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André Comte-Sponville, philosophe auteur de "La clé des champs et autres impromptus" aux éditions PUF, répond aux questions de Sonia Mabrouk au sujet de l'Assemblée nationale, de la mobilisation contre la réforme des retraites et de la fin de vie.
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Transcription
00:00 Heureux 5.
00:03 Votre invité ce matin Sonia Mabrouk est philosophe.
00:07 André Comtes-Bonville, bonjour et bienvenue sur Heureux 5.
00:11 Bonjour.
00:12 Auteur de ce livre "La clé des champs" et autres "impromptus".
00:14 On va en parler, vous nous définirez d'ailleurs le terme d'impromptu.
00:18 Mais tout d'abord, quel spectacle André Comtes-Bonville, quel spectacle à l'Assemblée nationale.
00:22 Après la bordélisation assumée par la Nupes, voici le ou plutôt les bras d'honneur du garde des Sceaux Eric Dupont-Moretti.
00:29 La fameuse exemplarité des politiques.
00:31 Est-ce que les politiques lui ont fait justement un bras d'honneur ?
00:34 Non, c'est affligeant de voir ce qui s'est passé et à l'Assemblée nationale,
00:39 surtout du côté de la France insoumise et au Sénat.
00:43 En l'occurrence, c'était encore plus grave de la part d'un ministre de la République.
00:47 Donc, c'est affligeant.
00:48 En même temps, je vais vous dire, les politiques font un travail tellement difficile
00:53 qu'il faut éviter de trop leur cracher dessus.
00:57 On peut condamner ce qui s'est passé, je le condamne moi-même.
01:01 Je crois que l'urgence aujourd'hui, c'est de réhabiliter la politique.
01:05 Et qu'on n'y parviendra pas en crachant perpétuellement sur ceux qui la font.
01:09 Condamnons les travers, quand il y a des circonstances atténuantes.
01:13 Arrêtons de faire perpétuellement la leçon, comme si nous étions sûrs nous de faire toujours mieux que.
01:19 Donc, on a les politiques qu'on mérite.
01:21 Ils sont à l'image des citoyens.
01:23 Dans une démocratie peu ou proue.
01:25 Et donc, s'ils ne nous plaisent pas, changeons-en.
01:28 On a inventé les élections pour ça, si vous voulez.
01:31 Et c'est vrai qu'en France, il y a une façon de traiter les politiques tellement sévère
01:36 qu'on a le sentiment que depuis 30 ans, nous sommes gouvernés par une bande d'imbéciles, de lâches, de menteurs.
01:44 Mais à qui la faute ?
01:46 D'une part, je ne crois pas que ce soit tout des imbéciles, des lâches ou des menteurs.
01:50 Mais si c'était le cas, il faudrait s'interroger sur le peuple français.
01:54 Donc, parlons de la politique avec respect.
01:57 Il est pitoyable que les politiques manquent même de dignité dans telle ou telle situation.
02:02 Mais ce n'est pas une raison pour en rajouter dans la dérision et le mépris.
02:07 Je note simplement pour la précision que le geste d'Éric Dupond-Méretti était également à l'Assemblée nationale.
02:13 Est-ce que c'est la crise, c'est la morale qui est en crise ou c'est la politique qui est en crise, André Consonville ?
02:19 Je crois que la politique se porte plus mal que la morale.
02:22 Je vais faire un renversement intéressant par rapport à ma jeunesse.
02:25 Moi, je suis un 68 ans. Dans les années 60-70, tout était politique, comme nous disions.
02:30 La politique tenait le haut du pavé, alors que la morale était totalement dévaluée.
02:34 Quand on parlait de la morale, en gros, c'était pour dire qu'on s'en passait admirablement.
02:38 Trente ans plus tard, quarante ans plus tard, c'est l'inverse.
02:41 Tout le monde parle de morale, d'humanisme, de valeur.
