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L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 25 Mai 2023)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr

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Transcription
00:00 *Musique*
00:04 Les Matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:06 Qu'est-ce qu'un grand écrivain aujourd'hui en France en 2023 ?
00:10 Si on demande un peu partout dans le monde qui incarne aujourd'hui le grand écrivain français,
00:15 la réponse serait Michel Houellebecq.
00:18 Et ce même Michel Houellebecq publie un petit livre de 103 pages, quelques mois dans ma vie,
00:25 aux éditions Flammarion.
00:27 Dans ce livre, il évoque par exemple la dégradation, je cite,
00:30 de son image dans l'univers médiatique français.
00:34 « Mes ennemis traditionnels, préalablement stimulés par la reprise du dossier islamophobie,
00:40 puis émoustillés par le nouveau dossier porno, s'ébrouèrent avec enthousiasme », écrit Michel Houellebecq.
00:47 Il écrit que ses relations avec la gauche se sont encore détériorées parce que, dit-il,
00:52 « quelques ouvrages après d'autres étaient même parus dénonçant ma collusion avec l'extrême droite ».
00:58 Et je pense que parmi ces ouvrages, peut-être même l'ouvrage qui a dénoncé
01:03 les collusions de Michel Houellebecq avec l'extrême droite, c'est le vôtre.
01:06 François Krug, bonjour.
01:07 Bonjour.
01:08 Vous êtes journaliste et vous avez donc publié « Réactions françaises » aux éditions du Seuil,
01:13 où vous expliquez donc que Michel Houellebecq a été à l'origine,
01:19 et dans sa genèse même, d'écrivain proche de l'extrême droite et de l'action française.
01:26 À côté de vous, Elisabeth Philippe, bonjour.
01:28 Bonjour.
01:29 Vous êtes critique littéraire à l'Obs.
01:30 Alors ce petit livre, « Quelques mois dans ma vie », que contient-il ?
01:34 Quel regard portez-vous sur ce livre ?
01:37 Pour Michel Houellebecq, il le dit dans ce livre, il espère que ce sera pour lui un exorcisme.
01:42 Et il revient en fait dans ses 103-104 pages, très ramassées, sur deux événements, dit-il,
01:48 qui lui ont pourri la vie, à cause desquels il a vécu un enfer.
01:51 Il ne va pas avec le dos de la cuillère, on a vraiment l'impression que c'est l'ordalie
01:54 par laquelle il est passé ces derniers mois.
01:58 Donc le premier de ces événements, c'est l'entretien qu'il a accordé à Michel Onfray
02:01 dans le hors-série de la revue Front populaire.
02:04 Entretien dont des propos ont été extrêmement repris pour leur violence,
02:08 dans la tonalité très islamophobe, dans lequel il parlait notamment de risque de Bataclan à l'envers,
02:15 donc d'attentat contre des mosquées, et dans lequel également il disait qu'en gros les Français de souche
02:21 attendaient simplement que les musulmans s'assimilent et arrêtent de voler, enfin je cite de mémoire.
02:26 Oui, c'est-à-dire qu'il y avait un signe d'équivalence entre l'islam et la délinquance,
02:32 qui était lâché comme cela de manière complètement bourrofière.
02:37 Exactement, et ses propos lui ont valu des menaces de poursuite de la part de la Grande Mosquée,
02:42 et une poursuite aussi, je crois, une plainte de la part de l'Union des Mosquées de France.
02:46 Il a demandé à la suite de cela, il a essayé de faire un mandat honorable,
02:49 il a donné des entretiens pour dire qu'il revenait sur ses propos,
02:53 et il a surtout demandé à Michel Onfray de retirer le hors-série de la vente,
02:58 ou en tout cas de le remettre en vente avec les corrections qu'il voulait apporter.
03:01 Michel Onfray l'a refusé, donc ça c'est le premier élément du livre, c'est ça.
03:06 Il fait un léger mea culpa, alors tous les médias qui ont parlé du livre ont parlé du mea culpa,
03:11 de la demande de pardon de Michel Houellebecq,
03:12 et encore hier à la Grande Librairie chez Augustin Trappenard,
03:15 il disait qu'il espérait avec ce livre obtenir le pardon,
03:18 mais l'acte de contrition ne fait que quelques lignes.
03:21 Le livre consiste surtout à se présenter en victime,
03:25 s'il l'osait, mais il n'a quand même pas l'audace de le faire, il pourrait écrire "Me too",
03:29 parce que le gros de ce livre revient sur cette histoire absolument scabreuse et grotesque
03:34 de film pornographique dans lequel il aurait joué, excusez-moi l'expression, l'insu de son plein gré.
03:39 Donc il aurait été piégé par un vidéaste néerlandais
03:42 qui n'a pas l'air d'être la personne la plus honnête du monde,
03:45 un certain Stéphane Rutenbeck, je crois, peut-être que j'écorche son nom.
