Les Soulèvements de la terre : vers une radicalisation de l'écologie

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L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 8 Juin 2023)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr
Transcript
00:00 ...
00:03 -Les matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:06 -S'engager dans l'écologie,
00:09 avec notamment des méthodes, des méthodes nouvelles
00:13 d'engagement qualifiées par les uns de radicales,
00:16 par les autres, de proportionner au danger
00:19 ou à l'urgence climatique,
00:21 pour vous permettre de vous faire votre opinion à ce sujet.
00:24 Il est question désormais d'un mouvement,
00:28 un mouvement qu'on va vous présenter,
00:30 le soulèvement de la terre, vous en êtes membre.
00:33 Léna Lazar, bonjour. -Bonjour.
00:35 -Ce mouvement, le soulèvement de la terre,
00:38 un mouvement menacé de dissolution
00:40 aujourd'hui par le ministre de l'Intérieur,
00:43 publie un ouvrage, un ouvrage collectif
00:45 avec 40 voix, donc, pour ce mouvement.
00:48 "On ne dissout pas un soulèvement",
00:50 il s'est publié aux éditions du Seuil
00:52 pour éclairer aussi l'histoire de l'écologie,
00:55 de l'écologie politique et de ces mouvements.
00:58 Présence, bonjour. -Bonjour.
00:59 -Vous êtes historien des sciences des techniques
01:02 et de l'environnement.
01:04 On vous doit des ouvrages importants,
01:06 notamment "Les révoltes du ciel, une histoire",
01:09 du changement climatique du 15e au 20e siècle.
01:11 Léna Lazar, je vais tout d'abord dire que vous avez 25 ans.
01:15 Vous êtes représentative de ces jeunes
01:18 qui se sont engagées pour le climat.
01:21 Quelques mots sur ce qu'est le soulèvement de la terre.
01:24 -Le soulèvement de la terre, c'est une dynamique
01:27 qui est portée par des organisations
01:29 du mouvement climat,
01:31 des organisations paysannes,
01:33 mais aussi des luttes locales écologistes.
01:36 C'est une dynamique contre l'agroindustrie
01:39 et l'artificialisation des terres.
01:41 -Une dynamique à laquelle vous participez.
01:44 Je crois que, par ailleurs, vous avez un projet,
01:47 je veux dire, à titre personnel et professionnel,
01:50 dans le domaine agricole. -C'est ça.
01:52 J'étais en études de maths et de physique
01:54 à Sorbonne Université.
01:56 Mon engagement écologique prenait de plus en plus de place.
02:00 Et c'est vrai que plein de raisons
02:02 m'ont amenée à m'engager dans le soulèvement de la terre.
02:05 La moitié des agriculteurs vont partir à la retraite
02:08 d'ici à 5 à 10 ans.
02:09 Le fait de voir que ces terres, petit à petit,
02:12 sont accaparées par l'agroindustrie,
02:14 qui est au milieu de ce qu'on devrait faire
02:16 au vu de l'urgence écologique,
02:18 m'a donné envie de m'installer en tant que paysanne.
02:21 C'est ce que je prépare actuellement.
02:24 -Le mouvement auquel vous appartenez,
02:26 souvent décrit comme radical,
02:28 quelle est votre vision de ce mouvement,
02:30 de ce mot radical ?
02:31 Est-ce que vous vivez comme radicale ?
02:33 -C'est vrai que la radicalité, pour moi,
02:36 ça peut être utilisé de manière péjorative,
02:39 mais pour moi, c'est revenir aux racines du problème.
02:42 Et c'est vrai que c'est un adjectif
02:44 que j'ai été beaucoup obligée d'utiliser
02:48 ces dernières années.
02:50 Je viens du mouvement des jeunes en grève pour le climat.
02:53 Le problème, c'est que l'écologie, c'est dans toutes les bouches.
02:57 On sait pas exactement de quoi parlent les gens
02:59 lorsqu'ils parlent d'écologie.
03:01 Quand j'ai commencé à me revendiquer
03:03 d'une écologie radicale, c'était pour dire
03:06 que je n'étais pas du bord de l'écologie libérale,
03:09 de l'écologie de gouvernement.
03:11 -Ca veut dire que vous refuseriez,
03:13 si le mouvement de soulèvement de la Terre...
03:16 Ca nécessite un peu d'imagination,
03:18 mais si vous deveniez une force politique
03:21 et que vous n'en feriez pas de programme,
03:23 c'est ça qui vous distingue de l'écologie libérale
03:26 ou de l'écologie de gouvernement ?
03:28 -L'écologie de gouvernement,
03:30 je pense au gouvernement actuel, quand je disais ça.
03:33 L'idée, et je pense que Jean-Baptiste Fresseuse
03:35 pourra bien en parler, c'est de dire
03:37 quelles sont les causes du ravage écologique.
03:40 Est-ce que c'est l'humanité en règle générale ?
03:43 Est-ce qu'on est tous responsables ?
03:45 Mon principal mode d'action, ça devrait être des petits gestes
03:49 qui sont des petits gestes, mais je pense que c'est pas possible.
03:52 Je pense que les causes du ravage écologique,
03:55 c'est principalement notre système économique,
03:58 donc le capitalisme-productivisme,
04:00 qu'on ne peut pas revendiquer...
04:02 On ne peut pas aller dans la direction
04:04 d'une société juste et écologique
04:06 si on n'abandonne pas l'idée d'une croissance infinie
04:09 dans un monde aux ressources finies.
04:11 C'est toutes ces idées-là que j'ai envie de mettre
04:14 derrière le mot d'écologie et qui me poussent des fois
04:17 à qualifier dans quelle écologie je me situe
04:20 et la qualifier de radicale.
04:22 -C'est une écologie qui se situe résolument à gauche,
04:25 Léna Lazar ?
04:26 -C'est vrai que, du coup, je me retrouve pas...
04:29 Je pense qu'elle est peu compatible
04:31 avec des valeurs de droite, en effet.
04:33 Mais c'est vrai que ces derniers temps,
04:35 je me suis questionnée,
04:37 étant donné qu'on a accusé les soulèvements de la Terre
04:40 d'éco-terroristes et que ce terme de radicalité
04:43 ou de jeunes pour le climat radicalisés,
04:46 c'est un terme assez péjoratif.
04:48 Enfin, là, ce que je souhaiterais dire,
04:50 c'est que, pour moi, en tout cas, cette écologie,
04:53 elle se base justement sur les travaux scientifiques,
04:56 qu'ils soient en sciences humaines et sociales
04:59 ou dans des sciences qu'on pourrait qualifier de dures,
05:02 et que, pour moi, elle est juste à la hauteur des enjeux.