02:46 Et au contraire, la politique est décriée.
02:49 Moi, ce que je crois, c'est qu'il n'y a pas à choisir entre la morale et la politique.
02:53 On a bien sûr besoin des deux. Mais attention, on a besoin de la différence entre les deux.
02:57 Autrement dit, arrêtons de croire que la politique, ça oppose les bons et les méchants.
03:01 C'est idiot. La politique, ça oppose des positions, des idéologies, des intérêts, des rapports de force.
03:07 Ça, oui. Mais on ne peut pas compter sur la morale, en gros, pour vous dire pour qui voter.
03:12 Mais est-ce qu'il y a encore des lieux dans notre pays qui sont protégés, sanctuarisés ?
03:17 C'est vrai que l'Assemblée nationale, on se dit spontanément non,
03:20 on ne peut pas faire un bras d'honneur dans l'ensemble de la démocratie.
03:24 Et qui plus est, par un garde d'Essoe qui était avocat,
03:27 mais aussi dans un palais de justice, on ne verrait pas ce genre de gestes.
03:31 C'est impossible. C'est une sorte de profanation.
03:33 Oui, profanation, c'est un bien gros mot. En tout cas, c'est un geste non seulement maladroit, mais inacceptable.
03:39 C'est inacceptable, mais on ne va pas passer la matinée sur un moment de grossièreté.
03:45 C'est la réforme des hauts retraites.
03:47 Et ce qui est intéressant André Comtes-Pompil, c'est que ce qui vous intéresse, vous,
03:51 c'est le fameux débat, alors je sais que vous n'aimez pas le mot, ou l'expression de la valeur travail.
03:56 Pourquoi ne pas parler de la valeur travail ? Ce n'est pas une valeur ?
03:58 En tout cas, ce n'est pas une valeur morale.
04:01 Le travail, ce n'est pas une valeur morale, c'est un but en soi, c'est une fin en soi.
04:05 Le travail, ce n'est pas un but en soi, c'est un moyen, bien sûr.
04:08 Si le travail est une valeur morale, alors plus on travaillerait, mieux ça vaut.
04:12 Par exemple, la générosité, c'est une valeur morale.
04:14 Plus vous êtes généreux, mieux ça vaut.
04:16 Et on n'est jamais trop généreux.
04:18 Si le travail était une valeur morale, plus on travaillerait, mieux ça vaudrait.
04:21 Eh bien, je vais vous dire, au 19e siècle, on a voté en France une loi fixant la durée maximale du temps de travail
04:27 à 11 heures par jour pour les femmes et les enfants, à 12 heures par jour pour les hommes adultes.
04:32 Je vous rappelle qu'à l'époque, on travaillait 6 jours par semaine.
04:35 On a donc voté une loi de la semaine des 72 heures.
04:39 Est-ce que quelqu'un aujourd'hui regrette le bon temps où on travaillait 72 heures au nom de la valeur travail ?
04:44 35 heures de travail, c'est quand même mieux que 72.
04:47 Et c'est au point de ne travailler que 20 heures avec la même création de richesse.
04:50 Mais ça serait formidable, évidemment.
04:52 Donc, Macron et la droite se trompent en faisant du travail une valeur morale.
04:56 Mais la gauche, et spécialement la nube, se trompent en oubliant que c'est le travail qui crée de la richesse.
05:01 Et que si on veut financer nos retraites, il faut bien créer la richesse.
05:05 Avant de redistribuer, il faut produire de la richesse.
05:08 Et donc j'ai le sentiment d'un débat un peu fou, si vous voulez,
05:11 où Macron et la droite, ça n'a pas été la même chose pour moi,
05:15 mais les deux se battent au nom de la valeur travail.
05:17 Ce qui est un compte sens. Le travail n'est pas une valeur morale, c'est une valeur marchande.
05:21 C'est pour ça qu'on le paye.
05:22 Mais du même coup, il faut financer nos retraites.