03:49 - Qui il désigne, je crois, sous un autre terme.
03:52 - Alors oui, c'est ce qui fait la grande valeur littéraire de ce livre,
03:55 qui a un côté fable de La Fontaine, puisqu'il décrit chaque acteur de cette farce pornographique
04:02 par des noms non pas d'oiseaux mais d'animaux,
04:04 donc le vidéaste en question est baptisé "Le Cafard",
04:08 et évidemment avec ce petit côté misogyne qui fait tout le charme de la prose de Houellebecq,
04:13 les femmes sont désignées par des noms comme "La Truie", "La Dinde" ou "La Vachasse".
04:17 Et pour résumer l'affaire très rapidement, il le dit,
04:21 flatté dans sa vanité d'auteur par la proposition qui lui a été faite
04:25 d'avoir des rapports sexuels avec des femmes qui adorent ses livres,
04:28 et il serait filmé, il a toujours rêvé d'être filmé pendant ses ébats,
04:32 il a accepté cette proposition, sauf qu'il a signé un contrat,
04:36 il n'a pas compris que c'était rétroactif et que les images filmées qui ne lui plaisaient pas
04:41 pourraient être exploitées par le cinéaste et donc pourraient être diffusées.
04:44 Et en gros, il craint désormais que ces images sexuelles de son intimité soient diffusées sans son consentement.
04:51 - Donc en fait, il y a deux histoires dans ce livre,
04:53 une histoire privée que vous venez de raconter là,
04:57 privée qui aurait pu devenir publique puisqu'il s'agissait donc d'un film,
05:02 il s'agit toujours d'un film lequel peut être diffusé à tout moment,
05:08 et l'autre histoire qui est une histoire en revanche publique,
05:11 il s'agit d'une prise de position sur l'islam,
05:14 il se défend bien sûr de toute forme de racisme,
05:18 il le fait de manière extrêmement alambiquée,
05:22 et il ajoute par exemple, c'est l'un des passages très étonnants,
05:25 il dit que pour tenter de trouver un accord, un terrain d'entente pour atténuer ses propos auprès des musulmans,
05:35 il a eu l'aide de Chaim Corsia, le grand rabbin de France,
05:41 et il écrit "Pour des raisons que je renonce à élucider,
05:44 je me sentais prêt à accorder ma confiance qu'à un responsable de la communauté juive".
05:49 Donc on a l'impression qu'en fait, en cherchant à se défendre...
05:53 - Il aggrave son cas, oui, oui, oui,
05:55 et de la même manière, quand il tient à dire qu'il ne fait absolument pas d'équivalence entre l'islam et la délinquance,
06:01 un peu plus loin, quand il réécrit, en fait, il donne à lire ce qu'il aurait voulu dire et écrire,
06:06 c'est pas beaucoup plus clair, on sent que le lien en revanche entre étranger et délinquant, celui-ci ne nie pas.
06:13 - Alors ce qui est très étonnant, lorsqu'on reprend la carrière de Michel Houellebecq,
06:17 c'est que cet homme qui incarne donc aujourd'hui le grand écrivain, qui pourrait être classé,
06:22 on va raffiner cette notion après, mais qui pourrait être classé à droite, très à droite, du côté par exemple de Valeurs Actuelles,
06:30 même s'il a des mots pour dire qu'il se défend aujourd'hui d'être sur la même ligne que Valeurs Actuelles,
06:38 cet homme est né dans de tout autres contrées, il a été adoubé par ce qu'il y a de meilleur,
06:46 en termes donc de cercle littéraire, par exemple, sur France Culture en 1994, il a été reçu par Alain Weinstein,
06:54 c'était l'époque d'extension du domaine de la lutte, on écoute un extrait de cette interview.
07:00 - Il faut du courage pour dire la vérité.
07:08 - Surtout quand elle est désagréable pour vous aussi, c'est-à-dire quand on s'attaque en même temps,
07:18 enfin attaquer le monde, critiquer le monde, c'est facile, mais c'est pas ma position.
07:26 Et pour réussir à dire des choses en profondeur, il faut pas s'épargner.
07:40 Je sais pas si ça serait étonnable sans lecteur, je pense pas en fait,
07:47 parce que des gens, de manière parfois surprenante, viennent vous dire que c'est vrai, que c'était bien d'avoir dit ça,
07:57 donc c'est encourageant, enfin c'est nécessaire, parce qu'on est amené à dire tellement de choses désagréables,
08:08 qu'on a joué contre soi, donc des signes de compréhension sont bien agréables.