05:06 Si on ne suit pas cette vision de l'écologie,
05:08 on est dans des formes de greenwashing,
05:10 de capitalisme vert, etc.
05:12 -Jean-Baptiste Fressoz, un commentaire ?
05:15 -C'est un mouvement qui s'inscrit dans une dynamique plus large.
05:20 Il y a, ce que vous disiez, la lassitude du fait
05:24 que, depuis maintenant au moins 40 ans,
05:27 les entreprises sont devenues vertes.
05:29 Elles sont responsables, éco-responsables,
05:32 socialement responsables.
05:34 Il y a plein de certificats, de labels.
05:36 Il n'y a pas grand-chose qui change dans les modes de production.
05:40 Il faut commencer à parler de manière matérielle
05:43 des modes de production.
05:44 L'agriculture joue un rôle important
05:47 dans le désastre environnemental, climatique.
05:50 C'est normal de commencer à regarder ce qui se passe dans les champs.
05:53 C'est un mouvement qui est très important.
05:57 Ça s'inscrit aussi dans un essoufflement,
06:00 mais aussi une lassitude des marges pour le climat.
06:02 C'était formidable.
06:04 Tout le monde veut défendre le climat,
06:07 mais c'est difficile d'avoir prise sur le changement climatique.
06:10 C'est tellement énorme qu'il se passe à l'échelle globale,
06:14 chacun, même n'importe quel gouvernement.
06:16 Parler des soulèvements de la Terre,
06:18 c'est intéressant, ça re-territorialise,
06:20 ça permet à la lutte de s'ancrer dans un lieu précis,
06:23 de défendre un lieu.
06:24 Et là, le point d'origine,
06:27 pas le point d'origine, mais un moment important,
06:29 c'est la lutte contre l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes.
06:33 Ça s'inscrit dans la continuité de ce mouvement.
06:35 -Il y a eu d'autres activités qui ont été menées,
06:38 d'autres manifestations.
06:41 Il y a eu, en mars 2021,
06:44 des manifestations organisées pour lutter
06:46 contre la destruction de bocages en Loire-Atlantique.
06:50 Ensuite, il y a eu l'occupation de centrales à béton
06:53 sur le port de Gennevilliers.
06:56 Il y a eu cette action menée contre la retenue d'eau,
06:59 une retenue d'eau à la Clusaz,
07:01 et jusqu'à Saint-Denis,
07:03 qui a été largement médiatisée.
07:06 Pourquoi avoir choisi ces différents lieux
07:10 et ces différents projets, Léna Lazar ?
07:13 -Mais...
07:15 Ces choix, on les fait collectivement,
07:17 en disant quelles luttes ont le plus besoin
07:20 d'un éco-national.
07:22 Après, c'est vrai que des luttes locales, écologistes,
07:26 en France, on en répertorie plus de 600, actuellement.
07:29 C'est vrai que c'est un échelon au sein des soulèvements de la Terre
07:33 qui nous semble extrêmement important.
07:35 Il y a beaucoup de personnes qui se sentent
07:38 totalement impuissantes face au ravage écologique en cours.
07:41 Comme on l'a dit, quand on parle de climat,
07:44 on se dit que c'est trop grand.
07:46 On voit que l'accord de Paris a été signé,
07:48 mais il n'est pas respecté.
07:50 Mais c'est vrai que se rendre compte
07:52 que l'écologie et la destruction du vivant
07:55 a aussi lieu près de chez soi,
07:57 avec ces nouveaux projets d'artificialisation des terres,
08:00 que ce soit des fermes-usines, des méga-bassines.
08:03 On peut déjà stopper ces projets-là.
08:06 Et pour moi, stopper ces projets-là,
08:09 c'est aussi aller vers la société
08:11 vers laquelle on aspire.
08:13 On l'a vu avec Notre-Dame-des-Landes.
08:16 Une fois qu'on a gagné face à un vacci,
08:18 plein de militants s'installent en tant que paysans,
08:21 d'autres formes de démocratie sont expérimentées.
08:24 Beaucoup de choses peuvent se passer
08:26 lorsqu'un territoire est rentré en résistance.
08:29 De partir de l'échelon local pour aller vers le global...
08:32 Quand on s'attaque à une méga-bassine,
08:35 c'est un débat international contre toutes les méga-bassines.
08:38 C'est jamais juste quelque chose qu'on pourrait qualifier de "ninbi".
08:42 On l'utilisait beaucoup, "not in my backyard".
08:45 Vous êtes contre cet entrepôt Amazon,
08:47 mais vous en fichez un peu tant que c'est pas devant votre jardin.
08:51 C'est quelque chose qu'on rétorque totalement.
08:54 On pense que prendre cette question de la lutte écologiste
08:57 par ce qui nous touche, ce qui se passe à côté de chez nous,
09:01 les lieux où on habite, etc.,
09:03 c'est justement de lancer un grand mouvement de résistance
09:06 qui peut avoir des répercussions nationales voire globales.
09:10 - Là aussi, Jean-Baptiste Fressoz,
09:12 lorsqu'on replace ce type d'engagement dans l'écologie,
09:15 il y a eu des luttes historiques, je pense évidemment au Larzac,
09:19 qui a été probablement la matrice de ces autres luttes.
09:23 Qu'en pensez-vous ?
09:25 Et comment replacer ce phénomène en perspective ?
09:28 - Oui, effectivement, l'idée d'aller défendre un territoire,
09:33 c'est quelque chose d'assez consubstantiel,
09:35 même à l'écologie populaire.
09:37 Donc c'est normal que ça se passe maintenant.
09:41 Il n'y a rien de surprenant là-dedans.
09:43 La force des soulèvements de la terre,
09:45 c'est que ça donne une visibilité sans lutte à travers la France.
09:49 Personne n'avait entendu ou très peu de gens s'étaient intéressés
09:53 au fonctionnement des méga-bassins.
09:55 Ce qu'on a entendu des hydrologues parler à la radio, à la télé,
09:59 c'est extrêmement important.
10:01 Ça fait longtemps qu'il y avait un collectif qui s'appelait
10:04 "Méga-bassin non merci" ou "Stop aux méga-bassins".
10:07 - "Bassin non merci".
10:09 - Personne ne s'est intéressé à ça,
10:11 et d'un seul coup, on se cultive, on apprend des choses.
10:15 Et à travers la question de la méga-bassin,
10:17 c'est toute la question du modèle agricole,
10:20 de l'agriculture intensive.
10:22 C'est aussi la question de la consommation de viande.
10:25 Ces méga-bassins, ça sert essentiellement à faire du maïs.
