Présidentielle en Russie : Nicolas Tenzer enseignant à Sciences Po et spécialiste des questions géostratégiques est l'invité de Yves Calvi.
Regardez L'invité d'Yves Calvi du 18 mars 2024 avec Yves Calvi.
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00:00 Vous êtes sur RTL.
00:02 Il est 8h23, bonjour Nicolas Tenzer. Bonjour Yves Calvi. Merci beaucoup d'être avec nous ce matin sur RTL et en direct.
00:12 Vous êtes enseignant à Sciences Po, expert des questions géostratégiques et je rappelle votre dernier livre "Notre guerre, le crime et l'oubli" aux éditions de l'Observatoire.
00:19 Vladimir Poutine a donc été réélu hier pour six années supplémentaires en tant que président de la Fédération de Russie.
00:25 Le chef du Kremlin sera donc au pouvoir au moins jusqu'en 2030, il aurait rassemblé 87% des votes.
00:30 C'est pas compliqué, c'est son meilleur score depuis 24 ans au pouvoir.
00:33 Une élection, je le rappelle, en l'absence d'observateurs indépendants.
00:36 Nicolas Tenzer, est-ce que les Russes croient à la réalité de ces chiffres ?
00:41 Le philosophe Alain Besançon parlait du communisme en disant que c'est une croyance non crue.
00:45 Et je pense que c'est l'attitude aujourd'hui des électeurs russes, c'est de croyance non crue.
00:49 C'est-à-dire qu'ils sont obligés de faire semblant d'y croire, ils n'y croient pas.
00:53 Ils n'ont pas d'autre choix que de faire semblant d'y croire.
00:56 Et ils ne savent plus là où est la réalité et le mensonge.
01:00 La réalité c'est ça, le régime de Poutine, c'est quelqu'un qui essaye d'abolir la distinction entre ce qui est vrai et ce qui est faux.
01:07 C'est-à-dire qu'il fait en sorte que les gens ne croient plus en rien, n'ont plus de repères.
01:11 Donc on a des chiffres, ils savent au fond d'eux-mêmes que ces chiffres évidemment ne veulent rien dire.
01:17 Il n'y a pas eu d'élection, parce qu'il n'y a pas eu d'élection en fait en Russie.
01:21 Ils savent que Poutine est un dictateur qui est là pour toujours.
01:26 Et ils n'ont aucun espoir de changement, c'est ça le drame profond.
01:30 Ils n'ont aucun espoir de changement.
01:32 C'est ça la réalité.
01:33 D'ailleurs on parle très souvent d'apathie, de résignation pour caractériser le peuple russe.
01:38 Mais c'est ça, c'est-à-dire qu'un peuple qui a connu plus de 75 ans de communisme soviétique,
01:44 parfois totalitaire à l'époque de Staline,
01:47 plus de 24 ans de poutinisme, donc 98 ou 99 années,
01:52 qui a marqué profondément leurs esprits, à la petite parenthèse,
01:56 Elstine entre 1990 et 2000, mais très bref finalement,
02:00 et catastrophique sur le plan économique et social.
02:02 Il n'y a rien d'autre.
02:03 Et donc ils se disent, mais l'opposition, ils sont tous liquidés,
02:06 ils ont été assassinés comme Navalny, comme Nemtsov, etc.
02:10 Ils sont en exil.
02:11 Les candidats potiches qu'on a vus, les trois autres, à part Poutine, ils ne représentent rien, etc.
02:17 Mais tout cela ne fait pas débat en dehors d'un cercle restreint d'intellectuels russes ?
02:21 Non, parce que tout simplement, d'abord vous avez quand même la répression, il ne faut pas l'oublier,
02:24 c'est-à-dire la répression extrêmement forte, c'est-à-dire que si vous ne votez pas dans une petite ville,
02:28 on dit "ah mais tiens, tu n'es pas allé voter, pourquoi ?"
02:30 Et donc la pension de retraite va être diminuée,
02:34 tes enfants ne vont pas trouver de place à l'université,
02:36 ou tes petits-enfants à la crèche, tu vas perdre ton boulot, tu vas perdre ton logement.
