Changer le regard sur le handicap et transmettre un message fort en faveur de l’inclusion, c’est l’ambition de "Différent.e.s". Pour l’incarner, qui mieux que Salim Ejnaïni : cavalier de Jumping, sportif, conférencier, entrepreneur… et non-voyant ? Comment vit-on avec une "différence", comment apprend-on à s'accepter soi et à accepter le regard de l'autre ? Parcours cabossés, destins contrariés et incroyables leçons de vie : Salim Ejnaïni recueille les témoignages de nos invités extra-ordinaires. Des histoires fortes et inspirantes autour de la résilience et du vivre-ensemble…Grièvement brûlée en 2013 lors du carnaval de son lycée, Julie Bourges a vécu un véritable calvaire dont elle garde de nombreuses cicatrices. Dix ans plus tard, la jeune femme de 26 ans, qui vient de publier l’ouvrage "Chaque jour compte" aux éditions Marabout, a accepté de se livrer sur son parcours et ses combats. Un bel exemple de résilience.Pour rappel, Julie Bourges a créé un compte Instagram sous le pseudo @DouzeFévrier, en référence à la date de son accident. Il est suivi par 633 000 personnes. C’est à travers lui qu’elle milite pour l’acceptation de soi et des différences et qu’elle parvient à aider des personnes dont le parcours de vie est similaire.
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00:00 ça a été hyper compliqué pour moi de passer de compétition,
00:02 donc d'une petite nana qui fait des backflips et tout,
00:05 à t'es là, t'es à l'hôpital, t'es sondée de la tête aux pieds,
00:09 tu peux pas te lever, tu peux pas marcher,
00:10 enfin, tu peux rien faire, en fait.
00:11 -Tracheo aussi, j'imagine. -Je pouvais même pas parler.
00:13 J'étais sondée de partout, tracheo...
00:15 -Bonjour à toutes, bonjour à tous.
00:21 Bienvenue dans "Différents, différentes".
00:22 Aujourd'hui, j'ai le très grand plaisir de recevoir quelqu'un
00:25 qui est peut-être plus habitué au Média que moi.
00:28 Julie Bourges, bienvenue. -Merci.
00:30 -Merci à toi d'avoir accepté cette invitation.
00:34 Ça me fait hyper plaisir de te recevoir aujourd'hui.
00:36 -Merci fréquemment.
00:38 -Aujourd'hui, on va revenir un peu sur ton histoire.
00:42 Tu es connue sur les réseaux sociaux, j'en blaguais un peu là-dessus,
00:45 notamment sous un nom qui a beaucoup de sens,
00:48 qui est une date pour toi, qui est celle du 12 février.
00:52 On va en parler.
00:54 Et tu vas, peut-être pour commencer, nous expliquer
00:57 ce qui s'est passé en quelques mots ce jour du 12 février.
01:00 Qu'est-ce qu'il signifiait pour toi ? -Ouais, carrément.
01:01 Bah écoute, le 12 février 2013, c'est la date de mon accident.
01:05 C'était le carnaval de mon lycée,
01:07 et on avait fait un costume de mouton avec ma meilleure amie.
01:11 Et on le savait pas, en fait,
01:12 mais c'est un costume qui était complètement inflammable.
01:14 C'est quelque chose qu'on avait fait à la main.
01:16 Donc, tu vois, on avait mis du scotch de double face,
01:17 des boules de coton sur du jean, sur des manches longues,
01:20 et on avait recouvert la totalité de notre corps comme ça.
01:22 Et on a fumé toute la journée, comme de bonnes ados,
01:26 on passait devant le portail du lycée, etc.
01:28 Et il s'est rien passé.
01:29 Elle, elle avait le même costume, elle fumait aussi.
01:31 Et à la fin de cette journée, j'ai ma meilleure amie d'enfance,
01:35 donc pas la même personne qui a ce même costume que moi,
01:37 une autre amie, qui me demande qu'on fume une dernière cigarette
01:40 avant de remonter à la maison.
01:41 On a fait ça un nombre incalculable de fois.
01:43 Évidemment, pas déguisé en mouton.
01:46 Et en fait, en fumant cette dernière cigarette,
01:48 la fraise brûlante de la cigarette est tombée sur mon costume,
01:52 et ma jambe droite a commencé à s'enflammer,
01:54 et je suis vraiment devenue littéralement prisonnière des flammes.
01:57 Donc c'était impossible pour moi d'enlever le costume,
01:59 parce qu'avec le scotch, en plus, ça rajoutait une épaisseur
02:02 sur un jean qui était déjà bien collé à la peau.
02:04 Donc j'ai rien pu faire,
02:06 j'ai mis à courir et à essayer de fuir les flammes,
02:08 ce qui est un mauvais réflexe en plus, parce que le vent, ça attise le feu.
02:11 -C'est l'inverse de ce qu'il faut faire. -C'est ça.
02:12 Normalement, tu vas plutôt essayer de te rouler par terre ou d'étouffer les flammes.
02:15 Ma meilleure amie d'enfance qui était avec moi
02:17 a justement essayé d'étouffer les flammes en m'enroulant dans une veste,
02:20 mais elle s'est aussi brûlée le bras au deuxième degré.
02:22 Donc voilà, en fait, y a rien à faire,
02:24 hormis attendre que le grand mal qui est en train de se produire se passe.
02:29 Et y a une voisine qui a fini par nous entendre,
02:31 qui a arrosé les restes du costume avec un sentieu d'arrosage.
02:34 Les pompiers sont arrivés, mes parents aussi.
02:36 Et le dernier souvenir que j'ai de cette journée,
02:38 c'est un masque qui se pose sur mon visage dans le camion des pompiers
02:40 pour me réveiller trois mois plus tard d'un coma artificiel.
02:43 -Ouah !
02:44 Donc quand je te dis en quelques mots, tu plaisantes pas, tu nous fais ça...
02:47 -Je te fais vraiment l'histoire, au moins on est dedans.
02:50 -Qu'est-ce que tu peux nous dire de la vie que tu avais, toi, avant ?
02:53 C'est qui, la Julie Bourges, de ce moment-là ?
02:55 -La Julie Bourges, de ce moment-là, c'est une ado de 16 ans
02:57 qui a pas de problème, qui est hyper entourée,
03:00 qui aime la vie, qui aime le sport.
03:01 Je suis gymnaste à l'époque, je m'entraîne genre 12 heures par semaine.
03:04 Je vis pour le sport, je vis pour mes potes,
03:07 je vis pour mon autonomie, pour ma liberté aussi.
03:09 Je suis pas très souvent à la maison au grand des sports de mes parents.
03:12 Mon père, il m'appelle l'étoile filante à ce moment-là,
03:14 parce que je suis son étoile, mais je suis jamais là.
03:16 -Ah bon ? -En coup de vent, quoi.
03:18 Et voilà, je suis une ado tout ce qu'il y a de plus normal.
03:20 J'ai pas de soucis, j'ai pas d'histoire.
03:23 Je suis une ado sans histoire, en fait.
03:24 Une ado qui teste un peu ses limites,
03:26 qui va faire des soirées, qui va tester ses limites sur l'alcool,
03:30 sur la cigarette, sur plein d'autres choses.
03:33 Mais je suis une ado sans souci, en fait.
03:35 -Ouais, tu vis. -Je vis.
03:36 -Tu te poses pas... OK. -Et j'aime beaucoup la vie.
03:39 J'aime trop me lever le matin et aller au lycée, c'est un vrai sujet.
03:41 Mais pas pour les cours, évidemment. Pour mes potes.
03:43 -OK, donc t'es la jeune ado, même très bien dans ta peau.
03:47 -Carrément. -Genre, voilà, l'adolescence se passe bien.
03:49 -Pas de problème.
03:50 -Et là, un espèce de cataclysme de ouf,
03:53 où tu me dis... Tu t'endors dans le camion des pompiers, c'est ça ?
03:57 -Ouais.
03:58 -Et tu te réveilles trois mois plus tard. -C'est ça.
04:00 -Comment tu peux nous parler de ces trois mois, de cette période-là ?
04:03 Comment tu l'as vécu ?
04:04 -Bah écoute, en vrai, j'ai essayé plusieurs fois,
04:07 sur plusieurs interviews, ou même sur des vidéos,
04:09 d'essayer d'expliquer un petit peu ce que c'est le coma.
04:11 La meilleure image que j'ai pu trouver,
04:13 c'est le fait de vaciller entre deux réalités.
04:16 Moi, c'est vraiment comme ça que je l'ai vécu.