10:29 Ce maïs n'est pas pour faire nos salades avec les grains jaunes,
10:32 c'est pour nourrir des bêtes,
10:34 qui ne sont plus dans des pâturages, mais dans des fermes-usines.
10:38 C'est toute cette dynamique-là qui est saisie par cette lutte
10:41 sur une bassine, c'est ça qui est passionnant.
10:44 - Si le mouvement du soulèvement de la terre
10:46 est menacé de dissolution, si on parle d'éco-terrorisme,
10:49 je dis "on", un terme qui est utilisé
10:52 pour qualifier, chez les détracteurs,
10:55 de ce mouvement, c'est parce qu'il est question
10:59 de l'utilisation de la violence. Comment vivez-vous cela ?
11:02 On a vu ces images de Sainte-Soline,
11:04 certains ont vécu ça de l'intérieur,
11:06 vous notamment, j'imagine.
11:08 Comment décririez-vous votre rapport à la violence
11:11 qui était sur le terrain ? Quelle violence ? Pourquoi ?
11:14 - Ce qui est très compliqué vis-à-vis de Sainte-Soline,
11:17 c'est qu'en effet, même avant la manifestation,
11:20 on disait que les manifestants allaient être extrêmement violents.
11:24 Je trouve qu'on parle énormément de la violence des manifestants.
11:27 C'est vrai qu'une partie des manifestants ont été violents,
11:31 mais il faut se poser la question de, déjà,
11:33 pourquoi cette violence existe.
11:35 Pour moi, c'est exactement comme dans le cadre
11:38 de la mobilisation contre la réforme des retraites.
11:41 Les gens deviennent violents, d'une part,
11:43 parce qu'on a des politiques du maintien de l'ordre
11:46 qui se durcissent et qui sont extrêmement violentes,
11:49 et d'autre part, parce que, face au déni de démocratie
11:52 dans lequel on est depuis des années,
11:55 les gens finissent par se dire
11:57 qu'ils n'ont pas de moyens pour me faire entendre.
11:59 Pour moi, c'était une stratégie de diversion,
12:02 l'écotérrorisme, le fait de dire qu'on était ultra-violents, etc.
12:06 C'était une stratégie de diversion de la part de l'exécutif
12:09 pour qu'on évite de parler de la violence
12:11 qu'il y a eu envers les militants écologistes à Sainte-Soline.
12:15 Deux personnes ont été dans le coma,
12:17 Serge, qui est toujours à l'hôpital,
12:19 qui va avoir des séquelles graves, il y a eu l'entrave au secours.
12:23 Il y a même l'ONU qui a dit que la dérive, en ce moment,
12:26 les politiques de maintien de l'ordre en France
12:29 ont les pointes du doigt,
12:31 il y a une dérive autoritaire du pouvoir.
12:33 C'est à ça que ça me fait penser.
12:35 -L'entrave au secours est discutée,
12:37 mais Léna Lazarsia, vous considéreriez
12:40 que la violence de ces militants,
12:42 votre violence, elle est seconde,
12:44 c'est-à-dire réactive par rapport aux violences
12:47 dont vous êtes victime de la force de l'ordre,
12:49 ou elle est première parce que c'est une stratégie,
12:52 parce que sans violence, il est difficile d'être entendu ?
12:56 Est-ce que vous pouvez, là aussi,
12:58 entendre chez certains militants ?
13:00 -Je pense qu'elle est surtout en réaction, en effet,
13:03 à un monde profondément injuste,
13:05 où ça fait 50 ans que des...
13:07 que les pouvoirs politiques et économiques
13:10 mènent toujours une politique
13:13 et considèrent destructrice du vivant,
13:15 et qu'on sait qu'on va droit dans le mur,
13:18 qu'on sait qu'on va manquer d'eau cet été.
13:20 C'est comme le déni de démocratie lié à la réforme des retraites.
13:24 C'est vraiment que les gens réagissent
13:26 à une violence systémique et aussi la violence d'Etat
13:30 qu'on retrouve via les politiques de maintien de l'ordre.
13:35 Et nous, les soulèvements de la terre,
13:37 ce qui est intéressant, c'est qu'on porte,
13:39 mais peut-être qu'on va en discuter,
13:41 cette notion de désarmement,
13:43 et c'est pour ça qu'on s'est fait connaître.
13:45 C'est qu'on fait des actions de démantèlement
13:48 d'infrastructures écocidaires,
13:50 parce qu'on considère que c'est une arme
13:53 qui est déterminée à l'heure, jusqu'à...
13:55 - Détruire ou ne pas laisser construire une méga-bassine,
13:58 c'est une action de désarmement ?
14:00 - C'est ça, exactement. On s'est fait connaître,
14:03 parce qu'au niveau des méga-bassines,
14:05 on s'est surtout fait connaître
14:07 par le débâchage de la méga-bassine illégale
14:10 de Cranchaban, qui était une action de désarmement.
14:13 C'est intéressant de voir là où se situait la légalité
14:16 dans cette histoire. On parle beaucoup
14:18 de la désobéissance civile des militants,
14:21 qui outrepassent la loi très régulièrement.
14:23 - Jean-Baptiste Fressoz ?
14:25 - Alors, c'est toujours délicat, évidemment.
14:27 Le problème, c'est qu'on parle de la violence,
14:30 et pas de l'hydrologie. C'est une manœuvre de diversion grossière.
14:34 Quand Gérald Darmanin a été auditionné au Sénat,
14:37 c'était formidable. Il disait que les bassines,
14:40 c'était pas son domaine, que l'écologie n'avait rien de compte,
14:43 mais il défendait l'ordre et la loi.
14:45 Ça permet de botter en touche.
14:47 Si il y a cette stratégie-là,
14:49 c'est populaire de dire ça.
14:51 Les gens ont du mal à comprendre
14:53 qu'effectivement, jeter un caillou sur un CRS...
14:56 - Peut-être que les gens ont peur de la violence ?
14:59 - Je pense qu'une manière de répondre à ça,
15:01 c'est de voir à quoi ça sert.
15:03 D'une certaine manière,
15:05 si vous prenez Notre-Dame-des-Landes,
15:07 il y avait eu de la violence.
15:09 Ça évitait une bêtise énorme que d'aller construire
15:12 un aéroport, une infrastructure démodée.
15:14 - Dans l'histoire des mouvements sociaux,
15:17 certains assument une part de violence,
15:19 dans une dialectique que vous venez d'évoquer,
15:22 parce que la violence permet,
15:25 pour certains théoriciens révolutionnaires,
15:28 d'atteindre des buts.
