Dans son édito du 03/05/2025, Mathieu Bock-Côté revient sur les relations entre le Canada et l'Europe.
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00:00Alors, je dis, raduis tout de suite, élections, gouvernement minoritaire, chez nous, c'est ce qu'en France, on appelle majorité relative.
00:06Donc, dans le système parlementaire britannique, on est un peu moins, on est un peu plus rendu collier, on pourrait dire comme ça.
00:10Donc, on dit gouvernement minoritaire, c'est-à-dire que c'est le groupe le plus puissant à l'Assemblée, mais il n'a pas la majorité des sièges.
00:17Alors, pourquoi j'en parle aujourd'hui? Parce que ce qui s'est passé au Canada est porteur de sens, je crois, pour l'ensemble du monde occidental aujourd'hui.
00:24Appelons ça les élections post-Donald Trump.
00:26Les élections post-Donald Trump, donc ce que Trump fait à ses pays alliés, à ses pays voisins, le type de réaction qu'il suscite.
00:34Alors, permettez-moi de faire un petit détour historique d'en fait d'un an et demi, deux ans.
00:38Depuis deux ans, le Parti conservateur canadien, qui est un parti globalement plutôt modéré, mais qui avait connu un petit tournant populiste,
00:44le Parti conservateur canadien de Pierre Poilièvre était 20 points en avance dans les sondages.
00:49Tout le monde annonçait une majorité très forte pour les conservateurs canadiens, après dix ans de règne du Parti libéral de Justin Trudeau.
00:58Un règne qui a été catastrophique pour le Canada.
01:01Il faut comprendre, Trudeau, c'était le progressiste chimiquement pur.
01:04Il a gouverné le Canada pendant dix ans.
01:06Il a transformé le Canada en laboratoire post-national.
01:10Il s'est lancé dans un délire immigrationniste tel que même les éléments pro-immigrationnistes au Canada ont commencé à dire
01:17« C'est assez, ça va trop loin, c'est en train de détruire le pays ».
01:20Il a endetté le Canada comme on ne peut pas l'imaginer.
01:23Donc, on est vraiment devant un héritage absolument toxique et les Canadiens, globalement, s'attendaient à liquider politiquement le Parti libéral au pouvoir.
01:33Donald Trump est élu en novembre.
01:35Et à partir de là, commence à lancer sans cesse une espèce de délire qui traverse un peu l'Atlantique.
01:40Il disait sur le mode de la provocation, il faut dire « Moi, je n'y ai jamais cru, mais quoi qu'il en soit, il disait
01:44« Ah, le Canada, on devrait vous annexer. Faire de vous le 51e État. Vous n'existez pas vraiment. »
01:50Bon, on peut en parler longtemps, mais « Vous n'existez pas vraiment. Cette frontière est artificielle.
01:54Pourquoi tenez-vous à tout prix exister ? On vous subventionne dans les faits. Nous voulons vous annexer. »
02:00Alors, le commun des mortels aurait pu se dire
02:02« Tout ça est une blague. À moins que les Américains envoient les Marines à Toronto,
02:07que la Marine américaine attaque le port d'Halifax,
02:11ou que je ne sais quel tank américain roule sur Montréal,
02:14eh bien, il y avait peu de chance qu'il y ait une invasion du Canada par les Américains. »
02:18Mais les Canadiens prennent au sérieux cette menace d'annexion.
02:22Et le Parti libéral de Justin Trudeau, qui avait démissionné début janvier,
02:26donc il y a eu une course à la direction pour le parti qui a été remporté par Mark Carney,
02:30eh bien, le Parti libéral dit « Réussi à s'emparer de ces menaces,
02:35en disant « Non, c'est très sérieux. C'est très, très sérieux.
02:38Les Américains veulent nous annexer.
02:40Les Américains veulent nous transformer en 51e État.
02:42Cette élection n'est pas vraiment une élection.
02:45Cette élection, c'est un référendum sur la survie du Canada. »
02:48Et globalement, la population embarque dans ce récit.
02:52La population décide, en fait, se met à marcher dans la combine rhétorique du Parti libéral.
02:59Il faut dire que ce n'est pas très surprenant parce que le Parti libéral a une emprise au Canada
03:03sur le système politique, médiatique, financier, culturel, qui est une emprise considérable.
03:09En fait, le Parti libéral, c'est un peu comme ce qu'on appelait autrefois.
03:11Vous savez, au Mexique, il y avait le Parti révolutionnaire institutionnel.
03:15Eh bien, on peut dire qu'au Canada, c'est un peu la même chose.
03:17C'est le bloc central absolument hégémonique à l'européenne.