04:18 Le fait de vaciller entre la réalité qui est celle de mes parents,
04:21 la nôtre actuellement, où on parle vraiment,
04:23 et la réalité qui est dans le coma, qui est celle plutôt la mienne, du coup,
04:27 qui est celle de la démesure, de la drogue, du rêve, en fait.
04:30 Tu vois ?
04:31 C'est tous ces effets hallucinogènes que tu vas avoir
04:34 avec les drogues qu'on t'injecte à l'hôpital.
04:36 -C'est un coma induit. En fait, t'es droguée.
04:38 -Alors, c'est un coma induit dans lequel on force à rester,
04:41 endormie, donc sous drogue, en fait,
04:44 mais duquel on peut pas me sortir.
04:46 Normalement, tu vois, un coma, pour un grand brûlé,
04:49 dure à peu près trois semaines, un mois maximum.
04:52 Là, le mien dure trois mois
04:54 parce que j'ai des poussées de fièvre à 43 degrés,
04:56 un pronostic vital engagé qui reste engagé pendant trois mois,
04:59 des infections, on sait pas d'où ça vient,
05:02 donc j'ai beaucoup de complications dans ce coma,
05:04 qui font qu'on augmente aussi les doses de drogue
05:08 et qui font qu'on me laisse endormie plus longtemps que la moyenne.
05:11 -Est-ce que tu as des souvenirs ?
05:12 -Tu vois, j'entends, par exemple, les portes qui vont s'ouvrir du sas,
05:16 parce que t'es dans une chambre stérilisée,
05:18 donc j'ai des bruits qui reviennent,
05:20 des fois, j'entends mes parents parler,
05:23 des fois, je peux entendre que ma grand-mère, elle est là,
05:25 je sens mon père qui me serre la main,
05:27 donc je sens certains trucs de la vraie vie.
05:30 Je pense que ça, c'est quand les drogues diminuent,
05:32 tu vois, et que tu reconnectes un petit peu.
05:35 Et de l'autre côté, l'autre réalité, en fait,
05:38 c'est tous les rêves que j'ai faits,
05:40 qui sont tellement, tellement, tellement réalistes
05:43 que quand tu te réveilles du coma, t'as l'impression que c'est vrai.
05:46 Donc ça veut dire, moi, j'ai rêvé que ma mère,
05:49 elle avait eu un quatrième enfant,
05:50 quand je me suis réveillée du coma, je lui ai demandé où il était.
05:53 Et ce qui est horrible, c'est qu'en plus, il m'a manqué, tu vois,
05:55 parce que c'est tellement fort, tu vois, c'est comme si tu te ré...
05:58 C'est comme, tu vois, tu fais un rêve la nuit,
06:00 et tu te réveilles, tu te dis...
06:01 "Putain, ça semblait quand même assez réel, ce truc,
06:04 est-ce que c'est vrai, qu'est-ce qui s'est passé ?"
06:06 Eh ben ça, c'est le coma puissance 10, en fait.
06:09 -Est-ce qu'on t'a payée pour pas que tu balances les secrets
06:11 des uns et des autres, que tout le monde t'a dit pendant que...
06:14 OK, ça va, on la coupe, celle-là.
06:16 -Non, on peut la garder.
06:18 On peut la garder, j'ai même une anecdote là-dessus.
06:20 -Ah bah vas-y, alors.
06:21 -À un moment, j'étais à l'hôpital et tout, donc j'étais dans le coma,
06:24 et en fait, il y a deux infirmières qui parlaient entre elles,
06:27 et en fait, je pense que les infirmières, à ce moment-là,
06:29 elles savent pas encore que tu peux capter des trucs et entendre des trucs.
06:33 Et en fait, j'arrivais même des fois à retenir un peu des prénoms,
06:35 enfin, tu vois, c'est quand même bizarre.
06:37 Et il y a une des infirmières, je dirais pas son prénom, du coup,
06:40 qui parlait à sa pote en mode "Putain, j'ai trop foiré hier soir,
06:43 j'ai embrassé machin, mon mec", et tout.
06:45 Et en fait, quand je me suis réveillée du coma, je lui ai dit
06:47 "Ah, mais c'était vous, prénom ?"
06:50 Et elle me dit "Ouais ?"
06:51 Et je lui ai dit "Ah, mais c'est toi, du coup, qui as trompé ton mec en soirée ?"
06:53 Et là, elle est certes, tu vois, elle était là en mode "Waouh !"
06:56 Donc voilà, on entend pas mal de trucs.
06:58 -OK ! -J'ai pas été payée, mais je reprends.
07:01 -Il y aurait un mémoire à faire là-dessus, parce qu'il y a beaucoup de gens...
07:04 Bon, avec le Covid et tout ça, des personnes dans le coma,
07:06 ils entendent beaucoup.
07:07 Je dis ça parce que je l'ai vécu avec un de mes proches.
07:10 Tu te demandes, quand t'es à côté, tu te demandes...
07:12 Je sais pas, je lui passe ses musiques, il l'entend ?
07:15 Je lui parle, est-ce qu'il l'entend ? -Ouais, bah t'entends.
07:17 Et moi, du coup, tu vois, la musique, c'est un vrai sujet,
07:19 parce que du coup, j'avais mon iPod qui tournait en boucle
07:21 et j'en pouvais plus d'entendre Rihanna, tu vois.
07:23 Et ma playlist, elle tournait en boucle.
07:25 Et si les gens ne savent pas que t'es prisonnier de ton corps
07:27 et que t'entends ce qui se passe,
07:29 c'est juste que la playlist, à la fin, tu la connais par coeur.
07:30 -C'est l'enfer. -L'enfer.
07:32 -Bon, et donc, tu te réveilles de tout ça,
07:33 t'avais conscience que t'étais brûlée à ce moment-là ?
07:36 -Ouais. -OK.
07:37 Qu'est-ce qu'on t'a expliqué quand tu t'es réveillée ?
07:38 -Quand on m'a réveillée, on a essayé d'expliquer ma différence.
07:41 Moi, j'ai direct demandé un miroir,
07:42 parce que je m'étais pas vue depuis le 12 février,
07:44 donc il y a trois mois qui se sont écoulées.
07:45 Déjà, on me dit qu'il y a trois mois qui se sont écoulées,
07:47 je pète un câble, parce que moi, dans ma tête, c'est genre deux jours.
07:50 -Ah oui, d'accord. -Je me dis que j'ai aucune notion du temps.
07:52 C'est ça qui est bizarre, c'est que t'as conscience de vaciller
07:55 un petit peu entre deux états, tu sais pas trop ce qui se passe,
07:57 mais en même temps, t'as pas du tout de notion du temps qui s'écoule.
07:59 À ce moment-là, on essaie de m'expliquer un petit peu
08:02 les conséquences de l'accident.
08:03 Ma mère, elle me dit qu'ils m'ont coupé les cheveux.
08:05 Sauf que moi, en fait, je suis encore une ado, tu vois,
08:07 je suis hyper insouciante, je suis très naïve aussi,
08:09 et moi, je me dis qu'ils ont dû me faire un carré,
08:11 parce que les cheveux longs, ça devait les saouler pour prendre soin de moi,
08:13 sauf qu'en fait, la réalité, c'est qu'on m'a rasé la tête, tu vois.
08:16 Donc je me réveille, j'ai plus de cheveux, je suis hyper mec,
08:19 j'ai perdu 12 kg, alors que mon poids de forme, à l'époque,
08:21 c'est genre 48 kg, poids de gymnaste, c'était déjà pas bien épais,
08:23 je fais 1,65 m.
08:24 Là, je pèse 33 kg, donc plus de poitrine.
08:28 En fait, c'est juste que tout ce que j'associais à la féminité
08:31 quand t'as 16 ans, et qui est important pour toi quand tu grandis,
08:34 en fait, tout ça, on me l'enlève.
08:35 -Ouais.
08:36 -Donc quand je me vois dans un miroir trois semaines après,
08:39 parce que t'as un suivi psychologique et psychiatrique,
08:41 quand je me vois enfin dans un miroir, en fait, je comprends pourquoi...
08:44 Pourquoi ce qui s'est passé, c'est dramatique,
08:46 et je comprends surtout la gravité de ce qui vient de m'arriver.
08:48 Si on parle de la gymnastique, ça a été hyper compliqué pour moi
08:52 de passer de compétition, donc, d'une petite nana qui fait des backflips,
08:56 comme on disait le temps, qui fait des backflips et tout,
08:59 à un moment, t'es là, t'es à l'hôpital, t'es sondé de la tête aux pieds,
09:02 tu peux pas te lever, tu peux pas marcher...
