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00:00 [Musique]
00:08 Bonjour à toutes et à tous, bienvenue dans 100% Sénat.
00:12 La Cour européenne des droits de l'homme est chargée de veiller au respect des libertés fondamentales
00:16 dans 47 pays signataires.
00:19 Pour statuer, il y a 47 juges, un par pays et donc un Français,
00:23 Mathias Guillaumard qui était auditionné mercredi 1er février
00:27 par les commissions des lois et des affaires européennes.
00:30 Je vous laisse suivre ces échanges.
00:31 La jurisprudence de la Cour, très développée, est importante pour nous.
00:39 Certains diront même qu'elle est très raffinée.
00:41 Mais nous en prenons acte.
00:43 Compte tenu de l'appartenance de notre pays d'ailleurs au Conseil de l'Europe
00:45 et des valeurs juridiques de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme
00:49 et des libertés fondamentales dans notre ordre juridique national,
00:52 la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, et chacun le sait ici,
00:56 nous le disons souvent, s'impose à nous dans nos fonctions législatives.
00:59 Parfois ça fait un peu réagir, mais en tous les cas,
01:03 nous veillons à ce que cela soit parfaitement respecté.
01:06 Il faut ainsi lever certains malentendus, et le premier étant peut-être que la France
01:12 fait certes l'objet de condamnations prononcées par la Cour,
01:16 il n'est pas question de le nier, mais qu'elle n'est sans doute pas
01:19 la pire des élèves des États partis à la Convention.
01:22 Peut-être pourrez-vous nous le confirmer.
01:24 En tous les cas, c'est un propos qui avait été esquissé à l'occasion de la rencontre
01:28 que nous avions eue au mois de novembre dernier avec la présidente,
01:30 à laquelle le président Rappin faisait référence tout à l'heure.
01:34 L'un des aspects les plus intéressants et sans doute les plus structurants
01:38 de la jurisprudence de la Cour est à mon sens la marge de manœuvre laissée aux États,
01:43 et on ne le sait pas suffisamment, laissée aux États membres,
01:46 compte tenu de leur propre spécificité juridique ou culturelle,
01:50 pour satisfaire aux prescriptions de la Convention européenne.
01:53 Peut-être pourriez-vous expliciter davantage devant nous
01:57 en quoi cette marge d'appréciation consiste en réalité de façon effective.
02:02 Elle permettra de mieux comprendre et de sortir un peu des lieux communs
02:06 de la discussion ou des déclarations.
02:08 De façon plus précise, je souhaiterais également vous interroger
02:11 sur la portée de certains arrêts de la Cour,
02:13 dans deux domaines qui, pour la Commission des lois en tous les cas,
02:16 mais j'imagine bien pour l'ensemble des collègues et pour le Sénat, sont d'importance.
02:20 D'abord, l'arrêt du 14 septembre 2022, à chef et autre contre la France,
02:25 sur le retour des djihadistes détenus aux Levans,
02:28 et ce qu'il implique réellement pour le gouvernement français.
02:30 Cela a encore fait l'objet il y a peu de temps de questions au gouvernement,
02:35 dans le cadre de nos questions d'actualité, je crois que c'était la semaine dernière,
02:37 ce qui n'a pas fait la part, voire même dans certaines auditions.
02:42 Donc c'est un point important pour bien comprendre
02:44 quelles sont finalement réellement les obligations du gouvernement.
02:47 Et puis l'équilibre recherché par la Cour sur les interceptions
02:50 de sécurité, notamment après les arrêts Big Brother Watch de mai 2021,
02:56 c'est aussi un sujet pour nous qui compte beaucoup,
02:59 qui intéresse souvent la délégation parlementaire au renseignement,
03:02 mais qui est évitablement un sujet d'importance,
03:05 à la fois pour la sécurité de notre pays,
03:07 les conditions de travail de nos propres services.
03:10 Et donc voilà, c'est un point qui nous a beaucoup interrogés,
03:14 pour ne pas dire beaucoup inquiétés.
03:16 Voilà, ce sont que simplement les quelques propos que je souhaitais tenir.
03:19 Maintenant, je crois, Monsieur le Président,
03:20 que nous laissons la parole à M. Guillaumard pour ses déclarations.
03:26 Ah oui, il y a un petit bouton là.
03:34 Ça sent mieux.
03:35 Voilà, alors je réitère mes remerciements,
03:38 Messieurs les Présidents, pour vos mots d'accueil
03:40 et pour votre invitation à venir présenter un certain nombre d'éléments
03:44 relatifs à la Cour européenne et à sa jurisprudence.
03:48 Et aussi répondre dans la seule réserve de mon devoir déontologique,
03:57 tenant à certaines affaires pendantes,
03:59 aux questions que chacune ou chacun voudrait me poser.
04:01 Je suis à votre disposition.
04:02 Je suis venu précisément pour échanger et je vous en remercie.
04:07 Et je me réjouis aussi qu'une délégation du Sénat vienne au mois de mars à la Cour
04:11 pour poursuivre les échanges.
04:15 Je voulais dire ce que la présidente O'Leary,
04:17 qui est entrée en fonction, la première femme présidente de la Cour européenne
04:20 et droit de l'homme, qui est la juge élue au titre de l'Irlande,
04:23 est venue dire au président Larcher, lorsque je l'ai accompagnée en votre présence,
04:28 Messieurs, c'est que notre Cour était extrêmement soucieuse du respect des autorités nationales.
04:37 Et dans les autorités nationales, au premier rang, nous plaçons les Parlements.
04:43 Il y a cette architecture particulière du Conseil de l'Europe avec l'Assemblée parlementaire au siège des délégations.
04:50 Il y a, vous y avez fait allusion, Monsieur le Président, cette particularité que nous sommes un collège de juges élus,
04:57 ce qui nous donne une légitimité indirecte, mais certaine et qui nous oblige aussi.
05:02 Et dans notre jurisprudence, cette attention au Parlement se traduit par une notion très anglaise, très britannique de déférence.
05:11 Nous utilisons souvent ce terme. Ce n'est pas très familier en France, en tout cas pour une juridiction de l'utiliser,
05:18 mais nous utilisons toujours ce terme de déférence qui signifie à la fois la prise en considération du rôle
05:26 et le respect du rôle particulier lié aux législateurs de chacun des États, 46 États du Conseil de l'Europe.
05:35 Et donc, je suis très heureux d'avoir l'occasion de discuter, de dire, je pense, en quelques minutes simplement quelques éléments généraux
05:43 pour pouvoir ensuite essayer de répondre à vos questions.
05:47 Je voudrais témoigner de trois choses. C'est... Je vais essayer d'être le plus direct possible pour satisfaire vos attentes.
05:57 De trois choses qui me semblent nécessaires à bien comprendre pour appréhender de la façon la plus exacte possible
06:04 le rôle de la Cour et la portée de sa jurisprudence.
06:08 Vous y avez fait allusion. La Cour est critiquée. Elle est critiquée dans un nombre croissant d'États,
06:13 quel que soit d'ailleurs le modèle juridique auquel ils appartiennent. Et parfois, ces critiques sont plus que légitimes.
06:24 Nous les prenons en compte. Nous essayons d'en tirer les conséquences qui doivent y être attachées.
06:31 Mais parfois, elles reposent sur des malentendus, des quiproquos ou des préjugés.
06:35 Et alors, je crois que notre rôle, c'est de faire de la pédagogie, de venir expliquer ce que nous faisons vraiment
06:40 et comment nous fonctionnons réellement.
06:42 La première chose que je voulais dire, c'est pour répondre directement à votre question sur la France.
06:49 Est-elle souvent condamnée ou non ? Je voudrais redire très simplement ici que ce qu'on entend parfois est parfaitement inexact.
