Affaire n° 2024-1110 QPC

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Code général des collectivités territoriales
Article L.2223-4

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00:00Merci d'avoir regardé cette vidéo !
00:30L'audience est ouverte.
00:44Bien. Bonjour à tous, l'audience est ouverte.
00:48Nous avons une question prioritaire de constitutionnalité inscrite à l'entendre du jour.
00:53Sous le numéro 2024-1110, elle porte sur l'article L2223-4 du Code Général des Collectivités Territoriales.
01:04Madame Lagréfière, dites-nous où nous en sommes de l'instruction.
01:07Je vous remercie, M. le Président.
01:09Le Conseil constitutionnel a été saisi le 31 juillet 2024 par une décision du Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Michel Burtin,
01:17portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L2223-4 du Code Général des Collectivités Territoriales,
01:25dans sa rédaction résultant de la loi n°2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit.
01:34Cette question relative à l'information des proches du défunt lors de la reprise d'une sépulture en terrain commun a été enregistrée
01:41au Secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le numéro 2024-1110QPC.
01:47M. Katia Guermont-Pré-Tanner a produit des observations dans l'intérêt de la partie requérante les 21 août et 4 septembre 2024.
01:54La SEP Foussard-Froger a produit des observations dans l'intérêt de la Ville de Paris partie à l'instance le 19 août 2024.
02:01Le Premier ministre a produit des observations le 21 août 2024.
02:05Seront entendus aujourd'hui l'avocate de la partie requérante, l'avocat de la partie à l'instance et le représentant du Premier ministre.
02:12Merci madame. Eh bien nous allons procéder ainsi. Nous allons d'abord écouter pour 10 minutes M. Guermont-Pré-Tanner
02:20qui est avocate au Conseil, qui représente M. Michel Burtin partie requérante. Maître.
02:35M. le Président, Mesdames, Messieurs. Le corps humain et avec lui la dépouille mortelle qui nous occupe ce matin est rebelle à l'exercice de qualification.
02:44Il trouble en profondeur une distinction cardinale de notre droit, celle de la summa divisio entre les personnes et les choses.
02:51Faisant dire au professeur Cornu qu'il est une chose mal logée dans le seul ordre des biens sans trouver refuge dans celui des personnes.
02:59Même si l'affirmation peut être discutée sur le terrain de la philosophie ou de l'anthropologie,
03:04en droit, la dépouille mortelle est un bien dont le respect s'impose au nom d'un principe transcendant comme l'un des symboles du juste et du décent.
03:13Parce qu'une finée, le respect de la dépouille mortelle signe celui de la dignité humaine,
03:18l'axiome premier du système juridique dont découlent tous les droits et libertés fondamentales.
03:24Vous avez vous-même consacré le caractère constitutionnel du principe de dignité de la personne humaine après la mort par votre décision du 18 janvier 2024.
03:33Nous vous invitons aujourd'hui à donner corps à cette garantie constitutionnelle et à faire un pas de plus dans la protection due aux morts
03:40en consacrant la liberté individuelle des vivants de déterminer le lieu et le mode de leur sépulture
03:46comme une composante à part entière du droit au respect de la vie privée et de la liberté de conscience.
03:52Vous l'aurez compris, ce que nous vous demandons aujourd'hui n'est pas la reconnaissance d'un droit subjectif du défunt au respect de sa vie privée
04:00et de sa liberté de conscience post-mortem, mais celle d'un droit accordé du vivant de la personne
04:06d'anticiper sa vie privée après la mort en disposant de sa dépouille selon son souhait et ses convictions religieuses.
04:13Cette persistance après la mort des effets de la volonté exprimée du vivant de la personne n'est pas inconnue de notre système juridique,
04:21nul ne disparaît en réalité entièrement, la mort n'efface ni le souvenir du défunt, ni les volontés qu'il a pu manifester de son vivant,
04:28dont la loi veille au contraire à ce qu'elle soit respectée dans les limites classiques des bonnes mœurs et de l'ordre public.