09:04 Enfin, genre, tu peux rien faire, en fait.
09:06 -Tracheo aussi, j'imagine. -Je pouvais même pas parler.
09:08 J'étais sondé de partout, tracheo...
09:11 Pour essayer de me mettre debout, on m'a verticalisé,
09:13 t'es sanglé au lit...
09:15 Et en fait, on passe d'une meuf qui fait des stacto
09:17 à une meuf qui sait pas serrer une balle dans ses mains.
09:20 T'es là, tu dis...
09:21 Parce que avec le coma, tu perds tous tes muscles et tout,
09:23 et tu te dis "Mais... Waouh !"
09:24 Enfin, même ma passion...
09:26 Et puis moi, je vivais vraiment pour la gymnastique,
09:28 ça, on me l'enlève, tu vois.
09:29 Et on me l'enlève fort.
09:30 Mais en même temps, si je parle de gym, c'est ce qui m'a sauvée aussi.
09:34 La mémoire musculaire, déjà, et le tempérament.
09:37 Parce que quand t'es gymnaste, tu tombes de la poutre...
09:39 Bon, c'est pas humain, déjà, de faire des trucs sur une poutre de 13 cm,
09:43 c'est assez spéc, quand même.
09:44 Et on t'apprend vite que tu tombes, tu te relèves.
09:46 Si tu tombes de la poutre, ton coach, de sûr...
09:48 Bon, ça aussi, t'as une épaule de boîte.
09:50 Mais sinon, on va vite te dire "Tu remontes maintenant,
09:52 sinon tu remontes jamais dessus."
09:53 Et je pense que ça, c'est ce qui m'a forgée aussi
09:55 à me relever assez rapidement de cet accident.
09:57 -Tu te dis quoi, à ce moment-là,
09:59 quand tu te rends compte que t'arrives pas à serrer la balle ?
10:00 -Je pète un câble.
10:02 Franchement, c'est horrible. -Ça se traduit comment ?
10:03 -Je pleure de ouf et je dis au kiné que je suis une grosse merde.
10:06 Genre, vraiment, je lui dis que je suis une grosse merde.
10:08 C'est vraiment ce que je lui ai dit.
10:09 Il m'a dit "Mais te parle pas comme ça."
10:11 Et je lui ai dit "Non, mais vraiment, je suis une merde, en fait.
10:12 Vous pouvez pas me dire que c'est bien."
10:14 Mais en même temps, je me flagelle beaucoup,
10:16 mais en même temps, c'est ce qui m'aide aussi à démultiper la force
10:19 pour aller plus vite, pour me relever.
10:20 -T'es triste, t'es dégoûtée,
10:22 mais à aucun moment t'as envie de lécher.
10:23 -Non. C'est ça. -Ça, c'est bien.
10:25 -Tempérament. -Ouais.
10:26 Et donc, tu découvres à ce moment-là un truc qui, pour moi, est primordial,
10:31 dans la différence, en tout cas, un truc qui me parle beaucoup,
10:34 c'est l'abandon, j'ai envie de dire, de ton corps,
10:36 de tout ce qui est physique au corps médical.
10:40 -C'est hyper compliqué.
10:41 Encore plus quand t'as 16 ans, t'es une femme,
10:44 t'as 16 ans, t'es en train de te construire dans ton entièreté,
10:47 dans ton enveloppe de femmes et tout.
10:49 C'est le truc le plus con du monde, mais j'ai été formée assez tard,
10:52 j'ai eu mes règles plus tard que la moyenne et tout,
10:54 donc du coup, mon corps, il s'est développé plus tard.
10:56 Donc au lieu de commencer à avoir tes formes à 13, 14 ans,
11:01 comme la plupart de mes potes,
11:02 moi, j'ai commencé ça au lycée.
11:05 Et du coup, au moment où je me construisais vraiment
11:08 et où j'appréhendais mon nouveau corps, tout ça, on me l'enlève.
11:11 Tu le places dans les mains de chirurgiens, de médecins, d'aides-soignants
11:15 qui rentrent dans ta chambre sans toquer, donc ton intimité et tout,
11:18 ça, tu le mets au placard, et à la fois, tu restes aussi...
11:21 Toi, ton temps mental, ça reste toi,
11:24 mais théoriquement plus dans le même corps.
11:27 C'est bizarre, c'est plus ton corps.
11:28 Moi, j'avais l'impression de ne plus être maître de rien,
11:30 de contrôler rien du tout, et de me dire surtout
11:32 "En fait, tu sais pas quoi faire, donc laisse-le aux autres."
11:35 Là, ça va faire 10 ans,
11:36 et je pense que c'est des trucs qui restent un petit peu.
11:39 Genre moi, des fois, j'ai des potes qui me parlent,
11:41 "J'ai été chez le médecin, il m'a demandé de me mettre en culotte,
11:43 c'était un truc de ouf."
11:45 Moi, j'étais là, en mode...
11:46 Tu sais, en fait, tu t'es tellement forgé là-dessus,
11:48 tu es tellement "à l'aise" avec le corps médical...
11:50 J'ai vécu comme ça pendant 5 mois, puis j'ai refait encore 3 mois derrière,
11:55 où en fait, ton intimité, c'est...
11:57 Enfin, à l'hôpital, tu oublies, tu vois.
12:00 -Aujourd'hui, il en reste quelque chose de ça ?
12:02 -Moi, c'est plus sur l'application des crèmes et tout.
12:04 Moi, je suis brûlée, du coup, il faudrait que je mette des crèmes,
12:06 sauf qu'en fait, après l'accident, j'ai fait beaucoup de cure thermale et tout,
12:10 où on me mettait dans des baignoires de crème, tu sais.
12:13 Et du coup, pour moi, mettre de la crème aujourd'hui,
12:16 c'est toujours associé à un geste qui est hyper médical,
12:18 surtout sur le corps, et du coup, j'ai trop du mal.
12:20 Alors qu'en vrai, je devrais...
12:21 J'ai ma pote, elle me dit "Putain, t'as une peau de croco, meuf,
12:24 t'as bu, tu devrais vraiment le faire."
12:25 Et je suis là, en mode "Ouais, je sais."
12:26 Mais c'est très dur quand, justement, ces gestes-là,
12:29 ils sont associés au médical, ouais, c'est hyper...
12:30 -Ouais. T'as un surnom aujourd'hui pour ta communauté, mais "Phoenix".
12:34 -Ouais. -C'est super beau,
12:35 ça dit beaucoup de choses.
12:36 En même temps, ça dit beaucoup de toi aussi.
12:38 -Ouais, totalement.
12:40 -À quel moment tu arrives à faire cette mue, ce nouveau changement,
12:43 et à te dire "OK, j'arrête de me définir comme toute cassée,
12:46 et je me répare, et on y va, et on assume."
12:49 -Je pense qu'il y a beaucoup de choses.
12:50 Je pense que, tu vois, déjà, le "Phoenix", ça vient de ma mère,
12:52 qui est fan de Marvel, donc des X-Men, et de Jean Grey.
12:57 C'est ouf, tu vois, elle a passé son enfance à dessiner Jean Grey
12:59 à travers les flammes.
13:00 -Oh... -Tu vois, c'est ouf.
13:01 Et en fait, tu te dis "Est-ce que c'est du dessin intuitif ?
13:04 Est-ce que c'est du dessin qui la prépare au futur ?
13:06 Est-ce que c'est les dessins qui font que, du coup, ça lie un... ?"
13:09 Enfin, il y a plein de choses à se dire, tu vois,
13:11 c'est très spirituel aussi, mais j'adore.
13:13 Et du coup, forcément, quand j'ai eu mon accident,
13:15 ma mère, déjà, elle a commencé à m'appeler "Petit Phoenix".
13:18 Et puis, tu retombes sur ces planches de dessin qu'elle a gardées,
13:20 et tu vois cette héroïne à travers les flammes, et tu dis "En fait, tu dessinais ta fille depuis le départ ?"
13:23 Enfin, c'est quand même dingue !
13:25 Et puis, je suis fan d'Harry Potter, et puis t'as le phoenix dedans...
13:28 Enfin, en fait, t'as plein de liens qui font que tu te dis "Bon, bah OK".
13:32 Et en fait, à partir du moment où ce surnom, quand même, il vient dans ma vie,
13:35 et où je me dis "Bah, meuf, en fait, tu es renée de tes cendres",
13:39 il y a une autre signification qui est en train d'arriver,
13:41 et à ce moment-là, en plus, donc je me fais tatouer un phoenix sur l'épaule,
13:44 mais c'est surtout que je commence les réseaux, aussi, à ce moment-là.
