Lundi 17 mars 2025, 4GOOD reçoit Béatrice Delpech (Directrice Générale adjointe, Enercoop) , Maylis Cartigny (Directrice Pôle recherche, Prophil) , Thomas Breuzard (Directeur permaentreprise, norsys & Coprésident, B Lab France) et Nicolas Chabanne (fondateur, C'est qui le patron ?!)
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00:00Et Thomas, on commence avec ton édito, tu te demandes si les entreprises sont vouées à partager ou à disparaître ?
00:12Alors c'est un petit peu fordé comme ça, mais pour commencer, j'aimerais filer une petite métaphore aujourd'hui.
00:17Imaginez une entreprise comme un navire en pleine tempête, certains membres de l'équipage détiennent tout le pouvoir,
00:23détiennent aussi les butins qui sont collectés par le navire, tandis que les autres rames s'envoient sans gouvernail.
00:29Quel résultat se passerait-il en pleine tempête dans ce bateau ?
00:32Et si à l'inverse, chaque membre de l'équipage détenait un rôle clair, avait son mot à dire dans les décisions, dans les orientations, dans la façon de naviguer ?
00:40Un intérêt commun à vaincre la tempête, aussi parce que les butins seraient partagés. Que se passerait-il ?
00:45Cette métaphore, je trouve, illustre bien l'enjeu d'aujourd'hui, apporter de la stabilité et de la résilience en partageant valeur et le pouvoir,
00:51quand bien même cela peut paraître un peu contre-intuitif.
00:53Et alors justement, qu'en est-il dans les entreprises ?
00:55Alors, passons dans le monde de l'entreprise désormais, dans un monde bouleversé et assez bouleversant d'ailleurs pour les entreprises.
01:00C'est-à-dire que du partage, à mon sens, n'est plus tant un simple débat philosophique.
01:04Cela tend à devenir une nécessité.
01:06Pourtant, certains dirigeants considèrent encore que le partage est un certain luxe réservé à des entreprises un peu utopiques ou à certaines structures atypiques.
01:15Est-ce que c'est vraiment le cas ?
01:17Je pense que si on regarde la réalité en face, aucune entreprise aujourd'hui n'échappe au bouleversement actuel.
01:22Entre les contraintes climatiques grandissantes, les attentes croissantes aussi des consommateurs, Nicolas en parlera je pense un peu aujourd'hui,
01:28la quête de sens des salariés ou les pressions réglementaires qui s'intensifient,
01:31le modèle traditionnel basé sur des gouvernances verticales et une répartition très inégale de la richesse se heurtent à ses propres limites.
01:37Prenons un chiffre, par exemple dans le baromètre empreinte humaine de 2023 où 71% des salariés déclaraient que leur travail manquait de sens.
01:45Cela dit bien qu'on manque de partage dans les idéaux de l'entreprise et dans le sens que l'on donne au travail.
01:50Pourtant, une étude menée par profil, dont Maïlis pourra nous parler, révèle que les entreprises qui aujourd'hui ont des modèles de gouvernance beaucoup plus partagés
01:58sont plus performantes sur le long terme.
02:00Pourquoi ? Parce qu'elles renforcent l'engagement, la loyauté des équipes, mais aussi la capacité d'innovation
02:05parce que de plus larges parts des équipes peuvent contribuer à l'évolution de l'entreprise.
02:10Tout le monde dans le même bateau.
02:12Est-ce que tu as un premier exemple pour illustrer ce que semblent dire ces chiffres ?
02:16Eh bien oui et à tout hasard prenons la marque C'est Qui le Patron qu'a créée Nicolas.
02:20Connue pour son engagement envers une rémunération beaucoup plus juste des producteurs.
02:25En plus d'être la marque nouvelle la plus vendue depuis dix ans selon une étude de Nielsen,
02:30C'est Qui le Patron, cette marque portée par les consommateurs et par Nicolas, figure cette année dans le palmarès en 2024 des marques qui ont le plus progressé en vente.