15:29 D'autres considèrent que cette violence
15:32 est purement réactionnelle.
15:34 - Non, je pense qu'il faut se méfier
15:36 du piège tendu par l'Etat
15:40 sur cette affaire de violence.
15:42 Là-dessus, c'est Jaurès qui expliquait bien ça.
15:45 La question du sabotage s'est posée depuis longtemps.
15:48 Ça a été un mouvement envisagé par le mouvement socialiste
15:52 à la fin du XIXe siècle,
15:53 en particulier par Pouget.
15:56 La doctrine de Jaurès, c'était de dire
15:59 que le sabotage peut être utile,
16:02 mais globalement,
16:04 soit ça reste des choses pas très graves,
16:06 ça n'a pas d'effet sur les décisions structurelles,
16:10 soit ça devient des choses graves,
16:12 et ça alienne la société au mouvement.
16:14 Je pense qu'on peut écouter ces réflexions de Jean Jaurès.
16:18 - C'est vrai, Léna Lazare,
16:19 beaucoup de gens plus âgés que vous
16:22 ont regardé ces images de Sainte-Solide
16:24 en se disant qu'il y a vraiment un ensauvagement,
16:28 ces militants nous font peur.
16:30 - Je pense qu'il y a un récit qui est fait
16:34 pour qu'on pense ça,
16:36 pour qu'on pense ça des manifestants contre la réforme des retraites.
16:40 - Pourtant, les deux choses sont distinctes
16:43 dans le sens où les opérations de désarmement que vous faites...
16:48 Il y a la question écologique et la question économique.
16:52 - Je parle des affrontements...
16:54 C'est surtout ça qui a fait parler à Sainte-Solide.
16:58 Par contre, je préfère revenir à la question du sabotage,
17:01 qu'on appelle désarmement.
17:03 C'est intéressant de donner ces références historiques,
17:06 mais qui me semblent être de la propagande par le fait des anarchistes.
17:10 On est dans quelque chose de différent.
17:13 On peut reparler du sabotage,
17:14 parce que c'était les sabots que mettaient les ouvriers
17:17 lors des grèves, etc.
17:19 C'est un mode d'action, le sabotage ou le désarmement,
17:22 qui a été utilisé dans les luttes écologistes.
17:25 Ce qui est intéressant, c'est que les soulèvements de la terre,
17:28 on s'est dit que c'était fait le soir par quelques personnes
17:32 qui, masquées, vont détruire un tractopelle.
17:34 Mais nous, c'est des gestes qu'on fait à plusieurs milliers de personnes
17:38 car on est légitime à les faire.
17:40 -On retrouve dans quelques instants Jean-Baptiste Fressoz,
17:44 "Les révoltes du ciel aux éditions du Seuil",
17:46 l'ENA-Lazare, ce livre.
17:48 On ne dit pas "un soulèvement",
17:50 c'est "aux éditions du Seuil", 8h sur France Culture.
17:53 S'engager dans l'écologie.
17:59 Nous sommes en compagnie de l'historien des sciences
18:02 et des techniques, Jean-Baptiste Fressoz.
18:04 On vous doit "Les révoltes du ciel aux éditions du Seuil".
18:08 On vous doit Lucille Schmitt, politique et essayiste,
18:11 cofondatrice de la Fondation La Fabrique écologique.
18:14 Nous sommes en compagnie de la militante
18:16 aux soulèvements de la terre, l'ENA-Lazare,
18:19 qui publie avec 40 voix.
18:23 On ne dit pas "un soulèvement aux éditions du Seuil".
18:27 Dans le billet politique de mon camarade Jean Lémarie,
18:30 il était question de transformer l'Assemblée en ZAD.
18:33 Vous faites l'inverse, transformer la ZAD en Assemblée.
18:37 C'était une citation initiale de la secrétaire nationale
18:40 d'Europe écologie des verts, Marine Tondelier.
18:43 Pourquoi ne pas s'engager dans les partis classiques, l'ENA-Lazare ?
18:47 Il y a un parti écologiste, après tout.
18:51 Qu'est-ce qui vous rapproche, vous éloigne de ce parti ?
18:55 -Tout simplement, c'est un choix, je pense, très personnel.
19:00 Je pense qu'on a besoin de forces d'opposition dans ce pays.
19:04 Après, j'ai décidé de faire pression sur les institutions en général
19:09 et aussi sur les partis de gauche, qui ont aussi besoin
19:12 qu'il y ait des forces extérieures
19:14 pour les pousser à porter certaines idées.
19:18 Et donc voilà, moi, mon activisme,
19:21 il se trouve dans ces formes d'action collective
19:24 et d'action de désobéissance civile.
19:26 -Jadis, vous n'étiez pas née,
19:28 mais on faisait de l'entrisme, par exemple,
19:31 dans certains partis, pour les faire bouger.
19:33 Vous pourriez faire ça, vous ou d'autres militants,
19:36 vous ne pouvez pas tout faire, mais ce pourrait être une stratégie.
19:40 -Je pense que des militants le font.
19:42 Au final, dans tous les partis de gauche,
19:45 il y a plusieurs lignes.
19:47 Et donc, il y a des militants qui choisissent cette voie-là.
19:51 -Mais est-ce que vous êtes parmi ceux
19:56 qui désespèrent de la politique, qui n'en espèrent plus rien ?
19:59 Est-ce que votre engagement associatif
20:01 n'est pas exclusif d'un engagement politique ?
20:04 -Je pense que...
20:06 Pour moi, la voie politique institutionnelle,
20:09 elle est bouchée.
20:11 Lorsqu'on gagne des grandes victoires,
20:13 c'est parce qu'il y a des parlementaires d'opposition
20:16 qui portent nos idées, les moratoires contre les mégabassines...
20:19 -La Clusaz, par exemple, c'est la loi, le droit
20:23 qui a donné raison aux militants écologistes.
20:26 -Oui, on a besoin d'une complémentarité des tactiques,
20:29 des parlementaires d'opposition qui portent des idées
20:32 à la hauteur des enjeux.
20:34 On a besoin de faire des recours en justice
20:36 pour retarder un projet, voire l'annuler.
20:39 Et on a besoin aussi, beaucoup, de faire pression
20:41 en étant massivement rassemblés
20:43 contre des projets, contre des lois écocidaires.
20:46 Et on a aussi besoin de porter des actions impactantes
20:49 directement contre les infrastructures du désastre.
20:52 C'est ce qu'on revendique avec les soulèvements de la terre.
20:55 -Où est votre principale différence,
20:58 aujourd'hui, avec ces parties institutionnelles
21:00 ou institutionnalisées ?