05:24 Et je trouve que la gauche, et l'extrême droite à fortiori, sont un peu irresponsables.
05:30 Parler d'une retraite à 60 ans aujourd'hui, ça serait une singularité à l'échelle du monde totale.
05:36 Dans tous les pays d'Europe, on travaille 65-67 ans.
05:39 Et donc je me sens un petit peu pas mal à l'aise,
05:42 mais je n'ai envie de soutenir aucun de ces deux camps,
05:45 parce que je crois que les deux se battent, sont à côté de la plaque.
05:50 Mais sur le travail, offrons-t-on de nos mairies ?
05:52 Il est bien écrit "liberté, égalité, fraternité".
05:55 Et le travail, André Comtes-Ponville, permet quand même la liberté par l'émancipation.
05:59 Le travail est un moyen. Ce n'est qu'un moyen.
06:01 C'est un moyen extrêmement important, souvent le plus important de tous les moyens.
06:05 Mais pensons à la Maxime de Pétain.
06:08 Travail, famille, patrie. Qu'est-ce qu'il y a ? Quelle est l'erreur de fond ?
06:11 C'est que le travail, la famille, la patrie, ce ne sont pas des valeurs morales.
06:15 Ce sont des biens, comme la santé. J'en parle à propos de la pandémie.
06:19 Autant dire que quelqu'un qui n'a pas de famille, c'est un orphelin célibataire sans enfant.
06:25 On peut le plaindre, on ne va pas lui reprocher d'être orphelin.
06:29 Quelqu'un qui n'a pas de travail, c'est un chômeur.
06:31 On peut le plaindre, on ne va pas lui reprocher d'avoir de travail.
06:34 Celui qui n'a pas de patrie, c'est un apatride. C'est un malheur, on ne va pas lui reprocher.
06:38 Autrement dit, le travail, la famille, la patrie, ce sont des biens.
06:42 Ce ne sont pas des valeurs morales. C'est ça le contresens de Pétain.
06:45 Mais est-ce qu'il n'y a pas un côté vertueux et presque moral à travailler plus pour garantir cette richesse
06:50 et maintenir le système pour les générations à venir ?
06:55 Là où la morale aurait un mot à dire, c'est que nous devons sauver le système de retraite par répartition.
07:01 Rappelons le principe, un système par répartition, ce sont les actifs qui cotisent pour payer les retraites,
07:07 les pensions des plus vieux.
07:09 Or, en proportion, il y a de moins en moins d'actifs, de plus en plus de retraités.
07:13 Pour une très bonne raison, c'est qu'on vit de plus en plus longtemps, on ne va pas le regretter.
07:17 Alors là, il y a un problème arithmétique.
07:19 Notre responsabilité morale, c'est de faire en sorte que nos enfants, nos petits-enfants,
07:23 eux aussi puissent bénéficier d'une retraite.
07:26 Mais vous voyez, c'est un problème qui relève, oui dans le principe ça relève de la morale,
07:29 mais la vraie question c'est comment les financer ?
07:31 Ça c'est une question économique, c'est pas la morale qui va vous dire comment financer les retraites.
07:35 - Donc ce n'est que comptable, la réforme des retraites n'est qu'un sujet comptable.
07:37 - Sauf avec l'obligation morale et politique d'assurer les retraites de nos enfants, de nos petits-enfants.
07:43 - Encore une question sur ce sujet André Comtes-Pontville.
07:45 Quelle est la légitimité qui prévaut aujourd'hui ?
07:48 La légitimité parlementaire ?
07:50 Ou la légitimité de la rue, de quelqu'un qui vous dit "mais non, regardez,
07:53 cette réforme est contestée par un grand nombre et donc elle n'est pas légitime
07:57 et moi, manifestant, je ne suis plus légitime qu'un député imparlementaire".