08:18 - Michel Houellebecq, il y a environ 30 ans sur France Culture, au micro d'Alain Weinstein,
08:23 "Extension du domaine de la lutte", c'est probablement le livre qui l'a fait connaître Elisabeth Philippe,
08:28 quelques mots sur la carrière de Michel Houellebecq, sa construction en tant qu'écrivain et puis peut-être aussi sa construction médiatique ?
08:36 - Oui, parce que je pense que ça va effectivement de pair.
08:38 Effectivement, il a été perçu au départ et "Extension du domaine de la lutte" ou "Les particules élémentaires"
08:43 comme un contempteur de la société libérale et capitaliste, y compris dans la façon dont elle contamine la vie intime,
08:53 et ses livres portaient sur les exclus du marché sexuel en gros.
08:57 Et c'est en cela qu'on a pu lire, je pense à juste titre, une critique de la société capitaliste.
09:02 - Et puis très vite, Michel Houellebecq est apparu, et s'est peut-être aussi façonné une image, aidé en cela par les médias, de prophète,
09:09 notamment avec un livre comme "Plateforme", dans lequel il était question d'un attentat islamiste,
09:15 très peu de temps avant les attentats à Bali, il me semble.
09:19 - Absolument.
09:20 - Et c'est là qu'il a pris cette ampleur, cette envergure et cette dimension un peu de prophète,
09:27 il est toujours présenté comme tel, c'est pour ça qu'il est très régulièrement interrogé comme un messie
09:33 qui va annoncer la vérité sur l'état du monde à venir.
09:36 Et il a eu le prix Goncourt en 2010, il me semble, pour "La carte et le territoire",
09:43 donc une forme d'institutionnalisation aussi de sa figure.
09:46 Et je pense que c'est quelqu'un de très habile avec les médias.
09:49 Là, il s'en prend très très très très violemment aux journalistes,
09:53 parce qu'en fait ce petit livre, "Quelques mois dans ma vie", c'est un tous pourri.
09:56 Il règle ses comptes, lui qui veut faire un mandat honorable et se présenter comme victime,
10:00 il accuse absolument tout le monde d'être contre lui.
10:04 - Il injurie plus le Kindergeborn d'ailleurs.
10:07 - Il injurie, absolument.
10:09 - François Krug, dans le livre que vous avez publié, "Réaction française",
10:14 vous expliquez que finalement la révélation selon laquelle Michel Houellebecq pourrait avoir des incoïtances d'extrême droite
10:22 ne révèle finalement que notre ignorance de la genèse du dit écrivain Houellebecq.
10:27 Expliquez-nous pourquoi.
10:29 - On a beaucoup parlé d'extension du domaine de la lutte,
10:31 mais ce qui est intéressant, c'est ce qui s'est passé avant 1994.
10:35 C'est-à-dire que Michel Houellebecq vient d'un milieu ou d'une scène littéraire
10:39 qui est plutôt axée à droite,
10:42 ce qu'on appelait à l'époque les néo-ussards,
10:45 par référence aux ussards Antoine Blondin, etc. des années 50.
10:48 - Donc alors les premiers ussards des années 50, et ensuite qu'est-ce qui se passe ?
10:51 - Il y a les premiers ussards des années 50,
10:54 une espèce de vide pour la littérature de droite jusqu'aux années 80,
10:58 où on sent un petit frémissement et où la critique littéraire invente l'étiquette de néo-ussard.
11:04 - Qui trouve-t-on parmi les néo-ussards ?
11:06 - Alors il y a des gens comme Éric Nehoff ou Patrick Besson,
11:09 mais surtout Marc-Edouard Nab, qui se présente lui comme un héritier de Céline,
11:16 et il prend Céline en bloc.
11:19 À la fois "Voyage au bout de la nuit" et les fameux pamphlets antisémites qui n'ont jamais été réédités.
11:24 Et c'est dans la même maison d'édition que Marc-Edouard Nab
11:29 que Michel Houellebecq publie son premier livre et ses premiers poèmes,
11:33 les éditions du Rocher, qui sont à l'époque assez marquées à droite,
11:38 qui sont un peu un repère pour prendre une étiquette un peu caricaturale d'anarche de droite,
11:44 anarchiste de droite, ce qui peut dire tout et son contraire.
11:48 Et c'est dans ce milieu-là que Michel Houellebecq fait ses débuts.
11:51 Et après, il est adoubé par la critique et la presse de gauche branchée,
11:57 il devient l'écrivain de gauche officiel puisqu'on entre dans une époque où
12:03 on s'interroge beaucoup à gauche sur le libéralisme, la pensée unique, Maastricht, voilà.
12:08 - Et alors il y a un phénomène intéressant à cette époque autour par exemple
12:12 d'un titre de presse qui est aujourd'hui complètement oublié mais qui a eu son importance,
12:17 L'Idiot international, lancé par Jean Hédernalier qui était, disons,
12:21 un publiciste, écrivain de 8ème, 9ème zone, je ne sais pas exactement où le classer,
12:26 mais en tout cas un écrivain secondaire, en revanche un agitateur intellectuel important
12:32 dans lequel on trouvait des gens comme Marc-Edouard Nab, Michel Houellebecq, d'autres personnes également.