21:02 C'est sur les idées, sur le projet, ou sur les modes d'action ?
21:05 -Euh...
21:06 C'est sur les modes d'action,
21:10 mais c'est vrai que, moi, je ne pense pas
21:13 que c'est principalement la voie politique institutionnelle
21:18 qui va nous permettre de gagner.
21:20 Je pense que les grandes victoires dans la société
21:23 s'obtiennent sur le terrain par les mouvements sociaux.
21:26 C'est un programme qui a été obtenu
21:28 parce qu'il y avait des manifestations massives,
21:31 mais aussi, d'ailleurs, c'est intéressant,
21:33 des actions de sabotage.
21:35 Le mouvement pour les droits civiques, c'est pareil.
21:38 Ces grands changements de société, je sais qu'ils viennent
21:41 surtout d'actions sur les terrains
21:43 qui portent une certaine radicalité.
21:45 -Lucille Schmitt, vous qui analysez l'écologie politique
21:48 depuis quelque temps, quel regard portez-vous ?
21:51 Est-ce que ça marque une inflexion ?
21:53 Est-ce que c'est un signe de la méfiance des écologistes
21:56 vis-à-vis du combat politique ? -Il y a plusieurs choses.
22:00 On peut toujours dire qu'il y a eu de l'entrisme,
22:02 mais là, c'est l'urgence écologique.
22:04 On est dans une situation particulière
22:07 où on nous dit qu'on grille déjà
22:08 et qu'on va griller de plus en plus sur pied d'ici 2100.
22:12 Cette question d'urgence modifie la relation à l'action.
22:16 Elle modifie aussi la relation aux institutions
22:19 et la responsabilité des institutions.
22:21 Le sujet, c'est plutôt pourquoi les institutions sont inertes.
22:24 Ca me semble être la principale question,
22:27 la question paradigmatique. -Sont-elles inertes ?
22:30 -Je pense qu'elles sont largement inertes par rapport à l'urgence.
22:33 -Chaque jour, on fait des annonces. -On fait des annonces et des lois.
22:37 Mais le sujet, c'est que ni la loi ni les annonces
22:40 ne modifient le système économique et social.
22:43 La différence que j'aurais avec vous,
22:45 enfin, une différence, je dirais... -Avec Lena Lazar.
22:48 -Avec Lena Lazar, c'est que dans les combats,
22:51 les luttes menées pour les droits des femmes,
22:53 ça a provoqué des changements systémiques,
22:56 mais là, le sujet, c'est qu'il faut changer l'économie,
22:59 avoir de la justice sociale et créer les conditions
23:02 pour que le respect de la nature et des limites planétaires
23:05 soit inscrit dans nos lois, dans notre ordre juridique
23:08 et démocratique.
23:10 Donc, à partir de là, effectivement, il faut agir de toute part
23:13 et certainement pas, comment dirais-je,
23:16 opposer les écologistes entre eux,
23:18 parce que ça, c'est quand même une tentation permanente,
23:21 et que les écologistes sachent trouver l'unité d'un projet
23:25 et d'une méthode.
23:26 C'est-à-dire qu'on voit bien que le sujet de la division,
23:29 il peut être instrumentalisé par les adversaires de l'écologie,
23:33 mais il peut aussi traverser les écologistes entre eux,
23:36 "tu n'es pas assez radical, tu n'es pas assez vert",
23:39 alors qu'on est dans une situation d'urgence telle
23:42 que les mobilisations doivent être complémentaires.
23:45 -Je pourrais vous retourner la question Lucie Schmitt
23:48 et dire que finalement, il ne faut pas diviser les bonnes volontés.
23:52 Peut-être que Christophe Béchu, ministre de l'Écologie,
23:55 est plein de bonnes volontés et qu'il n'a pas l'air d'être d'accord.
23:59 -La question, c'est pas d'avoir des phrases creuses.
24:02 Le principal sujet dans lequel on se trouve sur le plan politique,
24:06 c'est que tous les mots sont dévoyés,
24:08 c'est-à-dire que tout le monde se dit radical
24:11 et que, par ailleurs, nous voyons bien que nous courons à la catastrophe.
24:15 Comment est-ce qu'on fait pour remplir les mots écologiques
24:18 et politiques et d'un passage à l'acte ?
24:20 C'est le principal sujet et ça explique bien des soulèvements.
24:24 -Jean-Baptiste Frissos. -Quand vous dites que l'Etat évolue,
24:28 en fait, non, l'Etat reste une des sources essentielles du problème.
24:31 Les méga-bassines dont on parle sont financées avec nos impôts.
24:35 Pour l'essentiel, à 70 %,
24:37 ces infrastructures sont financées par des subventions publiques.
24:41 Donc, déjà, arriver à faire en sorte que l'Etat arrête de nuire,
24:44 ce serait un grand succès.
24:46 C'est pour ça que...
24:48 -Non, mais quand je parlais des décisions,
24:50 il y a, par exemple,
24:51 vous allez peut-être trouver que c'est un petit geste,
24:55 mais chaque jour, aux informations,
24:57 on explique qu'il y a des nouvelles mesures, des nouvelles lois.
25:00 Hier, c'était l'abandon des chaudières à gaz.
25:03 -Heureusement, je ne dis pas...
25:05 -Vous pouvez juger que c'est insuffisant, voire inutile.
25:08 -Il n'y a pas un Etat qui ferait une seule chose.
25:11 À l'intérieur de l'Etat, il y a aussi des dissensus.
25:14 Je ne sais pas si Matignon est complètement raccord
25:17 sur tout un tas de sujets, en ce moment.
25:20 C'est intéressant.
25:21 Mais ce qui est important,
25:22 c'est qu'à côté, on a la planification écologique.
25:25 On entend maintenant des hauts responsables dire
25:28 qu'il faut économiser de millions de tonnes de CO2.
25:31 C'est nouveau qu'on parle en tonnes.
25:33 Mais à côté de ça, il y a, je ne sais pas,
25:36 la route, l'autoroute Castre-Toulouse.
25:39 On va dépenser des millions,
25:40 des centaines de millions d'euros,
25:43 pour que, je crois que c'est 20 minutes économisés,
25:46 on peut coûter 20 euros, le péage.
25:48 En même temps, on a encore des politiques hyper ringardes,
25:51 des contournements routiers à Rouen, etc.
25:53 De partout, on construit, de partout, on bétonnise.
25:56 Dès qu'il y a un problème,
25:58 on dit qu'il y a une crise du logement,
26:00 on va encore bétonniser.
26:02 On a des tendances tellement contradictoires
26:04 au sein de l'Etat, que c'est important
26:07 qu'il y ait des mouvements qui luttent.