04:35C'est l'objet précisément, en théorie, de la loi du 15 novembre 1887 en matière d'inhumation,
04:42qui prévoit que chacun peut régler les conditions de ses funérailles,
04:46notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux et le mode de sépulture.
04:51Le Code pénal sanctionne depuis longtemps toute personne qui donne volontairement au funérail un caractère contraire à la volonté du défunt,
04:58et nous nous rangeons ici à l'idée de Durkheim pour voir dans cette disposition répressive une traduction de la morale sociale.
05:05Et pourtant, cette liberté individuelle de choisir pour soi-même de son vivant son mode de sépulture
05:12est neutralisée par l'article L. 2223-4 du Code général des collectivités territoriales,
05:18qui permet, en se désintéressant de la volonté du défunt, que le lieu et les conditions de sa sépulture ne soient pas conformes à son souhait.
05:27Le droit funéraire voue la dépouille mortelle à une destination qui est celle de sa disparition.
05:33Il reconnaît au défunt ou à sa famille, selon cette finalité, le choix entre deux modes de sépulture, que sont l'inhumation ou la crémation.
05:41En terrain commun, le défunt dispose d'un droit acquis à l'inhumation pendant une durée d'au moins cinq ans.
05:47A l'issue de cette période, la commune a la possibilité d'exhumer ses restes et, sauf opposition connue ou attestée du défunt,
05:54elle peut, selon sa politique funéraire, soit les transférer en ossuaire, soit les incinérer et disperser les cendres.
06:01Il s'agit d'un choix laissé à la discrétion des communes, qui se traduit en pratique, notamment à Paris,
06:07par une politique systématique de crémation et de dispersion des cendres à l'issue des cinq années d'inhumation en terrain commun.
06:16La crémation n'a rien d'indigne en soi, mais elle le devient lorsqu'elle a cours contre la volonté du défunt.
06:23C'est bien la raison pour laquelle il est prévu qu'elle ne peut avoir cours immédiatement après le décès, sans l'accord express du défunt ou de sa famille.
06:31Or, dans le cas d'une inhumation en terrain commun, la loi ne prévoit aucune obligation d'information à la charge des communes,
06:38pour permettre l'expression de la volonté du défunt ou de ses proches, ni au moment de l'inhumation, ni au moment de l'exhumation.
06:46La famille est informée, au moment de l'inhumation, que la sépulture est mise à disposition gracieusement pour une durée de cinq ans,
06:53mais la commune n'a pas l'obligation de l'informer de sa politique funéraire et des suites de l'exhumation.
06:59Cinq ans plus tard, lors de cette exhumation, aucune obligation d'information ne pèse à nouveau sur la commune,
07:05qui n'est donc tenue d'informer la famille ni de l'exhumation prochaine de la dépouille, ni de la crémation et de la dispersion des cendres qui s'en suivent.
07:14Certes, l'hypothèse d'une opposition connue ou attestée du défunt à la crémation est réservée par la loi,
07:20mais son appréciation est, une fois de plus, laissée à la totale discrétion des communes.
07:25Les proches, pourtant dépositaires des dernières volontés du défunt, n'étant pas invités à exprimer son opposition,
07:31ce sont finalement les services funéraires de la commune qui décident seuls du caractère connu ou attesté de cette opposition.
07:39L'exercice connaît évidemment ses limites, la commune n'a pas une connaissance intime du défunt et de ses croyances,
07:45et ses services ne sont pas infaillibles.
07:47Les circonstances du litige à l'origine de la question de constitutionnalité en témoignent,
07:53il mérite d'être rappelé très brièvement, une étoile de David est posée par un fils sur le cercueil de sa mère pour marquer l'appartenance religieuse de celle-ci.
08:01Le message pour lui est clair, il signifie un interdit strict de crémation du corps.
08:07Les services funéraires n'en ont pas tenu compte, ou ne l'ont peut-être pas compris,
08:11ils ont procédé à l'incinération et à la dispersion des cendres, sans juger nécessaire d'en référer au fils, au moins par précaution.
08:19Ce fils, qui ignorait l'expiration prochaine du délai d'inhumation en terrain commun, et surtout la crémation qui en découlait,
08:26n'a à aucun moment été mis en situation d'exprimer et de faire respecter les dernières volontés de sa mère.