12:39 - Oui, alors L'Idiot international, c'est ce voulait un journal d'écrivain,
12:43 c'est-à-dire que derrière les titres très tapageurs, volontiers orduriers,
12:50 on trouvait des gens comme Philippe Solaires, Gabriel Matzneff,
12:55 puisque c'était une époque où il y a encore de bons tons de se réclamer de lui.
12:59 - Très largement. - Voilà, et on trouvait des jeunes écrivains
13:02 qui trouvaient là leur première tribune, c'est-à-dire qu'on pouvait trouver Bec Bédé,
13:05 on pouvait trouver Michel Houellebecq, et les textes de Michel Houellebecq,
13:10 qui n'ont jamais été réédités, il ne s'est jamais vanté d'avoir écrit dans ce journal,
13:13 voisinés avec des textes politiques, cette fois de personnalités clairement d'extrême droite.
13:18 Je pense à quelqu'un comme Alain de Benoît, qui est toujours un des grands théoriciens de l'extrême droite,
13:23 et de ce qu'on a appelé la nouvelle droite.
13:25 - Alors "voisinés", on n'est pas contaminé par son voisin de journal.
13:30 Est-ce que ces textes étaient en soi des textes d'extrême droite, François Krug ?
13:34 - Alors, les textes de Houellebecq, non, les autres textes, oui, et au moment où Houellebecq...
13:39 Alors j'allais dire "jeune écrivain", il a une quarantaine d'années, donc il n'est pas jeune,
13:42 mais en termes de carrière, il débute.
13:46 Au moment où il décide, où il accepte d'écrire dans ce journal,
13:51 des textes totalement inoffensifs, il s'agit de revues de presse assez comiques,
13:55 l'Union Internationale est déjà, j'allais dire, sous l'œil des critiques.
14:00 Jean Hédernalie a été condamné pour des éditoriaux clairement antisémites,
14:05 au moment de la guerre du Golfe, on est en 91.
14:07 Décrivant, voilà, grosso modo, les vieux clichés antisémites
14:13 sur le pouvoir supposé des Juifs en France,
14:18 et sur cette guerre du Golfe qui aurait été imposée au reste de la planète par Israël.
14:23 Bon, c'est peut-être pas les textes de Michel Houellebecq, toujours est-il,
14:27 qui vient écrire dans ce journal, sciemment.
14:29 Et toujours est-il qu'il n'a jamais réédité ces textes-là.
14:33 Tous les autres textes de Michel Houellebecq ont été réédités, pas ceux-là.
14:36 Mais alors, on retrouve chez Michel Houellebecq,
14:39 non pas des propos antisémites, mais en revanche,
14:43 une posture provocatrice qu'il a encore, Elisabeth Philippe,
14:47 dans ce livre, "Quelques mois dans ma vie",
14:50 avec un certain nombre de thèmes dont il est certain qu'en les agitant,
14:53 il y aura des réactions.
14:55 Oui, et en fait, je pense que ce qui a brouillé la lecture du personnage Michel Houellebecq,
14:59 c'est justement l'ambiguïté qu'il a toujours cultivée
15:02 entre ses personnages dans ses romans,
15:05 très souvent misogynes, homophobes, racistes, islamophobes, et lui.
15:09 Donc il a toujours dit "non mais il y a la littérature d'un côté et moi".
15:13 Et pendant longtemps, ça a fonctionné.
15:15 - "La littérature et moi, mes personnages et moi". - "Mes personnages, oui".
15:18 - Mais c'est un romancier qui a le droit de le faire. - Absolument, absolument.
15:21 Sauf que plus il est intervenu dans l'espace public,
15:24 plus il a signé des tribunes, donné son avis sur tout,
15:27 puisque c'était aussi pour ça qu'on le sollicitait,
15:29 plus on a vu que la frontière était extrêmement mince entre ses personnages et lui-même.
15:33 Et là, c'est un texte écrit à la première personne,
15:36 c'est lui qui parle, c'est Michel Houellebecq,
15:38 et on voit très très bien qu'effectivement, les obsessions de ses personnages sont les siennes,
15:42 notamment la pornographie, la sexualité.
15:44 Il a quand même l'outrecuidance de dire qu'avec cette histoire,
15:48 cette sombre histoire de film porno,
15:49 il ressent, il comprend enfin ce que peuvent ressentir les femmes violées.
15:54 Je veux dire, c'est complètement aberrant,
15:56 tout en donnant une interview au journal du dimanche,
15:59 en disant que les femmes qui accusent Patrick Poivre d'Arvor
16:01 ou Gérard Depardieu de violences sexuelles mentent.