13:49 Donc il y a tout qui se lie un petit peu de "Tu vas commencer à partager ton histoire pour libérer ta voix".
13:54 À la base, c'est clairement un appel au secours, on va pas se mentir.
13:55 De toute façon, quand on commence, je pense, qu'on a un accident
13:58 et qu'on commence à en parler sur les réseaux, t'as envie de libérer ta voix,
14:00 t'as envie de dire "Voilà, il s'est passé ça, ma vie, elle a changé, j'ai besoin d'en parler".
14:04 Et à ce moment-là, en fait, quand je commence à en parler sur les réseaux,
14:06 je capte surtout que mon histoire, elle peut aider d'autres personnes.
14:10 Et ça, c'est tellement fort, parce que tu donnes un sens à ce qui t'est arrivé, tu vois.
14:14 Tu le vois plus comme une fatalité.
14:15 Des fois, tu fais face à des témoignages et tu te dis "Waouh".
14:18 Là, il y a une petite qui avait été brûlée, qui s'appelle Laurine,
14:21 qui est d'ailleurs aussi sur les réseaux.
14:22 Elle a été brûlée à l'âge de 16 ans, comme moi, ou 16-17 ans.
14:25 Et en fait, elle, elle est tombée directe sur mon histoire,
14:28 donc elle s'est dit "OK, je crois en l'après".
14:29 Elle s'est dit "La meuf, elle fait des tapis rouges au Festival de Cannes,
14:32 elle fait des couvertures de magazines, elle a un mec depuis 4 ans,
14:35 elle vit sa meilleure vie, elle fait plein d'interviews, plein de télé, OK, il y a un après".
14:38 Franchement, j'aurais tout donné pour avoir une meuf comme moi,
14:41 sans me jeter des fleurs, mais juste un modèle de représentation.
14:44 Et du coup, de l'être pour certaines personnes, c'est hyper puissant,
14:47 mais en même temps, à la fois, je m'en préserve, enfin j'essaie de m'en préserver aussi,
14:50 parce qu'en fait, quand tu partages avec autant de sincérité,
14:52 t'as des témoignages sur lesquels t'es obligé de prendre part.
14:54 Moi, des fois, j'ai des mamans qui m'écrivent "Leur fille est à l'hôpital, elle est brûlée,
14:57 je vois ma mère", tu vois.
14:59 Donc en fait, au début, je me sentais obligée d'y répondre.
15:02 Le problème, c'est que quand tu t'investis à fond dans cette histoire-là
15:05 et que le lendemain, l'enfant, il est mort, ben je suis pas psychologue, tu vois.
15:09 Donc déjà, t'as plus les mots, tu sais plus quoi dire, à part "Je suis désolée",
15:12 et en même temps, tu t'en veux, toi aussi, de t'être autant...
15:14 Des fois, de t'être autant investie dans le truc et de te dire "Je peux plus rien faire".
15:19 -T'appréhendes un peu ce qui peut tomber des réseaux sociaux ou t'y penses pas ?
15:21 -Franchement, non. Tu sais pourquoi ? Parce que je me sens protégée derrière un écran.
15:24 Ce qui peut être autant une erreur, attention,
15:27 parce que si j'avais eu des retours négatifs à l'époque où j'ai fait ça,
15:30 j'en serais pas là aujourd'hui, je pense.
15:32 Mais les retours, déjà, ils ont été hyper bienveillants
15:34 et je me suis sentie protégée non seulement par l'écran,
15:36 en mode "Bon, s'il y a des retours négatifs, ma foi, tant pis",
15:39 et aussi protégée par mon pseudo.
15:41 Parce qu'à l'époque, mon pseudo, encore aujourd'hui, c'est "12 février",
15:44 mais à l'époque, personne sait que je m'appelle Julie Bourges, tu vois.
15:46 Donc au pire, 12 février, personne sait qui c'est dans la vraie vie.
15:49 Si je prends un retour négatif, c'est pas grave, je ferme mon compte et on passe à l'autre chasse.
15:52 Donc j'ai toujours eu ce truc, quand même, de me dire "Bon, ben, on tente".
15:55 -Tu l'auras à quel moment, ce compte Instagram ?
15:57 -2 ans et demi après l'accident. -D'accord.
15:59 Donc il t'a fallu quand même du temps de ton côté...
16:03 -Tu sais, déjà, la volonté de te prendre en photo et de l'exposer.
16:07 Tu vois, moi, pendant longtemps, sur ma page Facebook à l'époque,
16:10 enfin, mon Facebook perso, donc Julie Bourges,
16:13 pendant longtemps, il y avait plus de photos,
16:15 ou c'était des photos d'avant qui tournaient dessus,
16:17 ou alors c'était des photos hyper bien réfléchies avec une écharpe et avec ma perruque,
16:20 mais avant de passer le step 2, je monte mes cicatrices,
16:23 même sur mon profil perso, ça a été long.
16:27 Ça a été très très long.
16:28 -Ça a été facile, à ce moment-là, de revoir la Julie d'avant ?
16:30 -Sur les photos et tout, tu veux dire ? -Ouais, de te revoir, toi...
16:35 -Quand tu t'es connue avant, t'as quand même un deuil à faire.
16:37 C'est genre "Julie Bourges, de 16 ans, merci, au revoir", tu vois.
16:40 Tu passes à autre chose, parce que ça reviendra jamais.
16:42 Et d'ailleurs, quand t'es brûlée, c'est le premier truc qu'on te dit à l'hôpital,
16:45 un des premiers, quand t'es prête à l'entendre, c'est "Ta peau, elle redeviendra jamais comme avant".
16:49 T'auras beau faire tout ce que tu veux, c'est fini.
16:53 Genre une peau brûlée, une peau qui est greffée au troisième degré, c'est genre... T'oublies.
16:56 Je vois rien de l'avenir, tu vois.
16:58 J'ai trop peur de ce qui va se passer, j'ai peur de jamais retrouver l'amour,
17:00 j'ai peur de jamais retrouver un travail...
17:02 Moi, je voulais bosser dans le luxe, je voulais faire une grosse école de commerce,
17:05 je me dis "Mais c'est mort ! C'est mort !"
17:07 Je me disais "Mais toi, genre brûlée comme ça,
17:09 tu veux aller bosser pour des Chanel, pour des LV, mais jamais de la vie."
17:12 Et du coup, je me questionne vachement sur mon avenir.
17:14 Et puis, de toute façon, je me questionne,
17:16 mais en même temps, le regard des gens que je prends dans la rue,
17:19 il me fait me questionner aussi, parce qu'à travers leurs yeux à eux,
17:22 je sens juste ma différence.
17:23 -T'es le premier miroir. Le regard des autres, c'est le premier miroir.
17:26 -Bah, complètement.
17:27 Mais tu sais, quand t'es à l'hôpital, t'es dans un cocon,
17:29 où tu confrontes le personnel hospitalier,
17:31 il sait ce que sont des brûlures, tu vois.
17:34 Enfin, il sait ce que c'est le traitement d'un grand brûlé,
17:37 comment ça va évoluer, les bandages, etc.
17:39 Quand tu sors dans la rue, tu confrontes des gens qui ne savent pas ce que c'est
17:43 et qui apprennent ce que sont des brûlures sur ton corps à toi.
17:46 Tu vois ce que je veux dire ?
17:48 Des fois, je peux pas m'empêcher de me dire, encore aujourd'hui,
17:50 malgré tout ce que j'en ai fait, malgré toute la force que ça m'a donné,
17:53 toute la résilience, je me dis...
17:54 C'est injuste, quand même.
17:55 Je me dis "Wah, putain, enfin, franchement..."
17:58 Tu sais, tu te dis toujours, "Mais j'ai eu ce pourquoi, moi,
18:01 pendant très longtemps en essayant de..."
18:02 Tu te questionnes, tu te dis "Mais pourquoi ça m'arrive à moi ?"
18:04 Aujourd'hui, je sais pourquoi,
18:05 parce que pour tout ce que j'en fais, c'est ouf.
18:07 Et je me dis "En fait, ça t'est arrivé
18:09 parce que t'avais juste l'épaule de le surmonter,
18:10 mais l'épaule pour transmettre aussi."
18:12 Mais tu te dis "Quand même, prendre feu, quoi, c'est hardcore !"