08:32Il a découvert fortuitement l'exhumation alors qu'il venait se recueillir sur la sépulture.
08:38La famille doit le respect aux dernières volontés de ses morts, elle en est le garant, et non la commune,
08:43et celle-ci n'a pas à endosser ce rôle pour décider seule, sans aucun contrôle, sans aucune information préalable,
08:50d'incinérer des restes humains au seul prétexte de l'expiration du délai d'inhumation en terrain commun.
08:56Il y a là une atteinte intolérable à la dignité du défunt qui n'a pas souhaité cette fin pour lui-même,
09:02une irrévérence à l'égard de ses dernières volontés que nul n'a pu exprimer,
09:07et une insulte faite à la douleur de ses proches, privées du choix du devenir de la dépouille,
09:12et laissées soudainement sans lieu de recueillement.
09:16Loin de nous retenir, les objections formulées par le Premier ministre et la Ville de Paris nous confortent
09:21dans la conviction qu'une information donnée aux familles de l'expiration du délai d'inhumation en terrain commun
09:26et de la crémation qui s'en suit s'impose pour assurer le respect effectif des dernières volontés du mort
09:32et garantir la dignité de sa personne.
09:36Il est craint que cette information conduise à une augmentation notable des réinhumations en ossuaire,
09:41et c'est bien la preuve que, dûment informés, les familles prendraient leur responsabilité pour faire respecter
09:46les dernières volontés de leur mort, et que l'information du devenir des dépouilles manque cruellement en l'État.
09:53Quoi qu'il en soit, la saturation des ossuaires qui est évoquée ne constitue pas un impératif d'ordre public,
09:59de nature à tenir en échec le droit au respect de la vie privée, et plus encore, de la dignité de la personne humaine.
10:05La crémation n'est jamais une obligation, ni légale, ni réglementaire,
10:10et n'a pas vocation à le devenir, en pratique, au seul prétexte de la pression foncière que connaissent les communes sur leur territoire.
10:18Ultime inquiétude du Premier ministre et de la Ville de Paris, et je terminerai sur ce propos,
10:23la nature de l'obligation d'information imposée aux communes qui pourrait les exposer à de vaines recherches
10:28des proches des défunts inhumés en terrain commun.
10:32Parce que c'est la ligne médiane retenue par le Conseil d'État et le législateur en matière de concession funéraire,
10:38nous vous avons suggéré dans nos écritures que les communes pourraient être tenues à cet égard d'une obligation de moyens renforcés,
10:45et non pas d'une obligation de résultats.
10:47Mais à la vérité, si vous nous suivez dans l'idée que la crémation porte atteinte à la dignité humaine
10:53lorsqu'elle accourt contre la volonté du défunt, vous ne pourrez pas vous en tenir à cette ligne médiane.
10:59Si la crémation réalisée immédiatement après le décès n'est autorisée qu'en présence d'un accord express du défunt ou de sa famille,
11:06pourquoi cet accord n'est-il pas exigé également à l'issue du délai d'inhumation en terrain commun ?
11:11Les personnes isolées, sans famille, celles dont les communes ne retrouveront pas les proches,
11:16n'ont-elles pas également des dernières volontés à faire respecter ?
11:20N'ont-elles pas également le droit d'être intimement opposées à la crémation,
11:24quand bien même elles n'auraient pas de proches pour l'exprimer ?
11:28L'obligation d'information que nous appelons de nos voeux est un premier pas,
11:32mais elle ne règlera pas tout pour tout le monde.
11:35Si vous ne faites pas en toute circonstance de l'accord express du défunt ou de sa famille à la crémation
11:41une garantie constitutionnelle du droit au respect de la vie privée et de la dignité de la personne humaine.
11:47Naître, vivre et mourir, c'est un fardeau et une bénédiction que nous partageons tous sans distinction
11:54et je ne peux donc que vous inviter à veiller à ce que nul ne soit privé de la pleine protection constitutionnelle
11:59de ses libertés fondamentales après la mort.
12:02Je vous remercie.
12:03Merci Maître.
