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Dans son édito du 07/05/2024, Mathieu Bock-Côté revient sur les propos d'Edouard Balladur au sujet de l'immigration en France.

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Transcription
00:00 J'en suis rendu à ce moment dans ma vie un peu étonnant que j'avais pas prévu où je
00:02 confesse une tendresse immense pour Édouard Balladur. Je me dis que finalement, c'est
00:06 lui qui aurait dû être élu en 1995. Moi, je me souviens en 1995, j'étais passionné
00:09 par Chirac. Je m'en veux, je me repars. L'autre, il sait que ça sert à quelque chose.
00:13 Non mais franchement, il avait la tête assez bien faite. Sur à peu près tout. L'autre
00:16 avait la gueule de l'emploi, lui avait quand même la tête bien faite pour cela. Et j'y
00:20 reviens dans le texte du Figaro assez... Ah oui, on a des passions comme ça. Mais je
00:25 note des choses assez intéressantes parce que dans ce texte fleuve, mais un texte remarquable
00:29 de clarté. C'est un texte qui est à la fois un testament politique, on l'aura compris,
00:33 mais c'est un homme de 95 ans qui se tient à dire « je ne veux pas quitter ce monde
00:37 sans avoir indiqué le chemin de redressement pour mon pays ». Et il a cette phrase sur
00:41 l'immigration que je me permets de citer. Parce que franchement, si Édouard Balladur
00:44 est un populiste, moi je ne sais plus exactement ce qui existe dans ce monde. J'y reviens.
00:48 S'agissant de la réglementation de l'immigration, c'est à la France de décider souverainement
00:53 qui est compétent pour ce faire. Cela ne peut être que le peuple français, auteur
00:58 exclusif de nos institutions. En la matière, il n'y a de légitimité que la sienne. La
01:05 décision revient au référendum afin de modifier la constitution et de préciser les pouvoirs
01:09 de chacun. Il y a beaucoup de choses là-dedans. Premièrement, on comprend que ce n'est pas
01:12 l'Europe qui doit prendre en charge l'immigration. Édouard Balladur était partisan de Maestricht,
01:17 mais dans le texte, plus largement, il disait que Maestricht était sur quelques points
01:20 en particulier. C'était une Europe assez minimaliste par rapport à ce qu'elle est
01:23 devenue. Donc là, il y a deux choses. Premièrement, il dit que ce n'est pas l'Europe de gérer
01:28 ça. Deuxièmement, c'est aux Français par référendum. Autrement dit, Édouard Balladur,
01:33 qui était, par ailleurs, si je peux me permettre, un proche de Pompidou, ce n'est pas un détail,
01:36 donc un contemporain presque des origines de la Ve République, nous dit que l'appel
01:40 au peuple est légitime. Ce qu'on voit en fait dans la constitution aujourd'hui, telle
01:44 qu'interprétée par M. Fabius, c'est une évolution auto-référentielle de la constitution
01:49 où des juristes ont confisqué la constitution, soutenus par une partie de la nomenclatura,
01:55 de l'oligarchie présente, qui ont pris la constitution en disant « c'est nous, ce
01:58 ne sera pas vous ». Et Balladur, dans les circonstances, dit « non, non, non, le peuple
02:02 compte, ça ne doit pas se situer au niveau européen, ça ne doit pas se situer au pouvoir
02:06 des juges, le référendum est légitime et non seulement légitime, mais nécessaire.
02:11 » Et de ce point de vue, je crois, Balladur révèle la tension entre l'intérêt national
02:15 et l'intérêt d'une caste qui s'est emparée de la France et qui prétend la défendre
02:19 en l'appelant État de droit. Je trouve que ce choc entre deux premiers ministres, Balladur
02:24 et Fabius, est un choc assez révélateur sur deux conceptions différentes de l'État,
02:29 deux conceptions différentes même de la France.
02:31 Vous avez souvent parlé d'une crise de régime, depuis deux ans, dans vos livres
02:37 d'ailleurs aussi. Cette crise de régime n'était-elle pas d'abord une crise institutionnelle ?