02:40Son fondateur Nicolas a donc récemment décidé en plus de ça de céder la totalité des actions à une fondation dont l'unique objet est le soutien aux producteurs.
02:48Initiative qui vise à rendre inaliénable la mission de l'entreprise.
02:52A l'inverse, des organisations qui concentrent pouvoir et richesse entre quelques mains pourtant restent largement majoritaires.
02:58Et alors pourquoi dans ce cas la majorité des entreprises ne font-elles pas comme Nicolas Chabannes ?
03:02Eh bien parce qu'il faut savoir modifier son rapport à l'argent et ça c'est encore un petit peu compliqué aussi
03:07parce que le changement fait peur. Partager le pouvoir et la valeur, c'est accepter de ne plus tout contrôler,
03:11de remettre en question des habitudes bien ancrées, parfois même héritées de décennies de pratiques de gouvernance et managériales très rigides.
03:18Ensuite parce que le court-termisme est encore roi dans le monde économique.
03:21Tant que les marchés financiers et une partie des investisseurs exigeront des rendements immédiats à deux chiffres,
03:27il sera sans doute difficile de convaincre les grandes entreprises notamment d'adopter des modèles différents
03:33qui favorisent peut-être une meilleure pérennité et viabilité à long terme.
03:37Enfin parce qu'il existe une croyance je pense profondément ancrée selon laquelle le leadership doit être centralisé
03:43et c'est ce qui garantit l'efficacité des organisations.
03:45Et donc selon toi, pour combien de temps ces résistances pourront-elles tenir ?
03:50Eh bien dans une économie où l'information est de plus en plus accessible, où les crises sociales couvrent,
03:54où la régulation tend à se renforcer, je pense que ces modèles basés sur l'accaparement du pouvoir et de la richesse
03:59pourraient devenir des reliques du passé.
04:01Regardons les récents tourments qu'ont pu connaître de grands groupes qui annonçaient en même temps et de façon très malheureuse
04:05des dividendes records et des plans de licenciement aux salariés.
04:08Tout ça n'a plus de sens.
04:09Donc partage du pouvoir et de la valeur, ce n'est pas tant une lubie de quelques robins des bois de l'entrepreneuriat,
04:14c'est bien je pense un modèle qui tend à devenir une nouvelle norme.
04:18Alors quels sont les modèles les plus innovants ?
04:20Peut-on convaincre des actionnaires d'aller vers ces nouveaux modèles ?
04:23Est-ce qu'il faut réinventer la structure même de nos entreprises et surtout comment les traduire en actions concrètes ?
04:28C'est l'objet de notre émission du jour.
04:29Oui, c'est ce qu'on va voir plus en détail dans notre débat.
04:31Maintenant, je m'adresse à vous, chers invités.
04:33Qu'est-ce qui vous fait dire que les entreprises n'ont plus d'autre choix ?
04:38Qui veut commencer ?
04:40Je ne suis pas très galant.
04:43Vous voulez commencer ?
04:45En fait, je viens de dire un gros truc de bombeur sur la galanterie.
04:51On m'aurait dit au bureau, mais pourquoi tu t'occupes tellement de ça ?
04:55En plus, ce n'est que du direct.
04:57C'est bien, je suis en train de faire une bonne introduction.
05:00Non, il n'y a pas de choix.
05:03Quand on se ramène au bon sens, à la bienveillance de ce qu'on appelle nous, les consommateurs,
05:10on arrive à la fin d'un tour de magie.
05:13Pendant 50 ans, il y avait des entreprises qui prenaient l'argent de tout le monde,
05:18notre argent à nous, consommateurs,
05:20pour en faire des choses qui ne sont pas très utiles, ni à notre niveau, ni au monde.
05:25Et ce rapport-là, il est en train d'exploser.
05:29Nous, on est l'expression d'une partie de cette réalité, mais il y en a bien d'autres.