12:04Nous allons maintenant écouter Maître Régis Frauger qui est avocat au Conseil
12:10et qui représente la ville de Paris, parti à l'instance. Maître.
12:16Merci Monsieur le Président.
12:17Mesdames, Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
12:19vous l'avez compris à l'écoute de ce qui vient de vous être dit,
12:24la question qui vous est posée peut être résumée ainsi.
12:28Est-ce que le droit à la vie privée et la liberté de conscience du défunt
12:32passe par l'information des proches du défunt
12:37quant d'une part à la reprise d'une sépulture lorsque l'inhumation a lieu
12:44dans ce qui est communément appelé le carré des indigents,
12:48passe par cette information sur le délai de reprise de la sépulture de cinq ans
12:52et la faculté de crémation en cas d'absence d'opposition du défunt ?
12:57Je voudrais essayer de répondre à cette question en deux temps.
13:00Premier temps, c'est quels sont les droits fondamentaux,
13:05les droits constitutionnels du défunt dont nous parlons ?
13:08Le premier droit qui est visé, c'est celui de la vie privée.
13:12Je ne suis pas sûr que ce soit le plus adéquat.
13:15Je crois qu'il y a une jurisprudence très claire de la Cour de cassation
13:19sur le fait que, par hypothèse, le droit à la vie privée prend fin avec la vie.
13:24Le droit à la vie privée est antinomique avec la mort.
13:28Je crois qu'en réalité, et c'est d'ailleurs sur ce terrain que se place plus spécialement le requérant,
13:34ce qui est en cause, et il n'est pas question de le nier ici, c'est le droit à la dignité.
13:38Droit à la dignité qui impose le respect, vous l'avez jugé il y a peu,
13:42le respect dû à la personne humaine.
13:44Et c'est de ce respect dû à la personne humaine qu'on déduit le droit de choisir sa sépulture
13:50puisque c'est bien ce qui est en cause ici, le droit à choisir sa sépulture.
13:54Ce droit à choisir sa sépulture, il doit être concilié avec les exigences,
14:00les impératifs d'ordre public et les exigences sanitaires.
14:04C'est pourquoi ce droit à la sépulture n'est pas absolu.
14:07D'abord, il est limité, j'allais dire matériellement.
14:10Il n'y a, dans notre système juridique, que deux sépultures, l'inhumation, la crémation
14:16et ceux qui se sont essayés à d'autres types de sépultures, telles la cryogénisation, ont échoué.
14:22Il y a ensuite un droit à la sépulture qui est encadré géographiquement,
14:26communément dans les cimetières, même si on peut avoir quelques inhumations,
14:29exceptionnellement ailleurs.
14:31Et puis il y a un cadre temporel à la sépulture,
14:35cadre temporel qui peut passer par deux dispositifs,
14:38soit des concessions contre une redevance d'occupation du domaine public
14:42avec un renouvellement pour une durée limitée,
14:45soit l'inhumation dans ce terrain commun, dans le carré des indigents,
14:51qui voit un régime juridique spécifique dans lequel la commune, au bout de 5 ans,
14:57exerce un droit de reprise sur la sépulture.
15:00Et c'est là qu'on doit concilier.
15:02Il faut bien comprendre que ce droit de reprise est absolument indispensable
15:06pour des raisons sanitaires, pour des raisons d'ordre public.
15:09On ne peut pas, même si on le souhaiterait, étendre indéfiniment les cimetières.
15:15Il y a du foncier, c'est contraint.
15:17Et cette reprise des sépultures est absolument indispensable
15:21pour qu'on puisse avoir des places pour tous les défunts.
15:27Ce droit à la sépulture, il se passe de la manière suivante.
15:29Il est prévu par la législation qu'au bout de 5 ans, on peut reprendre.
15:33Comment concilier ces contraintes d'ordre public
15:36avec ce respect dû au corps humain que j'évoquais tout à l'heure ?
15:41Le législateur l'a très clairement posé, à travers l'article 6,
15:45toute personne a droit à être inhumée dans ce carré des indigents à titre gratuit.
15:53Pour une durée limitée.