06:59 La France est très peu souvent condamnée. D'abord, la France est peu pourvoyeuse d'affaires.
07:06 Alors, depuis l'expulsion de la Russie, nous avons placé sous la juridiction des 46 États membres un peu plus de 700 millions de personnes.
07:15 Le nombre moyen de requêtes portées devant la Cour par habitant est de 0,50, un peu plus 0,53. En France, c'est 0,11.
07:23 C'est-à-dire que la France envoie par habitant cinq fois moins de requêtes que la moyenne des 46 États.
07:30 C'est le signe, l'un des premiers signes du bon fonctionnement de l'appareil judiciaire français.
07:35 Moi, je suis issu du Conseil d'État où j'ai siégé pendant 25 ans et je peux témoigner, comme un ancien acteur juge interne,
07:44 on dit à la Cour, que nous connaissons et nous appliquons la Convention européenne et je peux témoigner que l'ordre judiciaire fait de même.
07:51 Donc, cela est d'abord le signe de la bonne santé en termes fonctionnels de l'appareil judiciaire français.
07:59 Et l'ensemble de ces affaires françaises, pas seulement en proportion par habitant, aboutit à un volume tout à fait raisonnable de requêtes.
08:10 Nous avons aujourd'hui un nombre trop élevé d'affaires pendantes devant la Cour.
08:15 Pour tous les pays confondus, nous sommes à presque 75.000 affaires. C'est beaucoup. C'est beaucoup.
08:22 Et il faut savoir que c'est même - vous faites de la place parce que je me suis un peu étalé, excusez-moi -
08:27 mais sur ces 75.000 affaires, cinq pays représentent les trois quarts du stock.
08:35 La Russie, pour les affaires qui étaient encore jusqu'au 16 septembre, c'est pour presque 17.000.
08:43 L'Ukraine, plus de 10.000. La Roumanie, 6.000 à peu près. Et l'Italie, 3.700.
08:49 Et j'ai gardé la Turquie, qui est pour la fin, même si c'est le premier pouvoir du stock, 20.000 affaires turques en stock,
08:56 dont plus de la moitié consécutive à des faits postérieurs à 2016.
09:01 Donc, un énorme stock, c'est vrai, 75.000 affaires, mais cinq pays en constituent les trois quarts.
09:07 La France a aujourd'hui, à l'heure où je vous parle, moins de 600 affaires en stock sur 75.000. C'est peu.
09:14 Et l'année dernière, sur l'ensemble des affaires réglées judiciairement par la Cour concernant la France,
09:21 le taux de condamnation a été inférieur à 1%. L'année dernière, nous avons jugé - j'ai les chiffres presque parfaitement à jour -
09:33 mais nous avons toujours à peu près, on va dire, des volumes constants. C'est assez intéressant.
09:41 Nous sommes toujours entre 600 et 700 affaires en stock. Nous sommes toujours avec, dans les affaires qui rentrent,
09:47 un tiers qui est aiguillé vers le juge unique, c'est-à-dire les rejets manifestes,
09:51 deux tiers vers les formations collégiales à 3, 7 ou 17 juges.
09:55 Et nous avons des volumes à peu près qui tournent autour de 700 affaires maintenant que nous jugeons judiciairement pour la France.
10:02 L'année dernière, nous sommes même montés à 750 affaires pour la France.
10:07 Il faut savoir qu'en moyenne depuis 15 ans, c'est 2% des affaires françaises qui donnent lieu à un constat de violation seulement.
10:15 Et l'année dernière, en 2021, pour les affaires de 2021, c'était moins de 20%.
10:19 Et donc, la première chose que je dis, peu d'affaires et encore moins en proportion, c'est vraiment tout à fait marginal de condamnation,
10:29 qui est un deuxième signe de la bonne santé, si je puis dire, de l'appareil juridictionnel français,
10:33 et du fait que notre ordre juridique, qu'il s'agisse de la loi que vous adoptez, de son application que l'administration prend en charge
10:41 ou de son contrôle que les juges internes effectuent, l'ordre juridique interne est compatible avec les exigences de la Convention.
10:50 Il n'y a pas de bouleversement d'impact absolument considérable que notre jurisprudence à la Cour européenne entraînerait.
11:00 Alors c'est vrai qu'il y a un ressenti. Il y a un ressenti qui est différent. On en avait parlé avec le président Larcher.
11:05 Ce ressenti, il s'explique qu'il est presque normal. C'est que la pointe de l'iceberg, c'est la plus visible, c'est la plus sensible.
11:11 L'année dernière, nous avons eu 19 arrêts de violations, 19 violations constatées pour la France.
11:16 C'est peu, mais quand vous avez parlé de l'affaire HF de Grande-Chambre sur les rapatriements des enfants au nord-est de la Syrie,
11:25 c'est jamais sur des questions anodines. Vous avez deux types de violations en réalité.
11:30 Ce qu'on peut appeler les violations micro, c'est-à-dire c'est vraiment un cas d'espèce, une situation particulière très spécifique,
11:37 et là, le comte ne s'y trouve pas au regard d'un des droits protégés. Et puis vous avez des violations dont l'impact est plus structurel,
11:45 qui portent sur des enjeux plus systémiques, et à ce moment-là, évidemment, la visibilité d'une condamnation est à proportion de la lourdeur des enjeux sur lesquels elle porte.
11:55 Et c'est ça qui explique le ressenti. Mais je pourrais vous donner autant d'exemples, sinon plus d'arrêts qui viennent conforter l'ordre juridique français
12:05 que d'arrêts qui viennent constater une incompatibilité. Et je peux donner quelques exemples concrets récents.
12:12 Il faut bien comprendre aussi que vous avez parlé de la subsidiarité, de la marge nationale d'appréciation.
12:17 C'est un élément essentiel de notre positionnement vis-à-vis des États. C'est la deuxième série d'observations que je voulais faire.
12:26 Mais je voudrais finir sur ma première avec quelques exemples. Oui, HF, vous en avez parlé.
12:31 Une affaire de grande chambre, 17 juges, la formation la plus solennelle, qui constate une violation procédurale
12:39 de l'article 3, paragraphe 2 du protocole 4 sur le droit des ressortissants de retourner dans leur pays.
12:46 Ça veut dire précisément qu'il y a eu dans le constat effectué par la Cour la considération qu'en termes de garantie procédurale,
12:59 le compte n'y était pas suffisamment au regard des exigences de la Convention. Mais nous avons bien pris le soin dans cet arrêt de dire deux choses.
13:07 Premièrement, il n'y a pas dans la Convention de droit général au rapatriement. Et nous avons dit, il n'existe pas de droit général et absolu au rapatriement.
13:18 Ensuite, nous avons dit, il n'y a donc pas d'obligation de résultat. Et de nombreux États européens étaient intervenus à la procédure.
13:25 Nous jugeons une affaire concernant un État, mais avec la règle du non double standard, la solution que nous rendons s'applique dans les 46 États.
13:34 Et ce que nous avons dit, c'était à la lumière aussi des observations que d'autres États étaient venus porter à l'appui de la défense française.
13:41 Et nous avons eu cette échelle européenne à l'esprit, comme nous l'avons toujours quand nous rendons une affaire, mais celle-ci tout particulièrement.
13:47 Donc, il n'y a pas d'obligation de résultat. Il y a une obligation de moyens pour garantir en cas de refus de rapatriement contre le risque d'arbitraire.
13:57 C'est une notion que nous maignons. Elle est habituelle. Nous voulons éviter, et c'est l'une des caractéristiques de l'État de droit,
14:05 que des décisions susceptibles de porter atteinte à des droits fondamentaux soient empreintes d'arbitraire.
14:11 C'est-à-dire que, ici, ce qui a été, je vous réponds très précisément, relevé comme insuffisant, c'est le fait que le refus opposé aux demandes des familles n'était pas motivé.