16:04 C'est ça Michel Houellebecq dans ce livre.
16:07 - Dans "Soumission", il y avait aussi toute la question de l'ambiguïté
16:11 pour savoir si, vous allez nous rappeler en quelques mots,
16:14 ce livre Elisabeth Philippe, si c'était lui ou ses personnages
16:18 qui parlaient au sujet, donc là en l'occurrence, de l'islam.
16:21 - Mais "Soumission", pour moi, n'était encore vraiment dans la littérature.
16:24 Il y avait toute cette première partie d'ailleurs formidable sur Huysmans,
16:28 et ensuite, moi, ce n'était pas tant le fond qui m'avait gênée
16:31 que cette forme qui se délitait en une espèce de dialogue extrêmement long,
16:37 fastidieux et pénible.
16:38 Et donc, l'histoire en gros de "Soumission", on s'en souvient,
16:41 c'était des musulmans, alors modérés comme il le dit,
16:44 qui arrivaient au pouvoir, un parti musulman qui arrivait au pouvoir,
16:47 et toute la France et toute l'élite française se soumettait
16:51 donc à ce nouveau pouvoir musulman.
16:55 Ce n'était pas un très bon livre,
16:56 mais effectivement, ça n'a fait que cultiver le trouble,
17:02 maintenir le trouble autour de Michel Houellebecq,
17:03 son côté aussi sulfureux.
17:05 Et en plus, c'est un livre qui a paru juste avant,
17:07 juste au moment des attentats contre Charlie Hebdo.
17:09 - Élisabeth Philippe, critique littéraire à l'Obs.
17:11 François Krug, votre livre "Réaction française aux éditions du Seuil".
17:15 On se retrouve dans une vingtaine de minutes pour évoquer la littérature
17:19 comme affaire politique.
17:20 Je reprends le titre d'Alexandre Geffen,
17:23 son dernier livre aux éditions de l'Observatoire.
17:26 Il est directeur de recherche au CNRS.
17:28 Il nous rejoindra dans quelques instants.
17:30 8 heures sur France Culture.
17:32 - 7h, 9h.
17:34 Les matins de France Culture, Guillaume Erner.
17:39 - À côté de la grande histoire littéraire,
17:41 la petite histoire littéraire en 103 pages,
17:44 Michel Houellebecq, son dernier livre publié aux éditions Flammarion.
17:47 "Quelques mois dans ma vie", il s'agit, paraît-il,
17:50 de l'écrivain vivant français le plus connu au monde.
17:54 Qu'est-ce que ce livre ? Et au-delà de ça,
17:56 la personnalité de Michel Houellebecq,
17:58 ses livres, ses prises de position révèlent
18:00 sur la personnalité du grand écrivain.
18:03 Nous sommes en compagnie d'Elisabeth Philippe,
18:05 critique littéraire à l'Obs, François Krug,
18:08 qui a notamment publié "Réaction française aux éditions du Seuil",
18:12 où vous évoquez les liens anciens, selon vous,
18:14 de Michel Houellebecq et de l'extrême droite.
18:16 Et nous recevons Alexandre Geffen.
18:18 Bonjour, vous êtes directeur de recherche au CNRS
18:21 et vous avez publié "La littérature est une affaire politique"
18:25 aux éditions de l'Observatoire.
18:26 Michel Houellebecq est-il aujourd'hui un écrivain politique, Alexandre Geffen ?
18:30 - Alors, on peut se poser la question pour ses discours,
18:34 pour ses prises de position, mais moi, ce qui m'intéresse,
18:36 ce sont ses romans.
18:37 Quelle vision du monde véhicule-t-il ?
18:39 Est-ce que "Anéantir", qui dépeint les coulisses du pouvoir,
18:42 qui met en scène un avenir de la France après Macron,
18:45 dans cette vision prophétique que Houellebecq affectionne,
18:49 est-il pour autant un livre politique ?
18:52 On peut en discuter, les discours sont contradictoires.
18:55 Ce qui intéresse, au final, Houellebecq,
18:56 c'est la question de la mort, c'est la question de l'amour.
18:59 C'est peut-être plutôt un livre post-politique, pour moi.
19:01 - Post-politique, qu'est-ce que ça veut dire ?
19:03 - Ça veut dire que Houellebecq
19:06 ne croit plus dans la politique.
19:08 Il la met en scène.
19:10 Que ce soit un Bruno Le Maire qui remonte la France,
19:15 ou que ce soit, comme dans "Soumission",
19:17 une France qui va céder à un islamisme poétique.
19:20 Ça ne l'intéresse moins, finalement, que la question de l'euthanasie,
19:23 que des questions de rapport homme-femme,
19:27 que la transformation de la France
19:30 dans un pays néolibéral, individualiste,
19:35 qui lui semble désespéré,
19:37 pour lequel aucun retour en arrière n'est possible.