18:16 -Qu'est-ce que tu as découvert,
18:18 qu'est-ce qui t'a le plus frappé au début, en tout cas, sur ta différence ?
18:21 -Sur ma différence ? -Ouais.
18:22 -Moi, ce qui m'a marquée sur ma différence,
18:24 et ce que je peux pas oublier,
18:25 c'est le comportement de certaines personnes face à ma différence
18:27 ou face au handicap de manière générale.
18:29 C'est, tu vois, avoir une place handicapée
18:33 parce que t'es en pleine rééducation,
18:35 tu sors de ta voiture, tu marches, donc on te dit "Genre, qu'est-ce que tu fais ?"
18:38 C'est des flics qui étaient là, tu dis "Tiens, tu lèves ta manche",
18:41 et ils sont là en mode "Oh ! T'es là ! Wow !"
18:44 Ça, c'est genre vouloir accompagner ta pote chez l'esthéticienne
18:48 pour faire tes ongles, et la meuf, elle se désinfecte les mains
18:50 parce qu'elle a peur que ça soit contagieux,
18:52 plutôt que de te demander...
18:53 J'ai vécu trop de trucs par rapport à...
18:54 Enfin, que des choses, en fait, qui te ramènent tout le temps à ta différence.
18:57 Les enfants qui te pointent du doigt, aussi.
18:59 Et les parents qui tirent leurs enfants.
19:00 C'est pas le pire, les enfants qui te pointent du doigt,
19:02 parce que eux, ils sont sans filtre, ils ont la vérité absolue, tu vois.
19:05 C'est genre en mode "C'est quoi, ça ? C'est quoi, ça ?
19:08 Viens, on leur donne une réponse."
19:09 Parce que pour moi, un enfant à qui tu donnes pas de réponse,
19:10 ça devient un adulte qui te dévisage dans la rue, tu vois.
19:12 -Comment ça se passe par la suite pour ton avenir ?
19:15 Comment tu gères ton avenir, en ce moment-là ?
19:16 -Tu vois, déjà, mon avenir...
19:19 Je passe mon bac, et tout.
19:22 Je fais une croix un peu sur l'école de commerce.
19:25 Je pars un petit peu dans le sport, en fac de sport,
19:28 parce que je me rends compte que le sport,
19:29 il a quand même une place hyper importante dans ma vie.
19:30 -Donc t'as réussi, on en a pas tellement reparlé,
19:33 mais t'as réussi à reprendre le sport après ça ?
19:34 -Ouais, j'ai repris direct.
19:36 J'ai eu mon accident en février, en septembre, j'étais à la gym.
19:38 -C'est génial ! T'as pas halluciné, le médecin, un peu ?
19:40 -Si, si, si.
19:41 Surtout qu'il m'avait dit "2016", lui.
19:43 Donc il a pété un câble.
19:44 Genre il m'a dit "OK".
19:46 Mais je pense qu'il savait...
19:47 Je pense qu'il m'a lancé un petit pic en mode électroshock, tu vois.
19:50 Quand il m'a dit "2016",
19:52 je pense que c'était dans une période où je voulais plus faire mes séances de kiné,
19:55 parce que ça me saoulait,
19:56 j'avais l'impression que ça me rabaissait de ouf.
19:58 Et je pense que quand il m'a dit ça,
19:59 en vrai, il savait très bien que c'était pas 2016,
20:01 mais moi, ça m'a piqué tellement fort dans mon égo de gymnaste
20:04 que je voulais lui montrer qu'il avait tort.
20:05 Et du coup, en septembre, j'étais de retour.
20:07 Ce qui a été dingue, tu vois, j'ai eu mon accident en février,
20:10 cinq mois d'hôpital,
20:12 quasiment genre quatre mois de rééduc vraiment poussé, tu vois.
20:15 Et en fait, je te dis ça,
20:17 en septembre, j'étais sur le praticable,
20:19 novembre, j'avais récupéré mon niveau.
20:20 Mon corps était fait pour ça, tu vois.
20:22 Et même, c'est ce qui m'animait.
20:24 Et quand je fais de la gym,
20:25 je fais tellement des éléments qui peuvent être dangereux
20:28 qu'au final, tu te focusses là-dessus,
20:29 ta différence, à ce moment-là, elle existe pas, tu vois.
20:32 Mais j'ai arrêté les compét' derrière.
20:34 D'ailleurs, j'ai laissé les gens diriger un peu ma vie de manière générale,
20:39 que ce soit en me couvrant ou à la gym, tu vois.
20:42 Je voulais plus faire de compétition,
20:43 puisque la gym, c'était en juste corps.
20:45 Les meufs, entre elles, c'est des hyper, c'est des folles.
20:48 Et puis, j'étais jeune et je me suis dit "Vas-y, j'arrête, quoi."
20:50 -Ouais. Donc, tu laisses tomber l'idée de l'école de commerce.
20:55 -Ouais, mais voilà, je me refocus sur le sport,
20:58 parce que je me dis que le sport, il a vraiment une place essentielle dans ma vie.
21:01 Et à la fac de sport, encore une fois, on me ramène à ma différence,
21:04 donc je fais preuve de beaucoup de discrimination.
21:06 On me fout un zéro au partiel pour pas grand-chose.
21:08 On pourrait être brûlé un petit peu.
21:10 Tu vois, je devais faire des cures thermales pour mes cicatrices.
21:12 Et en fait, t'es obligé de partir trois semaines,
21:14 sinon t'es pas remboursé par la Sécu, par ta mutuelle, je crois, d'ailleurs.
21:18 J'ai un mot de mot chirurgien, un certif médical,
21:21 et ça tombe, évidemment, pendant les partiels.
21:24 Toujours.
21:25 Et du coup, quand je reviens à la fac, je repasse mes partiels,
21:29 donc je fais un rattrapage comme tout le monde.
21:30 Quand tu fais un rattrapage, t'as ta carte d'identité,
21:33 tu peux pas tricher, tu peux pas envoyer ta pote au partiel,
21:35 ça n'existe pas.
21:36 Et donc je rattrape mes partiels, et en fait, c'est ouf,
21:38 parce que ça tombe évidemment sur deux matières sur lesquelles je me régale,
21:42 c'est sociologie et psycho.
21:46 Je rends je sais pas combien de pages, résultat des partiels, zéro au deux.
21:51 Genre zéro au deux, tu vois.
21:53 -Ouais, c'est pas possible. -Donc je fais une contestation de copie,
21:55 genre c'est impossible, et là, on me dit "on a perdu ta copie".
21:58 -Hein ? -Ils me disent "on n'a pas ta copie".
22:00 Genre "tu t'es pas présenté au partiel".
22:01 Je dis "bah c'est pas possible, en fait, vous avez une faillite présentielle,
22:04 donc je vous ai donné ma carte d'identité, donc bien sûr que je suis venue",
22:06 et en fait, ils ont genre jamais retrouvé ma copie.
22:08 Donc je me suis retrouvée avec deux zéros, et donc j'ai pas eu ma licence.
22:11 -Qu'est-ce que tu as fait par rapport à ça ?
22:13 -Bah j'en ai parlé au directeur, tu vois, je leur ai dit ce que j'en pensais.
22:16 Mon père, il a voulu y aller aussi, en fait.
22:18 Tu sais, j'avais pas la force, en fait.
22:20 J'avais pas la force de justifier pourquoi je devrais être là,
22:25 et donc du coup, je suis partie.
22:26 Comment tu veux justifier que tu mérites ta place au-delà de ta différence ?
22:29 En fait, là, malheureusement, je suis tombée sur quelqu'un
22:32 qui estimait que par ma différence et parce que j'étais brûlée,
22:34 je n'aurais jamais ma place comme coach sportive, par exemple.
22:37 Tu veux faire quoi ?
22:39 Enfin, en fait, tu sais, à ce moment-là, moi, j'ai 18 ans.
22:42 T'as envie de te battre ?
22:43 Là, aujourd'hui, je me bats, tu vois. Je leur casse la gueule.
22:46 Mais là, à l'époque, tu sais, et puis on est en 2016, 2017, 2016, peut-être,
22:52 on n'est pas du tout dans l'ère où on démocratise la différence.
22:55 Et puis, tu tombes sur un vieux de la vieille,
22:58 t'as pas envie de te battre pour expliquer que tu mérites ta place
23:00 comme tous les autres, tu vois,
23:02 bien que tu sais envoyer des vrilles sur un praticable.
23:04 Du coup, je suis partie en saison de ski,
23:06 et puis en parallèle, du coup, Instagram s'est lancé.
