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00:00 *Générique*
00:06 La France est-elle impossible à réformer ? A-t-on affaire à un pouvoir autoritaire et vertical ?
00:12 Un peuple au contraire qui serait définitivement rétif au changement ?
00:17 Vous avez entendu toutes ces explications pour analyser l'actuelle crise des retraites.
00:23 Et si la réponse était ailleurs ? On peut chercher aussi du côté des institutions.
00:27 Faudrait-il les revoir ? Est-ce la notion de légitimité démocratique qui est aujourd'hui en cause ?
00:34 Pour en parler, nous sommes en ligne avec Gaspard Koenig. Bonjour.
00:37 Bonjour.
00:39 Vous êtes philosophe enseignant à Sciences Po et vous êtes le fondateur du think-tank Génération Libre.
00:45 On vous doit notamment contraint. Et puis dans ce studio, Monique Cantos-Perbert. Bonjour.
00:52 Vous êtes philosophe, directrice de recherche au CNRS, ancienne directrice de l'ENS et nouvelle présidente du think-tank Génération Libre.
01:01 Monique Cantos-Perbert, votre réaction à cette manifestation du 1er mai qui a été largement suivie
01:09 et qui a été également accompagnée de quelques séances de casse ?
01:16 C'était une manifestation très attendue, très préparée. La fréquentation était évidemment assez remarquable.
01:25 Je déplore évidemment les violences qui maintenant semblent accompagner fatalement toute manifestation.
01:31 Et elle a été perçue, en tout cas c'est le sentiment que j'ai aujourd'hui, comme une conclusion provisoire de cette séquence de plusieurs mois,
01:41 depuis la proposition de loi sur le report de l'âge légal à 64 ans, jusqu'à la décision du Conseil constitutionnel.
01:54 Donc les manifestants vont probablement rentrer chez eux, les parlementaires se mettront à d'autres tâches.
02:02 Madame Born avance avec son plan des 100 jours, mais il est probable que cette séquence laissera des traces.
02:10 Elle laissera des traces parce que d'une certaine manière elle a montré une certaine inefficacité d'une façon de procéder.
02:19 Inefficacité et manque de légitimité aussi. Je pense que tous les observateurs, qu'ils soient favorables au gouvernement ou qu'ils s'y opposent,
02:27 pourront s'accorder sur ce point. Quelque chose a dysfonctionné. Dysfonctionné dans la préparation de la loi.
02:34 Dysfonctionné dans la fabrique d'un accord, d'un consensus qui aurait pu permettre de la voter dans de meilleures conditions.
02:43 Et par ailleurs, dysfonctionné aussi dans la compréhension de ce que c'est que réformer un pays.
02:53 Gaspard Koenig, votre regard là-dessus.
02:58 Moi, je pense que ce qui était une crise sociale est devenu une crise institutionnelle.
03:04 Que d'ailleurs, les manifestants ne s'y trompent pas, puisque sur leur pancarte, on voit beaucoup apparaître le 49-3,
03:09 ou le président de la République, ou le rôle du président de la République, ou l'appel à un référendum d'initiative citoyenne.
03:16 Un peu d'ailleurs dans la ligne des Gilets jaunes qui était arrivé à la même conclusion, qu'il fallait un RIC.
03:22 Et ce qu'on voit très bien, c'est que les gens ont le sentiment qu'au-delà même de la question des 64 ans de la retraite,
03:29 leur voix n'est pas entendue en tant que citoyen.
03:32 Qu'on prive en fait un être humain de la capacité de délibérer sur, ou d'être représenté pour délibérer sur les règles qu'il se donne à lui-même.
03:43 Ce qui est le principe non seulement de la démocratie, mais au fond de toutes les sociétés humaines.
03:47 Quand on lit des anthropologues comme Greber ou Wengro, ils expliquent que ce qui caractérise au fond l'être humain,
03:56 c'est cette imaginaire sociale, cette capacité de se donner des règles.
04:00 Et quand on en prive les gens, c'est extrêmement... Quand les gens ont le sentiment d'en être privés, c'est extrêmement violent.
04:05 Et c'est une variable qui est quelque part jamais prise en compte dans le paradigme, pas seulement de ce gouvernement,
04:12 mais des gouvernements précédents également, qui ont l'impression que du moment qu'on apporte aux gens du confort, de la sécurité, de la santé,
04:20 bref, toutes les variables de l'utilitarisme, eh bien ils seront contents et que la question de la délibération est quelque chose d'un peu superfétatoire.
04:29 On le voit très bien dans l'exercice évidemment du 49-3, qui n'est pas illégal en soi,
04:35 mais qui prive les représentants du peuple de la capacité de voter la loi.
04:41 Et donc on se trouve devant un conflit de légitimité institutionnel entre un président qui dit "Regardez, j'ai été élu sur cette réforme, je l'ai dit dans mon programme",
04:48 et le Parlement qui donc aurait refusé de la voter.
04:52 Et ce conflit de légitimité, il est au cœur de nos institutions, de la Ve République, qui n'est franchement pas une constitution très démocratique.
04:58 Les libéraux l'ont dénoncé depuis toujours, depuis Aron, en passant par Revelle,
05:03 et Tocqueville s'insurgeait déjà par avance de l'élection du président de la République au suffrage universel.
05:08 Donc je pense qu'on atteint vraiment le lacmet de ce système,
05:12 puisque la cinquième n'a jamais été aussi cinquième depuis l'inversion des calendriers et le quinquennat,
05:17 que le président actuel incarne cette verticalité au dernier degré, et que ce régime n'est clairement plus soutenable.
05:26 Monique Cantos-Perbert, rappelez-nous la légitimité et en quoi il y aurait aujourd'hui une distinction à opérer,
05:33 selon vous, si c'est d'ailleurs votre opinion, entre la légitimité des urnes, la légitimité démocratique,
05:40 et une autre forme de légitimité qui serait déniée par l'utilisation, par exemple, du 49-3 ?
05:48 Eh bien imaginons, si vous voulez, que nous soyons citoyens d'un État, d'une communauté politique parfaitement gérée.