19:40 - Mais ce qui brouille les cartes,
19:42 c'est que Michel Houellebecq parle volontiers de la droite et de la gauche,
19:44 se situant par rapport à l'une et par rapport à l'autre.
19:49 Je vous donne à entendre l'extrait, par exemple,
19:51 d'une discussion avec Michel Onfray
19:53 sur la chaîne YouTube de Front Populaire,
19:57 la revue de Michel Onfray.
19:59 C'était en mars dernier. On l'écoute.
20:02 - Il faut redéfinir à quoi sert la justice, déjà.
20:06 - Oui.
20:08 - Je ne pense pas que la peine des morts serve la cause de la justice.
20:10 - Quand on regarde ces émissions très nombreuses
20:13 sur différentes chaînes,
20:17 où on interroge les familles,
20:21 ce que les familles demandent,
20:23 enfin tout à fait clairement d'ailleurs,
20:25 c'est vengeance.
20:28 Donc la décision de...
20:30 - Donc pas justice.
20:32 Vengeance, c'est-à-dire pas justice.
20:33 - Si.
20:35 Si, c'est une conception de la justice, pas vengeance.
20:37 - Justice n'est pas vengeance.
20:38 - Si, pour moi, si.
20:41 Je veux me venger...
20:42 - Ça c'est une de partage droite-gauche.
20:43 - D'accord, je suis de droite alors.
20:45 - Alors je suis de gauche.
20:46 - Alexandre Jeffen, qu'en pensez-vous ?
20:49 - J'ai lu hier soir "Quelques mois dans la vie",
20:51 qui est un livre dans lequel on comprend aussi
20:54 qu'est-ce que c'est que la politique pour Houellebecq.
20:56 Ses propos absolument insupportables
20:59 tenus sur les musulmans
21:02 sont réglés en quelques lignes.
21:03 Il s'en excuse vaguement.
21:05 Il explique que ça fait partie de la contradiction,
21:07 que ses romans lui-même sont contradictoires,
21:09 mais qu'en fait, ce qui l'intéresse dans ce texte,
21:11 c'est se venger de ce cinéaste néerlandais.
21:14 Et là, il adopte un ton, une colère sélinienne,
21:18 un ton pamphlétaire à l'égard de cette affaire-là.
21:21 Et c'est cette affaire-là qui intéresse bien plus
21:23 que la question politique en réalité.
21:24 - Y a-t-il d'autres grands exemples d'écrivains comme cela,
21:29 dont les prises de position politique
21:32 ont pu brouiller la lecture des livres ?
21:36 Est-ce qu'il est possible de classer Houellebecq
21:38 dans une tradition française, Alexandre Geffen ?
21:41 - Alors, il y a une tradition française d'écrivains
21:44 qui sont en contradiction avec leurs romans,
21:46 donc on se demande comment leurs romans sont compatibles
21:50 avec leur prise de position politique.
21:52 Et on est en permanence à se demander
21:54 quelles étaient réellement les positions politiques de Balzac,
21:57 légitimisme, mais en même temps mettant en scène
21:59 une société dans sa dynamique,
22:01 à se demander dans quelle mesure les romans de Céline
22:06 reflètent un antisémitisme discursif.
22:11 Donc ce sont des situations qui sont tout à fait
22:14 coutumières dans l'histoire littéraire,
22:16 dans l'histoire culturelle, que d'essayer de peser
22:19 le rapport entre l'homme et l'œuvre.
22:20 - Mais ce qui est certain, c'est que généralement,
22:23 et vous le rappelez dans votre livre, François Krug,
22:26 il y a eu une tradition en France d'écrivains de droite.
22:30 Vous évoquiez les hussards historiques dans les années 50,
22:35 les néo-russards.
22:38 Et aujourd'hui, par exemple, à la Une du Point,
22:40 il y a cette citation de Welbeck,
22:43 "L'Occident et plus généralement la modernité sont mal partis".
22:46 C'est typiquement une vision décadentiste
22:49 qui peut être prêtée justement à ces écrivains de droite.
22:53 - Oui, et dans le cas de Welbeck, cette vision,
22:56 il la partage depuis ses tous débuts,
22:58 depuis ses tous premiers textes,
22:59 parce qu'on parlait tout à l'heure de ses débuts
23:01 comme écrivain de gauche.
23:04 Ce discours sur la décadence de l'Occident,
23:08 sur les méfaits de la Révolution, des Lumières, de la Réforme,
23:12 l'idée que rien n'a changé
23:15 ou que rien de bon n'est arrivé depuis le Moyen-Âge.