15:55Et à l'issue de cette durée, lorsque la commune exerce son droit de reprise,
15:59elle peut procéder à la crémation si, et seulement si,
16:03il n'y a pas d'opposition connue ou attestée du défunt.
16:07Voilà l'état de la législation.
16:09Voilà comment est respecté ce droit fondamental au corps humain.
16:13Voilà comment est respecté ce droit fondamental au respect de la dignité de la personne humaine,
16:17le droit au respect du corps humain.
16:19Alors, faut-il aller plus loin, et c'est ma deuxième observation,
16:23et faire passer ce respect de cette volonté par une information des proches du défunt
16:29quant à sa volonté à l'issue de ce délai de 5 ans ?
16:33Là-dessus, j'ai deux éléments.
16:35Le premier élément, c'est que je ne parviens pas à identifier le fondement constitutionnel
16:40qui permettrait par transgressivité de faire passer ce droit
16:44à la dignité de la personne humaine du défunt vers ses proches.
16:48Je n'ai aucun fondement constitutionnel,
16:50et je n'ai, ni dans la jurisprudence du Conseil d'État,
16:53ni dans la jurisprudence de la Cour de Cassation,
16:56de droits personnels, de droits individuels qui ne s'éteignent pas avec le décès
17:01et qui soient transférés aux proches.
17:03Donc je n'identifie pas ce fondement constitutionnel,
17:05et il n'est pas identifié,
17:07alors la question qui vous est posée par le Conseil d'État, c'est bien celle-là.
17:10Faut-il informer les proches ?
17:12C'est ça la question.
17:14Ce droit à l'information, en réalité, à l'origine de la QPC,
17:18on l'a trouvé dans le dispositif législatif qui s'applique aux concessions.
17:23Parce qu'effectivement, pour les concessions,
17:25initialement, la loi ne prévoyait pas de droit à l'information sur le renouvellement.
17:30Une QPC a été posée, et vous le savez,
17:32le Conseil d'État est venu considérer que
17:35il y avait une obligation d'information des communes
17:38à l'égard des titulaires d'une concession.
17:40Mais quel est le fondement de ce droit à l'information ?
17:42Ce n'est pas un droit fondamental constitutionnel,
17:46c'est le droit au renouvellement d'une concession
17:49qui confère un droit réel immobilier.
17:51Et d'ailleurs, le Conseil d'État avait refusé de transmettre la QPC
17:55qui lui était alors posée,
17:56parce que c'est lui qui a consacré cette obligation d'information
17:59sur le fondement de ce droit au renouvellement,
18:01pour des questions qu'on comprend parfaitement.
18:03Autant, lorsque vous êtes inhumé à titre gratuit par la commune
18:09dans un terrain sans concession,
18:12vous avez une information légale, vous savez que c'est pour 5 ans.
18:16Quand vous avez une concession funéraire,
18:18elle peut être conclue pour 10 ans, 30 ans, 50 ans, elle est renouvelable.
18:21Le terme de ce contrat n'est pas forcément connu des proches du défunt.
18:25Et donc on voit bien la différence fondamentale,
18:27pourquoi dans une hypothèse, il y a un droit à l'information
18:30et dans l'autre, il n'y en a pas.
18:32D'abord, le fondement est contractuel.
18:34Et ensuite, la durée même varie dans le cadre de la concession.
18:37Elle ne varie pas dans le cas qui nous intéresse.
18:40Donc, il me semble que l'un n'est pas transposable à l'autre.
18:44Et finalement, on voit bien à travers ce qui vient de vous être dit,
18:49le glissement qui s'opère peu à peu.
18:52On part d'un droit à l'information des proches du défunt.
18:55Et en réalité, ce qu'on vous dit, ce n'est pas qu'un droit à l'information.
18:59Ce qu'on est en train de vous suggérer, c'est une obligation pour la commune
19:02d'aller rechercher systématiquement quelle était la volonté du défunt,
19:07connue ou attestée, à travers la recherche des proches du défunt.
