C'est du jamais vu : après 3 ans de guerre en Ukraine, les délégations russes et américaines se retrouvent sur une même photo. Ça s'est passé en Arabie saoudite. Pourquoi faire ? Écoutez l'analyse de Guillaume Lagane, spécialiste des questions internationales, enseignant à Science Po.
Regardez L'invité pour tout comprendre avec Yves Calvi du 18 février 2025.
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00:0018h45, bonsoir Guillaume Laganne, vous êtes spécialiste des questions internationales enseignant à Sciences Po, merci beaucoup de nous rejoindre sur RTL.
00:07C'est du jamais vu, après trois ans de guerre en Ukraine, les délégations russes et américaines se retrouvent sur une même photo, ça s'est passé aujourd'hui même en Arabie Saoudite, pourquoi faire exactement ?
00:17Pour reprendre le contact après plusieurs années de froid et même d'hostilité entre les deux puissances qui étaient dans des camps opposés dans la guerre en Ukraine.
00:28C'est un bouleversement total de cet épisode géopolitique, à la fois parce qu'il y a cette reprise de discussion, parce qu'on y parle de l'Ukraine sans l'Ukraine et parce que ça se tient en Arabie Saoudite, c'est-à-dire qu'on discute dans la péninsule arabique d'un sujet européen.
00:44Cette réunion de près de 4h30 consacre-t-elle le retour de la Russie sur la scène diplomatique ?
00:51Incontestablement, jusqu'ici la Russie était un état paria, stigmatisé par les occidentaux, sanctionné par les Etats-Unis et par l'Union Européenne.
00:59Monsieur Poutine a même été inculpé par la Cour pénale internationale et là on a une reprise de discussion directe entre les deux ex-super grands de la guerre froide.
01:09Donc oui, c'est un retour de la Russie.
01:11Justement, la Russie se félicite du sérieux de la rencontre, mais juge prématuré de parler de rapprochement avec les Etats-Unis.
01:17Ceux qui craignaient un nouveau Yalta sont-ils rassurés ce soir ?
01:23Yalta ça a duré plusieurs jours, c'était une conférence directe entre les trois dirigeants de l'époque, Churchill, Staline et Roosevelt, trois hommes tatoués d'ailleurs.
01:35Donc c'était une discussion qui a duré plusieurs jours et qui est vraiment rentrée dans le détail de ce qu'allait être l'Europe après 1945.
01:41Là on a une prise de contact entre deux ministres des affaires étrangères.
01:44Peut-être qu'un contact direct entre Poutine et M. Trump pourrait donner lieu à un nouveau Yalta.
01:50Les Européens devront également prendre part aux discussions sur l'Ukraine.
01:54Voilà ce que dit le secrétaire d'Etat américain, Marco Rubio.
01:57C'est une façon de répondre au chef d'Etat qui était réuni hier soir à l'Elysée en urgence, on le rappelle ?
02:03Oui bien sûr. M. Rubio, dans l'entourage de Donald Trump, fait partie des conservateurs modérés, plutôt classiques, plutôt atlantistes.
02:11Je pense qu'il est quand même un peu gêné aux entournures par cette exclusion des Européens.
02:14D'autant qu'on joue un rôle certes secondaire mais loin d'être négligeable dans la guerre en Ukraine.
02:20On a beaucoup pédé l'Ukraine sur le plan financier et on a beaucoup sanctionné la Russie.
02:24Donc on ne pourra pas imaginer de reprise des relations avec la Russie sans que les Européens aient leur mot à dire.
02:30Justement, Marco Rubio a toutefois souligné qu'il fallait qu'un accord sur l'Ukraine soit, je cite, « acceptable pour tous ».
02:36Vous comprenez ce que veut dire le secrétaire d'Etat américain ? Est-ce que ça nous inclut, notamment nous Européens ?
02:43Je pense que les premiers qui sont concernés, c'est les Ukrainiens eux-mêmes, puisque là ils n'étaient pas invités.
02:48Donc ce qu'on va discuter sur leur pays, il faut qu'eux-mêmes l'acceptent.
02:52Sinon ça pourrait ressembler à ce qu'on appelait la conférence de Munich, où on a découpé la Tchécoslovaquie sans lui demander.
02:59Les Européens, bien sûr, ils devraient avoir aussi leur mot à dire.
03:04Mais on voit qu'avec l'administration Trump, il y a une forme de brutalité, de bilatéralisme qui se fait avec les États-Unis.
03:10Et on est un peu laissé sur le côté.
03:12Dès pour parler sur l'Ukraine, sans l'Ukraine, Volodymyr Zelensky a vertement taclé cette rencontre.
03:18Ce rapprochement entre la Russie et les États-Unis est-il forcément une mauvaise nouvelle pour l'Ukraine ?