14:24 Et ne savait pas pourquoi. Nous avons dit qu'il fallait une motivation sommaire dans le respect des secrets protégés par la loi, mais au moins quelque chose.
14:32 Et qu'il n'y avait pas de contrôle juridictionnel sur ces refus. Et nous avons d'ailleurs dit, parce que ça c'est notre jurisprudence,
14:38 il suffit d'un contrôle exercé par un organe indépendant qui n'est pas nécessairement une juridiction. En France, ce serait une juridiction, bien sûr.
14:45 Ce qui s'était passé dans ces affaires, c'est que tant le juge administratif que le juge judiciaire avaient opposé la théorie des actes de gouvernement,
14:51 déclinant leurs compétences pour connaître une question qui touchait, selon eux, à la conduite des relations internationales de la France.
14:57 Eh bien, nous avons dit, là, il y a une insuffisance en termes de garantie procédurale qui entraîne un constat de violation.
15:06 Pour l'exécution correcte de cet arrêt, je ne peux pas dire grand-chose d'autre, je ne peux rien dire d'autre, même que ce qu'il y a dans l'arrêt.
15:15 Car, vous le savez, c'est le comité des ministres, organes politiques, qui est chargé de la surveillance de l'exécution de l'arrêt.
15:20 Mais je peux dire et redire très clairement, car il y a eu beaucoup de choses un peu approximatives, ce qu'il y a dans l'arrêt.
15:26 Il y a simplement que l'État français, de la même manière que d'autres États confrontés à la même situation,
15:34 doit prévoir maintenant une procédure formalisant, dans le respect des exigences minimales que la Cour a définies,
15:42 les motifs du refus et prévoyant un contrôle par un organe indépendant sur le bien-fondé de ces refus.
15:50 Mais nous avons même écrit qu'il pouvait y avoir des refus légitimes, mais qu'il fallait que quelqu'un, un organe indépendant, puisse contrôler la légitimité de ce refus.
15:59 Donc je suis très précis là-dessus. Pas d'obligation de résultat, certainement pas d'obligation de moyens.
16:06 Et nous faisons beaucoup de violations procédurales parce que c'est une manière, je pense, j'y reviendrai, de laisser la main aux États.
16:16 Quand on donne des lignes directrices en matière de garantie, de processuel ou procédural, on ne préempte pas le fond.
16:25 Car très souvent, le fond, nous le disons nous-mêmes, nous ne sommes pas aptes à décider à la place.
16:32 Nous avons ce que nous appelons le principe de non-substitution. Nous ne substituons pas notre appréciation à celle des autorités nationales.
16:39 Alors effectivement, il y a cette affaire qui a entraîné une condamnation. Il y en a d'autres.
16:43 Si je veux essayer de repérer quels seraient, sur l'année qui vient de s'écouler, les facteurs explicatifs du nombre de violations que nous avons prononcées s'agissant de la France.
16:54 Je ne vais pas vous faire, je vous rassure, le répertoire des 19 affaires.
16:58 Mais il y a ce que j'appelle des queues de comètes. Nous avons fait plusieurs condamnations, par exemple, pour l'absence du droit à l'avocat en audition libre.
17:05 Pourquoi c'est une queue de comète ? Parce que malheureusement, nous jugeons encore avec un délai trop long.
17:10 Aujourd'hui, le droit français s'est mis en accord, comme pour la garde à vue, avec ses exigences des droits de la défense, le droit de garder le silence, le droit à l'avocat.
17:18 Mais nous avions des vieilles affaires d'une époque antérieure. Mais ça fait quand même une violation.
17:23 Nous avons eu des violations aussi en ce qui concerne la question migratoire et le contentieux des étrangers.
17:29 Je veux en parler ici, car souvent, la Cour est attaquée sur ce contentieux-là.
17:33 En France, il y a eu deux types de violations.
17:36 La première concerne des durées de rétention administrative que nous avons jugées excessives pour les mineurs.
17:42 Et la seconde concerne, là aussi, des violations procédurales sur le mode d'évaluation du risque
17:48 encourues en cas de renvoi dans le pays de destination par telle ou telle personne expulsée.
17:55 Et là, nous avons eu notamment - ça a fait susciter un débat tout à fait légitime et souhaitable -
18:01 des violations concernant des ressortissants russes qui avaient été d'origine tchétchène renvoyés en Russie.
18:08 Et ce que nous avons dit, en d'ailleurs nous appuyant sur la jurisprudence de la Cour de Luxembourg et celle du Conseil d'État,
18:15 c'est que dans l'évaluation du risque, il fallait prendre en compte le fait que les gens qui étaient nos requérants,
18:23 les gens dans la situation particulière, avaient été réfugiés, s'étaient vus révoquer le statut de réfugié,
18:28 mais en fonction de la jurisprudence et de la Cour de Luxembourg et du Conseil d'État, avaient gardé la qualité d'un réfugié.
18:34 C'est une distinction un peu subtile, mais la qualité existe toujours malgré le statut.
18:41 La révocation du statut permet l'éloignement, mais la qualité subsiste.
18:45 Et nous, nous avons dit, il faut tenir compte de ce critère dans l'évaluation du risque.
18:49 Ça ne veut pas dire - et là aussi c'est une violation procédurale - que une fois l'évaluation reprise au terme du nouvel examen complet,
18:58 il y aurait une impossibilité d'éloigner. Et je voudrais être précis là-dessus, car très souvent,
19:03 j'ai vu dans la presse, la Cour empêche la France, et peut-être l'autre pays, ça peut être, d'éloigner des terroristes ou des personnes
19:14 qui ont d'ailleurs souvent commis des faits tout à fait répréhensibles et souvent condamnés.
19:18 Non, nous n'avons pas dit ça. Nous avons dit le mode d'évaluation du risque n'est pas satisfaisant au regard des exigences de la Convention.
19:27 Alors, maintenant, je vous avais dit, nous avons jugé aussi beaucoup d'affaires de non-violation.
19:33 Et je me rappelle de l'entretien avec le président Larcher, qui l'avait dit, et M. le Président vous avez dit la même chose,
19:38 mais il y a les affaires de comité, des décisions que nous rejetons à trois juges comme manifestement mal fondées.
19:45 Celles-là, personne n'en parle. Elles passent sous les radars. Il faudrait en parler davantage. Alors je viens vous en parler.
19:51 Depuis deux ans, nous avons rendu 50 affaires, une cinquantaine d'affaires en comité, sur des questions lourdes.
19:57 Et à chaque fois, ce sont des rejets. En ce qui concerne des violences policières, dont nous avons jugé qu'elles n'étaient pas excessives,
20:04 violences alléguées, mais que la réponse des forces de l'ordre était proportionnée à la situation.
20:10 En ce qui concerne, là aussi, des étrangers, quatre affaires concernant des éloignements forcés au regard de l'article 8.
20:16 Quatre rejets pour défaut manifeste de fondement du grief. Alors quand je lis un article qui dit l'article 8,
20:22 appliqué par la Cour, empêche d'éloigner des étrangers ou impose le regroupement familial, je peux venir avec les quatre arrêts et dire,
20:29 moi, j'ai eu quatre affaires depuis deux ans pour la France, quatre rejets. Une expulsion de camps de Rome, six rejets.
20:37 Je pourrais, je ne vais pas vous faire les 50 non plus, mais ça, c'est vrai qu'il y a peut-être un déficit de communication
20:42 qui donne une vision déséquilibrée de ce que nous jugeons. Et je terminerai avec des arrêts de chambre,
20:47 où nous examinons vraiment les mérites à sept, parfois après une audience. Trois arrêts récents, de la fin 2022, du début 2023,
20:56 viennent illustrer ce que j'appelais le travail confortatif que fait notre Cour par rapport aux droits français.
