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Date de l'audience : 18/04/2023

M. Jamal L. [Conditions de délivrance de la carte de résident permanent]

Lien vers la décision : https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2023/20231048QPC.htm

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Transcription
00:00 Alors, nous allons passer à la seconde question qui porte...
00:07 On va laisser partir un certain nombre de personnes.
00:11 Donc, nous allons prendre la seconde du PC qui porte le numéro 2023-1048,
00:22 sur un sujet tout à fait différent.
00:24 Ce sont certaines dispositions de l'article L426-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,
00:33 qu'on appelle par ses initiales CÉSEDA.
00:36 Alors, Mme la greffière, voulez-vous nous rappeler où nous en sommes de la procédure d'instruction ?
00:41 Merci, M. le Président.
00:42 Le Conseil constitutionnel a été saisi le 28 février 2023 par une décision du Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité
00:50 posée par M. Jamal Lengahoui et portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit
00:56 du deuxième alinéa de l'article L426-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,
01:02 dans sa rédaction issue de l'ordonnance numéro 2020-1733 du 16 décembre 2020,
01:08 portant partie législative du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
01:13 Cette question relative aux conditions de délivrance de la carte de résident permanent
01:17 est enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le numéro 2023-1048 QPC.
01:23 La SCP Zibri et Texier a produit des observations dans l'intérêt de la partie requérante les 21 mars et 4 avril 2023.
01:30 M. Henri Braune et M. Baptiste Hervieux ont demandé à intervenir dans l'intérêt de l'association SOS soutien aux sans-papiers
01:38 et ont produit des observations à cette fin les 21 mars et 4 avril 2023.
01:42 La Première ministre a produit des observations le 21 mars 2023.
01:46 Seront entendues aujourd'hui l'avocat de la partie requérante, l'avocat de la partie intervenante et le représentant de la Première ministre.
01:52 Merci. Alors nous allons d'abord écouter Me Zribi qui est avocate au Conseil,
01:58 qui représente M. Le Gnaoui, partie requérante. Maître.
02:14 Je vous remercie, M. le Président. M. le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
02:20 comment penser qu'il puisse y avoir une insertion réelle des personnes qui vivent, si je puis dire, avec une valise dans la tête ?
02:30 C'est en ces termes que M. Jacques Robert, alors membre de votre Conseil, lors de votre séance du 22 avril 1997,
02:37 rappelait l'objectif de la loi portant sur le renouvellement d'une carte de résident de 10 ans,
02:42 qui vous était soumise dans le cadre de votre examen a priori. J'y reviendrai.
02:47 Avoir une valise dans la tête, en effet, être dénué d'un futur s'étendant devant soi,
02:53 affecte nécessairement le droit au respect de la vie privée et le droit de mener une vie familiale normale.
02:58 Aujourd'hui, vous êtes saisi de la question de savoir à quelles conditions une carte de résident permanent
03:05 à durée indéterminée, donc, peut être refusée sans porter une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée
03:12 et au droit de mener une vie familiale normale lorsqu'il est reproché à une personne qui est en France depuis longtemps
03:19 de menacer l'ordre public. C'est une question très contemporaine, puisque vous le savez,
03:25 les rapports entre droit au séjour et menace à l'ordre public ont été beaucoup évoqués ces derniers mois
03:31 à l'occasion du projet de loi intitulé « Pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration ».
03:36 Au-delà de la disposition contestée, cette question prioritaire de constitutionnalité vous donne aussi l'occasion
03:43 de poser un cadre permettant de garantir les droits fondamentaux, cadre qui pourrait être très utile
03:49 dans la perspective notamment de futurs débats parlementaires.
03:53 A l'issue de la séance du 22 avril 1997 que j'évoquais en commençant, votre Conseil a rendu une décision
04:00 qui a vigoureusement défendu les droits fondamentaux en excluant qu'une menace à l'ordre public simple,
04:07 non qualifiée de grave, puisse justifier le refus de renouvellement d'une carte de résident à une personne en France
04:14 depuis au moins 10 ans. Cette solution doit être transposée aujourd'hui à l'hypothèse très proche
04:21 de la délivrance d'une carte de résident permanente pour laquelle la loi a prévu un régime similaire
04:27 à celui de la loi alors censurée par votre Conseil. Rien ne fait obstacle en effet à ce que cette solution s'applique.