03:20Et le Parti libéral, à partir du moment où il dit « danger, danger, nous sommes le parti du drapeau,
03:25nous devons à tout prix sauver le Canada de l'annexion américaine »,
03:28eh bien, une bonne partie de l'électorat bascule.
03:31Et cet électorat dit « bon, on va se tourner vers eux parce que ce sont eux qui vont sauver le pays de l'annexion ».
03:37D'autant, c'est une chose, j'ajoute, qu'au Canada, on a une constitution très particulière
03:42qui remonte au début des années 80, où la vision du Parti libéral est pleinement inscrite dans la Constitution.
03:48Donc, même quand les libéraux sont en opposition, ils sont au pouvoir.
03:51Ça pourrait peut-être faire penser un peu à la France avec le Parti socialiste.
03:55Alors, je poursuis le développement parce qu'il est important.
03:58Le Parti conservateur, qui avait 20-25 points d'avance, pour l'essentiel chute dans les sondages,
04:04ou à tout le moins voit son avance renversée.
04:08Les libéraux sont premiers.
04:09Et qu'est-ce que ça nous dit?
04:10C'est qu'au Canada, le Parti conservateur, malgré sa popularité relative dans les sondages récemment,
04:14le Parti conservateur au Canada s'est vu comme le parti illégitime.
04:18Fondamentalement, la droite au Canada n'a le droit d'exister que si elle est une non-gauche,
04:23ou une gauche au ralenti, ou une gauche pâle.
04:26Mais dès lors qu'on se trouve avec un Parti conservateur un peu décomplexé,
04:30le système médiatique, politique canadien dit « Attention, nous sommes devant des éléments très dangereux ».
04:36Alors, normalement, l'argument qu'on utilise pour être capable de dégommer les conservateurs
04:39et les garder dans l'opposition à tout prix, on dit « Aha! Vous êtes en fait des provis.
04:44Vous êtes des anti-avortements. Vous êtes des conservateurs religieux.
04:46Faites attention, Canadiens et Canadiennes. Le droit à l'avortement est menacé.
04:49Gardez les conservateurs dans l'opposition. »
04:52Là, ça fonctionnait un peu moins bien, cette fois-ci.
04:54Donc, on a dit « Attention, Pierre Poilièvre, le chef des conservateurs, est un mini-Trump.
04:59Et mini-Trump égale danger. Mini-Trump égale nous devons à tout prix nous en débarrasser politiquement.
05:05Le cycle diabolisant fonctionnait. »
05:08Et c'est intéressant, on voit dans un pays qui se dirigeait vers un gouvernement conservateur
05:12il y a trois mois, trois mois et demi environ, un pays qui allait liquider, ou à tout le moins qui allait dire
05:17« Après dix ans de règne libérale, il est temps de passer à autre chose.
05:20Après dix ans de règne libérale, il faut rompre avec l'immigration massive.
05:22Après dix ans de règne libérale, il faut rompre avec les excès du multiculturalisme.
05:26Après dix ans de règne libérale, il faut rompre avec une politique d'endettement folle.
05:30Après dix ans de règne libérale, il faut en finir avec une politique qui empêche l'accès à la propriété des Canadiens et des Québécois.
05:35Et bien, finalement, les Canadiens décident de reporter le parti libéral au pouvoir.
05:41Et qu'est-ce qu'on va voir avec Justin Trudeau, on le verra avec Marc Carney dans les prochains temps,
05:45c'est la poursuite de Justin Trudeau par d'autres moyens.
05:48On pourrait dire que Justin Trudeau, c'était la version guignole de cela.
05:51Marc Carney, c'est la version technocrate mondialiste de Davos.
05:54Il a été, vous l'avez dit, gouverneur de la Banque centrale d'Angleterre, gouverneur de la Banque du Canada.
05:59Il était au cœur de la technocratie mondialiste.
06:01C'est un immigrationniste convaincu, c'est un immigrationniste enragé, un multiculturaliste convaincu, c'est un mondialiste intégral.
06:09Et bien, la réaction, Donald Trump, par ses provocations, a réussi à porter au pouvoir au Canada son antithèse absolue.
06:18Peut-être a-t-il joué à l'apprenti sorcier.
06:20Alors justement, la question qu'on doit se poser, c'est est-ce que le Canada devient en quelque sorte un bastion de l'antitrumpisme?
06:27Est-ce que le Canada est le premier, finalement, pays à résister à la vague trompienne en Occident?
06:32C'est plus compliqué que ça, évidemment.
06:34Parce que le Canada, comme le disait le chef du parti nationaliste québécois à Ottawa, Yves-François Blanchet, est un pays artificiel.