05:56 Nos affaires privées seraient protégées, la prospérité serait là.
06:02 Nous serions gouvernés par un gouvernement, un président, des ministres tout à fait bienveillants.
06:11 Il y aurait des procédures de renouvellement, mais qu'il n'y aurait aucune occasion qui nous serait donnée
06:16 d'exprimer au fond ce que nous souhaitons, même si nous devons constater que tout ce qui se produit correspond à nos désirs.
06:23 Ne ressentirions-nous pas une très forte frustration ?
06:27 La frustration précisément d'être privés de cette liberté fondamentale qui, depuis le XVIIe siècle,
06:33 et la naissance du libéralisme comme corps d'idées à peu près constitués, s'est imposée,
06:40 c'est-à-dire l'exercice de la liberté politique, cette voie si précieuse que nous devons avoir
06:45 pour donner notre accord aux lois sous lesquelles nous vivons et pour contribuer à leur fabrique.
06:51 Cette liberté politique, au fond, quand elle est absente, nous nous trouvons dans la situation
06:56 que Tocqueville décrit sous la forme du despotisme doux.
06:58 Il n'y a pas de plainte, nous sommes tous récontents, ça correspond à nos désirs, mais il nous manque l'essentiel.
07:03 Pour en revenir au sujet qui nous occupe...
07:05 Pardonnez-moi, Menny Cantos, parce qu'il n'y a quand même pas que cela.
07:09 Il y a aussi le fait qu'il y a, semble-t-il, une opposition politique à cette réforme des retraites.
07:15 Comment serait-il autrement ? Nous vivons dans des pays, dans des cultures pluralistes, libérales,
07:21 où les personnes ont le droit d'exprimer leurs intérêts et leurs opinions, évidemment,
07:24 si elles restent dans les limites de la loi.
07:26 Donc, on prépare une réforme.
07:28 Une réforme, c'est très important.
07:31 Il faut d'abord qu'elle soit parfaitement justifiée et ne pas oublier qu'il existe parfois,
07:35 pour les gouvernants qui arrivent au pouvoir, un certain activisme de la réforme.
07:40 On veut réformer pour laisser une trace dans l'histoire, sans que le bien fondé de cette réforme ait été parfaitement étudié,
07:46 dans ses moindres détails.
07:47 Donc, un activisme de la réforme qui rencontre, par ailleurs, une inévitable diversité d'opinions et d'intérêts.
07:54 Les personnes profitent d'un État ou profitent ou vivent dans un État des choses,
07:58 y ont tiré des bénéfices et il n'y a rien d'illégitime, en tout cas dans un point de vue libéral.
08:03 Il n'y a rien d'illégitime quand on accepte cette fondamentale hétérogénéité
08:07 de toute cette patte humaine dans laquelle la politique doit se faire,
08:12 qu'il y ait des oppositions, des réticences et des combats.
08:14 Donc, ce sont les données du problème.
08:16 Comment fait-on pour surmonter ça ?
08:18 Comment construit-on une proposition politique qui soit à la fois efficace et légitime ?
08:23 Et bien, c'est là que, comme disait Raymond Aron, la politique devient un art d'exécution.
08:28 Première nécessité, parfaitement préparer sa réforme et surtout la justifier.
08:33 C'est-à-dire partager largement, communiquer largement les raisons que l'on a de le faire,
08:38 préparer l'opinion et ne pas s'avancer avec une affirmation qui consisterait à dire
08:45 « J'ai été élu parce que je promettais ça, donc j'ai été élu pour faire cela ».
08:51 Ce n'est pas comme ça que ça fonctionne, surtout que l'élection de 2022 a été quand même assez particulière.
08:57 Et puis, une élection majoritaire ne signifie pas une sorte d'accréditation forfaitaire pour toutes sortes d'actions.
09:06 Il faut à chaque fois construire des légitimités.
09:08 Donc, parfaitement préparer la réforme et ensuite s'engager dans le travail de construction d'un consensus.
09:17 Nous sommes aujourd'hui dans une situation difficile politiquement avec une majorité relative pour le gouvernement.
09:24 Mais la constitution que nous avons, et puis des imperfections qui viennent d'être rappelées par Gaspard Koenig et que je partage également,
09:32 cette constitution est quand même une constitution tout-terrain.
09:34 Elle a fonctionné avec des gouvernements majoritaires relatifs.
09:38 C'était le cas lorsque Richard Rocart était le premier ministre de François Mitterrand.
09:42 Elle a fonctionné avec des régimes de cohabitation.
09:44 Donc, on doit y arriver. Simplement, il faut choisir une procédure législative qui donne tout le temps de la discussion,
09:53 qui écoute les oppositions et qui construise un consensus à l'intérieur de l'Assemblée, qui permette de donner une véritable légitimité.
10:04 Les députés sont des représentants du peuple.
10:06 Donc, il faut remonter des informations.
10:08 Il faut remonter des objections.
10:10 Donc, il n'y a aucune raison qu'elles sont illégitimes ou réfractaires ou réactionnaires ou conservatrices.
10:15 Elles ont peut-être leur bien fondé.
10:16 Donc, il faut travailler à partir de cela.
10:18 C'est essentiel parce que c'est le seul moyen d'apaiser la société.
10:23 L'efficacité en démocratie, c'est aussi la capacité de pacifier, d'apaiser, de résorber la conflictualité.
10:30 - Gaspard Koenig, on peut analyser effectivement cette crise comme une crise de légitimité.
10:36 Mais justement, pour essayer d'embêter le libéral que vous êtes, je pourrais vous dire aussi qu'on a affaire tout simplement à une situation classique de lutte des classes
10:47 avec des intérêts divergents et des intérêts divergents qui sont probablement irréconciliables,
10:54 quelle que soit finalement la manière qui serait empruntée pour réformer la France ou pour instituer une nouvelle manière de calculer, par exemple, les retraites.
11:05 Qu'en pensez-vous ?