04:35 Ce seront les deux points que j'aborderai successivement.
04:38 Tout d'abord, la loi est inconstitutionnelle pour les mêmes raisons que celles retenues dans votre décision du 22 avril 1997.
04:47 Tout d'abord, dans votre décision du 13 août 1993, vous avez posé que les étrangers dont la résidence en France
04:55 est stable et régulière ont le droit de mener une vie familiale normale au même titre que les nationaux.
05:02 Dans votre décision du 22 avril 1997, vous avez précisé dans le droit fil de votre décision de 1993
05:10 que les droits au respect de la vie privée et de mener une vie familiale normale excluent qu'une menace à l'ordre public
05:16 puisse justifier dans tous les cas le refus de renouvellement d'une carte de résident de 10 ans.
05:22 Plus précisément, vous avez décidé, je cite, parce qu'il est important d'avoir cette décision importante en tête,
05:28 qu'au moment où il formule une demande de renouvellement de sa carte de résident,
05:32 l'étranger peut se prévaloir d'une présence régulière sur le territoire français d'une durée de 10 ans au moins,
05:40 qu'en raison d'une telle stabilité de nature à avoir fait naître entre l'étranger et le pays d'accueil des liens multiples,
05:48 une simple menace pour l'ordre public ne saurait suffire à fonder un refus de renouvellement de ce titre de séjour
05:55 sans atteinte excessive au droit de l'intéresser au respect de sa vie familiale et privée.
06:00 Dans votre décision de 1997, il y a donc trois éléments clés.
06:05 Premièrement, par hypothèse, au regard des conditions de la loi, la personne réside en France depuis au moins 10 ans.
06:12 Deuxièmement, elle y est en situation régulière.
06:16 Troisièmement, dans ce contexte, pour ne pas délivrer de titre de séjour, il faut que cette personne représente une menace grave pour l'ordre public,
06:25 une simple menace, une menace qui n'est pas qualifiée de grave, ne suffisant pas.
06:31 Comme le soulignaient les cahiers du Conseil constitutionnel à l'époque, la loi, qui se contentait d'une menace simple, non qualifiée de grave,
06:38 donc, je cite, rompait l'équilibre que la Constitution impose aux législateurs d'assurer entre les nécessités de l'ordre public et le droit au respect de la vie privée et familiale.
06:49 Le professeur Julien Laferrière observait que le droit au respect de la vie privée des étrangers vivant régulièrement en France depuis 10 ans au moins
06:57 ne saurait plier devant une simple menace à l'ordre public.
07:02 Ici, pour la carte de résident permanent, l'ensemble de ces conditions sont réunies et même davantage.
07:08 Tout d'abord, par nature, au regard des conditions de la loi, la personne est en France depuis non pas 10, mais depuis 20 ans, voire plus.
07:18 Elle est en situation régulière en France. Pour paraphraser votre décision de 1997, il s'agit d'une situation stable, de nature,
07:26 à avoir fait naître, entre l'étranger et le pays d'accueil, des liens multiples, vie professionnelle, vie conjugale, vie familiale, etc.
07:34 Et pourtant, la loi, comme elle le faisait avant 1997 pour le renouvellement des cartes de résident de 10 ans,
07:41 permet le refus de délivrance de cette carte sur le fondement d'une menace simple à l'ordre public dont la gravité n'a pas à être caractérisée.
07:50 Au regard de la stabilité de la situation de la personne sur le territoire français, plus grande encore que celle des titulaires des cartes de résident de 10 ans,
07:57 cette menace simple ne peut pas suffire. Une vie construite en France ne saurait être fragilisée en raison de simples erreurs de parcours,
08:06 comme des infractions légères, par exemple. M. Pichon de Vandeuil l'a souligné dans ses conclusions devant le Conseil d'État, je cite,
08:13 « La stabilité du lien avec la France est donc plus caractérisée dans cette hypothèse, et la faculté de refuser la délivrance du titre
08:22 en raison d'une simple menace à l'ordre public paraît dès lors d'autant plus problématique. Il y a une sorte d'inforcierie par rapport à la décision de 1997. »
08:34 La solution retenue par votre décision de 1997 doit donc être transposée à l'hypothèse de la carte de résident permanent.
08:41 Rien ne l'exclut, et j'en viens à mon second point. Le droit au respect de la vie privée et le droit de mener une vie familiale normale comportent une composante temporelle indéniable.