02:40 Et d'ailleurs si tu votes mal, parce qu'on voit très bien, vous voyez sur les bulletins de vote,
02:44 on ne peut pas les montrer ici, mais sur les bulletins de vote, vous les déposez ouverts dans l'urne.
02:50 Si vous votez par voie électronique, votre nom est associé au candidat pour lequel vous votez.
02:55 Donc vous êtes dans une surveillance totale.
02:57 Donc ça c'est impossible.
02:59 Ensuite évidemment, vous avez une grande partie des russes non cultivés,
03:01 qui sont abreuvés par la télévision d'État, donc qui diffuse le mensonge habituel,
03:06 et les autres, ils sont minoritaires.
03:09 - Je sais que ça vous révulse, mais je vous pose quand même la question,
03:11 est-ce que le président russe est populaire ?
03:14 - Alors non, je crois qu'il n'est ni populaire, en fait il n'est ni populaire ni impopulaire,
03:18 il n'est pas populaire parce que vous n'avez pas de culte.
03:20 - Il est là ? - Il est là.
03:21 Vous n'avez pas de culte de la personnalité, il aurait aimé,
03:24 alors il fait parfois venir, vous savez dans des grands stades,
03:26 mais là il n'a même pas réussi à le faire, des tas de gens pour l'acclamer,
03:29 c'est ça qui est aussi frappant, pour l'acclamer, parce qu'ils sont payés,
03:32 et puis de toute manière dans les petits villages, si on les convie à aller à ce genre de choses,
03:36 il vaut mieux ne pas refuser, parce que sinon vous risquez gros.
03:39 Mais il n'est pas populaire, et il est là, et c'est encore une fois,
03:42 cette espèce de résignation, c'est quelque chose de catastrophique,
03:45 c'est-à-dire qu'il n'y a aucun espoir de desserrer l'étau de la vie politique russe.
03:49 - On assiste donc à une mise en scène, c'est quoi le spectacle d'une fausse démocratie ?
03:54 - Alors ce n'est même plus une démocratie, c'est rien du tout,
03:57 c'est encore une fois surtout un régime en perdition,
04:00 et la réalité c'est un régime qui non seulement commet une guerre criminelle
04:04 à l'encontre de l'Ukraine, qui commet depuis 24 ans des crimes de guerre,
04:08 des crimes contre l'humanité partout, en Tchétchénie, en Syrie, en Géorgie, etc.
04:12 dans certains pays d'Afrique aussi, il ne faut pas l'oublier,
04:14 mais c'est aussi un régime qui fait le malheur de son peuple,
04:17 parce que la pauvreté, la grande pauvreté croît, c'est ça aussi la réalité.
04:21 Il n'y a pas de tissu de petites et moyennes entreprises,
04:24 pensons à l'exil, l'exil de très grand nombre de Russes, moi-même quand j'en suis né...
04:27 - Il n'y a pas de PME en Russie ?
04:29 - Vous n'avez quasiment pas de PME, vous n'avez pas ce tissu de PME,
04:31 vous avez les grandes entreprises, surtout dans le secteur gazier et pétrolier,
04:35 et puis vous avez quelques gros de grandes entreprises,
04:38 un petit tissu, mais petit, de PME,
04:40 mais vous n'avez pas, par exemple, comme en France, en Allemagne, en Italie, etc.
04:43 ce tissu de classe moyenne, parce que les classes moyennes,
04:46 qui sont aussi les gens qui travaillent dans ces PME, sont les propriétaires de ces PME,
04:49 c'est un danger pour Poutine, parce que ces gens-là, qui sont quand même plutôt éduqués,
04:53 ils ne supportent pas, évidemment, la mise sous tout tel de leur vie par ce régime.
04:58 - Pour la première fois, excusez-moi de vous interrompre,
05:00 il a cité son ex-opposant Navalny, est-ce que ça a une valeur particulière ?
05:04 Comment l'expliquez-vous ?
05:06 - C'est toujours quelqu'un, d'abord, qui a eu toujours très peur de Navalny,
05:09 là, il l'a cité, en quelque sorte, pour essayer, à la face du monde,
05:13 de se disculper, ce que personne ne croit, de son assassinat.