11:06 - Si on parle du fond de cette réforme, la manière dont le système des retraites est conçu aujourd'hui,
11:14 la manière dont notre système social est conçu d'ailleurs de manière plus générale,
11:18 est quelque part vouée à déclencher ces oppositions, ces tensions que vous mentionnez,
11:24 parce qu'on essaye d'uniformiser, disons, l'ensemble de la population.
11:28 Vous allez tous être à la retraite à 64 ans, même si ensuite, il y a mille nuances dans les détails.
11:33 Et c'est cet autoritarisme, quelque part, qui fait qu'on a l'impression de ne pas maîtriser sa propre vie, son propre destin.
11:40 Donc une réforme des retraites libérales, par exemple, consisterait non pas à mettre les retraites à l'équilibre,
11:46 parce que là, on engendre ces clivages que vous mentionnez,
11:50 mais à dire qu'au fond, dans un système de solidarité, qui est le système contributif,
11:59 mais monopolistique et national, qui est le système des retraites,
12:03 eh bien chacun pourrait prendre la retraite quand il le souhaite,
12:07 non seulement en fonction des points ou des contributions qu'il a apportés au système,
12:13 non seulement à l'âge qu'il souhaite quand il veut prendre sa retraite définitive,
12:16 mais aussi au cours de sa vie.
12:18 Pourquoi ne pas, nous, c'est la proposition que nous avions faite,
12:21 au fond, fusionner chômage et retraite,
12:24 aller jusqu'au bout de l'idée que démission entraîne droit au chômage,
12:27 qu'avait proposé l'actuel président de la République avant d'y annoncer,
12:31 et dire que tout ça, finalement, c'est du temps libre, du temps non productif,
12:35 donc du temps très important pour l'être humain,
12:37 et qu'aujourd'hui, la productivité a augmenté de manière colossale au cours du dernier siècle,
12:42 qu'on travaille factuellement de moins en moins,
12:44 donc maintenant, il faut réorganiser le système autour de cette raréfaction,
12:49 non pas du travail, mais du travail productif,
12:51 c'est-à-dire du travail qui crée de la valeur et qui crée de la rémunération,
12:53 on en a de moins en moins besoin, tant mieux,
12:56 et donc dire qu'en fonction de la contribution que vous avez apportée,
13:00 vous pouvez, à 35 ans, décider de prendre 3 ans pour élever vos enfants,
13:04 à 44 ans, 2 ans pour faire le tour du monde,
13:07 et à 70 ans, repartir à la taxe si vous voulez reprendre un travail,
13:12 et donc, bref, pouvoir gérer son temps non productif
13:17 de manière parfaitement libre et autonome,
13:20 et ça, pour arriver à cette liberté-là, ça s'organise collectivement,
13:25 et c'est d'ailleurs bien ça l'essence du libéralisme,
13:27 c'est que vous avez un État qui organise la coexistence des libertés individuelles,
13:34 ça ne se fait pas tout seul, ce n'est pas un État de nature,
13:36 ce n'est pas du pur ordre spontané, ça doit être organisé, mis en place,
13:43 et donc vous mettez en place un tel système,
13:45 un super système à points si vous voulez, mais encore plus flexible,
13:48 pour que les gens puissent décider eux-mêmes en fonction de leur vie,
13:52 parce que toutes les vies sont différentes,
13:54 chacun est singulier, on ne peut pas dire un tel parce qu'il appartient à tel métier,
14:00 et bien, va partir à 61 ans et demi, et l'autre à 64 ans et 3 mois,
14:04 enfin tout ça est très infantilisant au fond,
14:06 et les gens réagissent beaucoup contre ça,
14:07 parce qu'ils ont l'impression d'être toujours quelque part,
14:09 dans un système aussi vertical, on a l'impression d'être toujours le perdant,
14:14 même si ce n'est pas le cas,
14:15 et que finalement le voisin se glisse dans un interstice plus favorable.
14:18 Un système tel que je vous le décris est totalement universel,
14:22 totalement égalitaire, et beaucoup plus libre,
14:24 et donc finalement il n'y a pas de raison de protester,
14:26 puisque chacun est responsable.
14:28 On voit effectivement quel projet vous voudriez esquisser, Gaspard Künig,
14:32 mais alors, Monique Cantos-Perbert, si on organise quelque chose de ce type,
14:37 est-ce que le risque, ce n'est pas d'avoir finalement une situation d'atomisation de la société,
14:42 où on a finalement tellement de solutions à la carte,
14:45 que la notion même de société est de plus en plus difficile à tenir ?
14:50 La retraite, c'est aussi un rite de passage,
14:53 le fait qu'il y ait des règles communes à tous,
14:56 c'est une manière de faire société, peut-être ?
14:59 Certainement.
15:00 Ce qui vient d'être décrit, c'est vraiment un état qu'on peut souhaiter,
15:05 au terme d'une réflexion collective sur les rapports entre l'activité, le travail,
15:09 et la façon dont les personnes, et nous en sommes loin,
15:14 vivent clairement dans une société où elles puissent être chacune responsable
15:19 de leur destin et de leur trajectoire sociale.
15:23 Si vous voulez, laissez-moi quand même dire un mot sur la situation
15:26 sur laquelle nous nous trouvons maintenant,
15:28 et éventuellement ce qui pourrait préparer le terrain pour une réflexion d'ensemble,
15:34 qui devra à un moment s'imposer,
15:36 parce qu'en effet, le travail évolue radicalement dans nos sociétés,
15:40 et la façon dont les personnes conçoivent leur vie d'activité,
15:45 en un sens très large, va devenir tout à fait différente,
15:49 avec une forte individualisation des conditions.
15:52 Pour faire le lien entre la situation actuelle et ce terme-là,
15:55 je voudrais préciser deux choses.
15:57 D'une part, nous ne pouvons pas dire, et ça c'est un véritable engagement libéral,
16:02 de façon uniforme ce que le travail doit représenter dans la vie de chacun de nous.
16:07 Pour certaines personnes, le travail est totalement essentiel,
16:10 pour d'autres, c'est une charge et c'est une obligation qui est nécessaire pour gagner sa vie.
16:16 Il y a des personnes qui ont des travaux difficiles,
16:20 et pour lesquels, il faut le dire, la vie commence au moment où elles entrent en retraite.