23:18 Welbeck le dit, l'écrit depuis le tout début des années 90,
23:23 mais ça, on n'a pas voulu le voir,
23:25 parce qu'on a mis ça sur le compte du personnage
23:27 et puis parce que c'est des propos aussi que Welbeck a tenus
23:30 dans des revues plutôt soit monarchistes, soit très à droite,
23:36 donc peut-être des revues que la critique littéraire de gauche ne lisait pas.
23:40 Et finalement, je pense que cet écrivain n'a pas dévié depuis ses débuts.
23:46 - Mais alors, quelle filiation ?
23:47 Parce que là, on peut penser, par exemple,
23:50 à des propos extrêmement pessimistes.
23:52 Là aussi, il y a évidemment une tradition en France.
23:57 Elle s'incarne par exemple chez Philippe Muray récemment,
24:00 mais on peut avoir aussi d'autres exemples antérieurs.
24:04 François Krug ?
24:05 - Je pense que Welbeck cite régulièrement Huysmans
24:10 ou tous ces auteurs qui font aussi le panthéon
24:15 de la droite littéraire et de l'extrême droite littéraire.
24:19 - Elisabeth Philippe ?
24:20 - Non, mais pour revenir sur la dimension politique de ces romans-mêmes,
24:24 je pense qu'il y a longtemps eu une sorte d'écran de fumée
24:28 qui était notamment maintenu par l'ironie qu'il cultivait.
24:30 Il y avait un humour dans les livres de Welbeck qui, de plus en plus...
24:33 - Il y est toujours ?
24:34 - Non.
24:35 Franchement, quelques mois dans ma vie, c'est tout sauf drôle.
24:37 Ou alors c'est de l'humour involontaire.
24:38 - Lorsqu'il parle, par exemple, de ses relations avec la gauche,
24:42 j'imagine qu'il sait qu'il est drôle.
24:43 - Je ne sais pas.
24:44 Moi, je n'ai rien vu de...
24:45 En tout cas, c'est moins drôle,
24:47 où il y a moins d'ironie qu'il pouvait y en avoir,
24:50 encore une fois, dans les particules élémentaires, par exemple.
24:52 Et je pense que cette disparition de l'ironie,
24:54 ça participe aussi de cette absence de mise à distance.
24:58 Il y a de moins en moins de distance entre ce qu'écrit Welbeck et ce qu'il pense.
25:03 - Le fait de classer les écrivains à droite ou à gauche, Alexandre Geffen,
25:08 le fait de considérer que les uns ont du style,
25:11 les autres, de l'esprit, par exemple,
25:13 ces différentes catégories, comment s'articulent-elles depuis Zola, par exemple ?
25:18 - C'est compliqué parce qu'il y a plusieurs manières de juger
25:21 la position politique d'un écrivain.
25:22 On peut s'intéresser à son style.
25:24 Est-ce qu'il y a un style de gauche, un style de droite ?
25:26 On peut s'intéresser à ses prises de position publiques
25:29 ou à ce que ses romans disent de la société.
25:33 Et tout ça ne coïncide pas.
25:35 Welbeck n'a pas un style identifié comme un style de droite.
25:38 Il n'a rien du style raffiné d'un Wisman, des périodes de Chateaubriand.
25:44 Il a un style plat, il a un style aussi neutre et aussi populaire
25:48 qu'une Annie Ernaux, pourrait-on dire.
25:51 Donc de ce point de vue-là, il est très difficile
25:53 d'avoir un instrument de cartographie unique
25:56 de ce que c'est que le champ politique.
25:59 D'autant plus qu'il est très difficile d'assumer
26:02 d'être un écrivain de droite aujourd'hui,
26:04 que les écrivains sont en retrait par rapport...
26:06 - Si vous êtes un Tesson, par exemple, vous devez y parvenir à peu près ?
26:09 - À peine, mais il est tout à fait atypique.
26:12 J'ai fait dans ce livre que vous citiez une enquête
26:15 auprès d'une trentaine d'écrivains français.
26:17 Ils sont tous de gauche. Personne n'assume d'être de droite.
26:21 Même Walbeck n'assume pas d'être de droite.
26:24 - Alors je vais tenter autre chose.
26:25 Le fait d'être écrivain et d'être un écrivain anti-moderne,
26:29 ça c'est quelque chose déjà qui se conjugue
26:32 au-delà de la droite, Alexandre Geffen.
26:34 - Ça c'est plus facile. On peut être un intellectuel anti-moderne.
26:38 Un philosophe anti-moderne, ça ne pose pas de problème.
26:41 Reste à savoir d'ailleurs si Walbeck est lui-même anti-moderne.
26:43 Ce n'est pas si évident. - Pourquoi ?
26:45 - Parce qu'il adore tous les outils de la modernité.
26:50 Il adore la technologie.
26:52 Il s'est intéressé à la génétique.