08:01 - Soyons clairs, il y a 68 millions, je crois, d'habitants en France,
08:05 dont 38 ou 39 millions d'électeurs, je ne sais plus les chiffres exacts,
08:09 il y avait au maximum 3 millions de gens dans la rue.
08:12 Que pèsent 3 millions de manifestants à côté de 39 millions d'électeurs ?
08:16 Et donc il va de soi que le dernier mot revient au peuple souverain
08:20 par la médiation de ses représentants.
08:23 Et donc évidemment que le Parlement doit l'emporter sur la rue.
08:26 Ça ne veut pas dire que le gouvernement ne doit pas tenir compte
08:29 de la volonté des manifestants.
08:31 Voilà, manifester c'est un droit démocratique, mais dans une démocratie,
08:35 c'est le peuple qui est souverain et non pas les manifestants.
08:38 - Alors, rendrez compte Sponville, la réforme des retraites écrase tout,
08:41 monopolise tout et pourtant il y a des sujets d'une grande importance
08:44 qui méritent notre attention, comme la fin de vie, vous en parlez,
08:48 vous participez aux travaux de la Convention citoyenne,
08:50 en tout cas vous êtes intervenu lors de cette convention
08:53 qui doit rendre bientôt des conclusions.
08:55 Vous défendez, parce que les mots sont importants et il ne faut pas les dénaturer,
08:59 vous défendez le droit de mourir, c'est une liberté pour vous,
09:03 pas la liberté ultime ?
09:05 - Non, c'est la liberté ultime, ce n'est pas la liberté suprême.
09:08 Parce que bien sûr le droit de vivre est plus important que le droit de mourir.
09:11 Mais en revanche c'est la liberté ultime.
09:13 Si je souffre atrocement d'une maladie incurable,
09:16 ou si je suis en état d'extrême vieillesse au bord de perdre mes facultés,
09:20 je crois qu'en effet j'ai le droit de m'en aller.
09:23 D'où le titre de mon livre, "La clé des champs",
09:26 c'est une citation de Montaigne, montagne écrite dans les essais,
09:29 "Le plus beau cadeau que nature nous ait fait,
09:32 c'est de nous avoir laissé la clé des champs".
09:35 Autrement dit, le droit de s'en aller.
09:36 Eh bien voilà, je crois que le droit de s'en aller,
09:38 le droit de mourir, fait partie des droits de l'homme,
09:40 et c'est pourquoi je suis favorable depuis des dizaines d'années
09:43 à une légalisation et de l'euthanasie et du suicide assistés.
09:47 - Dans votre livre, vous soulignez que le suicide n'est pas un délit.
09:52 Mais que l'assistance au suicide en soit un, c'est ça ?
09:57 - Oui, c'est de quoi s'y tenait Robert Badinter,
10:01 qui s'y connaît en matière de droit et de justice,
10:03 qui disait, ben voilà, en France le suicide n'est pas un délit,
10:06 pourquoi l'assistance au suicide en serait-elle un ?
10:10 - Parce que c'est un autre qui agit ?
10:11 - Oui, c'est un autre qui agit, c'est pourquoi,
10:14 dans tous les cas où c'est possible, le suicide assisté,
10:17 autrement dit le malade en fin de vie,
10:19 qui absorbe du même le comprimé létal
10:22 ou qui appuie lui-même sur la pompe qui va envoyer le produit létal dans la perfusion,
10:27 ça vaut mieux que l'euthanasie,
10:28 parce que ça évite de faire peser sur un médecin, sur un soignant,
10:32 la charge de l'homicide.
10:34 Et je pense que c'est presque toujours possible,
10:36 il faut vraiment être en très très mauvaise état
10:37 pour ne pas pouvoir avaler un comprimé ou appuyer sur la pompe d'une perfusion.
10:41 Mais il peut y avoir des cas où en effet le suicide assisté est impossible,
10:45 auquel cas l'euthanasie, à condition que le médecin en soit d'accord,
10:48 parce qu'il faudra prévoir bien sûr une clause de conscience.