26:09 Ils rendent service, ces mouvements.
26:11 Ils évitent des bêtises.
26:12 -Nina Rezard ? -C'est vrai que...
26:15 -Vous vivez comme ça, d'utilité publique ?
26:17 -De quoi ?
26:18 -Par rapport à ce que vient de dire Jean-Baptiste Ressos.
26:21 Vous vivez comme d'utilité publique.
26:23 -Oui, c'est sûr.
26:25 C'est vrai que les petites avancées du gouvernement,
26:28 moi, j'ai même pas envie d'en parler,
26:30 dans le sens où, même ce qu'on s'était engagé
26:33 pour l'accord de Paris, on ne le respecte pas.
26:35 L'Etat a été condamné plusieurs fois
26:37 pour une action climatique.
26:39 Pour moi, c'est du greenwashing.
26:41 On dit qu'on a fait quand même un petit peu,
26:44 tout en décorrélant, en plus,
26:46 ces petits gestes écologistes du gouvernement,
26:50 d'une politique globale néolibérale qui est destructrice.
26:53 -Je veux quand même revenir à la charge là-dessus.
26:56 Ca représente, pour les ménages,
26:58 quand on dit à quelqu'un d'abandonner sa voiture
27:01 et d'en changer, ces choses-là,
27:03 ce ne sont pas seulement de petits gestes,
27:05 ce sont aussi de grandes dépenses
27:07 pour des personnes qui ont parfois des budgets restreints.
27:11 -C'est pour ça que, en tout cas,
27:13 si on va vers une société écologique,
27:15 elle doit être juste.
27:16 Ce qui s'est passé avec les Gilets jaunes,
27:18 ça a bien montré que, forcément,
27:20 quand on a une vision de l'écologie libérale
27:23 comme le gouvernement, qu'on veut tout faire peser
27:26 sur les individus et pas sur les entreprises,
27:28 les gens ont l'impression que l'écologie...
27:31 Il faut avoir de l'argent, ça demande beaucoup d'efforts.
27:34 On va devoir changer nos modes de vie,
27:36 mais il faut rappeler que la majorité
27:38 des émissions de gaz à effet de serre
27:41 sont reliées aux individus.
27:42 Si j'étais une écologiste parfaite,
27:44 je ne pourrais diminuer que de 25 % mon empreinte carbone.
27:48 Et donc, ça montre que l'action, au niveau de l'Etat,
27:51 c'est de contraindre les entreprises fortement.
27:53 -Lucie de Schmid ?
27:55 -Oui, je voulais revenir sur ce qu'on vient de dire sur l'Etat.
27:58 J'ai lu le livre "On ne dissout pas un soulèvement",
28:01 que je trouve extrêmement intéressant
28:03 et très poétique par moments.
28:05 Il y a un texte de Damasio, remarquable,
28:08 mais aussi sur l'écoféministe, Virginie Meiris, etc.
28:11 C'est magnifique.
28:12 Mais il y a, me semble-t-il, une limite dans le livre,
28:15 c'est de penser l'Etat écologique.
28:17 On sait que dans les procès climatiques
28:19 qui ont été faits à l'Etat,
28:21 l'idée, c'était qu'il faudrait un autre Etat.
28:24 Et je pense que faire l'impasse sur ce que devrait être l'Etat,
28:27 s'il respectait l'accord de Paris,
28:29 parce que c'est le système diplomatique français
28:32 qui a été très actif pour faire signer cet accord,
28:35 on voit qu'il y a une sorte de tension,
28:37 comme le disait Jean-Baptiste Fresso,
28:40 au sein des institutions,
28:41 que ce soit le Haut conseil pour le climat,
28:44 la Convention citoyenne.
28:45 Il n'y a pas un Etat, il n'y a pas qu'un Etat sécuritaire.
28:49 Certains voudraient nous le faire croire,
28:52 et je ne les définis pas aujourd'hui.
28:54 C'est très drôle de lire le texte de Damasio là-dessus.
28:57 Mais donc, tout le sujet, c'est de savoir
29:00 comment un Etat écologique pourrait exister,
29:02 et comment il pourrait exister à très court terme.
29:05 En ce sens, les politiques qui sont menées aujourd'hui,
29:09 ne sont pas suffisantes.
29:10 Lorsqu'on prend des lois et des dispositions écologiques,
29:13 leur mise en oeuvre pose d'importants problèmes,
29:16 comme le zéro artificialisation net sur les sols.
29:20 On voit bien qu'il y a une sorte d'écologie qui tombe du ciel,
29:23 qui n'arrive pas à se mettre en pratique,
29:25 parce qu'elle se heurte à des intérêts puissants,
29:28 à des enjeux économiques puissants...
29:30 - Intérêts puissants, mais aussi...
29:33 Quand vous parlez de l'artificialisation...
29:35 L'artificialisation des terres, zéro...
29:38 - Le zéro artificialisation net.
29:40 - Cette question-là, par exemple,
29:42 elle doit s'articuler avec un autre problème,
29:45 la crise du logement, et ainsi de suite.
29:47 - Avec la promotion immobilière.
29:49 Donc, il y a les deux.
29:50 On voit bien que notre organisation économique et sociale
29:54 articule l'économie, des intérêts puissants, souvent,
29:57 et les enjeux d'emploi, les enjeux d'inégalité, etc.
30:00 Donc, c'est toute la question.
30:02 Comment les enjeux écologiques prennent place
30:05 dans des politiques qui ne sont pas faites pour eux ?
30:08 C'est un immense chantier qui doit être mené
30:10 de manière résolue par des fonctionnaires.
30:13 Dans le livre, il y a une critique sur les hauts fonctionnaires,
30:17 serviles, etc. Il y en a qui sont pas serviles.
30:19 Il y en a qui ont envie aussi
30:21 que les choses existent dans les institutions.
30:24 Tout ce combat contre des institutions
30:26 qui nient la promesse qu'elles ont faite avec l'accord de Paris,
30:30 il faut le mener de l'intérieur.
30:32 - Jean-Baptiste Fréseau.
30:33 Je comprends quand même...
30:35 Enfin, dans ce livre, il y a...
30:37 Tellement de... Enfin...
30:39 Je comprends le sous-texte un peu anti-étatiste,
30:41 sachant que l'Etat s'est construit comme un État développementaliste
30:45 dans les domaines agricoles.
30:47 C'est l'Etat qui a encouragé le remembrement,
30:50 qui a fait qu'on a arrasé les bocages,
30:52 qu'on a des problèmes, l'eau ruisselle,
30:54 qu'on a des sécheresses, etc.