21:03 Un arrêt d'Aon qui concerne le contrôle du Conseil d'État sur les procédures disciplinaires, en l'espèce un ambassadeur.
21:09 Non-violation, conformité aux exigences de l'article 6 des procédures et des jurisprudences françaises.
21:15 Un arrêt très important, Pagerie contre France, rendu après une audience de chambre, s'agissant d'une assignation à résidence prise
21:22 pendant l'état d'urgence post-2015. Non-violation à l'unanimité, reconnaissance du caractère effectif du référé Liberté
21:29 et caractère non fondé du grief tiré d'une atteinte excessive à la Liberté d'aller et venir.
21:35 Et puisque vous m'avez interpellé sur la marge d'appréciation, je vais passer, parce que je ne veux pas prendre trop de temps,
21:40 à ma deuxième série de considérations avec l'affaire Y contre France qui a été rendue hier et qui concerne,
21:45 vous avez peut-être entendu parler de cette affaire qui est assez médiatique, une personne biologiquement intersexuée
21:50 qui avait demandé le changement sur son état civil de sexe masculin qui lui avait été attribué par sexe neutre.
21:57 Non-violation. Non-violation avec, justement, cette mobilisation de la marge nationale d'appréciation
22:06 qui montre bien que nous intervenons à notre tour, après l'épuisement des voies de recours internes, c'est la subsidiarité procédurale
22:13 et à notre place, dans le respect des marges nationales d'appréciation, c'est-à-dire dans le respect de ce que nous laissons délibérément
22:21 à la main des États. Là, nous avons fait une étude de droit comparé. Il y a, sur cette question de la non-binarité,
22:30 une toute petite minorité d'États en Europe qui a fait le choix, par la loi d'ailleurs, de permettre un tiers-genre
22:39 ou une absence de mention genrée sur les actes d'État civil. Mais c'est 7 sur 46. Il n'y a pas de consensus,
22:46 ce que nous appelons le consensus. En l'absence de consensus européen, nous ne nous sentons pas légitimes à imposer un modèle
22:53 qui ne recueille pas l'assentiment de la majorité des États. Et ce, d'autant plus que nous sommes dans des questions sociétales
23:00 qui peuvent légitimement susciter des controverses. Et là, nous le disons toujours, c'est le législateur national
23:06 qui est légitime pour fixer le point d'équilibre entre des situations qui peuvent opposer un intérêt public
23:14 et l'atteinte portée, du point de vue du requérant, à ces libertés individuelles. Et donc, nous avons vraiment reconnu
23:26 une très large marge d'appréciation aux États dans la matière et fait une non-violation. Et ça, c'est extrêmement important
23:32 parce que c'est véritablement le cœur du réacteur de notre jurisprudence. Nous devons juger pour 46 États.
23:38 Nous définissons des garanties minimales en fonction du plus petit dénominateur commun qui nous apparaît devoir être partagé
23:46 par l'ensemble des États dans le respect de ce que les pères fondateurs - vous faisiez allusion à la Convention de 1950 -
23:55 nous ont légué. Lorsqu'après la Deuxième Guerre mondiale, j'ai travaillé beaucoup sur les travaux préparatoires
24:00 de la rédaction de la Convention. C'est fascinant. D'ailleurs, ce qui est fascinant, c'est de voir que c'était la France,
24:09 le Royaume-Uni et l'Italie, c'est-à-dire ceux qui venaient de se faire la guerre, qui étaient les trois fers de lance de cette construction
24:16 du Conseil de l'Europe. Assez d'accord. Et c'était Pierre-Henri Téjen qui a porté la plume en déclinant à l'échelle européenne
24:24 l'Éclaration universelle d'Anthony Cassin, qui a eu cette belle formule que je voudrais vous livrer, qui a dit que pour nous,
24:30 les États européens qui partageons ces idéaux de paix et de justice, il s'agit d'éviter le retour de l'épouvante.
24:37 Et c'est ça. C'est l'idée. On n'est pas là pour nier les biodiversités politiques, les biodiversités juridiques. Au contraire,
24:44 notre Convention prend racine dans cette richesse qu'est la variété des États, des histoires, des peuples et des traditions juridiques.
24:54 Elle prend racine pour projeter l'ensemble des États qui ont signé ce pacte commun vers un horizon partagé.
25:02 Mais il ne s'agit pas de substituer un modèle à 46 modèles. C'est pour ça que nous travaillons beaucoup.
25:08 Et maintenant, avec la ratification du protocole 15, le principe de subsidiarité et la marge d'appréciation sont dans le préambule de la Convention.
25:16 C'était des notions issues de notre jurisprudence, mais qui étaient simplement le reflet de l'architecture du dispositif créé maintenant, il y a plus de 70 ans.
25:24 Alors la dernière série d'observations, parce que je veux laisser du temps aux questions et peut-être ne suis-je pas assez précis.
25:31 J'en suis désolé, mais j'aurai l'occasion de revenir plus techniquement si vous le souhaitez. C'est la place de la France dans ce dispositif.
25:39 Et je voudrais venir témoigner devant vous de ce que je vis maintenant depuis près de trois ans avec, je vous le dis en toute simplicité, beaucoup de satisfaction.
25:52 C'est de voir que la France compte, joue un rôle de premier plan en Europe et que par sa participation au dispositif du Conseil de l'Europe, elle fait rayonner les valeurs de la France, elle fait rayonner le modèle français.
26:07 C'est vrai que dans notre bloc de constitutionnalité, nous avons les mêmes droits que dans la Convention.
26:13 Et donc il n'y a pas de hiatus entre nos droits fondamentaux conçus à la française et ceux qui sont dans la Convention.
26:20 Il peut y avoir des questions de réglage, je ne veux pas dire que... Mais c'est fondamentalement le même bloc de droit de l'homme.
26:31 Ensuite, le français est l'une des deux langues de travail. Et pour la francophonie, c'est un forum essentiel de promotion de notre langue et derrière notre langue, vous le savez, de notre culture et derrière notre culture, de nos valeurs.
26:45 Et quand je vois et je délibère avec les collègues de 45 États, même si dans ma chambre, nous travaillons à 10, je vois l'importance qu'ils accordent à la France, à la position que la France prend sur tel ou tel sujet.
26:59 C'est un forum pour porter aussi notre modèle. Et je pense qu'il n'y a pas... Enfin, comme ça, comme juge national, vous avez eu les mots très justes de dire "je ne suis pas l'ambassadeur ni l'avocat de la France".
27:12 Je suis élu au territoire de la France, ce qui me donne deux obligations comme celles qu'ont mes collègues vis-à-vis de leur État, c'est-à-dire de siéger dans les affaires contre la France.
27:23 Et je pourrais vous expliquer pourquoi c'est fondamental que le juge national fonde... siège, pardon, dans les États... pardon, les litiges dirigés contre son État.
27:31 Et ce faisant, de faire comprendre les tenants et les aboutissants d'une affaire, les subtilités ou les difficultés du système juridique, l'ampleur des enjeux en cause, la sensibilité de telle ou telle affaire, et de permettre...
27:48 Et je suis content quand je juge une affaire ukrainienne. Je suis dans la section qui juge l'Ukraine et je suis le juge unique, l'un des deux juges uniques pour les affaires ukrainiennes.
27:54 Il faut que mon collègue ukrainien fasse de même pour nous expliquer les ressorts des affaires ukrainiennes, ou ma collègue espagnole qui a désormais rejoint la section 5, ou ma collègue de la République tchèque, ou le président de la section qui est l'ancien président du Conseil d'État du Luxembourg.
28:09 Nous avons besoin pour que cela fonctionne correctement en connaissance de cause de cet input, si vous me permettez cet anglicisme, de cet apport du juge national.