05:34Quand on ramène l'équation à qu'est-ce que je veux en tant que consommateur ?
05:39Où va mon argent ? À quoi il sert ?
05:41Évidemment, on a envie de tracer le fait que derrière un acte d'achat, il y ait des conséquences positives.
05:46Donc, les entreprises qui voudront imaginer que ça peut tenir comme ça tient depuis 40 ans,
05:52elles vont un jour disparaître, puisqu'on le dira tout à l'heure,
05:57mais on a fait, nous, un petit schéma simple, vous faisiez une image.
06:00Imaginez demain, dans tous les secteurs d'activité, dans l'assurance, dans l'alimentaire, dans la banque,
06:07imaginez des entreprises qui, quand vous amenez votre argent,
06:11trace chaque centime de cet acte d'achat ou de cet achat de services
06:15pour en faire des conséquences positives en payant bien les salariés,
06:18qui eux-mêmes peuvent acheter à une entreprise qui paye bien les salariés.
06:21Ce chemin vertueux qu'on tracerait de cet argent, qui rappelons-le, est quand même dans nos poches,
06:26il ne vient pas d'une planète lointaine, il est dans nos poches de consommateurs le 1er janvier.
06:31Eh bien, si on avait dans chaque secteur une entreprise qui nous assure
06:36que notre argent fait du bien au monde qui nous entoure et à nous-mêmes à la fin,
06:40je pense qu'elle deviendrait naturellement toute leader de leur secteur.
06:44Nous, on l'a fait à petite échelle et c'est devenu la marque nouvelle la plus vendue en 10 ans.
06:48Ce qui est fou, le monde économique n'a pas créé une marque en France qui se vend plus que celle-là.
06:52Pas parce qu'elle est la moins chère, parce qu'elle est solidaire.
06:55Donc, on voit cette inversion qui arrive et pour finir, par défaut,
07:00tout le monde se disait pendant des années, non, le prix le plus bas, c'est la seule boussole,
07:04ça marchera toujours comme ça.
07:07Un jour, je me rappelle avoir dit au patron de Grande Surface,
07:11pourquoi vous érigez cette règle comme une fatalité définitive ?
07:15Il n'y a pas de produit qui nous assure qu'en les achetant dans vos rayons,
07:20on provoque quelque chose vraiment de bien, notamment chez les producteurs.
07:24Mettez-les et on refera les comptes.
07:26Apparaît la petite brique de lait dans les conditions qu'on connaît,
07:29pas de force de vente, pas de grande campagne de pub à la télé,
07:32elle devient la brique de lait la plus vendue, le lait de Borbio le plus vendu.
07:35Et là, récemment, cette aventure de consommateur est dans les dix marques,
07:39toutes marques confondues, pas celles qui étaient récemment arrivées.
07:42C'est les plus grosses ventes parmi les dix marques avec Tropicana, Red Bull.
07:47Donc, le bon sens, la bienveillance qu'on a tous,
07:51quand on la rassemble et qu'on lui permet de s'exprimer,
07:55ça devient de grands succès et on va essayer de faire en sorte que ça se généralise.
08:00Yatris, même question, pourquoi les entreprises n'ont plus le choix ?
08:03Spontanément, j'aurais envie de donner des réponses qui sont d'ordre un peu philosophique,
08:07très avec la crise démocratique, sociale et climatique qu'on connaît,
08:12mais si on veut donner des raisons très pragmatiques, il y en a aussi.
08:15Pour moi, ce n'est pas les meilleures, mais elles existent.
08:17Je dirais qu'il y a une raison liée à la pérennité des entreprises.
08:20Si on regarde le taux de pérennité des entreprises,
08:22celles qui ont les meilleurs taux de pérennité,
08:24c'est les coopératives qui sont celles qui, historiquement, par leur ADN,
08:28partagent le plus ces questions de partage du pouvoir et de la valeur.
08:31Le taux de pérennité des coopératives à 5 ans est de 79%,
08:35contre 61% pour les autres entreprises.