02:43 Institutionnelle et constitutionnelle, j'en suis venu à cette conclusion. Mais ce n'est
02:47 pas que ça. Une crise de régime, c'est d'abord la crise des élites. La crise des
02:51 élites qui sont débordées par des problèmes historiques immenses, qu'elles ne sont même
02:55 pas capables d'y répondre parce qu'elles ne sont pas capables de les imaginer. C'est
03:00 probablement le signe d'une fatigue existentielle et intellectuelle des élites, qu'on passe
03:04 d'abord d'élites qui pensent le monde en termes d'histoire, de civilisation, de
03:08 peuple, de culture. Et au terme de l'épuisement existentiel, Rome est tombé, tout tombera
03:12 un jour, mais au terme de l'épuisement existentiel, on a des gens qui réfléchissent en termes
03:15 de slogans, même pas électoraux, et des catégories administratives secondaires et
03:20 des statistiques qu'ils ne comprennent pas. Donc, c'est une crise des élites qui confirme
03:25 aujourd'hui leur médiocrité pour l'essentiel à quelques exceptions près, évidemment.
03:28 Mais la crise est constitutionnelle, pourquoi? Parce que Laurent Fabius, j'y reviens, c'est
03:32 notre homme aujourd'hui. Laurent Fabius explique aux Français que leur constitution ne leur
03:37 permet plus de faire ce qu'ils jugent nécessaire pour leur survie. Puis là, ils multiplient
03:41 les arguments contorsionnés, mais au final, le résultat, c'est quand même un peuple
03:44 qui se fait expliquer qu'il n'est plus en droit de reprendre en main sa vie politique.
03:49 Alors, Fabius intervient en disant oui, il y a des procédures de modification attendues
03:54 pour la constitution si vous le souhaitez vraiment, mais elles sont à ce point complexe
03:58 qu'elles correspondent en fait à un verrouillage institutionnel, un verrouillage constitutionnel.
04:03 La constitution est enfin devenue autoréférentielle, c'est devenu l'objet de la propriété privée
04:08 d'une caste et d'une élite qui ne veut plus partager le pouvoir avec les Français.
04:12 Alors, à l'échelle de l'histoire, qu'est-ce qu'on voit avec tout ça? Je le disais, on
04:16 a voulu dissoudre conceptuellement le peuple, le dissoudre théoriquement, mais le peuple
04:20 a décidé d'exister quand même, même si on lui expliquait qu'il n'existait pas.
04:23 Quel est le scénario qu'on peut avoir devant soi? Ce n'est pas certain, mais c'est une
04:26 possibilité qu'un pouvoir, un parti qui serait accusé d'être populiste, prend le pouvoir,
04:31 et là, qu'est-ce qui arrive? Eh bien, il décide de faire un référendum sur les sujets
04:35 sur lesquels il n'a pas le droit de faire un référendum. Et là, qu'est-ce qu'on voit?
04:38 C'est un choc de légitimité, un choc de légitimité entre ceux qui disent non, non,
04:42 vous n'avez pas le droit, nous sommes les gardiens de l'État de droit, et ceux qui
04:45 disent non, mais nous avons fait appel au peuple. Ce choc de légitimité, ces deux
04:49 visions irréconciliables de la cité, ces deux conceptions irréconciliables de la démocratie,
04:54 on sort à ce moment d'une conception étroite, pour ne pas dire désincarnée du droit, on
04:59 tombe au cœur du politique, c'est 1958 bis pour ceux qui s'intéressent à l'histoire,
05:04 et de ce point de vue, c'est assez fascinant de vue de l'extérieur, la France connaît
05:08 régulièrement des crises constitutionnelles où elle doit refonder ses institutions pour
05:13 redonner du pouvoir au pouvoir et se redonner la capacité d'agir. Il se peut que 2027
05:19 annonce quelque chose comme un nouveau 1958, un bras de fer entre des parties, entre des
05:23 idées, entre des hommes. Reste à voir qui l'emportera.
05:26 [Musique]
05:30 [SILENCE]

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