28:20 Et cet apport, ce n'est pas seulement sur le cas, c'est pour la jurisprudence. Et je terminerai par là en disant que notre jurisprudence n'est pas le cheval de troie de tel ou tel modèle.
28:32 Ce n'est pas le cheval de droits du common law ou du droit continental. C'est le véhicule, c'est le creuset dans lequel nous essayons de trouver, par un droit de subsidiarité, le dénominateur commun qui va exhauster les systèmes juridiques nationaux.
28:49 Et ça, c'est important que chacun puisse dire son mot, chacun puisse apporter justement la source du système dont il est issu.
28:57 Parce que quand je dis que la convention s'enracine dans les États, eh bien il faut aller puiser justement dans ces racines les inspirations.
29:03 Nous ne sommes pas un droit hors sol. Nous sommes un droit constitué de ces sources-là, multiples, et je pense que notre jurisprudence s'efforce d'être le fruit de ces hybridations fécondes
29:13 dans le respect de la diversité des systèmes et de la place que les autorités nationales, premières garantes du respect des droits fondamentaux, parlement, exécutif, juge interne, occupent.
29:27 Et nous sommes évidemment très soucieux de cette responsabilité partagée. Pas de substitution, pas d'uniformisation.
29:33 Un droit qui finalement cherche du commun. Mais comme disait Mireille Denmas-Marty, pour qu'il y ait du commun, il faut qu'il y ait du différent.
29:41 Et bien justement, qu'est-ce qui nous rassemble dans le respect de nos différences ? Je vous remercie.
29:47 Bien, mes chers collègues, vous avez entendu le propos très clair qu'on a déjà entendu avec le président Buffet.
29:55 Et je vous laisse éventuellement... Alors oui, Jean-Yves Lecomte, qui fait partie des deux commissions, oui, Commission des lois et Commission des affaires européennes. Jean-Yves.
30:06 Oui, merci, monsieur le juge et merci, messieurs les présidents. Trois questions de... assez générales et une sur le sujet actuel sur lequel nous planchons par rapport à l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme.
30:22 Quand vous évoquez la place du juge national dans les affaires qui touchent un pays donné, comment un juge national peut...
30:30 Quand il y en a 600, bon, c'est peut-être faisable. Comment votre collègue turc arrive à être présent sur tant d'affaires ? Est-ce qu'il n'y a pas un paradoxe ?
30:39 Deuxième question. Lorsque vous avez une affaire qui a été jugée, je pense à l'asile au Rwanda pour les personnes qui demandent l'asile en Grande-Bretagne,
30:49 et qui est finalement un point fort d'une volonté politique dans un État. Comment est-ce qu'on dépasse cette difficulté ? Parce que probablement, voilà, il y a eu un jugement de la Cour sur ce sujet.
31:04 Il y a eu des réactions assez vives de Grande-Bretagne. Est-ce que sur ce sujet précis, vous voyez une sortie ?
31:11 Est-ce que d'une manière générale, quand c'est un point politique très dur entre un pays membre, un pays signataire et la décision que vous avez prise, comment on en sort ?
31:23 Enfin, sur l'adhésion de l'UE à la Cour européenne des droits de l'homme, à la Convention européenne des droits de l'homme, c'est à la fois le respect des traités de l'UE.
31:33 C'est aussi une valeur symbolique énorme pour... Même si c'est quelque chose de nouveau, finalement, parce que ce n'est pas un État. C'est, voilà, un nouvel espace, une nouvelle structure.
31:42 C'est la première fois que ça se fait. Comment est-ce que vous partagez ? Est-ce que l'UE se fait trop de difficultés en prenant en compte, finalement, l'avis de la Cour de justice de 2013 ?
32:02 Il est vrai que si un requérant va attaquer l'UE pour quelque chose qui n'est pas de sa compétence, comment est-ce que vous allez traiter la chose ?
32:11 Est-ce que vous avez, finalement, l'impression qu'il y a une valeur ajoutée réelle ? Même si la valeur ajoutée est symbolique, je crois qu'elle est tellement essentielle que, de toute façon, il faut y aller.
32:22 Mais est-ce qu'il y a vraiment une valeur ajoutée réelle ? Sur quel type d'affaires est-ce qu'on se fait, finalement... On se complique la vie en essayant de répondre à toutes les objections de la CGE ?
32:34 Comment est-ce que vous percevez les choses ? Parce qu'on peut aussi considérer qu'une fois que toute affaire qui est relève d'un État membre pourrait aussi relever de l'Union, ou en tout cas le requérant pourrait le considérer.
32:48 Donc comment est-ce qu'on traite ça ?
32:52 Merci beaucoup. Je vais répondre aux trois questions, mais forcer de répondre. Et pour la dernière, ce sera juste quelques éléments de réponse.
33:01 Pour la première, merci beaucoup parce que ça me permet d'affiner ce que j'ai dit à l'instant. Je n'ai pas tout dit et je complète. Nous ne pouvons pas être juges uniques concernant notre pays.
33:15 C'est pour ça que moi je suis juge unique sur les affaires de l'UQAM parce que ce sont des rejets, forcément, en juge unique. Donc nous ne sommes jamais le juge unique pour notre pays.
33:23 Donc nous avons à peu près, je vous l'ai dit, un tiers d'affaires françaises qui sont rejetées chaque année par le juge unique. Ce n'est pas moi.
33:32 Et pour ma collecture, c'est plus qu'un tiers. Donc déjà, elle n'a pas cette charge-là. Et ensuite, il y a une distinction à faire entre la présence prévue dans le traité de plein droit en chambre.
33:49 Cette juge est en grande chambre. Le juge national est de plein droit. Et s'il ne peut pas siéger, il y a un juge ad hoc.
33:54 Je me déporte sur une quinzaine d'affaires en ce moment, compte tenu de mes anciennes fonctions au Conseil d'État. Il y aura un juge ad hoc qui représentera la France.
34:03 En comité, c'est une pratique. Ce n'est pas une obligation. Et effectivement, vous avez parfaitement raison, pour ma collègue turque ou mon collègue ukrainien,
34:10 ils ne peuvent pas siéger dans toutes les affaires de comité où la France est en cause. Moi, je peux parce que j'ai le volume qui me permet.
34:16 Donc merci pour me donner l'occasion d'apporter ces précisions. Sur l'affaire du Rwanda, oui, c'est une affaire qui a suscité beaucoup de débats et de critiques au Royaume-Uni.
34:28 Il faut bien savoir que nous n'avons pas jugé l'affaire. Il y a le juge de permanence qui a pris une mesure provisoire.
34:34 Ça me permet de dire un mot, et merci aussi pour cette occasion, sur les mesures provisoires.
34:38 L'article 39 de notre règlement nous permet, dans certaines hypothèses, de geler une situation dans l'attente de l'instruction et du règlement au fond de l'affaire,
34:51 si un dommage irréversible est susceptible de se réaliser. Dans l'affaire Vincent Lambert, c'est ce qui s'était passé.
35:02 La Cour avait ordonné de suspendre l'arrêt du traitement le temps de juger.
35:08 Et ensuite, la Cour, c'était avant que j'arrive à Strasbourg, la Cour avait jugé non-violation, confirmant la position retenue par le Conseil d'État,
35:16 ce qui avait levé la mesure provisoire, et donc on était revenu à l'état exsanté, c'est-à-dire l'interruption du traitement.
35:23 Pour le Rwanda, il a été, et ça c'est assez facile à comprendre, apprécié, qu'une fois que les gens seraient retournés au Rwanda, c'était le fait accompli.