19:12Mais on ne peut pas oublier que dans le périmètre des cimetières
19:16dont nous parlons, dans ce qui encore une fois est communément appelé
19:19le carré des indigents, à tort parce que tout le monde peut en bénéficier,
19:23vous avez une obligation, on vous a dit de moyens,
19:28qui serait impossible de mettre à la charge des communes,
19:31puisque par hypothèse, nombre de personnes qui sont inhumées dans ces terrains
19:35n'ont pas de proches. On vous a donné les chiffres par écrit.
19:38Voilà, il me semble donc que vous ne trouverez pas de fondement constitutionnel
19:43à cette obligation d'information.
19:45Je finis par un mot tout à fait subsidiaire sur l'hypothèse d'une déclaration
19:49de non-conformité à la Constitution. Je crois qu'il faudrait en différer
19:54les effets dans le temps parce qu'il ne faut pas oublier ce qui a été
19:57le cheminement du législateur dans ce dossier.
20:00En 2008, le législateur a consacré le droit des défunts,
20:04enfin la possibilité pour le maire, pardon, de procéder à une crémation
20:08à l'issue du délai de reprise, sauf opposition connue, attestée ou présumée.
20:12Et le législateur a bien vu que cette opposition présumée
20:15était en réalité impossible à mettre en oeuvre par les communes
20:17parce qu'elle faisait peser sur elle une obligation de recherche
20:20qui, pour les raisons que je viens d'évoquer, la recherche des proches
20:23est impossible à mener à bien. C'est pourquoi en 2011, on a réformé la loi
20:26et on a supprimé la présomption.
20:28Il serait excessivement sévère de faire peser aujourd'hui une éventuelle
20:31déclaration d'inconstitutionnalité sur les actes passés des communes
20:34eu égard à l'intention qui était poursuivie par le législateur.
20:37Je vous remercie.
20:38Merci, maître.
20:40Alors maintenant, nous allons écouter, pour le Premier ministre, M. Canguilhem.
20:47Merci, M. le Président.
20:48Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
20:51le régime juridique de l'inhumation dans un cimetière communal est double.
20:55Il existe un régime de la concession funéraire prévu à l'article L22-23-13
20:59du Code général des collectivités territoriales et le régime de la sépulture
21:03dite en terrain commun, même si le terme ne se retrouve pas dans le Code,
21:06qui est une obligation pour les communes afin d'assurer le droit à l'inhumation
21:10des personnes relevant des quatre catégories prévues à l'article L22-23-3
21:15du Code général des collectivités territoriales.
21:18L'inhumation en terrain commun, qui est le sujet qui nous occupe ce matin,
21:21est à la charge de la commune.
21:23Elle permet notamment l'inhumation de personnes décédées non réclamées
21:26par leur famille, voire à l'identité inconnue.
21:29Ces sépultures ont un caractère précaire et peuvent être reprises par la commune
21:34dans un délai de cinq ans à compter de l'inhumation.
21:37Et cette possibilité de reprise est absolument nécessaire pour que la commune
21:42soit toujours en mesure de satisfaire à ses obligations légales d'inhumation
21:47en terrain commun, mais également dans un souci de préservation de la santé
21:53et de la salubrité publique.
21:56Cette reprise se matérialise juridiquement par l'adoption d'un arrêté pris par le maire
22:01indiquant le délai dans lequel cette reprise sera effectuée,
22:04ainsi que les sépultures concernées, arrêtés dont la publicité est assurée
22:09par l'affichage au cimetière et en mairie.
22:13L'article 22-23-4 du Code prévoit ce qu'il advient des restes qui peuvent être
22:20exhumés à l'expiration de ce délai de cinq ans.
22:23Mais l'exhumation peut avoir lieu pour la première fois à ce délai de cinq ans,
22:26mais elle peut avoir lieu bien plus tard.
22:29En application du 1er alinéa, ces restes peuvent être aussitôt réinhumés
22:35au sein de l'ossuaire que la commune a l'obligation d'aménager.
22:40Et le 2e alinéa, objet de la présente QPC, prévoit qu'en l'absence d'opposition
22:45connue ou attestée du défunt, le maire peut faire procéder à la crémation de ces restes.