16:25 C'est-à-dire la vie, ce qui fait que ces personnes donnent du prix à la vie,
16:31 souvent les relations familiales, le fait de pouvoir s'occuper d'une autre activité.
16:35 Donc pas de jugement de valeur sur ces questions-là.
16:38 Et il faut pour l'instant, à titre de transition, construire un cadre collectif,
16:44 puisque nous en sommes là pour l'instant, et c'est précisément un cadre collectif
16:49 avec des règles sûres et une intelligibilité accessible à tous,
16:54 qui permettra l'émancipation de chaque individu.
16:56 Ce qui veut dire que, pour la question des retraites par exemple,
17:00 dans la proposition qui nous a été faite,
17:03 il y a eu quand même beaucoup d'ambiguïté, beaucoup d'opacité pour le citoyen.
17:06 D'abord, on change de concept.
17:08 En 2019, on nous propose une retraite par points,
17:11 où l'âge pivot doit être une notion oubliée, dont il ne faut plus tenir compte.
17:15 Trois ans après, on se retrouve avec non plus pas seulement un âge pivot,
17:19 mais un âge légal qui a retardé deux ans.
17:21 C'est difficile à comprendre, surtout qu'il n'y a pas eu véritablement d'explication
17:25 sur l'abandon de la réforme de 2019.
17:28 Deuxièmement, on nous présente comme juste une réforme qui, pour finir,
17:34 ça a été largement commenté par les économistes et même reconnu par des membres du gouvernement,
17:40 où ceux qui commencent à travailler très tôt,
17:42 travailleront plus que ceux qui commencent à travailler plus tard,
17:45 qui souvent sont plus diplômés, ont des métiers beaucoup plus agréables.
17:48 Donc ça, ça ne va pas.
17:49 Et par ailleurs, on nous présente quelque chose qui ne peut pas être perçu comme véritablement égal.
17:57 Donc je pense que d'abord, un cadre simple, un cadre lisible pour tous,
18:01 c'est la meilleure chose qui permet d'engager une réflexion
18:04 sur l'individualisation des conditions de travail et des vies au travail.
18:09 Merci Monique Cantos-Perbert.
18:11 On se retrouve dans une vingtaine de minutes.
18:13 Je rappelle que vous êtes philosophe, directrice de recherche au CNRS
18:16 et présidente du Think Tank Génération Libre.
18:19 Nous vous retrouvons également, Gaspard Koenig, philosophe enseignant à Sciences Po,
18:23 fondateur de ce Think Tank Génération Libre.
18:27 On évoquera la réforme de la France en général et la manière dont un projet,
18:33 un projet que vous pourriez qualifier de libéral, pourrait être entrepris
18:36 pour tenter de remédier justement à ces blocages de la société liés à une réforme à tort ou à raison,
18:46 bien sûr, qui aujourd'hui n'est pas acceptée.
18:49 Huit heures sur France Culture.
18:50 Comment faudrait-il s'y prendre pour réformer la France ?
18:57 On en parle donc avec deux philosophes, Monique Cantos-Perbert.
19:01 On vous doit la fin des libertés ou comment refonder le libéralisme aux éditions.
19:06 Robert Laffont, Gaspard Koenig, auteur de Contraint aux éditions de l'Observatoire.
19:12 Vous êtes donc tous deux membres du Think Tank Génération Libre que vous présidez,
19:16 Monique Cantos-Perbert.
19:17 Mais justement, quand on vient d'entendre ce que Stéphane Robert a dit sur Marine Le Pen,
19:24 Marine Le Pen qui est considérée comme étant une candidate sérieuse pour la présidentielle,
19:29 on se dit que vous êtes peut-être contracyclique en proposant le libéralisme,
19:34 alors que certaines personnes voient, pour évoquer l'Italie,
19:38 on peut évoquer la France avec le Rassemblement National,
19:41 au contraire, un salut par une forme autoritaire de pouvoir.
19:45 Comment savez-vous ?
19:46 Eh bien, nous y voilà.
19:48 L'éventualité qu'il ne peut être exclu aujourd'hui,
19:51 est l'arrivée de Marine Le Pen au pouvoir en 2027.
19:55 Et là, on comprendra la différence entre la démocratie et la démocratie libérale.
20:00 Parce que nous aurons affaire à un gouvernement nationaliste,
20:03 avec des procédures de décision politique qui se rapprocheront de l'autoritarisme,
20:07 encore plus concentré qu'elles ne le sont aujourd'hui.
20:10 Un gouvernement par référendum,
20:12 une sorte d'organisation de plus en plus corporatiste de la société.
20:15 Et puis évidemment, une vigilance sur ce que pensent les gens,
20:19 sur ce qui est tout à fait caractéristique de ce petit mouvement.
20:24 Alors évidemment, en tant que libéraux,
20:26 nous n'aimons pas du tout les gouvernements qui se légitiment par une classe sociale.
20:31 Ici, ce sera la voie au peuple.
20:33 C'est le slogan qui a été...
20:35 Sauf que le peuple en tant que classe sociale est une notion floue.
20:38 Oui, mais le peuple, bien sûr, on en parle.
20:41 Et à gauche et à droite, et puis parfois même au centre.
20:44 Mais ce peuple-là, c'est véritablement la prétendue révolte des petites gens,
20:48 de ceux qui n'ont pas le droit de parler.
20:50 C'est-à-dire, on invente une sorte de classe sociale réduite au silence.
20:54 Pour les libéraux, ce n'est pas ça, l'art politique.
20:57 - Monique Cantos-Pervers, si c'est ce qu'une majorité des Français veulent,
21:02 il y a le discours sur la servitude volontaire,
21:04 s'il s'agit d'abdiquer une part de sa liberté.
21:06 Mais en tout cas, s'il y a une préférence chez certains Français pour un gouvernement autoritaire,
21:12 qu'est-ce que les libéraux ont à répondre à cela ?
21:15 - Les libéraux ont d'abord à tout faire pour éviter que cela arrive.
21:19 Et de quelle façon ?
21:20 En alertant sur un certain nombre de dangers.