08:38Ça, c'est les chiffres de l'INSEE.
08:40C'est un argument très concret, encore une fois.
08:42Je ne considère pas que ce soit le meilleur des arguments,
08:44mais c'est un argument qui fait poids.
08:45Et peut-être un deuxième argument autour de ce que disait Thomas dans son édito,
08:49l'intérêt des salariés.
08:51Les salariés sont en recherche de sens.
08:53Les salariés vivent dans leur actualité, leur réalité.
08:57Ils sont de plus en plus nombreux à avoir des préoccupations écologiques,
09:00notamment.
09:01Et on sait bien que si on confie le pouvoir de prendre des décisions à des salariés,
09:06ils font des choix qui sont moins climaticides.
09:09Ils décident moins d'aller délocaliser.
09:11Ils décident moins d'aller faire des forages en Arctique.
09:14Ils font des choix plus responsables.
09:16Et si on leur donne la possibilité de participer aux choix de gouvernance,
09:21ils sont aussi plus investis dans leur entreprise.
09:23Ils y passent, ils y mettent de l'énergie, du cœur,
09:26et ça fait avancer les entreprises.
09:28Encore une fois, je ne suis pas certaine que ce soit la meilleure des raisons pour le faire,
09:31mais je suis en revanche tout à fait convaincue que ça crée un engagement des salariés
09:36qui est tout à fait différent.
09:39Mélisse, nous de la fin pour cette séquence.
09:41Sur la pérennité, et du coup, vu que Béatrice nous a donné le côté plutôt coopératif,
09:47je vais aller plutôt du côté fondation actionnaire.
09:49Les deux ont été évoqués dans l'édito.
09:51Les fondations actionnaires, c'est des entreprises qui sont détenues par des fondations.
09:54Nicolas Chaman vient d'annoncer qu'il transmettait son entreprise à une fondation qui deviendra actionnaire.
10:01C'est un modèle qui existe depuis très longtemps dans d'autres pays.
10:04Ça fait à peine 20 ans que ça existe en France.
10:09Et on a du recul sur des entreprises qui sont détenues depuis 10, 20, 30, 40, 50 ans.
10:14Des grandes entreprises au Danemark, en Allemagne, en Suisse.
10:17Il n'y a pas beaucoup de gens qui ont fait des études sur le recul qu'on a
10:22sur la détention de ces entreprises par des fondations.
10:25Il y a une personne au Danemark qui s'appelle Stine Thomsen,
10:27et qui a fait une étude qui date déjà d'il y a 10, 15 ans, 2017, voire même un peu avant des premiers résultats,
10:35qui montrait que les entreprises qui étaient détenues par des fondations au Danemark,
10:39c'est-à-dire 70% de la capitalisation boursière danoise,
10:42donc c'est pas n'importe quoi, c'est des nouveaux nordiques,
10:45c'est la plus grosse capitalisation boursière européenne, plus que l'AMH,
10:48qui crée encore des emplois en France,
10:51et que ces entreprises étaient 30% plus résilientes que leurs homologues.
10:56Et donc ça, c'est des entreprises qui ont été transmises.
10:59Il y a Lego, Carlsberg, Novo Nordisk, qui ont été transmises 50, 60, 70 ans.
11:05Donc en fait, ils ont vu qu'à la mesure de toutes ces crises,
11:08c'était des entreprises qui étaient plus résilientes.
11:10Et donc, suite au Covid, suite à toutes les crises qui se développent,
11:16je pense que petit à petit, les entreprises n'auront pas d'autre choix
11:19que d'essayer de trouver des chemins entre le profit et le non-profit
11:22pour pouvoir réinventer la parole qui est donnée aux salariés pour les engager
11:27et aussi la circularité des profits pour pouvoir aligner toute la chaîne de valeur.
11:31On va développer plus en détail dans notre débat, retenez-vous.
11:35On passe au top et au flop.