03:25Je crois que ce qui est vrai, c'est que le sujet ukrainien étant tellement complexe,
03:30et les Ukrainiens étant partie prenante évidemment, ils ont été agressés, ils sont bombardés.
03:35Leur armée a perdu d'innombrables soldats depuis trois ans.
03:39Évidemment pour eux, c'est difficile de discuter de concessions, de compromis.
03:44Donc peut-être qu'il n'est pas complètement inefficace que ce soit les Américains qui commencent à prendre langue avec les Russes.
03:50Maintenant, ce qui sera important, c'est qu'ils reviennent vers les Ukrainiens pour discuter avec eux de ce qui est possible.
03:55Et je crois qu'au-delà des compromis, des concessions, il y a une grande inquiétude en Ukraine sur ce qu'on appelle les garanties de sécurité.
04:01Pourquoi ? Quelles sont ces garanties de sécurité éventuelles ?
04:04En fait, la question, ce n'est pas tellement d'arrêter la guerre en Ukraine, parce que ça, ça peut s'arrêter assez rapidement,
04:09c'est qu'elles ne reprennent pas.
04:11Et les Ukrainiens sont persuadés, et sans doute avec raison,
04:14que si on arrête le conflit sans régler les questions pendantes entre eux et la Russie,
04:20et surtout sans leur donner de garanties de sécurité,
04:23c'est-à-dire sans leur garantir qu'on les aidera à nouveau en cas d'attaque de la Russie,
04:27ils se disent qu'en fait, ils vont à nouveau faire un marché de dupes,
04:30et que ça va ressembler à ce qu'on appelle, vous savez, 2014, l'annexion de la Crimée.
04:35Pour eux, c'était la première étape de la guerre.
04:372022, c'était la deuxième étape.
04:39Et ils ont peur qu'en fait, il y ait une troisième étape après ce qui pourrait être un compromis aujourd'hui.
04:43Dans La Journée, Vladimir Poutine a affirmé être prêt à négocier directement
04:47avec son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky, si nécessaire, il a précisé.
04:51C'est un tournant, selon vous ?
04:55Moi, je crois que oui, parce que jusqu'ici,
04:57M. Poutine a quand même diabolisé M. Zelensky.
05:00Je vous rappelle qu'un des objectifs officiels de l'attaque de l'Ukraine,
05:04c'est la dénazification du pays,
05:06et c'est l'idée que M. Zelensky n'est pas légitime,
05:08qu'il est arrivé au pouvoir porté par les nazis ukrainiens, etc.
05:12Donc, le fait qu'il envisage une discussion directe avec M. Zelensky,
05:16c'est peut-être une forme de concession de la Russie.
05:19Maintenant, côté ukrainien, ça sera compliqué,
05:21parce qu'à l'inversement, M. Poutine a été diabolisé par les Ukrainiens.
05:24Ils ont même inscrit dans leur constitution le refus de discuter avec lui.
05:27Donc, ça veut dire qu'il devrait y avoir des compromis des deux côtés.
05:31Mais pardonnez-moi, donc, ce soir, est-ce qu'on peut imaginer
05:34les deux hommes à la même table dans les prochaines semaines ou les prochains mois ?
05:38Écoutez, ça paraît difficile à imaginer,
05:41compte tenu du fossé de sang qui existe entre les deux pays.
05:45Maintenant, tous les conflits ont une fin,
05:48et le monde dans lequel nous entrons est un monde dans lequel
05:51les dirigeants autoritaires, comme M. Poutine,
05:54ont l'habitude d'avoir une espèce d'alternance,
05:56où ils sont capables de vous infliger une attaque,
06:00et puis, en même temps, de discuter avec vous.
06:02C'est un peu le genre de rapport qui existe avec M. Erdogan.
06:06On sait que M. Erdogan, il peut tout à fait décider
06:09d'attaquer les Russes en Syrie, d'en tuer quelques-uns,
06:12et puis, deux jours après, il prend au téléphone M. Poutine,
06:15et ils ont l'air d'être les meilleurs amis du monde.
06:17C'est un peu compliqué à imaginer pour nous,
06:19qui sommes des esprits plus modérés,
06:22et plus habitués à des rapports francs.
06:25Mais ça n'est peut-être pas le monde dans lequel nous entrons.
06:27La question la plus délicate, parce que je vais vous demander un oui ou un non,
06:31a-t-on raison de s'inquiéter pour l'avenir de l'Ukraine
06:34après l'élection du président Trump ?
06:36Oui.
06:37Merci infiniment, Guillaume Laganne, d'avoir été aussi clair dans vos réponses,
06:41spécialiste des questions internationales, en direct sur RTL.
06:44Dans un instant, un homme de paix, d'émotion, voire de partage.
06:47Marc-Antoine Lebret, pour le Breaking News.