41qui l'amèneront à son suicide.
20:44Mais voilà, on ne voit pas du tout Indrieux,
20:46du moins de mon point de vue,
20:47on ne voit pas du tout Indrieux
20:48qui collabore par amour de l'idéologie nazie
20:52ou de l'idéologie fasciste,
20:54on voit Indrieux qui collabore
20:55parce qu'il aime la France,
20:57et il veut maintenir une présence intellectuelle
20:59et culturelle française,
21:01en reprenant la NRF, la revue de Gallimard,
21:04et par rêve un peu naïf,
21:07de voir une grande Europe se former.
21:10Le suicide, il dira que c'est un ressort qui se rouille,
21:13cette image-là est importante,
21:15parce qu'il va tenter plusieurs fois de se suicider,
21:18il va y arriver en mars 45,
21:21et ce dandy suicidaire,
21:23on le retrouve dans un ouvrage,
21:25le Feu Follet,
21:27Indrieux avait une relation très complexe
21:29avec le suicide aussi,
21:30est-ce qu'on peut parler,
21:31dans le cas, pour son cas,
21:33d'un sentiment d'inadaptation au monde moderne,
21:36finalement, qui pousse à ça,
21:37tout simplement de la dépression,
21:39on est en mars 45,
21:41des échecs relationnels,
21:42il en a eu,
21:43la crainte d'être pris et jugé à la libération,
21:46cela compte aussi,
21:48le suicide est à plusieurs issues
21:52dans l'esprit d'Indrieux,
21:55quel est celui qu'on doit conserver le plus ?
21:57C'est une question compliquée,
22:00qui nous viendrait de vraiment extrapoler sur son oeuvre,
22:02parce que le suicide est partout présent,
22:04depuis les débuts,
22:06jusqu'à la fin,
22:08déjà quand il était à l'armée,
22:09à la première guerre mondiale,
22:10puis ensuite avec le Feu Follet qui est magnifique,
22:12dans son récit secret et son conflit,
22:14ça l'a toujours tenté,
22:15on sent en fait,
22:16dedans aussi l'écho du mal-être de son temps,
22:19le fait qu'il se sait,
22:19à mon avis,
22:20profondément décadent,
22:21et tout en ayant cette aspiration à vivre plus,
22:24et je crois que la clé de tout ça,
22:26c'est son insatisfaction profonde vis-à-vis de lui-même,
22:29et certainement ses échecs,
22:31et aussi très probablement,
22:34le fait qu'à la fin de la guerre,
22:35il est fatigué,
22:37il est malade,
22:37et il n'a certainement pas envie de devoir affronter
22:41ce qu'il sait,
22:43ce qu'il envisage déjà,
22:44en termes de manipulation ou de mensonges,
22:48il a envie de conserver son image de jeune homme,
22:50à mon avis,
22:52en bonne santé.
22:53Et puis la peur,
22:54la peur d'être jugé,
22:55d'être fusillé,
22:56ou ce qui était le cas un mois avant de Brasillac,
23:01il ne l'ignore pas,
23:01donc c'est aussi traqué et caché
23:04qu'il prend cette décision-là.
23:05Tout à fait, oui.
23:07La peur aussi,
23:08cette peur, c'est quelque chose,
23:10c'est important parce qu'en termes de décadence,
23:12on s'aperçoit que c'est quelqu'un qui prône l'autorité,
23:14les énergies, la force, etc.,
23:16et qui à ce moment-là,
23:18c'est aussi se montrer profondément humain,
23:20parce que, comme vous dites,
23:21il a peur et il y a une faiblesse,
23:24qui apparaît à ce moment-là.
23:27Et je crois qu'il n'est vraiment pas facile
23:29à expliquer de ce point de vue.
23:32Comme vous dites,
23:32il y a ses déboires amoureux,
23:36ses doutes politiques,
23:38ses échecs,
23:39et cette peur d'être jugé,
23:44parce que lui-même sait ce qui lui est en cours,
23:45en ayant collaboré,
23:46il sait que l'histoire va le juger.
23:48Il a été prêt à l'endurer,
23:52en partie.
23:54– Qu'est-ce qu'il nous reste de deux minutes,
23:56si les téléspectateurs connaissent mal Drieu La Rochelle,
23:59ils le connaissent plus grâce à vous,
24:00Jérémy Banneton, bien sûr.
24:01Quels sont les livres qu'on peut proposer ?
24:04On dit assez facilement, le livre, c'est Gilles,
24:07ce Gilles qui est inspiré du tableau de Watteau,
24:11qui est au Louvre et qui vient d'être restauré,
24:13donc autant faire de la publicité pour ce travail remarquable
24:17qui a été fait autour de ce tableau,
24:19que je vous invite à découvrir
24:21pour comprendre ce Gilles de Drieu La Rochelle.
24:23Est-ce que c'est celui-là que vous diriez ?
24:25– C'est une œuvre capitale
24:27parce qu'elle récapitule toute son œuvre,
24:29comme il le disait lui-même,
24:30et après, je crois que pour creuser aussi Drieu,
24:32pour voir comment il est et comment il pense,
24:35il faut passer par ses recueils de poèmes
24:36qui sont quand même très beaux,
24:37qui sont vraiment magnifiques,
24:38donc Interrogation et Fontecantine,
24:40son essai qui est le plus actuel,
24:42comme disait, j'ai oublié le nom maintenant,
24:44c'est Notes pour comprendre le siècle,
24:46qu'il a publié en 1942,
24:47qui est plein d'actualités,
24:49comme Mesures de la France en 1922,
24:51qui, à 100 ans d'intervalle,
24:53nous parlera, je crois, amplement,
24:56et en termes de romans, moi, j'ai une…
24:58– Je l'ai dit, les romans, ils ont été…
25:01– Ils ont tous été…
25:02– Il y en a un homme couvert de femmes,
25:04une femme à sa fenêtre, etc.,
25:05il se renaît, bien évidemment,
25:06dans ces rôles-là importants.
25:08– Je crois qu'en termes de romans,
25:10mon préféré et celui qui m'a toujours plu chez Drieu,
25:13c'était Edir Crasp,
25:14les mémoires qu'il écrit,
25:15qui sont inspirées de Van Gogh,
25:16où en fait, on voit toute sa douceur
25:18et toute sa personnalité qui se montre,
25:20ce goût pour le spirituel, pour l'éternel,
25:22qui est une question qu'il n'a jamais lâchée,
25:23en fait, cette recherche de la spiritualité,
25:26de l'absolu, et on voit le jeune homme insatisfait,
25:29c'est le roman qu'il écrit,
25:30qu'il ne finit pas, d'ailleurs,
25:31et on retrouve ce jeune homme
25:33qui a toujours été insatisfait,
25:34qui a toujours cherché l'absolu,
25:36l'éternité, les renouveaux, etc.
25:38– Il y a des écrivains du XXe siècle
25:40qu'on ne lit plus, alors qu'ils étaient obligatoires,
25:43il y a ceux qu'on interdit de lire,
25:45et qui, finalement, en 2025,
25:47sont encore d'actualité,
25:48et même trouvent une nouvelle jeunesse,
25:50et notamment à travers vous.
25:51Je vous invite à découvrir ce Pierre Drieu La Rochelle,
25:54c'est en vente sur La Boutique TVL,
25:55sur tvl.fr, le rêve ou l'action,
25:59Pierre Drieu La Rochelle.
26:00Merci Jérémy Valentin.
26:01– Merci beaucoup.