"Vous êtes un parasite pour l'entreprise": Jean-Michel Frixon, ex-ouvrier chez Michelin, raconte son licenciement

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Jean-Michel Frixon, ex-ouvrier chez Michelin et auteur de "L’ouvrier qui murmurait à l’oreille des cadres" était l’invité de BFM Story ce vendredi soir sur BFMTV.

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Transcription
00:00 du manufacturing de Michelin.
00:02 Il y a deux ans, vous racontiez le parcours qui avait été le vôtre à Michelin.
00:06 Vous y avez passé 43 ans, vous aviez commencé à 17 ans.
00:10 Vous avez fait plusieurs postes.
00:11 D'abord, vous étiez coursier, ensuite magasinier,
00:15 chargé des camions en déplacement à Paris.
00:17 Ensuite, vous êtes retourné au courrier et vous racontiez dans ce livre
00:21 les erreurs de management.
00:23 L'ironie de l'histoire, c'est que vous racontiez dans ce livre
00:26 à quel point vous pouviez être maltraité.
00:28 Il y avait cette phrase terrible où vous avez traité de parasite.
00:31 Un cadre, vous avez traité de parasite.
00:35 Maintenant, c'est vous-même qui murmurez à l'oreille de ces mêmes cadres,
00:39 qui ne vous regardez même pas, qui n'avez même pas le moindre respect pour vous,
00:42 pour leur dire quoi ?
00:44 Expliquez-nous ce retournement de situation.
00:46 Tout est parti, comme vous l'avez dit, du premier livre.
00:50 C'est M. Guérin qui, à la sortie du livre,
00:53 m'a invité pour parler du livre, justement,
01:00 parce qu'il a appris des choses qu'il ignorait lui-même dans l'entreprise,
01:03 aussi paradoxale que ça puisse paraître.
01:05 C'était quoi comme chose ?
01:07 La période des licenciements, de la manière dont ça s'est passé.
01:12 C'est-à-dire que moi, quand j'étais sur la liste,
01:14 comme vous l'avez dit, mon chef de service,
01:16 quand il m'a non seulement annoncé que j'étais licencié,
01:18 il m'a traité de parasite, parce que je n'avais pas de diplôme.
01:21 À ce moment-là, on ressent quoi ?
01:25 On est complètement détruit.
01:27 Le licenciement, moi, je l'accepte.
01:29 Une entreprise ne licencie pas pour dire "je vais licencier",
01:32 mais c'est terrible.
01:34 On voit le film de sa vie, en fait.
01:37 Mais quand on vous rajoute, en vous disant "vous n'avez pas de diplôme,
01:41 les gens du balai ont au moins le certificat d'études",
01:44 et pour moi, vous êtes un parasite pour l'entreprise,
01:47 je vous licencie. Là, c'est terrible.
01:49 - Vous avez quel âge, à ce moment-là ?
01:51 - C'était en 90, je devais avoir 35 ans, 38 ans.
01:54 - Et vous licenciez parce que vous n'avez pas de diplôme, c'est ça l'argument ?
01:57 - En tout cas, c'est ce qu'il m'a dit.
01:59 En tout cas, c'est ce qu'il m'a dit, on ne sait jamais sur quels critères...
02:02 - Et ce passe quoi, ensuite ?
02:04 - Vous êtes détruit. Je ne vous cache pas, en toute honnêteté,
02:07 quand je suis rentré chez moi entre midi et deux,
02:10 sur le coup, j'ai pensé au suicide.
02:13 Et puis, vous dites, surtout, ce qui est le plus terrible,
02:15 c'est que moi, je n'ai aucune qualification,
02:17 des enfants en bas âge, vous vous dites,
02:19 mais qu'est-ce que je vais faire, qui voudra de moi ?
02:21 Tout ça, ça vous passe en une fraction de seconde.
02:23 - Vous vous dites vraiment, je vais me suicider ?
02:25 - Ça m'est venu par la tête, oui. Oui, oui, oui.
02:27 Parce que vous n'y attendez pas, moi.
02:29 J'avais des valeurs que mes parents m'avaient inculquées,
02:31 c'est-à-dire qui sont peut-être dérisoires,
02:33 à savoir être toujours là, présent au boulot,
02:35 jamais faire grève, etc., etc.
02:37 J'ai toujours fait mon boulot le plus sérieusement possible,
02:41 et puis ça vous tombe sur le coin de la figure,
02:43 et vous ne savez pas pourquoi.
02:45 - Est-ce que vous pensez au suicide ? Pourquoi ?
02:47 Parce que vous vous dites, socialement, je suis mort ?
02:49 - Quelque part, oui. Oui, quelque part.
02:51 Et puis vous vous dites, personne ne voudra de moi,
02:53 étant donné que moi, j'étais bien content
02:55 quand Michelin, à 17 ans, m'a embauché.
02:57 Et en fait, ce qui est le plus frustrant,
02:59 c'est que vous ne savez pas les critères.

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