21:22 D'abord sur le caractère totalement voué à l'échec de ce type de gouvernement.
21:27 Parce que nous n'en connaissons aucun, ni dans l'histoire, ni dans le présent,
21:30 qui ait duré plus d'un certain nombre d'années,
21:33 et souvent en créant des situations sociales et politiques qui sont très difficiles à gérer.
21:38 Pour des raisons tout à fait naturelles.
21:39 Les gouvernements concentrés sont des gouvernements qui ne font pas droit au pluralisme,
21:42 qui ne font pas droit aux oppositions,
21:45 et qui donc, comme tous les gouvernements, prennent des mauvaises décisions,
21:49 sans aucune force de rappel pour le leur signaler.
21:51 Donc, pour de très nombreuses raisons, ce type de gouvernement vont à l'échec.
21:56 Donc, les libéraux, qui sont des réalistes, regarderont cela,
22:00 parce qu'il y a des choses qu'on ne peut pas empêcher,
22:02 mais en revanche, il y a des choses contre lesquelles on peut prévenir,
22:06 et alerter sur les dangers.
22:08 Et si vous voulez, en tant que libéral, si une telle éventualité devrait se concrétiser,
22:13 mon regret le plus important serait que ce soit les démocraties libérales,
22:18 et la nôtre en particulier, qui aient créé le terrain favorable à ce type de gouvernement.
22:24 Pour trois raisons.
22:25 D'abord, parce que nous avons multiplié, enfin nos gouvernements,
22:29 et pas simplement le gouvernement actuel,
22:31 a multiplié depuis une dizaine d'années des procédures
22:36 qui allaient vers un exercice du pouvoir de plus en plus concentré,
22:39 qui laisse de moins en moins de place au pluralisme, à la légitimité.
22:43 N'oublions pas qu'une bonne réforme, pour en venir au sujet dont vous parliez tout à l'heure,
22:47 c'est une réforme pour laquelle même ceux qui s'y opposent
22:50 finissent par trouver une raison d'y obéir, si vous voulez.
22:54 C'est quand on arrive à construire cette légitimité qu'on gouverne bien.
22:58 Donc d'une part, ces procédures accélérées, ce manque d'espace laissé à l'exercice démocratique et libéral
23:05 de nos institutions, qui est condition de leur efficacité et de leur légitimité.
23:10 Ensuite, la tendance à considérer que la liberté est une variable d'ajustement universelle,
23:14 c'est-à-dire que dès qu'il y a un problème, on l'a vu avec la multiplication des états d'urgence,
23:17 avec les lois de renseignement et toutes sortes d'autres lois,
23:20 dès qu'il y a un problème, on commence par restreindre les libertés,
23:24 puis ensuite on réfléchit à ce qu'on pourrait faire de plus efficace.
23:27 Ce genre de choses est extrêmement dangereux parce que donnerait,
23:30 mettrait entre les mains de gouvernements plus autoritaires et moins bienveillants
23:35 que celui qui est le nôtre actuellement, des pouvoirs de coercition considérables.
23:39 Et enfin, dernière chose, avoir construit cette sorte de polarisation de la vie politique
23:44 entre un clan des réformistes, des progressistes, des raisonnables et un clan dangereux,
23:50 et qui, il est vrai, plongerait la France dans une situation tout à fait nouvelle
23:54 par rapport à son histoire récente, en tout cas,
23:57 et qui l'amènerait sans doute à se positionner différemment dans l'Europe et dans l'OTAN.
24:02 Avoir construit cette espèce d'opposition et d'avoir fait,
24:06 en avoir fait une stratégie d'accès au pouvoir et ensuite une stratégie de réélection,
24:11 une stratégie de gouvernement est quelque chose de très dangereux.
24:14 Nous sommes dans des démocraties où évidemment les gens s'expriment,
24:17 il y a des forces de rejet, aucun gouvernement ne suscite pas de force de rejet.
24:21 Quand il y a un seul débouché à une force de rejet qui est un gouvernement autoritaire,
24:26 on joue avec le feu.
24:27 Donc ce que doivent faire les libéraux, c'est rappeler à la reconstitution d'un véritable pluralisme,
24:31 c'est-à-dire une palette d'options politiques différentes
24:34 au sein du camp de ce qu'on pourrait dire des raisonnables.
24:37 J'appelle vraiment à une sorte de reconstitution de la gauche
24:40 et également une reconstitution de la droite
24:42 pour offrir justement un véritable choix politique aux citoyens.
24:46 Et également à une réflexion sur l'importance des libertés
24:49 dans tous les domaines d'exercice dans nos sociétés aujourd'hui.
24:52 - Gaspard Koenig, justement, une réforme libérale,
24:56 est-ce que ça n'est pas une liberté accordée au plus fort ?
25:00 Le Rassemblement National se présente comme étant le parti du peuple,
25:03 est-ce que justement il n'y a pas une volonté de sa part de s'opposer à une forme de libéralisme
25:10 où il serait surtout question de l'intérêt des plus puissants ?
25:14 Qu'en pensez-vous ?
25:16 - Je pense que c'est un vieux reproche vraiment bien illégitime fait au libéralisme.
25:21 D'abord, je distinguerais le néolibéralisme qui est probablement le régime sous lequel on vit,
25:26 qui est un régime utilitariste et qui effectivement est très économiciste
25:30 et qui favorise la concentration des grandes entreprises,
25:34 un véritable libéralisme classique,
25:37 dont le néolibéralisme n'était qu'une petite variante qui a mal tourné, si vous voulez,
25:40 et dont la fonction première est de maximiser les libertés individuelles
25:45 et avant tout les libertés de ceux qui n'ont pas les moyens de les défendre.