30:56 Donc, c'est normal qu'on désigne à un moment
30:59 l'Etat comme ennemi sur ce genre de lutte-là.
31:02 - C'est un ennemi assez abstrait dans ces contextes-là.
31:05 On pourrait très bien désigner comme ennemi
31:07 les politiques. - Le gouvernement.
31:09 - On peut aussi faire ça.
31:11 Il faut bien voir l'énorme changement de cap qu'il faut donner.
31:14 Ce livre, il est important pour ça.
31:17 Il désigne aussi des responsables.
31:19 Donc, c'est pour ça que je trouve que...
31:22 Qu'ils disent qu'ils réfléchissent pas à l'Etat,
31:25 ils font pas... Ce livre, il est pas là pour ça.
31:28 Il montre que les soulèvements de la terre,
31:30 c'est pas un truc d'éco-terroriste.
31:32 Il y a 30 personnes sérieuses et raisonnables qui en parlent.
31:35 Florence Abetz, hydro-géologue au CNRS,
31:38 je crois pas que ça soit un éco-terroriste.
31:40 Je vous explique à quel point c'est irrationnel,
31:43 cette affaire de méga-bassines,
31:45 que ça nous amène à la situation californienne, espagnole, chilienne,
31:48 où on a une course à la puissance, à pomper de plus en plus d'eau.
31:52 Parce qu'en gros, ceux qui peuvent récupérer l'eau,
31:55 c'est ceux qui ont les moyens de s'équiper en méga-bassines.
31:58 - Un mécanisme irrationnel pour le tirer en avant.
32:02 - On sait vers quoi on s'achemine.
32:04 En Espagne, les méga-bassines sont à moitié vides,
32:07 on ne peut plus les remplir.
32:08 Le sud-ouest de la France sera dans l'expression espagnole
32:11 dans quelques années.
32:12 - Léna Lazar.
32:14 - Oui.
32:15 C'est intéressant de revenir à cette notion d'éco-terrorisme.
32:19 C'est vrai qu'il y a un message que j'avais envie de porter,
32:22 parce que je suis assez inquiète.
32:24 Il y a eu la plus grosse opération menée par les services antiterroristes
32:29 envers des militants écologistes,
32:31 qui ont désarmé une usine Lafarge en décembre dernier.
32:34 C'est une action qu'on avait relayée via les soulèvements de la terre,
32:38 puisqu'on l'avait trouvée salutaire.
32:40 Et là, ces personnes sont soumises aux directives antiterroristes,
32:44 elles peuvent rester jusqu'à 96 heures en garde à vue.
32:47 C'est là qu'on voit que ce discours d'éco-terrorisme
32:50 peut paraître ridicule.
32:52 On se dit que Darmanin exagère sur ça.
32:56 Mais en plus de dire qu'on ne débat pas avec les éco-terroristes
33:00 et de nous sortir de ce groupe de personnes
33:04 qui pourraient être respectables, avec qui on pourrait discuter,
33:08 on voit que ce discours sert une politique répressive,
33:11 ce qui fait que ça va être de plus en plus compliqué
33:14 pour nous de mener ces actions.
33:16 - Lucien Schmitt.
33:17 - Sur cette question de l'Etat,
33:19 c'est intéressant qu'on ait une discussion là-dessus.
33:22 J'ai un passé de haut fonctionnaire, que j'assume tout à fait.
33:26 Je pense que c'est un point fondamental.
33:29 En France, sur l'Etat, il y a un imaginaire
33:32 et une puissance de l'Etat qu'il n'y a pas dans d'autres pays.
33:35 On n'est pas un Etat fédéral.
33:37 Le fait d'investir l'Etat,
33:39 je comprends ce que dit Jean-Baptiste Fressoz,
33:41 il faut non seulement faire du 180 degrés,
33:44 mais cette question de comment on n'arrive pas à le penser
33:47 et comment c'est le point nodal de la difficulté à faire écologie,
33:51 c'est un point qui nous renvoie à une responsabilité collective.
33:54 Et puis, si on définit seulement l'Etat de façon trop sécuritaire,
33:58 on risque, du côté des mouvements écologistes, activistes,
34:01 d'être réduit à l'idée de la violence non-violence.
34:04 C'est un sujet qui a été agité.
34:07 On sait qu'il est important dans votre mouvement,
34:10 le débat autour des méthodes,
34:11 sur la question de comment on réplique à la violence d'Etat.
34:15 Donc, cette question de réduire l'Etat au sécuritaire,
34:18 ça peut amener à caricaturer les mouvements activistes.
34:21 Et d'autre part, ça implique
34:23 une espèce de limite sur la pensée écologique dans les institutions
34:27 qui pose un problème quand il s'agit de mettre en pratique les choses.
34:30 -Il y a la question étatique et la question démocratique.
34:33 Lena Lazar est, parmi les Français,
34:37 certains Français, peut-être les plus vieux,
34:40 ma classe d'âge,
34:41 on voit ces jeunes qui font toute une série d'actions
34:46 et on se dit, finalement,
34:47 ils veulent nous priver de la liberté au prix de leur lutte écologique.
34:52 Qu'en pensez-vous, vous,
34:54 faites partie du soulèvement de la terre et qui êtes jeunes ?
34:57 -Ce qui est intéressant, c'est que les soulèvements de la terre,
35:01 on se mobilise contre des projets polluants et imposés.
35:04 Et pourquoi ces luttes émergent ?
35:06 Il y a une enquête sociologique qui a été faite
35:08 et les gens disent principalement,
35:10 "Pourquoi est-ce que je rejoins un collectif
35:13 "contre ce projet polluant ?"
35:14 C'est parce qu'il y avait un réel déni de démocratie.
35:17 Et le souci, c'est qu'on se retrouve avec des simulacres de démocratie,
35:22 que sont les enquêtes publiques, etc.,
35:24 où on demande leur avis aux gens,
35:26 comme dans le cadre de la Convention citoyenne pour le climat,
35:29 et où, au final, on voit que les décisions sont prises à côté
35:33 et que l'avis des personnes,
35:34 même lorsque 80 % de la population est contre un projet d'autoroute,
35:38 le projet d'autoroute passe.
35:39 Cette question de la démocratie,
35:41 pour moi, est au centre de la lutte écologiste
35:44 et que nous, on aspire à plus de démocratie.
35:46 Et c'est vrai que moi, je fais partie de ces jeunes militants écolo
35:50 qui sont très inspirés par la pensée de Murray Bookchin,
35:53 par le municipalisme, et on se dit...
35:55 -Il faut le présenter en quelques mots.