35:34 Donc ce qu'a demandé le juge de permanence, c'est de ne pas mettre en œuvre les vols vers le Rwanda, mais maintenant,
35:43 et c'est à la Cour de juger le plus vite possible, parce que nous avons des processus d'accélération des affaires qui ont fait l'objet d'un 39,
35:50 de prendre position sur le fond, et effectivement de deux choses l'une, soit comme la formation du jugement considérera qu'il y a une atteinte,
36:00 et à ce moment-là, la mesure 39 s'arrêtera avec le constat de violation, qui aura des effets plus durables, et ce sera le comité des ministres qui prendra le relais,
36:08 soit comme dans l'affaire Vincent Lambert, la formation du jugement considérera que le grief, après instruction au fond, n'est pas fondé,
36:16 ça fera cesser la mesure 39 et ça rendra possible l'exécution des vols à destination du Rwanda.
36:22 Donc on peut discuter de la procédure sur ces mesures provisoires, et nous avons d'ailleurs un groupe de travail auquel je participe,
36:33 interne à la Cour, pour améliorer la procédure et apporter des garanties supplémentaires dans les 39.
36:41 Il faut dire qu'il y a plus de 39 qu'avant. Pour la France, on est toujours sur à peu près un grand nombre d'affaires, de demandes,
36:51 entre 100 et 150 par an, avec un taux d'octroi de 10% seulement. Voilà pour le Rwanda.
36:57 Alors pour le gros chantier, je vais être... je vais rester à ma place. C'est celle d'un juge concerné si la désistance produit.
37:12 Et je dis ma place parce que ce sont les États, ce sont les négociateurs qui sont là dans leur rôle et qui ont la légitimité pour faire aboutir le processus.
37:25 Ça ne m'empêche pas de pouvoir quand même vous dire des choses. Alors d'abord d'un point de vue institutionnel, puis d'un point de vue personnel,
37:32 qui n'engagera pas mon institution. D'un point de vue institutionnel, la cohérence entre les deux ordres juridiques de l'Union européenne
37:39 et du Conseil de l'Europe et de la Convention est indispensable. Mais nous n'avons heureusement pas attendu l'adhésion pour la construire.
37:48 Nous rencontrons chaque année, et la Cour de Luxembourg vient de passer une journée à Strasbourg pour des séminaires de travail.
37:55 Nous avons échangé sur l'équité en matière de procédure pénale. C'était très intéressant. J'ai fait une coprésentation avec l'avocat général français
38:03 Jean-Richard de Latour sur nos jurisprudences, car nous sommes soucieux d'échanger et de faire en sorte qu'il y ait les plus grandes convergences possibles.
38:11 Nous avons une jurisprudence qui a créé ce qu'on appelle la présomption bosphorus, c'est-à-dire la présomption d'équivalence des protections.
38:18 Quand la Cour de justice a jugé, ou quand un État membre a jugé que le droit de l'Union était respecté par une mesure nationale,
38:25 il est présumé respecter la Convention européenne des droits de l'homme parce qu'il y a une équivalence des protections entre les deux ordres juridiques.
38:32 Donc ça fait fonctionner le système. Donc institutionnellement parlant, autant l'objectif de cohérence est absolument indispensable,
38:40 autant, je pense, que nous nous efforçons de l'atteindre avant même l'adhésion.
38:45 Qu'est-ce qu'apporterait institutionnellement parlant l'adhésion ? Une supervision externe, celle exercée par la Cour de Strasbourg,
38:52 sur des actes propres à l'Union européenne qui ne font pas l'objet de contrôle.
38:59 Donc il y aurait effectivement une valeur ajoutée en termes de justicabilité. Ça c'est institutionnel.
39:06 Je peux dire ça. Je pense qu'on n'en a pas besoin pour faire fonctionner les deux systèmes en bonne harmonie, mais ça apporterait un plus.
39:14 À titre personnel, et je le dis avec donc la précaution de rappeler que je n'engage pas mon institution.
39:21 Je pense comme vous qu'il y a un effet symbolique très fort parce que là l'Europe marche sur les deux pieds ensemble.
39:28 Je pense qu'il y a effectivement à ce moment-là à envisager qu'un certain nombre d'actes émanant de l'Union européenne
39:39 puissent faire l'objet d'un contrôle de la part de la Cour. Je pense par exemple à certaines décisions de la Commission en matière de concurrence,
39:45 qui aujourd'hui ne peuvent pas être attaquées ni à Luxembourg ni dans les ordres internes.
39:50 Donc c'est vrai que je vois très bien qu'il y aurait des contrôles pourtant sur des matières qui aujourd'hui ne sont pas contrôlées.
40:01 Et je pense que d'une manière générale, et ça c'est aussi personnel ce que je vais vous dire, il ne faut pas avoir peur de l'empilement des contrôles,
40:11 mais il faut s'efforcer que l'empilement ne devienne pas l'éparpillement et là où on veut mettre de la cohérence,
40:19 soit paradoxalement la source de dysfonctionnement et de dysharmonie.
40:24 Donc je pense que si ça se faisait, il faudrait être extrêmement vigilant pour que ça se passe bien.
40:31 Et il y a des lourds chantiers fonctionnels en termes de procédures à mettre en place.
40:36 Alors nous travaillons, nous avons un groupe de travail interne à la Cour, j'en fais aussi partie, qui anticipe pour anticiper comment on ferait,
40:43 parce qu'il y aurait un juge, et lui au titre de l'Union européenne, il y a plein de choses comme ça,
40:48 mais nous ne sommes pas légitimes à faire les réglages, nous sommes juste en interne soucieux de ne pas être pris au dépourvu
40:55 et d'avoir les réponses, le moment venu s'il arrive, les réponses les plus fonctionnelles et les plus à même de satisfaire la volonté politique qui aura été manifestée au moment de l'adhésion.
41:07 Donc pour ne pas dire tout et son contraire et être clair, j'espère, je pense que c'est quelque chose qui constituerait un progrès,
41:18 mais qui appellerait beaucoup de précautions, beaucoup de vigilance de part et d'autre, et donc la capacité d'inventer aussi de nouvelles modalités.
41:28 Mais ça n'est pas inatteignable. Après il y a la question que vous connaissez mieux que moi, de la question de la pesque qui ne relève pas du contrôle.
41:43 Oui, avant même d'instruire une affaire, il faut savoir si elle touche finalement l'Union européenne dans son ensemble ou un État membre.
41:49 Oui, oui. Sachant qu'en plus on peut avoir des démarches un peu multipliées justement pour aller à la pêche.
41:57 Donc il y a quand même ça. Ce qui veut dire que la première chose que vous auriez à faire dans chaque affaire, c'est de définir si effectivement c'est une compétence de l'Union.
42:05 Ça fait partie des difficultés techniques dont il ne faut pas minorer l'ampleur, bien sûr, et de la même manière qu'il y a la question d'épuisement des voies de records internes.
42:14 Donc ça serait compliqué que nous venions juger un acte des institutions de l'Union européenne sans que la Cour de justice ne les ait jugées avant.
42:24 Parce que ça, il est hors de question. Alors là, je ne parle toujours qu'en mon nom, mais il est hors de question pour moi que le premier et seul juge soit la Cour de Strasbourg.
42:33 Ce n'est pas notre philosophie. Nous, on est dans la solidarité. Donc c'est vrai qu'il y a des réglages techniques.
42:39 Il y a un chemin, mais il est encore long. Oui, oui, oui, oui.
42:44 Oui, ce serait dommage de vous avoir en face de nous et de ne pas réviser la question de cour. Qu'est-ce qu'il faudrait que nous modifions pour que le parquet français soit considéré comme un juge indépendant ?
42:59 Ça, c'est ma première question. La deuxième, c'est que le Conseil, ces dernières années, a évolué vis-à-vis de conséquences attirées d'erreurs de procédure et a autorisé,
43:15 s'agissant de décisions administratives, des procédures de régularisation. Est-ce que la Cour permet aussi de passer par-dessus des erreurs de procédure qu'elle ne considère pas comme déterminantes ?