10:50 Il va de soi qu'aucun médecin ne doit être obligé de pratiquer un acte contraire à sa morale.
10:54 - J'ai pas fait médecine pour tuer des gens, vous l'entendez, on l'entend très souvent de la part...
10:57 - Oui, c'est ce que me disent les médecins,
10:58 j'ai pas fait médecine pour tuer des gens, ce que je comprends très bien,
11:01 et ils ont tout à fait raison.
11:02 Encore une fois, c'est pourquoi le suicide assisté vaut mieux que l'euthanasie,
11:06 mais il y a des cas où le patient ne peut plus agir lui-même,
11:11 et auquel cas je crois qu'on a le droit, s'il le demande.
11:14 S'il le demande, on a le droit de mettre fin à sa vie,
11:17 comme les médecins auront le droit de refuser de pratiquer l'euthanasie,
11:20 c'est ce qu'on appelle une clause de conscience.
11:22 Il y a une clause de conscience pour ce qui est de l'IVG,
11:24 et bien loin que ça empêche la légalisation de l'IVG,
11:27 ça l'a autorisé, au contraire.
11:29 Et bien je crois de même qu'il faut une clause de conscience
11:31 pour ce que j'appelle l'IVV, l'interruption volontaire de vie.
11:35 - Je pense aux arguments de quelqu'un avec lesquels vous conversez avec plaisir,
11:40 même si vous n'êtes pas d'accord sur ce sujet,
11:42 c'est le grand rabbin Chaim Korsia, qui disait il y a quelques semaines,
11:45 il y a quelques mois à ce micro, mais est-ce que tout d'abord,
11:47 il ne faut pas se donner les moyens et installer vraiment plus de liens
11:50 en soins palliatifs en réalité, et sans tenir à la loi ?
11:53 Rien que la loi, André Conte-Smobile.
11:55 Pourquoi on la changerait aujourd'hui ?
11:56 Qu'est-ce qui a changé en quelques années, pour que nous changions ?
11:58 - Ce qui a changé, c'est que nous sommes plus demandeurs de liberté.
12:01 Moi je n'ai pas envie de passer six mois en soins palliatifs.
12:05 Je n'ai pas envie de passer deux ans dans un EHPAD.
12:08 - Vous êtes en bonne santé, et je vous le souhaite, je l'espère.
12:10 Est-ce que ce n'est pas plus facile de tenir ce discours aujourd'hui,
12:12 quand on est ainsi ?
12:14 - Écoutez, moi je vois mon ami Roland Jacquard,
12:16 c'est suicidé à 80 ans, parce qu'il ne voulait pas de l'extrême vieillesse.
12:20 Et au fond, il a le droit, alors comment il a fait ?
12:23 Il était très content. J'ai dîné avec lui un mois, je crois, avant son suicide.
12:27 Il était très content, parce qu'un ami mexicain
12:29 lui donnait la substance létale qui lui permettrait de mourir.
12:33 Mais tout le monde n'a pas un ami mexicain.
12:35 Moi, si j'ai envie de mourir à 80 ans, parce que je préfère ne pas
12:38 avoir les affres de l'extrême vieillesse,
12:40 je préfère qu'un médecin me donne les moyens de mourir.
12:44 Et voilà, ce n'est pas seulement les dernières semaines,
12:46 ça peut être aussi les derniers mois.
12:48 Bref, dès lors que nous sommes maîtres de notre vie,
12:51 tant que notre vie ne nuit pas à celle d'autrui,
12:53 nous devons pour la même raison être maîtres de notre mort.
12:56 - Je pense à une phrase, j'espère que je ne me trompe pas,
12:59 je crois que c'est Nietzsche qui disait "meurt à temps".
13:01 - Oui c'est ça, meurt à temps.