25:50 Donc c'est profondément une philosophie qui,
25:53 je pense comme toute philosophie, parce qu'on ne peut pas faire de la philosophie
25:55 si quelque part on ne s'intéresse pas au sort de ceux qui ont le moins les moyens de parler et d'agir
26:04 et que lutter contre toutes les rentes, les rentes économiques
26:08 mais aussi les rentes politiques, institutionnelles et culturelles,
26:11 toujours permettre à la marginalité de s'exprimer,
26:15 toujours permettre à ceux qui sont hors du chemin commun de pouvoir vivre,
26:24 tolérer les propos les plus insupportables, c'est la liberté d'expression,
26:29 tolérer les modes de vie qui ne nous correspondent pas,
26:34 c'est d'une certaine manière la laïcité,
26:36 et bien c'est ça la force justement du libéralisme.
26:40 Et que s'agissant des questions politiques, vous le soulevez,
26:46 il est clair que l'élection présidentielle au suffrage universel est profondément illibérale.
26:52 Et je me permets de le rappeler parce que moi ce qui me frappe dans la discussion qu'on vient d'avoir,
26:57 c'est que l'élection présidentielle elle est dans quatre ans,
27:00 et qu'elle est devenue vraiment le seul marqueur de notre vie politique,
27:04 et que donc on ne discute même plus d'idées parce qu'au fond plus personne ne sait ce qu'il y a dans...
27:08 Il y a aussi la question parlementaire dont on voit avec le 49.3 qu'elle peut avoir son importance, Kaspar Kuni.
27:13 Mais vous voyez que justement le débat n'a plus lieu au Parlement,
27:16 aussi pour des raisons institutionnelles, et que l'ensemble des partis se projettent dès maintenant,
27:20 et que l'ensemble des médias parlent dès maintenant dans les différents camps,
27:23 de qui pourrait être candidat en 2027.
27:25 Et vous voyez très bien qu'en fait on ne sait plus très bien qui défend quelles idées,
27:28 puisque ce n'est plus le sujet, le sujet c'est d'élire des personnes,
27:31 c'est-à-dire de se choisir un maître.
27:33 Il y a cette critique...
27:34 Non mais attendez, quand vous dites "le peuple a ses droits et va élire majoritairement son président",
27:40 je dis "mais justement ce rapport entre un homme ou une femme et un peuple, qui est toujours son peuple,
27:48 est quelque chose de profondément humiliant en tant qu'être humain et libre".
27:53 On entend la critique, Kaspar Kuni.
27:54 Moi je voulais revenir sur la critique que vous adressiez à ce que vous appeliez le néolibéralisme,
27:59 en le traitant d'économicisme.
28:02 Mais justement il y a chez certains libéraux, je pense par exemple à Frédéric Hayek,
28:06 l'idée selon laquelle si le gouvernement se mêle d'autre chose que d'économie,
28:11 alors il entre dans le cadre d'une forme de totalitarisme ou en tout cas de gouvernement autoritaire,
28:19 puisqu'il s'immisce dans la vie privée des individus.
28:22 Le fait de ne gérer que l'économie laisse justement chaque personne libre d'envisager sa vie,
28:28 sa conception de la bonne vie comme il l'entend.
28:30 Est-ce que ça n'est pas un avantage au moins ?
28:33 En fait, ce qui est le cœur je pense du propos de Hayek, c'est de séparer la loi et la morale.
28:40 En disant, la loi, mais y compris sur des domaines non économiques,
28:44 la loi est faite pour permettre à différentes conceptions du monde de coexister.
28:52 Que ça soit effectivement sur le plan économique en laissant une forme d'ordre spontané se faire
28:59 et donc des entreprises fleurir dans plein de domaines variés,
29:01 parce que c'est aussi une manière pour les gens d'exprimer leur opinion,
29:05 mais que ce soit aussi dans le champ des libertés civiles,
29:09 sur la liberté d'expression, la liberté politique, etc.
29:11 C'est toujours l'idée que la loi ou l'État n'est pas là pour imposer certaines valeurs communes,
29:19 que les élections ne sont pas là pour se battre sur quelle valeur je représente contre quelle autre,
29:24 et que ça c'est des questions de morale qui sont extrêmement importantes aussi,
29:28 qui sont parfaitement légitimes, mais qui sont quelque part de l'ordre du débat au sein de la société.
29:37 Et sur toutes les questions, par exemple, sociétales,
29:40 vous voyez très bien sur la légalisation des drogues, sur toutes les questions de liberté individuelle,
29:47 vous voyez très bien que le libéral ne dit pas "moi je suis pour ou contre le cannabis",
29:52 il dit "ce n'est pas la loi de le dire, la loi doit permettre aux gens
29:55 de choisir la manière dont ils souhaitent vivre,
30:00 mais mettre en place les dispositifs pour que ce soit fait de manière la plus correcte au niveau sanitaire et psychiatrique.
30:07 Sur le cannabis, Gaspard Koenig, vous avez, si j'ose dire, un boulevard.
30:11 Je vais vous poser quand même une question un peu plus ennuyeuse que le cannabis.
30:15 Si on prenait par exemple la liberté de prendre l'avion,
30:18 avec toutes les externalités liées à cette pratique,
30:22 le fait de polluer avec toutes les conséquences que ça peut avoir sur l'environnement,
30:26 alors là que diriez-vous, ou je peux même insister encore plus,
30:31 en prenant la liberté d'emprunter par exemple un jet privé ?
30:34 Non mais là vous avez des externalités négatives extrêmement fortes.
30:37 Et ce qui me choque aujourd'hui, c'est que ces externalités négatives,
30:40 c'est-à-dire le dommage que vous causez au reste de la communauté par la pollution que vous émettez,
30:45 ne sont pas prises en compte dans le système de prix.
30:47 Je trouve ça incroyable qu'aujourd'hui, moi ça fait deux ans que je n'ai pas pris l'avion.
30:51 Quand je voyage en France, en train donc,
30:54 très souvent je m'aperçois que mon billet de train est plus cher que le billet d'avion,
30:59 qu'on peut encore aller passer un week-end à Lisbonne ou à Rome
31:02 pour 30 euros ou 10 euros, comme les pubs dans le métro nous le rappellent fréquemment.
31:06 Et c'est ça qui est tout à fait insoutenable.
31:08 Vous voyez bien cet hiver, à propos des prix de l'énergie, à quel point le signal prix a fonctionné.
31:13 Il a suffi de monter les prix de l'énergie pour que les Français réduisent leur consommation.