22:50Cette possibilité a pour objet de préserver le cimetière et ses équipements
22:54de toute saturation pouvant nuire à la mise en œuvre du droit à l'animation
22:59qui incombe, encore une fois, légalement au maire.
23:02Il est reproché ici au législateur de ne pas avoir épuisé sa compétence
23:06en n'imposant pas une obligation d'informer, en quelque sorte ce qui serait
23:11une double obligation d'informer au moment de l'inhumation informée
23:15de la politique de reprise de la commune et au moment de cette reprise
23:20de la possibilité d'une crémation.
23:24Donc l'objet de la question est de savoir si le législateur a assorti
23:28la procédure de reprise des sépultures en terrain commun de suffisamment
23:32de garantie pour s'assurer que la volonté du défunt quant à sa volonté
23:36de ne pas être incinérée soit respectée.
23:40Il est en effet soutenu par le requérant que la volonté du défunt
23:44quant à son mode de sépulture bénéficie d'une triple protection constitutionnelle
23:49au titre du droit au respect de la vie privée, de la liberté de conscience
23:53et au titre de la sauvegarde de la dignité de la personne humaine.
23:57Il se trouve dans votre jurisprudence deux occurrences sur lesquelles il est possible
24:01de se rattacher pour examiner cette question du respect de la vie privée
24:05ou de la volonté au-delà de la mort.
24:08Dans votre décision n°173 QPC du 30 septembre 2011, vous avez écarté
24:13le grief justement tiré de la méconnaissance du respect dû à la vie privée
24:17après avoir rélevé qu'en prévoyant que les personnes décédées sont présumées
24:21ne pas avoir consenti à une identification par empreinte génétique,
24:24le législateur a entendu faire obstacle aux exhumations afin d'assurer le respect dû aux morts.
24:30Il y a déjà dans votre jurisprudence une liaison entre ce respect dû aux morts
24:34et l'examen du grief tiré de l'atteinte à la vie privée,
24:37beaucoup plus récemment par votre décision n°1075 QPC du 18 janvier dernier.
24:41Vous avez expressément jugé que le respect dû à la dignité de la personne humaine
24:45ne cesse pas avec la mort. Dans le prolongement de ces deux décisions,
24:49vous pourrez considérer que le respect dû aux morts impose que soit respecté
24:55l'expression de leur volonté quant au choix de leur mode de sépulture.
25:00Pour autant, vous pourrez écarter ce grief unique bien que bénéficiant d'un triple rattachement constitutionnel,
25:08vous pourrez l'écarter car contrairement à ce qui est soutenu,
25:10les dispositions contestées respectent la volonté des défunts, il s'agit même de leur objet,
25:17l'objet même du deuxième alinéa de l'article contesté devant vous,
25:21et bien de prévoir cette protection. Il prévoit expressément que la crémation ne peut avoir lieu
25:27si le défunt a fait connaître son opposition sur ce point.
25:31Il s'agit bien de protéger post mortem la vie privée et la liberté de conscience de la personne concernée
25:37et partant sa dignité. La volonté du défunt n'est absolument pas méconnue,
25:42elle est au contraire protégée par ses dispositions.
25:46Et donc cette prise en compte de la volonté exprimée, et non plus présumée comme c'était le cas jusqu'en 2011,
25:53suffit à assurer le respect des exigences constitutionnelles précitées
25:58sans qu'une information individuelle des ayants droit ne soit nécessaire
26:02pour s'assurer du respect de cette volonté et donc des principes constitutionnels évoqués.
26:08Par ailleurs, il est soutenu, sans véritablement que le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité ne soit soulevé,
26:17mais il est soutenu en substance que les dispositions contestées créent une discrimination par l'argent
26:22en ne prévoyant pas d'obligation d'informer dans le cadre de l'inhumation en terrain commun,
26:27alors qu'une telle obligation existe dans le cadre de l'information du droit au renouvellement d'une concession funéraire.
26:34C'est prévu, cette information, cela a été dit par l'article L22-23-15 du Code codifiant une jurisprudence du Conseil d'État du 11 mars 2020.
26:43Mais cette obligation d'information du renouvellement de la concession
26:48n'a absolument pas pour objet de s'assurer du respect de la volonté du défunt.