35:58 -Murray Bookchin, c'est un penseur écologiste
36:00 qui a théorisé le municipalisme libertaire.
36:03 Donc, voilà, l'idée, c'est de dire
36:05 qu'on va avoir un système démocratique confédéraliste
36:10 où l'échelon local a beaucoup plus d'importance.
36:14 Avec des systèmes d'assemblée populaire,
36:16 c'est ce qui a notamment inspiré
36:19 les instances démocratiques au Rojava.
36:23 Même si c'est un territoire qui est en guerre, etc.,
36:26 c'est compliqué comme exemple.
36:28 Il faut redonner du pouvoir au local et aux habitants.
36:32 -Jean-Baptiste Fressoz.
36:33 Ce qui me semble clé dans cette histoire de mégabassine,
36:36 le début de Stéphane Souleymane Latertre,
36:39 c'est la question de l'adaptation.
36:41 En gros, c'est la stratégie qui a été,
36:43 historiquement, on peut le documenter,
36:45 choisie d'une certaine manière,
36:47 d'abord par les Etats-Unis, qui ont pensé tout ça
36:50 dès le milieu des années 70.
36:52 Il y a des rapports sur le changement climatique.
36:54 On ne peut pas y faire grand-chose.
36:56 La question, c'est comment on s'adapte.
36:58 La question des mégabassines
37:00 est en train de politiser cette question-là,
37:03 qui est encore sous-équipée.
37:04 Déjà, on ne nous a pas trop laissé...
37:07 Il est débile de dire ça,
37:08 mais il n'y a pas eu un débat démocratique
37:10 dans les années 80, quand on dit
37:12 que le changement climatique ne peut pas y faire grand-chose.
37:16 On ne peut pas y faire grand-chose,
37:17 donc il va falloir s'adapter.
37:19 C'est économiquement rationnel.
37:21 On n'a pas dépatu de ça dans les années 80.
37:23 C'est ce qui s'est passé.
37:25 On a fait le choix "économiquement rationnel".
37:27 Résultat, à New York, on voit ce qui se passe.
37:30 Il y a plein de choses qui n'avaient pas été prévues,
37:33 par les experts, par William Nordhaus et d'autres.
37:35 Maintenant, on débatte de l'adaptation.
37:38 L'adaptation, dans les années 80,
37:40 c'était penser comme il faut rendre les gens résilients, flexibles.
37:44 C'était déjà pensé comme ça.
37:45 En 80, il y a un rapport en disant que la solution,
37:48 s'il y a du réchauffement, c'est de faire des méga-bassines
37:51 avec des droits de pompage aux enchères.
37:53 C'est ce qui s'est passé en Californie.
37:56 Est-ce qu'on a envie d'avoir la même chose en France en 2020 ?
37:59 On hérite de cette histoire, on a besoin d'en discuter sérieusement.
38:03 Il faudrait que le gouvernement le fasse rationnellement.
38:06 Le ministère de l'Agriculture est complètement inféodé à la FNSEA.
38:09 C'est le coeur du problème.
38:11 On n'a pas de contre-pouvoir.
38:13 C'est pour ça que les soulèvements de la terre,
38:16 c'est clé pour faire progresser les politiques publiques.
38:19 - Lucie de Schmitt, je crains que ce soit la conclusion.
38:22 - Juste une réaction pour dire que ce qui est intéressant dans ce livre,
38:26 c'est qu'il y a des scientifiques en rébellion,
38:28 il y a une hédro-géologue qui s'exprime.
38:31 On voit bien que les expertises...
38:33 On parle de plus en plus du lien entre recherche et décision publique.
38:36 Mais on voit que la plupart du temps,
38:39 quand on ennuie la décision publique déjà prise,
38:41 la recherche n'est pas respectée.
38:43 Ca conduit, ça augmente ce que disait Léna Lazar
38:46 sur la question du déni démocratique.
38:48 Chantal Jouannot, qui n'est pas une dangereuse gauchiste,
38:52 au moment où elle a quitté la présidence
38:54 de la Commission nationale du débat public,
38:56 a fait un texte pour la Fabrique écologique
38:59 très alarmiste sur la façon dont les procédures
39:02 dites démocratiques de débat public sont de plus en plus ligotées.
39:05 Le sujet, c'est une asymétrie fondamentale
39:08 entre la recherche publique et l'interrogation des citoyens.
39:11 Comment supprimer cette asymétrie ?
39:13 La démocratie, c'est pas le bazar,
39:15 mais la démocratie sert de respecter l'avis des citoyens.
39:19 On a parlé des retraites à un moment, plusieurs fois,
39:22 pendant ce journal.
39:23 La question, c'est ce sentiment d'asymétrie
39:25 qui progresse entre citoyens et institutions.
39:28 Ca peut miner profondément la démocratie
39:31 et entraîner, me semble-t-il,
39:32 des formes d'action qui dérangeront le cours démocratique de nos vies.
39:36 Léna Lazar, vous avez le dernier mot, la conclusion.
39:40 Oui. Il se trouve que je coordonne une action ce week-end
39:43 contre les carrières Lafarge,
39:46 notamment au sud de Nantes, à Saint-Colomban.
39:49 Du coup, j'invite tout le monde, dimanche 11 juin, à 9h...
39:53 Pourquoi ? Et qu'est-ce que vous souhaitez faire ?
39:56 Qu'est-ce que Lafarge fait qui ne vous plaît pas ?
40:00 Lafarge, c'est une entreprise dont on pourrait beaucoup parler...
40:06 - On a peu de temps. - Oui, pardon.
40:08 Il y a des carrières de sable au sud de Saint-Colomban
40:12 qui sont en train de...
40:13 Au sud de Nantes, qui sont en train de s'étendre
40:16 pour alimenter la bétonisation de la métropole.
40:20 - Et qui ravagent des terres agricoles. - Est-ce qu'ils respectent la loi ?
40:24 Pour le coup, ils respectent la loi,
40:27 mais les habitants sont fortement opposés.
40:30 Et ça nous semble...
40:32 Ça nous semble juste de limiter l'artificialisation des terres.
40:36 C'est pour ça qu'on va se mobiliser ce dimanche,
40:40 à 9h, à Saint-Colomban, pour faire des actions de désobéissance civile.
40:44 Vous l'avez dit, on ne dissout pas un soulèvement.
40:47 40 voix pour les soulèvements de la terre aux éditions du Seuil.
40:51 Jean-Baptiste Fressoz, "Les révolts du ciel,
40:53 "une histoire du changement climatique, 15e, 20e siècle",
40:57 aux éditions du Seuil également.
40:59 Lucide Schmitt dans quelques secondes le point sur l'actualité.

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