23:09 Et tu vois, je me dis que la finalité,
23:10 c'est peut-être que si je m'étais battue pour rester à la fac de sport,
23:13 je n'aurais peut-être pas vécu mes saisons de ski,
23:15 j'aurais peut-être pas ouvert ce compte Instagram,
23:16 j'aurais peut-être Focus pour devenir co-sportif,
23:19 et je dis pas que ça aurait bousculé tout mon destin,
23:21 mais n'empêche que j'en serais peut-être pas là où j'en suis aujourd'hui.
23:23 Si je l'explique comme ça, je pense que c'est parce que...
23:25 Je pense que je l'ai vu un peu comme mon destin,
23:26 et à la fois, tu vois, c'est assez marrant,
23:28 parce que quand je le raconte, là, 10 ans après,
23:30 tu vois, ça fait 10 ans que j'ai eu mon accident,
23:32 je me dis...
23:33 Alors, du coup, je te l'ai dit tout à l'heure,
23:34 c'est quand même hardcore, la meuf prend feu,
23:36 genre on sait pas...
23:37 C'est quand même dingue !
23:39 Et y a tout qui bascule et tout,
23:40 et d'un autre côté, si je te remonte des photos de moi en rééducation,
23:43 brûlée, genre avec la peau à vif et tout,
23:45 j'ai tout le temps le sourire, tu vois.
23:46 Je vais pas dire que ça a été presque facile,
23:48 mais c'est juste que c'était comme si c'était écrit en moi, tu vois.
23:52 Comme si j'étais vraiment là pour ça.
23:54 Je vais pas l'expliquer autrement.
23:56 -La Julie Bourge qui croquait la vie à pleines dents avant son accident,
24:00 à quel moment elle se dit "OK, t'as le droit d'avoir une vie,
24:03 t'as le droit d'avoir des potes, d'avoir un chéri, d'avoir tout ça",
24:07 à quel moment tu te réautorises pleinement à exister ?
24:10 -Je pense qu'il faut compter bien un an et demi, deux ans, quand même,
24:13 le temps que mes cheveux repoussent.
24:14 En fait, c'est ça, c'est un peu ça.
24:16 Je crois que j'ai beaucoup associé ma féminité à mes cheveux,
24:19 et du coup, je pense que je récupère un petit peu de ça
24:23 au moment où mes cheveux commencent à repousser,
24:25 au moment où je retrouve un petit peu une partie de ce que j'étais avant.
24:28 Contradictoire, mais pas trop en même temps.
24:30 Si on parle des choses qui m'ont marquée,
24:32 au-delà de tout ce côté discriminatoire,
24:35 t'as aussi ce truc où on te ramène constamment à ta différence.
24:39 Moi, j'avais plus de cheveux,
24:40 donc quand mes cheveux ont commencé à repousser,
24:42 j'avais une coupe à la Miley Cyrus, en plus, c'était l'époque "Wrecking Ball".
24:45 Tout le monde m'appelait Miley, on m'a trop bien.
24:47 Je sais pas si c'était un compliment, mais ça m'avait fait bien.
24:50 Sur une boule, quand même.
24:51 -Ouais !
24:52 -Et je plaisais plus aux femmes qu'aux hommes.
24:55 Sauf que moi, j'avais 16 ans, j'étais hétéro.
24:58 Du coup, on te ramène à un truc que t'es pas, et c'est très dur.
25:01 Je me suis jamais questionnée sur ma sexualité,
25:03 mais à la fois, tu te dis...
25:04 "Du coup, ça veut dire que je plairai plus jamais aux hommes,
25:06 parce que je suis brûlée."
25:08 Donc ça, c'est bizarre, sans compter tous tes potes qui ont 16 ans,
25:11 qui ont été cools et qui t'ont accompagnée,
25:12 mais qui te disent "Si t'étais pas brûlée, quand même !"
25:15 "Quand t'étais pas brûlée, c'était cool, quand même !"
25:17 Et du coup, tu te dis "OK..."
25:18 Et puis moi, j'ai eu mes expériences...
25:20 Si on parle de ça, même mes premières relations,
25:23 je les ai eues assez tôt,
25:24 donc je m'étais déjà connue dans mes relations sexuelles et tout.
25:27 Et quand, en fait, t'as ton accident, t'arrives à 17, 18 ans,
25:31 et tu te prives de ces relations-là,
25:33 parce que personne veut de toi,
25:35 mais toi non plus, tu veux pas de toi, à ce moment-là.
25:38 C'est dur, c'est dur.
25:40 Et ça, ça revient au moment où je récupère un petit peu de confiance en moi,
25:44 à travers mes cheveux, à travers ce que je suis, à travers ce que je fais,
25:47 et ça revient doucement, mais c'est un long chemin.
25:49 Moi, j'étais très en colère contre la vie.
25:51 Là, je parle avec le sourire et tout,
25:54 mais toutes ces périodes de discrimination, toutes ces phrases,
25:58 la maladresse des fois des amis, de la famille...
26:01 J'en voulais vachement à la vie.
26:03 Moi, je me disais "Mais c'est injuste, quoi ! C'est injuste."
26:06 Donc il y a du temps pour dealer avec tout ça.
26:09 Tu vois, le "ça va aller", "ça va aller"...
26:13 Moi, j'étais là en mode "Ah non, ça va pas aller, et en plus, ça va pas."
26:17 Genre là, actuellement, ça ne va pas, quoi.
26:18 Moi, j'ai vécu mes dépressions, j'ai eu mes suivis psychiatriques, psychologiques...
26:23 Ça a été un parcours du combattant, quand même, avant de sortir de tout ça, c'est clair.
26:27 -Il y a eu un "nouveau premier mec", entre guillemets,
26:31 comment ça s'est passé ?
26:33 Qu'est-ce qui fait qu'il y a eu ce déclic ?
26:35 -Bah déjà, en fait, j'ai vu dans ses yeux que je plaisais.
26:40 Donc ça, ça m'était pas arrivé depuis un petit moment.
26:42 Donc je me suis dit "OK, là, je récupère un petit peu, quand même,
26:45 les trucs de séductrice qui étaient pas arrivés depuis un petit moment",
26:48 parce que moi, j'aimais beaucoup plaire, aussi.
26:50 On rentre un petit peu dans un jeu de séduction,
26:51 et je me rends compte que finalement, les brûlures, c'est pas du tout un sujet.
26:55 Et puis lui, il est pompier, aussi, à l'époque.
26:57 Donc lui, il a un lien avec la différence, avec l'accident,
27:02 qui fait que c'est bof, un sujet.
27:04 Il a fait des accidents de route, des trucs, il en a vu, donc tu te dis "OK".
27:08 Mais n'empêche, le problème de cette relation,
27:11 c'est que je me mets en couple avec ce gars,
27:14 qui a 22 ans, à l'époque.
27:16 Moi, j'en ai du coup 18.
27:18 On est très jeunes.
27:20 Et j'attends de cet homme qui comble toutes mes failles
27:24 et tout mon manque de confiance en moi.
27:26 Je lui dis "Tu vois, le peu de confiance en moi qui me reste, là,
27:28 bah tiens, je te le donne, et fais-en ce que tu veux."
27:31 Et c'est l'erreur, parce que ça amène à une relation qui est toxique,
27:34 parce que lui, il est jeune, aussi,
27:35 parce qu'il en fait des choses qui sont pas nécessairement ouf.
27:37 Il a un côté un peu possessif,
27:40 donc il va avoir plus tendance à m'enfermer, enfin, pas à m'enfermer,
27:42 mais à me garder à part entière.
27:45 Puis il est très, très amoureux.
27:46 C'est beaucoup de "too much", beaucoup d'excessif.
27:48 Donc en fait, il m'accapare un peu,
27:50 et du coup, je peux pas m'exprimer, je peux pas avoir cette confiance-là.
27:54 Et à la fois, même dans mes rapports sexuels,
27:56 je suis dans un moment où je redécouvre ce corps que je déteste.
27:59 Tu vois, genre...
28:01 Et on est dans des moments où, tu vois, genre on va coucher ensemble,
28:06 lumière éteinte, je me rhabille avant que la lumière s'allume.
28:09 Et t'sais, t'es face à un homme qui a 22 ans,
28:11 et comment tu veux que la relation, elle ait...
28:12 Enfin, ça aurait pu évoluer différemment,
28:14 mais je pense que j'ai jeté aussi tout mon dévolu sur lui,
28:17 et que lui, il a jeté tout son dévolu sur moi,
28:19 et du coup, c'est amené à une relation qui a été très toxique,
28:22 mais à la fois, qui m'a permis de comprendre que la seule personne
28:25 qui était capable de combler mes failles, c'était moi, tu vois.