26:53L'obligation faite au maire de rechercher par tout moyen utile d'informer les titulaires d'une concession
26:59ou de leurs droits à renouvellement de celle-ci est la contrepartie du droit réel acquis à titre onéreux par le concessionnaire.
27:08A l'inverse, les ayants droit d'une personne inhumée en terrain commun ne bénéficiant d'aucun droit au renouvellement de cette sépulture précaire,
27:18le parallèle s'arrête là et ne peut être poursuivi.
27:22L'exigence d'une information dans le cadre du renouvellement de la concession n'a absolument aucune incidence
27:27sur la question tout à fait distincte du respect de la volonté des défunts
27:33qui est assurée encore une fois par le 2e linéa de l'article L22-23-4.
27:39L'absence d'information spécifique à destination des ayants droit au moment de la reprise des sépultures en terrain commun
27:46ne se heurte donc à aucune exigence constitutionnelle.
27:49Je vous invite donc à déclarer les dispositions du 2e linéa de l'article L22-23-4 du Code général des collectivités territoriales
27:56conformes à la Constitution.
27:58Merci M. Corbière.
28:00Alors nous avons entendu des arguments de sens contraire.
28:03Est-ce qu'un membre ou une membre du Conseil a des questions posées ?
28:07Mme la conseillère Malbec.
28:09Oui merci M. le Président.
28:10Une question peut-être au Conseil de la Ville de Paris.
28:13Je crois avoir lu dans vos écritures que vous aviez indiqué qu'il y avait eu une modification du règlement général de la Ville de Paris
28:20sur les cimetières depuis cette affaire.
28:23Est-ce que vous pouvez nous expliquer en quoi ce règlement a été modifié ?
28:26Merci.
28:33Oui Mme la conseillère.
28:34Ce n'est pas spécialement depuis cette affaire mais la Ville de Paris a décidé d'inscrire dans son règlement cette information au moment de l'inhumation
28:44pour que ce soit bien explicite, qu'il n'y ait pas de difficultés.
28:49Personne ne conteste que les difficultés survenues à l'occasion de cette affaire sont tout à fait regrettables.
28:56Mais l'idée de porter cette information qui est une information en réalité à notre sens à la main des communes
29:03et dans la mise en œuvre du dispositif législatif.
29:07Donc c'est en ce sens qu'on a eu des modifications qui sont conformes en fait au circulaire du ministère de l'Intérieur.
29:13Mme Malbec.
29:14Une question complémentaire pour avoir regardé le règlement général.
29:18J'ai vu qu'il y avait en fait une information sur le délai de 5 ans mais que ça n'allait pas au-delà.
29:24C'est-à-dire que je n'ai pas trouvé ce qui existe d'ailleurs dans d'autres règlements, dans d'autres communes.
29:29Mais ce que je n'ai pas trouvé dans le règlement intérieur de Paris et d'ailleurs dans d'autres communes aussi,
29:34c'est la possibilité au bout des 5 ans finalement, le choix qui existe entre les restes qui sont mis dans l'ossuaire et la crémation.
29:44Donc c'est sur ce point-là qui est un point qui a été soulevé par l'ensemble des parties,
29:48c'est sur ce point-là où en effet il y a des divergences entre les différentes communes et selon les règlements qui sont plus ou moins précis.
29:56Et dans la circulaire qui est prévue par le ministère de l'Intérieur,
29:59là encore je n'ai pas trouvé d'élément très précis sur ce qui est le cas qui nous occupe aujourd'hui.
30:05Sur ce point précis, pour éviter de dire une sottise, je propose de vous répondre par note en délibéré sur le mécanisme précis qui est mis en oeuvre.
30:12À Paris, je ne pourrais pas vous répondre pour les autres communes.
30:15D'accord. D'autres questions ? Non ? Vous êtes éclairés ? Parfait.
30:20Alors, nous sommes aujourd'hui le 15 octobre, nous allons prochainement délibérer sur cette affaire et rendrons notre décision publique dans 15 jours, le 30 octobre.
30:32L'audience est levée.

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