43:34 Enfin, une curiosité. Considérez-vous que la Cour serait compétente à l'encontre de décisions juridictionnelles prises par des autorités de fait occupant un territoire ?
43:51 C'est-à-dire le cas des républiques autoproclamées en Ukraine, pays qui est membre du Conseil. J'imagine que ces autorités, qui sont en place depuis 10 ans, ont des juridictions.
44:06 Elles ne relèvent pas de l'État ukrainien légitime, mais elles pèsent sur des citoyens qui sont restés en droit, des citoyens ukrainiens. Est-ce que, à votre avis, la Cour est compétente dans ce cas-là ?
44:22 Je commence par la plus redoutable. C'est la dernière question. Je serai prudent parce que ça viendra peut-être devant... Et puis, comme je siège dans la section où il y a l'Ukraine,
44:32 je ne veux pas dire des choses qui me conduiraient à devoir me récuser, mais je fais une réponse qui est en réalité très... résude directement de la lecture du traité.
44:44 Notre compétence, elle est directement liée à deux choses. Un, que l'État, dont on allègue qu'il est à l'origine du fait générateur litigieux, relève du dispositif.
45:00 C'est pour ça que depuis le 16 septembre, la Cour n'est plus compétente pour les affaires qui pourraient être survenues postérieurement à cette date pour la Russie, mais elle le reste pour le passé.
45:12 Première condition. Deuxième condition, que l'État, membre, donc à la fois membre du Conseil de l'Europe et ayant ratifié la Convention, ait juridiction sur le requérant.
45:22 Donc notre compétence est deux fois conditionnée, subordonnée au fait que l'État joue le jeu, soit qu'il est adhéré sans être parti, soit qu'il est adhéré et qu'on n'est pas expulsé, et qu'il ait juridiction.
45:37 Et là, vous avez un double problème, parce que vous avez le problème au deux niveaux. Donc je ne peux pas en dire plus, mais voilà, notre compétence est subordonnée à ces deux conditions.
45:47 Sur le parquet, alors c'est une question, en réalité, qui n'alimente pas de requêtes, aujourd'hui, contre la France. C'est très ancien, l'affaire Moulin. C'est la dernière affaire qui concerne le parquet à la française.
46:00 Et ce qui est intéressant, c'est que nous n'avons jugé une question d'indépendance du parquet qu'au regard de l'article 5, paragraphe 3 de la Convention, c'est-à-dire le droit à la sûreté et donc l'absence de rétention arbitraire.
46:15 Nous n'avons pas de jurisprudence générale qui disqualifierait le système du parquet à la française au regard des exigences d'indépendance. Mais il y a de la jurisprudence qui alimente un certain nombre de doutes ou de questions sur ce sujet.
46:31 Je ne peux pas dire plus parce que je pense qu'un jour ou l'autre, il y aura des questions, notamment en ce qui concerne, vous avez fait allusion aux interceptions de sécurité, mais si certaines sont autorisées par le parquet.
46:45 Et vous savez que la Cour de Luxembourg a elle-même rendu des jurisprudences qui ne sont pas sans effet sur la conduite d'un certain nombre de procédures. Tout ça, nous en sommes parfaitement au courant.
46:54 Je rencontre d'ailleurs l'ensemble des procureurs généraux de France au mois de mai à Colmar, à l'invitation du procureur général près de la Cour d'appel de Colmar.
47:02 Et ça fait partie aussi du travail du juge national d'être au contact des autorités nationales. Et j'échangerai certainement à froid jamais sur un dossier, vous vous en doutez, sur ce type de considération.
47:13 Mais j'ai déjà eu l'occasion de discuter avec des procureurs de la République de ces questions-là. Je suis prudent. Le moment viendra peut-être un jour.
47:19 Mais en tout cas, en l'état de la jurisprudence, il n'y a pas de disqualification structurelle du parquet à la française. Voilà. Ça, c'est très important de le rappeler.
47:27 Ensuite, la question de la dantonisation, comme on dit, c'est-à-dire la régularisation. Oui, dans notre jurisprudence, nous procédons de la sorte.
47:35 Et c'est vraiment l'esprit même de la jurisprudence de la Cour. C'est-à-dire que nous ne considérons jamais que le constat d'un vice de procédure - au revoir, monsieur le président - donné à un instant T
47:47 sanctuarise la question et plie le match. Je vais parler de l'équité de la procédure pénale. Nous avons depuis un certain nombre d'affaires - Salle 12 contre Turquie et notamment Beuze contre Belgique -
48:01 concernant le droit à l'avocat, mis en place ce que nous appelons le contrôle de l'équité globale de la procédure. C'est-à-dire que nous appréhendons la procédure dans son ensemble.
48:11 Nous regardons s'il y a une lacune - ce que nous appelons une lacune - un vice de procédure. Si oui, quelle est son ampleur ? Et si oui, est-ce qu'il a été purgé, compensé par la suite de la procédure ?
48:25 Et nous sommes arrivés parfois - je parlais des auditions libres tout à l'heure - dans deux affaires, nous avons constaté une violation pour défaut d'avocat, parce que ça n'avait pas été rattrapé,
48:35 et pas dans la troisième, parce que ça avait été régularisé par d'autres moyens. C'est-à-dire que nous avons vraiment une appréhension d'ensemble, et c'est à la fin, et c'est assez conforme à notre façon de faire.
48:46 Nous, nous jugeons une situation. Nous ne jugeons pas un acte, nous ne jugeons pas une norme. C'est très différent du juge national de ce point de vue-là.
48:54 Nous jugeons les effets produits dans une situation, certes par l'application d'une loi ou par une décision de justice, mais nous jugeons la compatibilité des effets avec nos exigences.
49:05 Si bien que, oui, c'est tout à fait dans notre logiciel d'avoir cette plasticité, cette capacité à régulariser avec une approche très dynamique de ce qui s'est passé.
49:14 Donc, non seulement ça ne poserait pas de problème, mais nous le pratiquons. Nous le pratiquons depuis longtemps.
49:20 Oui, merci, Monsieur le Président. D'abord, Monsieur le Juge, merci pour vos propos passionnants sur le fonctionnement de la Cour.
49:34 J'ai une première question sur l'influence du droit français. Est-ce que cette influence est quantifiable en termes de pourcentage et quels sont les autres droits qui sont le plus utilisés ?
49:53 Et puis une seconde question sur l'aspect pédagogique. L'acceptation des décisions, c'est important dans une démocratie.
50:07 Et je veux illustrer cet aspect par l'une des condamnations de la France. C'est à propos de la rétention puis de l'expulsion de mineurs comoriens à Mayotte.
50:25 La France a été condamnée l'année dernière pour cela. Et dans nos territoires reculés où nous avons des pressions, et notamment la pression migratoire,
50:39 ces décisions de condamnation ne sont pas très comprises, peuvent même être prises pour la double peine.
50:48 Est-ce qu'il n'y a pas un travail pédagogique, un travail d'explication à mener pour mieux expliquer, mieux faire comprendre ces décisions de la Cour
51:01 qui sont parfaitement entendables dans le standard métropolitain par exemple, mais compte tenu de ses particularités, notamment en Outre-mer,
51:10 est-ce qu'il n'y a pas un effort de pédagogie et le cas échéant sous quelle forme ?
51:15 Merci beaucoup. Il y a un effort de pédagogie constant et je pense qu'il y a des efforts d'ailleurs dans tous les domaines.
51:22 Nous devons améliorer encore nos méthodes de travail, nous devons rediminuer les délais de jugement, nous nous efforçons de rédiger de manière plus claire,
51:32 plus accessible et à ce travail de pédagogie dont vous parlez, c'est tout à fait certain et parfois on s'aperçoit et c'est dommage qu'un arrêt n'a pas été bien compris.