31:17 Est-ce qu'ils l'ont fait par vertu ?
31:20 Ils l'ont fait aussi parce qu'ils avaient un signal sur lequel ils s'ajustaient.
31:25 Et donc aujourd'hui, il est évident que par le biais de l'impôt,
31:28 et de l'impôt au carbone si vous voulez, après il y a différentes manières de le faire,
31:33 le billet d'avion devrait être 100 fois plus cher
31:36 que le billet de train en fonction du dommage environnemental qu'il cause.
31:39 Donc c'est une manière d'intégrer le dommage que vous faites au prix.
31:45 Il ne s'agit peut-être pas d'interdire,
31:47 parce que quand vous interdisez, vous allez tout de suite faire toutes sortes d'exceptions
31:50 qui vont devenir extrêmement bureaucratiques.
31:51 Interdisez déjà de priver, puis vous allez dire
31:53 "Ah oui, mais attention, pas si c'est pour une urgence médicale par exemple,
31:56 pour les chefs d'État qui seront à un sommet très important, ça se discute, etc."
32:00 Puis vous allez rentrer dans toutes sortes de détails.
32:02 - On vous a entendu effectivement, le signal prix pour ces registres,
32:05 la monique Cantos-Perbert sur le libéralisme, là aussi, ce qui est étonnant,
32:10 vous appelez à un pluralisme, à une restauration de la droite et de la gauche,
32:15 mais précisément, lorsqu'on regarde l'échiquier politique français,
32:19 très peu de politiques se réclament du libéralisme.
32:22 Comment expliquez-vous cela ?
32:24 Comment expliquer le fait qu'une partie,
32:27 j'allais dire largement majoritaire de nos politiques,
32:30 tourne le dos à ce que vous présentez comme étant
32:35 une forme de salut politique à notre portée ?
32:39 - Les personnels politiques, en particulier ceux qui sont à la tête des partis,
32:42 sont vraiment extrêmement soucieux de l'image qu'ils donnent.
32:45 On ne peut pas nier aujourd'hui que l'adjectif "libéral"
32:48 et puis le terme de "libéralisme" est quand même assez décrié
32:51 et surtout d'emblée amalgamé à des épouvantailles.
32:56 C'est-à-dire en particulier une réduction à ce qu'on appelle le néolibéralisme,
33:00 qui en fait une chose très simple,
33:02 c'est réduire le libéralisme à la liberté économique,
33:05 et une liberté économique sans règles, si je puis dire,
33:08 une sorte de déchaînement qu'on caractérise souvent
33:12 par cette formule de la liberté du loup dans le poulailler,
33:18 d'une certaine façon, c'est-à-dire la revendication de la liberté
33:22 pour exercer, pour camoufler, pardon,
33:25 pour excuser l'exercice dans la plus totale impunité de la domination, rien d'autre.
33:30 Le libéralisme, ce n'est pas ça.
33:32 Le libéralisme, c'est vraiment une pensée complète des libertés,
33:35 liberté politique, liberté individuelle, liberté économique.
33:38 Il arrive souvent d'ailleurs que la liberté économique soit un moyen pour une fin.
33:44 La décentralisation des initiatives économiques,
33:47 la possibilité pour les acteurs de prendre des décisions
33:50 quant à la manière dont ils font prospérer leur richesse,
33:53 ou leur propriété, ou même leur espoir de richesse,
33:57 la façon dont les garanties qu'un État puisse donner à leurs acquis,
34:02 ça évidemment, ce sont des conditions de l'exercice de la liberté.
34:05 Mais la liberté au sens large ne s'y réduit pas.
34:07 Parfois, il faut les limiter, ces libertés économiques,
34:10 précisément pour renforcer d'autres libertés.
34:13 Donc, ce n'est pas du tout une dogmatique.
34:16 Il est vrai que le libéralisme est parfois encombré d'un certain nombre de dogmes,
34:20 une version radicale de l'individualisme,
34:23 l'idée que le marché est totalement libre
34:25 et que quiconque accède au marché peut révéler sa liberté.
34:29 C'est en partie vrai, mais ce n'est pas systématique.
34:31 Ou alors, comme l'a dit Gaspard König sur la question des jets privés,
34:34 le problème pour certains libéraux,
34:36 c'est que si on met des freins au marché,
34:39 comme on ne sait pas quels sont les freins opportuns,
34:41 on va se retrouver dans une situation où, finalement,
34:44 la situation sera pire que celle du marché libre.
34:48 Le marché libre est une chose extraordinaire,
34:50 parce que dans un marché libre, du moins défini théoriquement,
34:53 chacun fait la preuve de sa valeur.
34:55 Le marché libre, c'est ce qui désintègre les positions d'autorité,
34:59 les privilèges acquis, les prétendues légitimités historiques
35:03 qui faussent complètement la concurrence.
35:04 Chacun vient avec ce qu'il a à apporter,
35:08 et le marché est un extraordinaire révélateur de la valeur des choses.
35:12 Mais attention, d'abord, il faut pouvoir accéder au marché,
35:16 et ensuite, il faut que ce marché ne dysfonctionne pas.
35:18 Or, malheureusement, dans les situations concrètes, c'est toujours le cas.
35:21 Donc, l'hypothèse théorique de départ est très bonne.
35:25 Sa réalisation concrète est difficile.
35:27 Mais je reviens à l'essentiel du libéralisme, voyez-vous,
35:29 parce qu'au fond, tous les partis politiques revendiquent la liberté.
35:32 Le communisme l'a revendiqué.
35:36 Des formes plus conservatrices la revendiquent aussi.
35:40 Ce que le libéralisme moderne, enfin,
35:42 celui dont nous réclamons à d'essentiel,
35:45 c'est la conviction qu'il existe, qu'on appelle,
35:47 que Raymond Aron appelait la liberté libérale,
35:50 c'est-à-dire un lieu qui n'appartient qu'à la personne,
35:53 sur lequel nul ne peut lui demander des comptes.
35:56 Benjamin Constant, Tocqueville, Jean-Monsieur Hartemis,
35:58 toute la tradition libérale, nous inscrivons à revendiquer cela.