05:16 Parce que la réalité, c'est que le régime étant ce qu'il est,
05:18 Navalny a été assassiné, il n'a pu être assassiné que sous les ordres directs de Poutine.
05:23 C'est ce qu'avait montré, d'ailleurs, pour Litvinenko, rappelez-vous,
05:25 l'espion qui a été assassiné au Polonium, en 2006, au Royaume-Uni.
05:29 La commission d'enquête indépendante britannique avait conclu
05:33 que Poutine était directement le commanditeur.
05:36 Il devait remonter tout un fil.
05:38 Et là, c'est la même chose, et là, il essaye de se disculper,
05:40 pour quelle raison, je n'en sais rien,
05:42 mais c'est qu'il commence aussi à voir que la pression monte contre lui.
05:46 - Alors, Nikola Tenzer, Emmanuel Macron n'en démord pas,
05:48 il a réaffirmé ce week-end, je cite, qu'à un moment donné,
05:50 il faudra peut-être avoir des opérations sur le terrain en Ukraine.
05:54 A-t-il raison d'insister notre président ? Est-ce que c'est la bonne tactique ?
05:57 - Alors, un, oui, parce que, vous savez, c'est quelque chose que je proposais
06:00 moi-même depuis plus d'un an, j'en ai reparlé dans le livre que vous avez cité tout à l'heure.
06:03 Je pense qu'à un certain moment, nous ne pouvons pas combattre notre guerre,
06:06 la guerre qui nous menace, nous, directement, et pas uniquement l'Ukraine.
06:09 - C'est notre guerre !
06:10 - Du fond du cours, oui, du fond du cours, parce que, encore une fois, vous avez l'Ukraine.
06:13 Après, vous aurez les Pays-Bas, vous avez la Moldavie.
06:15 Et puis, c'est nous aussi, vous avez des opérations massives
06:17 de déstabilisation et des cyberattaques contre la France.
06:20 On ne peut pas exclure, un jour, peut-être, des attentats terroristes qui nous visent directement.
06:24 On peut, évidemment, penser que Poutine, de toute manière, veut détruire et briser l'Europe.
06:28 Donc, à un certain moment, si guerre il y a, et il vaut mieux, effectivement, la gagner avant de devoir,
06:34 parce que c'est quand même ça le propos aussi du président,
06:36 il vaut mieux la gagner en donnant beaucoup d'armes à l'Ukraine,
06:39 le plus possible, toutes les armes possibles, aider l'Ukraine à défaire la Russie,
06:44 nous réarmer pour parer devant ce danger russe,
06:47 parce qu'il vaut mieux toujours prévenir la guerre que la faire.
06:50 Mais il ne faut pas l'exclure, alors, point quand même très rapide,
06:53 il ne s'agit pas de mobiliser les jeunes Français, ou les jeunes Allemands, ou les jeunes Polonais.
06:57 - Merci de le rappeler. - Soyons clairs, il faut toujours le rappeler,
06:59 parce que là, on est sinon dans la désinformation, que certains s'en entretiennent, évidemment, aussi en France.
07:04 - On n'a jamais gagné une guerre quand on combat en arrière de cour,
07:07 quand on fait combattre votre guerre par quelqu'un d'autre.
07:10 Expliquez-nous, comment doit-on combattre Poutine aujourd'hui ?
07:15 - Alors, à notre échelle, alors d'abord, effectivement, faire attention aussi à la propagande,
07:21 qui envahit aussi la plupart des pays européens, ou les Etats-Unis, ou les autres,
07:25 ça, effectivement, faisons attention au récit pro-russe qui se glisse, qui s'infile,
07:29 comme celui par exemple sur les négociations, il faudrait négocier la peur nucléaire,
07:34 tout ça, effectivement, sont des éléments que je décris assez précisément dans le livre,
07:37 finalement, ça, c'est quelque chose que Poutine utilise, et il a des relais en France et en Europe.
07:42 Faisons attention à ce discours, n'ayons pas peur, ça c'est la première chose pour reprendre les paroles de Jean-Paul II,
07:47 n'ayons pas peur ! Et je pense que ça, c'est l'essentiel.
07:50 Merci beaucoup.
07:50 [SILENCE]