08:52 Il implique en effet que l'on puisse se projeter dans le temps, et ce de manière d'autant plus pérenne qu'on s'est ancré dans un pays depuis longtemps dans un mouvement de symétrie.
09:03 Dans votre décision du 22 avril 1997, vous avez sans doute été sensible à cette dimension temporelle des droits au respect de la vie privée et de mener une vie familiale normale
09:13 lorsque vous avez décidé que la menace simple à l'ordre public ne pouvait pas faire basculer une personne en France depuis dix ans dans une incertitude totale sur son avenir.
09:22 De la même manière, la Cour européenne des droits de l'homme tient compte de la possibilité ou non pour une personne de se projeter dans l'avenir pour apprécier les attentes à l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
09:37 Dans un arrêt Jby, Loudoudi et autres contre Belgique du 16 décembre 2014, par exemple, la Cour de Strasbourg saisit d'un grief tiré d'une méconnaissance du droit au respect de la vie privée et familiale
09:48 à vérifier si les autorités étaient tenues d'accorder à la requérante la sécurité d'un titre de séjour à durée indéterminée par opposition à, je cite, « la précarité et l'incertitude d'un titre de séjour temporaire ».
10:02 Sans une vision apaisée de l'avenir à une échelle de temps raisonnable, comment pourra-t-on faire une carrière, apprendre un métier, déployer une relation de couple et, le cas échéant, une vie de famille ?
10:13 Même si Sénèque conseillait de vivre chaque jour comme si c'était le dernier, avouons qu'une telle pensée, sans doute pleine de sagesse pour la vie spirituelle, est peu propice, en revanche, au développement de la vie privée et familiale.
10:25 Il en résulte donc que plus une personne a établi des liens multiples et durables avec la France, moins elle doit vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de sa tête.
10:36 Ici, dès lors qu'une personne réside en France depuis 20-30 ans, ses droits au respect de la vie privée et de mener une vie familiale normale doivent inclure la faculté de se projeter dans le futur à longue échéance, sauf en cas de circonstances extrêmement graves.
10:52 Certes, comme le représentant de la Première ministre l'observe, la personne qui se voit refuser une carte de résident permanent peut demander le renouvellement d'une carte de résident de 10 ans.
11:03 Cependant, tout d'abord, dans votre décision de 1997, vous avez censuré la loi sans rechercher si la personne aurait pu se voir délivrer un autre titre, ni d'ailleurs si elle pouvait être éloignée du territoire.
11:16 Ensuite, l'étranger ne sera pas assuré d'obtenir le renouvellement de sa carte de résident. En effet, ce renouvellement n'est pas accordé, notamment s'il s'est absenté de France pendant trois ans consécutifs.
11:30 Donc ce renouvellement n'est pas assuré. Enfin, et en tout état de cause, comme le souligne un auteur, la carte de résident de 10 ans, valable pour une durée limitée, conserve pour cette raison, je cite, des éléments de précarité.
11:43 10 ans, c'est peu, lorsqu'il est question de choisir un métier, de faire une carrière, d'organiser sa retraite, d'avoir des relations de couple durable, de fonder une famille.
11:51 Et c'est d'autant plus court si la personne vit depuis longtemps en France, depuis 20, 30 ans. Dès lors, la privée d'une projection dans l'avenir au-delà de ses 10 ans pour une menace simple à l'ordre public,
12:03 alors même qu'elle démontre justifier de son intégration républicaine – c'est un autre critère de la loi – porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et à son droit de mener une vie familiale normale,
12:18 garantie par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par le deuxième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
12:28 En conclusion, pour les mêmes raisons qui vous ont conduit à censurer la loi dans votre décision du 22 avril 1997, je vous demande donc de déclarer le deuxième alinéa de l'article L426-4 du Céséda, contraire à la Constitution.
12:43 Merci, maître. Nous allons maintenant écouter maître Henri Braune, qui est avocat au Barreau de Paris, qui représente l'association SOS Soutien aux Sans-Papiers Parti Intervenant. Maître.
12:56 M. le Président, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, je vais être très bref dans la mesure où ma consoeur Isabelle Grivy a parfaitement résumé les termes de ce débat en rappelant les précédentes décisions que votre Conseil a rendues il y a quelques années.