06:40C'est un pays artificiel, c'est-à-dire que c'est un pays composé de plusieurs régions, provinces,
06:45qui n'ont pas de véritable identité partagée, qui n'ont pas même d'intérêt économique partagé.
06:51Donc c'est un pays qui tient artificiellement par la technostructure fédérale qui impose ses normes à tout le monde,
06:58mais qui ne tient pas compte de la réalité du pays.
07:00On pourrait, de ce point de vue, comparer Ottawa à Bruxelles.
07:03On pourrait comparer le Canada à une forme d'union européenne aussi dysfonctionnelle avec aussi peu d'identité réelle.
07:09Donc qu'est-ce qu'on va voir dans les prochains temps?
07:11Dans l'Ouest canadien, normalement, quand on parle de séparatisme au Canada, on s'intéresse au Québec.
07:15Mais là, d'abord, pour l'instant, qu'est-ce qu'on voit?
07:17On voit une grande colère dans l'Ouest canadien, notamment en Alberta, parce qu'en Alberta, si vous allez dans l'Ouest du Canada,
07:23mais ça vote pour les conservateurs avec des majorités quasi-soviétiques.
07:27L'Ouest canadien, c'est le Texas, en quelque sorte, c'est le Montana.
07:31Eh bien là, ces gens-là disent, on a beau voter pour ça, on est dans les faits, toujours dans l'opposition.
07:36Donc qu'est-ce que ça veut dire?
07:36Ils nous disent que le Canada est un pays à partie unique, en quelque sorte, ou presque.
07:41Donc de temps en temps, les conservateurs peuvent gagner une élection sur cinq,
07:44et puis ensuite, ils sont reconduits dans l'opposition pour un long cycle électoral.
07:47Donc ils nous disent, nous sommes, nous, l'Ouest, dans l'opposition structurelle.
07:52Et qu'est-ce qu'on voit?
07:53Bien, l'Alberta, qui est la province pétrolière au Canada,
07:55dit, mais là, on va peut-être reconsidérer notre participation à la Fédération canadienne.
08:01Peut-être, peut-être avons-nous un destin à l'extérieur de la Fédération.
08:04Peut-être avons-nous intérêt à quitter le Canada.
08:06Peut-être avons-nous intérêt à penser autrement notre avenir avec ce pays.
08:09Donc l'Ouest canadien se dit, on veut beaucoup plus d'autonomie,
08:15et quand on veut beaucoup d'autonomie, on peut vouloir un jour l'indépendance.
08:18Reste à voir.
08:19De l'autre côté, il y a le Québec.
08:21Le Québec qui, ça je me permets de le dire, c'est important,
08:23entre le Canada multiculturaliste, immigrationniste, hyper centralisateur de Mark Carney,
08:30le nouveau Justin Trudeau,
08:32et un Québec attaché à son identité francophone,
08:34sa laïcité, qui n'en peut plus d'une immigration massive qui vise à le noyer,
08:40et avec des élections québécoises en 2026,
08:42où les indépendantistes sont pour l'instant premiers dans les sondages
08:46et annoncent un référendum rapide de son indépendance s'ils l'emportaient,
08:49eh bien on se dirige aussi vers un choc Canada-Québec,
08:52entre d'un côté le Canada qui est l'ultime au Kistan encore aujourd'hui,
08:56et un Québec qui se vit comme un État national inachevé
09:00et qui pourrait décider de marquer la rupture.
09:03Ce qui est assez drôle par ailleurs avec tout cela,
09:05c'est que le Canada, ne vous trompez pas,
09:07c'est le pays qui pendant 20 ans nous a expliqué qu'il n'avait pas d'identité,
09:10pas de culture, c'était le laboratoire post-national,
09:12l'empire du rien.
09:14C'était le pays qui était fier de n'avoir rien à proposer au monde,
09:17sinon le rêve de la diversité.
09:19Eh bien soudainement, il décide de se faire pousser un nationalisme un peu artificiel.
09:23Dans les faits, c'est l'intérêt de la caste dirigeante,
09:26bruxelloise, on dirait quelque part, ontarienne de l'autre,
09:28qui fait semblant en quelque sorte d'avoir une identité,
09:31mais c'est un pays qui connaît des failles,
09:33qui est travaillé par des fractures telles
09:35qu'il pourrait d'ici quelques années,
09:37qu'il pourrait d'ici quelques années éclater d'abord par le Québec,
09:39qui pourrait faire sécession,
09:41ce qui serait évidemment une formidable chose.
09:43Et en quoi, Mathieu Bocoté, tout cela peut parler à l'Europe?