51:42 Pourtant, on s'est efforcé d'être clair dans la rédaction, dans le raisonnement et parfois dans le mode d'emploi pour son exécution que nous donnons sous ce que nous appelons des observations sous l'article 46,
51:53 c'est-à-dire lorsqu'il y a des mesures générales à prendre, je fais référence à une affaire qui était rendue avant que j'arrive à la Cour,
52:00 qui est la régie MB contre France sur les conditions de détention, il y a eu des mesures générales préconisées par la Cour dans cet arrêt de condamnation
52:08 et à la fin, après des décisions de la Cour de cassation de l'UQPC, vous avez adopté la loi du 8 avril 2021, créant une nouvelle voie de recours.
52:15 Donc oui, toujours plus de pédagogie. Sur cette affaire, elle doit être plus ancienne que l'année dernière parce que je n'ai pas eu d'affaire d'expulsion depuis Mayotte,
52:24 depuis que je suis à la Cour et je connais bien la situation maoraise. C'est une des premières missions que j'ai faites quand je suis arrivé au Conseil d'État en 96,
52:33 sur le statut de Mayotte et on ne parlait pas encore de départementalisation, enfin on parlait déjà de départementalisation, mais on était loin.
52:41 Et il y a des affaires actuellement pendantes concernant Mayotte sur la rétention en zone d'attente avec consécutive aux décisions des Comores
52:55 de refuser d'accueillir des bateaux pour les mineurs non accompagnés. Donc il va y avoir des affaires. Je peux juste dire que nous prenons en compte le contexte.
53:04 Nous faisons un contrôle inconcréto, c'est ce que je disais pour commencer, c'est-à-dire que c'est toujours un cas particulier, même si nous devons juger des choses qui vont s'appliquer dans 46 États.
53:13 On part du cas et le cas, il est situé. Nous n'avons pas une conception du droit théorique hors sol. C'est toujours dans un contexte.
53:22 Et effectivement, pour ce que je connais de la situation maoraise, elle n'est pas comparable à ce qui se passe sur le territoire de la métropole en termes de pression migratoire,
53:32 de difficultés de maintien de l'ordre public, de moyens disponibles à la main de l'État. Alors ça, c'est toujours très intéressant.
53:39 Mais déjà au Conseil d'État, je faisais le même exercice avec mes collègues juges internes. C'est que le juge, il doit doser. Il doit doser les choses.
53:49 C'est-à-dire qu'il y a le noyau dur des droits et leurs substances avec lesquels on ne peut pas transiger. Mais il y a le réalisme aussi.
53:57 Ça ne sert à rien d'imposer des standards inatteignables. C'est presque contre-productif. Donc oui, croyez-moi, c'est tout à fait toujours dans le contexte que nous prenons les choses en considération.
54:12 Je vais vous donner un exemple qui concerne l'Algérie. Nous avions une jurisprudence où nous considérions régulièrement, constamment même,
54:19 que c'était pour des personnes avec des profils terroristes dangereux, au regard de l'article 3, de les renvoyer en Algérie.
54:27 Et puis un jour, le gouvernement français est venu avec des assurances diplomatiques données par l'État algérien, avec une audience,
54:34 qui ont changé la donne et qui ont montré que le contexte, puisque nous sommes dans le contexte, avait évolué de telle manière que la jurisprudence a changé
54:42 et que nous avons dit qu'il n'y avait pas de violation de l'article 3 dans une autre affaire, a expulsé un Algérien vers l'Algérie.
54:48 C'est toujours in situ, in concreto. Et c'est aussi ça, je crois, la responsabilité de la Cour, c'est de ne pas être hors sol et de s'enfermer dans des conceptions purement abstraites.
55:01 Sur la place et l'influence du droit français, elle n'est pas quantifiable. Non, c'est certain.
55:06 Ce que je peux dire qualitativement, c'est que le fait de parler français, le droit est un acte de langage.
55:13 Et faire du droit en français, ce n'est pas la même chose que du faire du droit en anglais. Je fais les deux.
55:18 Je rédige des arrêts en anglais, je délibère en anglais sur les affaires que j'ai rédigées en anglais.
55:22 Et pourquoi je fais ça ? Je le dis ici au soutien à la francophonie.
55:26 Parce que depuis que je fais ça, il y a un nombre croissant de collègues qui font l'effort de délibérer, même s'ils sont plus à l'aise en anglais, en français sur les affaires en français.
55:35 Et mais je vois bien ce que la langue dans laquelle on rédige implique, transporte sur les concepts, les notions, la façon de raisonner, d'articuler les choses.
55:47 Donc par ça, par le français, alors oui, ça, je peux vous dire qu'on pèse.
55:53 Merci. Dominique Delege.
55:56 Oui, merci, monsieur le Président. Excusez-moi de revenir sur la réponse que vous avez en partie faite à notre collègue Lecomte sur l'adhésion de l'Union à la CEDH.
56:13 Bon, on voit bien qu'on est dans une impasse. Je veux dire, vous dites on ne peut pas juger, n'a pas vocation à juger en première instance.
56:24 Et la Cour de justice européenne n'est pas compétente en matière de politique de sécurité et de défense.
56:32 Comment on sort de cette impasse ? Ça veut dire que vous renoncez à juger des questions de sécurité et de défense ou on modifie le traité ?
56:44 Mais on peut manifester notre souci de trouver une solution, mais sans doute que je manque et que nous manquons d'imagination.
56:53 Mais comment on fait pour régler cette contradiction ?
56:57 La vie de 13 a bien appuyé sur ce problème, la vie de la Cour de justice.
57:04 Je prends une formule que la présidente de la Cour a utilisée lors de la rentrée solennelle.
57:10 Elle a dit "le juge applique les traités". Ce n'est pas lui qui les négocie ni lui qui les rédige.
57:15 Je crois que c'est sage. Je crois que là, c'est parce que c'est un problème politique, effectivement. C'est un problème politique.
57:22 Moi, je vous ai dit à titre personnel que je n'envisageais pas avec beaucoup d'allant ni d'enthousiasme le fait que la Cour européenne devienne une juridiction de première instance.
57:31 Parce que ça dénaturerait son office.
57:34 Si ceux qui signent un traité décident qu'il en va à 6, nous appliquerons.
57:39 Mais s'ils décident que la Cour de justice doit devenir compétente pour la peste, eh bien la Cour de justice appliquera.
57:45 Donc je pense qu'à un moment, on est fort quand on reste sur son terrain.
57:51 Donc moi, je reste sur le terrain d'une juridiction. La juridiction, elle fait ce que les États qui ont signé pour les juridictions internationales,
57:59 en tout cas, c'est l'Alpha et l'Oméga, qui ont signé un traité institutif de la juridiction, lui dit de faire. Pas plus, pas moins.
58:07 Donc je pense que vous avez raison. C'est largement la quadrature du cercle.
58:12 Mais de l'imagination, oui, je pense qu'il peut y en avoir. De la volonté, il en faudra aussi.
58:18 Mais en tout cas, je ne pense pas que les juridictions pourraient se débrouiller elles-mêmes sans réponse au niveau du traité
58:27 ou pour sortir de cet impasse. En tout cas, on ne sera pas légitime à le faire. On n'a pas de titre à le faire.
58:35 Vous avez suivi l'audition de Mathias Guillaumard, juge français à la Cour européenne des droits de l'homme,
58:41 qui est garante des libertés fondamentales dans 47 pays signataires.
58:45 La France a plusieurs fois été condamnée, notamment en septembre, concernant le retour des enfants de combattants djihadistes.
58:53 Vous l'avez vu, les sénateurs avaient de nombreuses questions à ce sujet, car cela implique la sécurité de la France.
58:59 100% Sénat, c'est terminé. Et quant à moi, je vous souhaite une très belle journée sur les chaînes parlementaires.
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