13:15 Mais il faut, je pense, avoir en tête ce que c'est qu'une vie d'immigré en France et ce qu'est le cursus honorum ou la façon dont la personne s'intègre progressivement.
13:27 Beaucoup de gens commencent par être en situation irrégulière. Pas tous, mais beaucoup. Au début, un immigré ou une immigrée se voit attribuer une carte de séjour d'un an, une carte de séjour pluriannuelle pour les plus chanceux.
13:43 Après avoir eu un récépissé de demande de carte de séjour, lorsqu'on demande le renouvellement de cette carte d'un an ou de cette carte pluriannuelle, on se voit doter de petits bouts de carton qui sont des récépissés ou des autorisations provisoires de séjour.
14:02 Et puis, au bout d'un certain nombre d'années, au bout de cinq ans de séjour régulier, on peut, lorsqu'on est bien intégré, lorsqu'on a des ressources suffisantes, solliciter le bénéfice d'une carte de résident qui dure dix ans.
14:19 Et puis, lorsque l'on demande le deuxième renouvellement de cette carte de résident, on peut demander enfin – ce qui est un petit peu le graal de succursus honorum, si j'ose dire – la carte de résident permanent.
14:34 Et c'est bien de cette carte-là dont nous parlons aujourd'hui, qui est attribuée à une personne qui a un minimum de 20 ans de présence régulière en France.
14:46 Vous noterez d'ailleurs par parenthèse que la présente question ne concerne pas grand monde, finalement, puisqu'il y a beaucoup de gens qui auront été naturalisés entre-temps.
14:57 Puisque vous noterez que l'article prévoit que cette carte sera donnée automatiquement aux personnes de plus de 60 ans, à condition évidemment de respecter les conditions dont nous parlons, bien évidemment.
15:09 Mais enfin, lorsqu'on voit quelqu'un qui aurait moins de 60 ans, qui aurait en même temps plus de 20 ans de présence régulière en France, on voit bien que l'enjeu concret est important pour des personnes,
15:24 mais que ces personnes ne sont pas en très grand nombre. Comme toujours, dans votre jurisprudence, vous devez concilier l'ordre public et les libertés fondamentales, et placer le curseur au bon endroit.
15:38 C'est cela, la question qui vous est posée. Et je voudrais qu'à m'attirer votre attention sur le caractère plastique de la notion d'ordre public,
15:48 sur le développement de ce que certains auteurs appellent l'ordre public immatériel, et donc sur le risque qu'il puisse y avoir à un moment une sorte de contrôle des consciences.
16:02 Parce que l'ordre public, ça ne vise pas seulement le comportement. Une menace à l'ordre public peut exister en l'absence d'infraction pénale.
16:11 Elle peut exister simplement, potentiellement, pas encore aujourd'hui, mais potentiellement, en raison d'opinions professées par la personne.
16:21 Toujours est-il que nous sommes dans ce cadre où une simple menace, dont la gravité n'est pas allégée, une menace toute simple, toute bête, j'ai envie de dire, à l'ordre public,
16:34 pourrait suffire à ce que ne soit pas délivrée la carte de résident permanent, mais le gouvernement nous dit de façon sympathique que pourrait être délivrée une carte de résident simple,
16:47 la carte de 10 ans. Et là, moi, je m'interroge concrètement – je l'ai fait dans mes écritures, d'ailleurs – quelle serait cette menace à l'ordre public qui ne vous permettrait pas
16:57 d'avoir une carte de résident permanent, mais qui vous permettrait d'avoir une carte de résident simple de 10 ans ? Et j'ai lancé ce défi au gouvernement,
17:08 que je refais aujourd'hui à la barre, de donner un exemple, un seul, d'une telle menace à l'ordre public, et je l'avais fait dans mes écritures, pour ne pas être déloyal.
17:17 Est-ce que cela existe ? Non, cela n'existe pas. Ce qui veut dire que – et la pratique des préfectures, pour qui la connaît un petit peu, est binaire –
17:27 soit vous n'êtes pas une menace et vous aurez votre titre de séjour, soit vous êtes une menace et vous n'aurez pas de titre de séjour.
17:35 Si on vous refuse une carte de résident permanent, il n'y a aucune raison qu'on vous attribue une carte de résident de 10 ans.
17:45 Et c'est pour cette raison que vous allez censurer la disposition contestée, d'autant plus que si vous ne le faisiez pas, ce serait un retour à...