09:47Eh bien, j'y reviens, il y a des leçons à tenir.
09:49Premièrement, la force du Bloc central.
09:52Je vais parler du Parti libéral canadien,
09:53c'est l'équivalent politique.
09:54Le Parti libéral du Canada, c'est pas seulement un parti,
09:56c'est l'expression politique de la technostructure canadienne.
10:00Tout comme le Bloc central en Europe,
10:02c'est l'expression politique de la technostructure européenne.
10:05Le Bloc central a beau être en minorité électorale souvent,
10:08parce qu'il maîtrise les codes de la manipulation médiatique,
10:12parce qu'il maîtrise les institutions,
10:14il est toujours capable de se replacer au premier rang.
10:17Le Bloc central réussit à jouer gagnant
10:19parce qu'il a pour lui l'ensemble des institutions de la société
10:21qui le portent et qui fait en sorte
10:23que toutes les élites convergent vers lui.
10:24Ensuite, au Canada, l'utilisation, on l'a vu,
10:28de l'immigration massive comme un instrument politique.
10:32Qu'est-ce qu'on voit?
10:33Les partis immigrationnistes ne le sont pas simplement
10:36parce qu'ils croient aux vertus miraculeuses
10:37de la diversité dans l'univers.
10:40Ils ont avantage à faire venir des populations
10:42qui vont voter pour eux,
10:44pour consolider leur base électorale.
10:45Ça me fait penser aux travaillistes britanniques,
10:47cette fois-là, qui disaient, à l'époque de Tony Blair,
10:50bien sûr qu'on veut une immigration massive,
10:52parce qu'on va avoir avec là les électeurs,
10:54on va remplacer là les électeurs
10:56qui nous manquaient, qui quittaient pour les conservateurs.
10:58Ça fait penser à Terra Nova aussi, bien évidemment.
11:00On connaît l'histoire.
11:03Le Canada aussi, pourquoi?
11:04Eh bien, ça nous dit la puissance du nationalisme.
11:06C'est-à-dire, quoi qu'on en dise?
11:08Je parle du cas québécois ici.
11:10Les identités nationales,
11:11on peut chercher à les noyer, les faire disparaître.
11:13Elles tiennent dans l'histoire.
11:15Le Canada a toujours l'interdiction morale du conservatisme.
11:18Vous avez le droit d'être de droite
11:19à condition que ce soit une nuance de gauche.
11:20Si vous êtes une vraie droite,
11:22si vous êtes une droite décomplexée,
11:23vous serez fascisé, nazifié, trumpisé.
11:26Aujourd'hui, c'est la nouvelle manière de fasciser.
11:28Et dernier élément, je me permets de faire un lien inattendu
11:31avec l'Allemagne.
11:32On a vu aujourd'hui, c'est une nouvelle,
11:34en fait, qui date d'hier, mais d'aujourd'hui,
11:35avec l'AFD, qui est un parti,
11:37alors qu'il n'y a pas d'équivalent au Canada, je le précise,
11:40mais aujourd'hui, le premier parti
11:41dans ce qu'on appelait autrefois l'Allemagne de l'Est,
11:44à peu près le parti le plus populaire en Allemagne aujourd'hui,
11:47qui est traité par le système allemand
11:48comme une forme de résurgence néo-nazie,
11:50alors que tous ces leaders disent
11:51« Nous ne sommes pas ça, arrêtez de nous nazifier,
11:53nous ne sommes pas des nazis, nous ne sommes pas des fascistes,
11:55on peut aimer ou non ce parti, la question n'est pas là. »
11:57Mais qu'est-ce qu'on voit en Allemagne ?
11:59Eh bien, on se dit « Ce parti devient trop dangereux,
12:01on ne se croit plus capable de le battre électoralement,
12:03donc on va penser à l'interdire désormais. »
12:05On se donne le droit de l'espionner,
12:07on se donne le droit de faire des missions d'infiltration dans ce parti,
12:12autrement dit de le manipuler.
12:13On pense à l'interdire.
12:15De la même manière, il y a eu des élections en Roumanie,
12:16on sait ce qui s'est passé.
12:18Quand un candidat a un trop bon succès,
12:19on décide d'annuler l'élection.
12:20En d'autres lieux, on décapite juridiquement
12:22la chef de l'opposition nationale.
12:24Ce qu'on voit, c'est que partout en Occident,
12:25les forces populistes ou conservatrices,
12:27lorsqu'elles se rapprochent trop du pouvoir,
12:29sont balayées par le système.
12:30Peut-être, de ce point de vue,
12:31y a-t-il un lien entre le Canada et l'Europe.
12:32À toi.