28:28 Et que je pouvais pas l'attendre de quelqu'un d'autre.
28:30 -Ouais, ça t'a appris beaucoup à ce moment-là.
28:31 Et en même temps, ça devait arriver comme ça, peut-être,
28:35 pour que tu comprennes.
28:36 -Pour que je comprenne,
28:38 et puis pour qu'aujourd'hui, je puisse vivre une relation qui est saine.
28:40 -Ouais. Alors justement, cette relation d'aujourd'hui,
28:42 qu'est-ce qui fait que c'est pas toxique,
28:45 que ça se passe bien depuis quatre ans ?
28:47 -Tu veux que je te dise ? En vrai, depuis mon accident,
28:51 chaque relation que j'ai eue, donc j'ai eu que des longues relations,
28:54 et chaque relation que j'ai eue m'a permis de comprendre quelque chose.
28:57 La première, elle était toxique,
28:58 et elle m'a permis de comprendre que j'étais la seule à pouvoir me guérir.
29:01 La deuxième relation, c'était le gars le plus gentil du monde.
29:04 Alors franchement, c'est... Je sais pas, un ange tombé du ciel.
29:08 Le gars, il était trop gentil, ça a été la relation qui m'a sauvée.
29:11 Ça a été le gars qui m'a dit...
29:13 Le premier gars à me dire "Mais tes cicatrices, waouh !
29:17 Waouh, meuf, t'es magique, en fait !
29:19 Genre tes cicatrices, c'est de l'art, tes cicatrices, c'est ton histoire..."
29:22 Enfin, ça existait pas, c'était même pas un sujet,
29:24 donc là, tu te dis "OK".
29:25 Et on s'est séparés, mais genre franchement,
29:27 une séparation, t'as même pas idée, c'était en mode...
29:30 On est plus sur le même chemin, on a plus les mêmes envies,
29:32 bon allez, casse-toi.
29:34 Genre on s'est fait la bise et on est partis, tu vois.
29:35 C'était la séparation la plus incroyable du monde,
29:39 et en même temps, le gars qui m'a appris que le bonheur, des fois, il est égoïste,
29:42 et que si un jour, j'étais plus heureuse avec lui, j'avais le droit de partir.
29:45 Tu passes une relation toxique à ça, tu te dis "OK".
29:47 La troisième relation, c'est mon ex, et c'était le mec, il était désiré, tu vois.
29:51 Il était désiré.
29:52 Et en fait, le fait de l'avoir,
29:54 genre je vais mettre des gros guillemets, mais de l'avoir, moi,
29:56 je me suis dit "Papa, papa !"
29:59 Genre y a quoi, tu vois ?
30:00 Et c'est vraiment le truc de te dire "Tes cicatrices, meuf,
30:02 non seulement c'est pas un sujet, mais en plus, tes cicatrices, elles attirent aussi.
30:05 Ta différence, ta confiance en toi,
30:07 tout ce que t'as à transmettre, en fait, ça attire et c'est pas du tout un sujet."
30:10 Donc de l'avoir, lui, c'est là où je me suis dit "OK, tu peux avoir qui tu veux."
30:14 En tout cas, ta différence, elle t'empêchera pas d'avoir quelqu'un,
30:17 si tu le veux vraiment et s'il y a vraiment une réciprocité.
30:20 Et du coup, mon mec actuel avec qui ça fait 4 ans,
30:23 en fait, c'est juste le condensé de toutes ces belles relations que j'ai eues,
30:26 qui m'ont tout appris et qui fait qu'aujourd'hui,
30:28 j'évolue dans une relation qui est hyper saine.
30:31 C'est complémentaire, c'est réciproque.
30:33 Les cicatrices, c'est pas un sujet, mais en même temps, il les comprend.
30:37 Il comprend mes failles, mais en même temps, c'est pas lui qui les comble.
30:39 On se tire vers le haut mutuellement.
30:41 Enfin, je peux rien dire de plus, hormis que c'est l'homme de ma vie
30:44 et qu'il était là pour...
30:46 Enfin, il est pas là pour m'apporter quelque chose, tu vois ce que je veux dire ?
30:50 Il est là parce que je suis ce que je suis,
30:52 et on est là pour se tirer vers le haut ensemble,
30:54 mais j'attends pas quelque chose de lui particulièrement.
30:57 -T'as vécu ce que c'est d'aller au plus bas, d'être vraiment...
31:00 -De te détester aussi. -Ouais.
31:03 Est-ce que dans tout ce que tu as vécu, le fait d'avoir touché le fond, etc.,
31:06 est-ce que ça t'a amenée jusqu'à penser au pire ?
31:09 -Euh...
31:10 En fait, à l'hôpital, dans mes moments vraiment seuls,
31:13 donc t'as des cachets à prendre et tout,
31:15 mais en même temps, je dis ça, mais t'es surveillée par des caméras.
31:18 T'es mineure et tout, et moi, je t'ai over-over-surveillée.
31:21 Mais y a un moment quand même où tu te dis...
31:23 "Putain, est-ce que je les prends, ces cachets ?
31:26 Qu'est-ce que ça fait si je les prends pas ?"
31:28 C'est dur, quoi. C'est dur.
31:30 Puis c'est un moment où j'ai...
31:32 Mes parents, ils sont pas là. Ils font plein d'aller-retours,
31:34 ils sont là tous les jours, mais t'as forcément des moments où t'es seule.
31:37 -Ils habitaient loin. -Ouais, à 1h30 de l'hôpital.
31:39 Et tous les jours, ils faisaient l'aller-retour pour me voir une heure.
31:42 C'est quand même inconditionnel.
31:44 Mais du coup, c'est ce qui fait rester, en fait.
31:46 T'as des questions, forcément, tu te les poses, elles sont horribles,
31:49 et tu te dis "ça fait quoi si j'arrête ? Ça fait quoi si je suis plus là ?
31:51 Qu'est-ce que ça ferait si je suis plus là ?"
31:53 Parce que c'est ce que je te dis,
31:54 on parle d'un moment où j'ai pas de téléphone dans les mains,
31:56 je peux pas tenir un téléphone, en fait.
31:57 J'ai pas de téléphone, je peux parler avec personne.
32:00 La seule vision que t'as, c'est le personnel hospitalier
32:04 ou tes parents qui viennent quand ils peuvent.
32:06 Donc ouais, tu te poses des questions.
32:10 Et puis surtout, moi, je sais ce que c'est que de détester l'image que tu renvoies.
32:14 Donc moi, des coups de poing dans le miroir à finir les mains en sang,
32:17 je l'ai vécu aussi.
32:18 Donc ça, c'est la partie dark.
32:20 Mais de l'autre côté, quand t'as tes parents qui te montrent un amour inconditionnel
32:24 et qui sont là tous les jours, tous les jours, tous les jours,
32:28 3h de route pour te voir des fois une heure,
32:31 ou pour te voir des fois moins parce que tu dors,
32:33 ou parce que t'es fatiguée, ou parce que t'as même pas d'échange...
32:35 Waouh !
32:37 Enfin, tu te dis "Je peux pas lâcher, je peux pas lâcher pour ça,
32:39 je peux pas lâcher pour mes potes, pour tout le reste."
32:41 Moi, ce qui me fait tenir aussi, je pense, c'est l'amour de la vie.
32:43 Comme je t'ai dit, la Julie Davant, elle croque la vie à pleines dents,
32:46 mais elle aime beaucoup, beaucoup sa vie, son autonomie, sa liberté.
32:49 Ça, ça aide.
32:51 Tu te dis "J'aimerais bien retrouver une petite part de ce que j'avais avant."
32:55 -T'as un livre récemment sorti, le titre, je vais te laisser nous le donner.
32:59 -"Chaque jour compte".
33:00 -"Chaque jour compte", ouais.
33:02 Ça résume parfaitement ce que tu racontes, finalement, à tout le monde.
33:06 -Vraiment, c'est ça.
33:07 Et puis, ce livre, c'est juste le résumé de tout ce qu'on vient de se dire.
33:10 C'est les dix dernières années.
33:11 Ce livre, c'est le condensé de mes thérapies sur un an.
33:15 C'est un accompagnement quotidien,
33:16 puisque tu choisis pas quand tu vas mal, tu choisis pas quand t'as besoin d'aide,
33:19 tu choisis pas quand t'as besoin d'un peu de lumière.