18:00 Enfin, je dirais un recul en termes de droits fondamentaux, pour les raisons que ma consoeur a éloquemment développées, à savoir qu'en 1997,
18:11 vous avez indiqué très précisément qu'on ne peut pas refuser le renouvellement d'une carte de résident de 10 ans pour une simple menace à l'ordre public.
18:22 Pourrait-on admettre aujourd'hui qu'on le ferait pour la carte de résident permanent ? Sachant que, bien évidemment, si un étranger doté d'une carte de résident permanent
18:36 venait à troubler gravement l'ordre public, il pourrait être expulsé. Il pourrait... Il faudrait obter une procédure d'expulsion. Donc ça ne veut pas dire
18:44 qu'il n'y aurait plus aucun contrôle de l'administration sur la présence de cette personne en France. En l'espèce, la mesure, cette simple menace à l'ordre public,
18:57 n'est ni nécessaire, ni adaptée, ni proportionnée – pour reprendre les termes classiques – de votre jurisprudence. Son imprécision fait qu'elle n'obéit pas
19:11 aux critères d'une bonne législation, critères définis par votre jurisprudence, ni clarté, ni précision, ni prévisibilité. On ne sait pas de quoi l'on parle.
19:23 Il faut donc vous situer dans le droit fil de cette jurisprudence, de la grande décision du 13 août 1993 qui a fixé le statut constitutionnel des étrangers,
19:37 et de la décision du 22 avril 1997. Et j'aimerais, parce que lorsqu'on fait du surplace, on recule, eh bien j'aimerais vous proposer de préciser un petit peu ce point.
19:56 C'est une question purement sémantique. La décision de 1993 nous dit deux choses, fondamentalement. Elle nous dit d'abord qu'il n'existe pas de droit général
20:09 et absolu au séjour des étrangers. Et elle nous dit que les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle des étrangers doivent être respectés
20:25 au nombre desquels la liberté individuelle, la sûreté, la liberté d'aller et venir, la liberté du mariage, le droit de mener du familial normal.
20:34 Toutes ces libertés fondamentales. Mais moi, je pense qu'on devrait subsumer toutes ces catégories et reconnaître l'existence d'un principe constitutionnel
20:44 du droit au séjour des étrangers. Alors un principe, bien évidemment, qui serait soumis à des exceptions. Ce principe n'aurait rien d'absolu. Ce principe serait soumis à
20:56 des exceptions, à des restrictions. Ce principe devrait être combiné avec toutes les dispositions d'ordre public. Mais finalement, faisant cela,
21:08 l'innovation serait principalement symbolique, puisque ça ne changerait rien à votre jurisprudence. Ce principe, on peut le trouver soit dans l'article 2
21:22 de la Déclaration des droits de l'homme de 1989, soit dans le 10e alinéa du préambule de la Constitution de 1946, soit on peut définir un principe
21:37 à valeur constitutionnelle. Vous avez montré récemment que l'impopularité ne vous faisait pas peur, que vous preniez vos décisions par rapport à la norme
21:48 constitutionnelle. Et c'est cela que je veux vous demander. Macron's Charles Riby a cité dans ses écritures le mot de Jean Foyer, très grand juriste,
22:01 un vrai sens de l'humour pour ceux qui ont la chance de le connaître, mais pas spécialement connu pour son sens de l'innovation. Eh bien, Jean Foyer disait
22:10 il y a longtemps qu'au fond, parlant du droit des étrangers, ce système crée une forme d'insécurité. Eh bien cette insécurité, il est temps au moins
22:21 symboliquement d'y mettre fin en reconnaissant ce principe à valeur constitutionnelle, parce que malheureusement, nous ne savons pas dans les années qui viennent
22:32 quel tournant prendra notre démocratie. Nous ne savons pas ce qui se produira. Nous ne savons pas qui occupera les plus hautes charges de l'État
22:42 dans quelques années, avec quels projets politiques. Nous sommes déjà maintenant à un moment où certains ministres se permettent d'attaquer
22:53 votre institution. Qu'en sera-t-il demain si la majorité doit changer ? Eh bien je pense qu'il faut, par rapport à ce danger que l'on sent, par rapport à ce danger
23:05 que l'on pressent, je pense qu'il faut ériger des digues et que la reconnaissance, cette nouvelle norme constitutionnelle, en sera une.