13:02 - Mais ça c'est philosophique, mais la vraie vie,
13:04 le droit absolu, c'est celui de vivre.
13:06 - Non mais la vraie vie, c'est que d'abord, il y a des suicides en France,
13:10 il y a des gens qui vont mourir en Suisse ou en Belgique ou en Espagne maintenant,
13:15 pays qui autorisent le suicide assisté,
13:17 alors qu'en France c'est interdit.
13:19 Et donc on se dirige vers une mort à deux vitesses.
13:22 Il y aura des cliniques de luxe en France,
13:24 où des gens qui iront en Suisse ou en Belgique mourir
13:27 quand ils seront convaincus qu'ils arrivent au bout de leur vie,
13:30 et puis les plus pauvres vont passer des années dans des épades sinistres
13:35 et des semaines ou des mois dans des soins palliatifs dont ils n'ont pas envie.
13:40 Encore une fois, ceux qui veulent les soins palliatifs,
13:42 très bien qu'il y ait, il faut développer les soins palliatifs,
13:45 on est tous d'accord là-dessus, personne ne les compte,
13:47 mais arrêtons de faire croire que les soins palliatifs résolvent tous les problèmes.
13:52 J'ajoute que mon ami Raim Korsia, que j'adore et que je salue s'il nous écoute,
13:56 il était le grand rabbin,
13:58 et donc il défend une position religieuse tout à fait respectable,
14:01 mais que je sache la République est un État laïque,
14:04 n'a pas à tenir compte des injonctions des religions.
14:07 Je suis sûre que le citoyen aussi, Raim Korsia, pense la même chose que le religieux qu'il est.
14:12 Le dernier texte de ce livre porte sur votre mère,
14:15 elle est partie, elle s'est suicidée à l'âge de 64 ans,
14:18 c'est une histoire aussi personnelle qui a forgé tout ce que vous nous dites ce matin ?
14:22 Oui, même si ce n'était pas elle que je pense quand j'écris pour l'euthanasie,
14:26 c'est une femme malheureuse, une femme dépressive,
14:29 mais ça m'a importé d'écrire ce texte parce qu'au fond,
14:32 c'est l'esprit des impromptus,
14:34 un impromptu c'est une écriture très libre, très spontanée,
14:37 qui essaye de se rapprocher de l'improvisation.
14:40 Entre philosophie et littérature, entre pensée et émotion,
14:44 et c'est vrai que toute ma pensée, toute ma philosophie,
14:47 comme toujours, elle dépend en partie de mon enfance,
14:50 et donc j'ai voulu expliquer ce qui dans mon enfance,
14:53 qui était une enfance malheureuse,
14:56 parce que moi j'ai grandi, j'ai appris à vivre et à aimer
14:59 dans le malheur de ma mère,
15:01 et toute ma vie au fond, et tout mon travail philosophique,
15:04 a consisté à essayer de surmonter ce commencement-là.
15:09 Quand on a commencé à vivre dans le malheur de sa mère,
15:12 comment est-ce qu'on fait pour se réconcilier avec la vie,
15:15 avec une certaine idée du bonheur, une certaine expérience du plaisir et de la joie ?
15:19 C'est ce que j'ai voulu comprendre et puis essayer d'expliquer.
15:23 - Et vous le faites merveilleusement bien avec des mots qui touchent tous,
15:26 c'est universel et vraiment on invite nos auditeurs à lire "La Clé des Chants"
15:31 et autres impromptus, c'est aussi la preuve qu'on peut retrouver le bonheur,
15:35 malgré tout cela. Merci André Contesponville.
15:37 - Merci à vous.
15:38 - Merci André Contesponville, merci Sonia Mabroutin.
15:40 D'ailleurs je vous propose de rester tous les deux,
15:43 car Gaspard Proust va nous rejoindre dans un instant
15:46 et il vous a écouté très attentivement.
15:48 Il est 8h29 sur Un Open.

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