36:02 Et évidemment, cette liberté fondamentale doit être intégrée
36:05 dans une structure politique, une structure commune,
36:08 parce que la question majeure de la liberté, ce sont les règles de la liberté.
36:11 C'est un titre que j'avais donné, un de mes livres sur cette question-là,
36:14 c'est-à-dire la manière dont les libertés coexistent ensemble
36:18 à l'aide d'un système de règles qui sont la responsabilité directe
36:23 et de la force caractéristique de la société et de l'État.
36:26 Donc, cette liberté, si vous voulez, ça se manifeste par le souci du libéralisme politique,
36:31 de la prise en compte des oppositions,
36:33 une relative indépendance de la société par rapport à l'État,
36:36 et quand même un questionnement constant sur les finalités de l'État,
36:40 les buts de l'État, qu'il ne repasse pas à son pouvoir,
36:44 et sur la légitimité de son exercice.
36:46 Ça, c'est le cœur du libéralisme,
36:49 et ça peut se retrouver dans des pensées de gauche,
36:52 d'une certaine manière, toute une tradition de gauche,
36:54 de Philippe Roudon et bien d'autres,
36:57 qui a défendu cette conception libérale
37:00 de ce que l'on appelait alors le progrès social,
37:05 mais aussi une conception plus à droite.
37:07 Et c'est dommage que les partis politiques aujourd'hui ne le revendiquent pas,
37:10 parce que c'est un message dans lequel
37:13 tant d'aspiration et tant de difficultés du monde d'aujourd'hui pourraient trouver leur réponse.
37:18 - Gaspard Koenig, un mot de conclusion
37:21 sur ce que pourrait apporter un programme libéral à la France,
37:26 un programme que vous défendez dans votre film,
37:28 tant que génération libre ?
37:30 - Je pense d'abord que le cœur du sujet, c'est la décentralisation
37:34 de l'ensemble des procédures de décision.
37:36 Donc d'abord la décentralisation dans l'organisation du territoire,
37:39 redonner au plus petit échelon la maîtrise de ses compétences,
37:43 la Clause de compétence générale notamment, pour les communes,
37:45 et permettre que le plus de problèmes possibles,
37:51 c'est bien la notion de subsidiarité,
37:53 le plus de problèmes possibles soient réglés sur le terrain.
37:57 Et que donc les gens puissent,
37:59 plutôt que de toujours se référer à la puissance centrale,
38:03 mais que ça soit d'ailleurs dans le cadre de l'entreprise ou de l'administration,
38:07 puissent s'approprier, disons, les choses.
38:10 Et je pense qu'une des voies les plus intéressantes de ce point de vue-là,
38:14 c'est la question écologique,
38:16 qu'aujourd'hui le libéralisme doit traiter.
38:18 Alors vous parliez des jets privés, je vous parlais du prix carbone,
38:21 mais il y a quelque chose au fond plus fondamental,
38:23 c'est est-ce qu'on est pour une écologie planificatrice,
38:25 comme c'est aujourd'hui, ça semble être le consensus,
38:28 ou est-ce qu'on considère, à l'inverse, avec les éco-anarchistes
38:32 d'Élysée Reclus à Muray-Boukchine,
38:35 que l'essence même de l'écologie, du rapport à la nature,
38:39 c'est le terrain, la communauté,
38:42 le fait de pouvoir s'inscrire dans un écosystème avec des ressources finies,
38:47 et d'en prendre soin.
38:49 Et que cette décentralisation-là, extrême, ce fédéralisme,
38:52 comme disait Proudhon,
38:53 permettra de manière assez naturelle
38:56 de prendre soin du territoire que l'on occupe.
39:00 Et je pense qu'il y a déjà chez Tocqueville un goût de la nature
39:04 qui va avec son aspiration à la liberté et sa critique
39:08 de la suradministration, dont John Stuart Mill aussi,
39:11 et que cette écologie profonde du libéralisme
39:15 lui donne aujourd'hui un avenir très important.
39:18 - C'est un écho, en tout cas, que vous voulez défendre.
39:20 Un mot de conclusion, Monique Cantos-Perbert.
39:22 - Un programme libéral, défense des libertés individuelles,
39:25 méfiance extrême à l'égard de multiplication des états d'urgence
39:28 et des restrictions des libertés,
39:30 décentralisation, reprise en main des initiatives par la société,
39:34 c'est-à-dire cette sorte d'animation sociale, d'empowerment de la société,
39:39 la confiance, la confiance dans les initiatives locales,
39:42 et un État qui anime des politiques sociales,
39:48 qui donne des moyens de liberté de choix, de responsabilisation,
39:52 même aux plus pauvres.
39:53 Vous voyez, le libéralisme, c'est pour moi,
39:55 je l'ai souvent dit, une transposition de cette injonction
39:58 de l'antifasciste italien Carlo Rosselli,
40:01 faire en sorte que la liberté arrive dans la vie des gens les plus pauvres,
40:05 c'est-à-dire des politiques sociales qui ne soient pas intrusives,
40:07 qui ne soient pas conditionnelles et qui amènent les individus
40:09 à se reprendre en main, à se responsabiliser,
40:12 dans un cadre collectif, lisible,
40:16 qui fait que les anticipations sont sûres,
40:18 où les gens savent ce qu'ils peuvent attendre
40:21 et en quoi ils doivent contribuer.
40:23 Tout cela, ce sera des facteurs extraordinaires
40:25 d'émancipation collective.
40:27 Et rappelons les droits de la rationalité publique
40:30 et de la transmission aussi,
40:31 car c'est fondamental pour l'unité d'une culture.
40:34 On retrouve cela dans votre livre, Monique Cantos-Perbert,
40:37 « La fin des libertés » ou « Comment refonder le libéralisme »,
40:40 C.Auxéditions, Robert Laffont, Gaspard Koenig.
40:43 On retrouve votre « Contraint aux éditions » de l'Observatoire
40:48 dans quelques instants.
40:49 Le point sur l'actualité, le 8,45 de Marion Ferrer.