23:13 Merci, M. le Président. Alors, nous allons maintenant écouter M. Ganguilhem pour la Première ministre.
23:19 Merci, M. le Président. Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, parmi la grande variété des titres de séjour dont peuvent bénéficier
23:28 les étrangers résidant régulièrement en France, la carte de résident permanent présente la particularité de n'être assortie d'aucune durée de validité, mais bien,
23:36 comme son nom l'indique, d'être à durée illimitée. Elle offre ainsi aux étrangers, présents déjà depuis une très longue période en France, la garantie d'un maintien sur le territoire.
23:46 En raison tant de sa nature que de ses conditions de délivrance, ce titre est relativement rare. A titre d'information, il y avait en 2022 7 367 cartes de résident permanent
23:55 en cours de validité. La carte de résident permanent a été créée par la loi du 20 novembre 2007 et ses conditions d'octroi sont aujourd'hui prévues à l'article L 426 4 du Céseda.
24:07 Formellement, vous n'êtes saisis que du deuxième alinéa de cet article, seul reconnu comme applicable au litige par l'arrêt de renvoi, alinéa qui dispose,
24:15 ou citons, de la délivrance de la carte de résident permanent et de droit dès le deuxième renouvellement d'une carte de résident sous réserve des conditions prévues au premier alinéa.
24:24 En réalité, ce dont la constitutionnalité est contestée aujourd'hui devant vous, c'est bien cette condition d'absence de menace à l'ordre public qui est mentionnée au premier alinéa.
24:34 Condition d'absence de menace à l'ordre public qui peut faire obstacle à la délivrance du titre, y compris lorsque celle-ci est de droit, ainsi que le prévoit le deuxième alinéa de l'article L 426-4.
24:46 Il est soutenu que cette réserve, tenant une simple menace à l'ordre public, ne serait pas caractérisée, mais connaîtrait tant le droit au respect de la vie privée
24:54 que le droit de mener une vie familiale normale de l'étranger déjà installé de longue date en France et qui, par hypothèse, y est intégré.
25:01 Et vous exercez effectivement, au terme de votre jurisprudence, un contrôle entre la conciliation de l'objectif à valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public
25:10 et le droit au respect de la vie privée et de mener une vie familiale normale des étrangers.
25:15 L'argumentation des auteurs de la question et de la partie intervenante repose principalement sur le parallèle avec votre décision 389 d'essai du 22 avril 1997,
25:26 au terme de laquelle vous avez jugé, au paragraphe 45, qu'un refus de renouvellement du titre de séjour sur le seul motif d'une simple menace à l'ordre public
25:35 méconnaissait les principes précédemment évoqués de droit au respect de la vie familiale et de la vie privée.
25:40 Mais ce parallèle avec la décision de 1997 n'est ici pas pertinent, car les situations sont radicalement distinctes au regard des effets de la décision de refus sur la vie privée et familiale.
25:53 Le raisonnement de votre décision de 1997 reposait sur les conséquences du refus de titre sur le droit au séjour et sur les risques d'éloignement qui en découlaient.
26:06 La différence fondamentale tient en l'espèce au fait que, dans le cadre du refus de délivrance d'une carte de résidence permanente en raison de l'existence d'une menace à l'ordre public,
26:16 ce risque d'éloignement n'existe pas. La stabilité du séjour de l'étranger n'est pas affectée par cette décision de refus. Et le droit au respect de sa vie privée et familiale est préservé.
26:29 En effet, en application des dispositions de l'article L426-4 du CZA, l'étranger qui demande le bénéfice d'une carte de résidence permanente est déjà titulaire d'une carte de résidence.
26:42 En cas de refus de délivrance d'une carte de résidence permanente, l'étranger pourra donc bénéficier d'une carte de résidence... Enfin il bénéficiera même d'une carte de résidence
26:55 dont le renouvellement est de droit en application des dispositions de l'article L433-2 du CZA. C'est véritablement un renouvellement de droit qui ne cède que dans 3 hypothèses
27:07 extrêmement restreintes, lorsque l'étranger a eu sa résidence en dehors du territoire pendant une durée de 3 ans consécutifs, en cas de condamnation pour violence
27:17 sur mineur de 15 ans ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente ou lorsque la personne est conjointe d'un étranger vivant en situation de polygamie.