33:21 Donc tu prends ce livre, tu te l'offres ou tu l'offres à quelqu'un qui va pas bien,
33:25 t'es pas bien en août, tu le finis en août de l'année prochaine,
33:28 et chaque jour, t'as un accompagnement.
33:29 Que ça soit par le sport, parce que le sport, ça a été ma thérapie,
33:32 que ça soit par l'écriture, parce que j'ai beaucoup écrit,
33:34 l'introspection, questionnement personnel,
33:36 ou que ça soit même, des fois, par le coloriage.
33:37 Alors ça, ça peut paraître hyper anodin, mais tu vois, quand t'es à l'hôpital,
33:40 moi, le premier truc qu'on m'a fait faire, quand j'ai récupéré l'usage de mes mains,
33:43 c'est de l'art, en fait.
33:44 On descendait dans des salles en bas et on dessinait,
33:46 on utilisait nos mains pour faire comme de la pâte à modeler et tout,
33:49 et en fait, c'est vrai que quand t'es focus sur un truc comme ça,
33:52 l'art, la créativité, tu vois, on parlait de la créativité tout à l'heure,
33:55 ça aide de ouf et ça se sauve aussi.
33:56 Donc tout ça, c'est ce qu'on retrouve dans le livre.
33:58 Mais bien sûr qu'en fait, il n'est pas dédié qu'à quelqu'un qui va pas bien.
34:01 Tu vas très bien, tu lui dis, en fait, tu te questionnes aussi sur toi-même,
34:04 c'est un livre...
34:05 En fait, c'est le juste milieu entre un livre de développement personnel
34:08 et une écriture autobiographique
34:09 où je te raconte un peu tout ce qu'on vient de s'adrire.
34:11 -Si tu devais parler à la Julie,
34:13 qui est dans la période "Dark Phoenix", on va l'oser, celle-là, je suis désolé,
34:19 tu lui dirais quoi ?
34:20 Quelle leçon tu tires aujourd'hui et qu'est-ce que tu aurais eu envie d'entendre ?
34:25 -Je pense que...
34:26 Enfin, j'aimerais trop lui montrer ce qui l'attend, en fait.
34:28 J'aimerais trop lui montrer, j'aimerais trop lui dire que...
34:32 Si elle pense que la différence, c'est un frein,
34:34 si elle pense qu'elle intéressera plus jamais personne,
34:36 si elle pense que son accident, c'est une fatalité,
34:38 en fait, elle va en faire quelque chose d'incroyable.
34:40 Mais en fait, je te le dis et je me demande si je le savais pas déjà.
34:42 Et que c'est pour ça que je suis sortie de cette période un peu dark.
34:45 Il y avait un peu la force intérieure qui y est.
34:48 -Et la Julie d'aujourd'hui, qu'on a en face de nous,
34:49 il faut lui souhaiter quoi pour la suite ?
34:51 -Franchement ?
34:53 Genre, franchement, moi, aujourd'hui, ce que je veux,
34:55 c'est juste être en accord avec mes valeurs,
34:57 être bien dans mes pompes, bien dans mes baskets,
35:00 et peut-être juste de redouter un peu moins la vie.
35:03 Je pense que c'est le seul truc qu'on peut me souhaiter.
35:04 En fait, cet accident, il est venu m'enlever un petit peu cette part d'insouciance
35:08 et de me dire de croire un petit peu que la vie, des fois, elle est juste
35:12 et qu'elle n'est pas que injuste. C'est cool.
35:14 -Si on va loin, loin dans l'avenir, qu'est-ce qui se passe dans 10 ans, dans 20 ans ?
35:18 Tu te vois comment ?
35:19 -Attends, là, mon accident, c'était à 16 ans.
35:21 Là, j'en ai 26, ça fait 10 ans. Donc à 46 ans.
35:24 -Ouais ? -46 piges.
35:26 Oh, putain...
35:28 Si les réseaux existent encore, je pense que c'est un support.
35:30 Je pense que je suis plus créatrice de contenu,
35:32 c'est plus mon activité principale.
35:34 Je pense que j'aurai un diplôme de prof de yoga,
35:38 parce que j'aime beaucoup ça et que j'adore transmettre aussi...
35:40 En fait, ma mission de vie, ma passion,
35:43 c'est de transmettre par plein de biais différents.
35:45 Et c'est pour ça que le livre, c'est un peu ça,
35:46 transmettre de plein de manières différentes.
35:48 Donc, 46 ans, je pense que je suis prof de yoga
35:49 et que je transmets aussi à propos du corps,
35:52 de comment tu peux te sentir bien dans ton corps
35:54 et comment tu peux reconnecter avec ton corps après un accident
35:56 ou après un trauma, après une maladie et tout,
35:58 comment le yoga, ça peut t'aider.
36:00 Je pense que j'ai mon autobiographie qui sera sortie,
36:03 donc qui est loin de ce que je viens de sentir maintenant,
36:06 mais qui s'en rapproche aussi, mais genre vraiment full autobiographie,
36:09 parce que je pense que j'aurai la maturité nécessaire
36:11 pour transmettre ce que la vie m'a appris.
36:13 Je pense que je suis avec mon chéri toujours,
36:16 dans une belle maison dans les Landes,
36:17 et que je surf la mort, parce qu'il faut leur surfer.
36:19 Toujours le sport dans ma vie.
36:21 Et je pense que j'ai mon association 12 février,
36:25 et je pense que j'ai une belle marque de cosmétiques
36:27 qui cible tous les types de peau.
36:29 -Tu te vois avec des enfants ? -Je crois pas.
36:32 Déjà, j'aurais peur, si j'ai des enfants,
36:33 de leur transmettre toutes mes angoisses.
36:36 Donc déjà, c'est sûr que c'est un sujet auquel je pense pas maintenant,
36:39 parce que je sais que mes angoisses de ce que la vie peut te réserver
36:42 comme accident, et en une fraction de seconde, tout peut basculer,
36:45 j'ai encore du mal à le déaler avec ça,
36:47 et je pense que j'aurais trop peur de le transmettre à mes enfants.
36:49 Et j'aimerais pas que mes enfants vivent à travers mes angoisses.
36:51 Donc déjà, y a de ça.
36:52 Et je pense que j'ai un peu peur du monde dans lequel on évolue aussi,
36:55 du monde dans lequel on vit.
36:56 Et c'est marrant, puisque j'en parlais y a pas longtemps avec un pote,
36:59 et il me disait que lui, il a des enfants,
37:01 et que c'est eux qui vont changer les choses.
37:03 Et c'est ce que je disais.
37:05 En fait, avoir des enfants, c'est avoir espoir dans l'avenir,
37:07 sauf que moi, pour l'instant...
37:08 C'est bizarre, parce que je suis une nature très positive et tout,
37:10 mais je pense que c'est une manière de me préserver et de me dire...
37:12 Enfin, je pense que juste là, je suis pas prête, en fait.
37:15 Donc je peux pas te dire si à 46 ans, je serai prête ou pas,
37:17 ça dépendra du taf que j'ai fait sur moi.
37:19 -Alors, une dernière qui me vient comme ça.
37:20 Mais est-ce que 12 février s'est réconcilié avec le 12 février ?
37:24 -Ouais, carrément.
37:25 Carrément.
37:26 Moi, je peux même te dire autre chose.
37:27 Y a pas longtemps, on m'a posé une question,
37:29 et j'ai changé mon pseudo Instagram.
37:30 Et c'est dur. Elle est très dure, cette question.
37:33 Du coup, je la relance comme ça.
37:35 Je tire pas la réponse, mais je la relance.
37:37 Non, c'est dur. C'est dur, c'est dur.
37:38 Parce que tu vois, tout a été fait sous le pseudo "12 février",
37:42 parce que Julie Bourges, à l'époque, elle avait pas la force de parler.
37:44 Sauf que là, la meuf qui te parle, c'est pas 12 février, c'est Julie Bourges.
37:47 Donc c'est compliqué.
37:49 -Écoute, c'est quelque chose qu'on va suivre,
37:51 pour laquelle il y a pas de...
37:53 Je pense qu'il y a pas de bonne réponse en tout cas.
37:55 Ou la bonne, c'est celle que tu choisiras.
37:58 -Bah écoute, on te souhaite le meilleur, en tout cas, pour la suite,
38:00 et merci pour cette belle rencontre. -Merci beaucoup, c'était trop cool.
38:03 -Hm, hm.
38:04 [BIP]
38:06 Merci.
38:07 [SILENCE]