27:27 Le renouvellement d'une carte de résidence n'est donc pas subordonné à une réserve d'ordre public. Les exemples que l'on nous invite à produire de l'autre côté de la barre
27:39 sont de ce fait innombrables et dépasseraient de très loin le cadre de cette seule audience et correspondent à l'ensemble des atteintes à l'ordre public que l'on peut imaginer.
27:50 L'étranger qui se sera donc vu refuser une carte de résidence permanente pour ce motif n'est donc soumis à aucun risque d'éloignement du territoire.
28:01 Donc non seulement son droit au séjour est préservé, mais aussi et même surtout au regard de sa vie privée et familiale, son droit au séjour dans la durée.
28:09 Il sera bénéficiaire d'une carte de 10 ans dont le renouvellement est de droit. Il n'y a donc, contrairement à ce qui est soutenu, aucune épée de Damoclès
28:18 au-dessus de l'étranger qui est maintenu dans une situation stable et prévisible au regard de son droit au séjour et qui peut ainsi continuer à y projeter à très long terme sa vie privée comme sa vie familiale.
28:30 La disposition contestée respecte donc parfaitement la ligne jurispondentielle que vous avez tracée en 1997 et selon laquelle, lorsque l'étranger peut attester d'une longue durée de présence régulière
28:41 dans un territoire national, il ne peut être porté atteinte à son droit au séjour qu'en cas de menace particulière à l'ordre public.
28:47 La possibilité pour l'administration d'opposer l'existence d'une main de service public pour refuser le bénéfice d'une carte de résident permanent ne porte donc pas d'atteinte disproportionnée
28:57 au droit au respect de la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale des étrangers, aucune exigence constitutionnelle n'ayant été méconnue.
29:04 Je vous invite à déclarer les dispositions du deuxième mail linéaire de l'article L426-4 du Code de l'entrée du séjour des étrangers conformes à la Constitu.
29:11 Merci M. Canguilhem. Alors, on a eu des arguments dans un sens, dans un autre. Est-ce qu'il y a des questions ? Non ? Oui, M. le conseiller Pinault.
29:21 Oui, je m'adresse à M. Canguilhem. Comment vous répondez au défi qui vous a été lancé de l'absence de logique de refuser une carte résident permanent
29:38 et d'accorder une carte de résident de 10 ans à quelqu'un qui aurait été l'auteur de menaces à l'ordre public ? Quel est le sens de ce décalage ?
29:58 Enfin, en termes logiques, je parle. Vous avez donné des explications comme quoi c'était automatique pour la carte de 10 ans.
30:09 Mais tout de même, alors quelqu'un constitue une menace importante pour l'ordre public, enfin une menace pour l'ordre public, et on lui donne 10 ans comme ça ?
30:20 Comment vous réconciliez ça ? M. Canguilhem, c'est une question. Je vais tâcher d'y apporter une réponse logique. Il n'y a pas d'obstacle,
30:34 enfin oui, d'obstacle logique à considérer que, là je reprends les termes de l'autre côté de la barre, en quelque sorte, le graal, enfin en tout cas le titre de séjour le plus protecteur,
30:49 puisque c'est le seul qui n'est assorti d'aucune durée de validité, soit assorti pour son obtention de conditions renforcées et qui sont là celles d'une simple menace à l'ordre public.
31:02 Je me permets d'ajouter, c'est un petit peu dans le prolongement, que, évidemment, bien que titulaire d'une carte de résident, dans certains cas particuliers,
31:18 mais avec des menaces là extrêmement renforcées à l'ordre public, une décision d'expulsion peut être prise.
31:24 Pour ce qui concerne l'hypothèse d'espèce d'une personne qui était régulièrement en France depuis plus de 20 ans, la procédure d'expulsion est prévue,
31:32 on rentre dans le champ du L631-3 du Céséda, dans lequel l'expulsion n'est possible qu'en cas de comportement de nature apporté atteint aux intérêts fondamentaux de l'État,
31:41 donc une obligation renforcée, mais une possibilité d'expulsion tout de même.
31:47 Merci. Est-ce qu'il y a d'autres questions ? Non ? Bon, ben écoutez, nous allons regarder tout cela de près et rendrons notre décision le 5 mai prochain.
31:59 L'audience est levée. Bonne journée à toutes et à tous.
32:02 Merci.
32:03 [Silence]