26:54 Il a réfléchi dès ses premiers moments au post-humanisme.
26:56 Il est loin de penser qu'il faut revenir vers le passé.
26:59 Le passé n'est pas meilleur pour lui. Il est fondamentalement nihiliste.
27:03 - Mais alors là, dans ce cas-là, cette tradition pessimiste,
27:06 parce que là, on rejoint autre chose.
27:08 Et là aussi, il s'en réclame.
27:10 Il évoque notamment Kierkegaard.
27:12 Ça aussi, c'est quelque chose qui façonne sa représentation du monde, Alexandre Geffen.
27:19 - Alors si effectivement, la droite, c'est ne pas croire à un changement, à un horizon, à un progrès,
27:26 il est effectivement de droite.
27:28 Si ne pas croire qu'on peut reconstituer les communautés
27:32 dont il ne cesse de mettre en scène la déliaison, la souffrance dans l'individualisme,
27:37 de ce point de vue, il est de droite.
27:39 Et il s'oppose radicalement, par exemple, à Ernaud,
27:41 qui, elle, essaie de faire résonner, de constituer, d'accompagner les communautés, de leur donner un projet.
27:47 - François Krug, qu'est-ce que vous en pensez, justement, de cette classification
27:52 parmi les différents écrivains que vous évoquez dans "Réaction française" ?
27:57 - Moi, ce qui m'intéresse, ce n'est pas tant le contenu de leur roman
28:02 que leur position et leur influence sur les débats politiques.
28:06 Et dans le cas de Welbeck, il est très clair.
28:09 On a beaucoup cité ses phrases sur l'islam.
28:12 Notamment, la première polémique qu'il a provoquée,
28:17 c'était lorsqu'il a dit que l'islam était la religion la plus con.
28:21 Cette phrase-là, on la retrouve texto dans les particules élémentaires,
28:24 dans la bouche d'un des personnages, en 1998.
28:27 En 2001, c'est Michel Welbeck, lui-même, qui sort cette phrase-là dans une interview au magazine "Lire".
28:32 Il y a un procès, il est relaxé.
28:36 Mais la séparation entre auteur et personnage ne me semble pas la grille de lecture la plus pertinente.
28:44 Mais Michel Welbeck, je pense que ce qui est intéressant, c'est que par son aura et son influence,
28:50 il a contribué à introduire dans le débat public des phrases, comme celle-ci sur l'islam,
28:55 comme ce qu'il a dit récemment à Michel Onfray.
28:57 Il les introduit dans le débat public et son influence permet de faire passer
29:01 dans les oreilles du grand public des phrases qu'on n'entendait pas il y a 30 ans.
29:04 - Mais alors justement, ces dernières phrases, elles sont d'extrême droite ? Elles sont populistes ?
29:10 Le populisme, par exemple, c'est aussi cet amalgame grossier, vulgaire et racistoïde
29:17 qu'il a fait récemment entre islam et délinquance, François Cruyff ?
29:21 - Quand il dit dans la revue de Michel Onfray, je ne sais plus les termes exacts,
29:26 mais il s'agissait de dire que les musulmans violaient et volaient,
29:30 et que c'est pour ça que les français "de souche" ne supporteraient pas les musulmans.
29:36 Est-ce que c'est populiste ou est-ce que c'est d'extrême droite ?
29:38 Alors excusez-moi, mais je pense que c'est clairement d'extrême droite.
29:40 Et des phrases comme ça, récemment on a eu un député...
29:43 - L'un n'empêche pas l'autre, par exemple.
29:44 - L'un n'empêche pas l'autre, mais récemment on a eu un député du Rassemblement National
29:47 qui a été mis à pied à l'Assemblée Nationale pour avoir demandé que les migrants africains
29:53 retournent en Afrique, reprennent leur bateau et repartent.
29:57 - Il s'en est défendu ensuite.
29:58 - Ah il s'en est défendu ensuite, mais voilà, c'est la même teneur.
30:02 - Non sur cette question du populisme c'est intéressant, puisqu'hier, interviewé par
30:06 Augustin Trappenard, qui lui demandait s'il était de droite, voire d'extrême droite,
30:11 Michel Houellebecq a d'abord botté en touche en disant "je ne sais même pas si je suis
30:14 de droite, mais je suis populiste".
30:16 Lui se revendique populiste.
30:18 Donc ça mérite quand même, puisqu'on parle de son positionnement, autant faire connaître
30:22 celui qui lui revendique.
30:24 - Mais là aussi c'est quelque chose d'étonnant, Elisabeth Philippe.
30:26 On a retracé le trajet de Michel Houellebecq, qui était considéré comme un écrivain d'avant-garde
30:32 à l'époque d'extension du domaine de la lutte, un écrivain qui, à l'origine en tout
30:37 cas, n'était pas grand public et qui aujourd'hui se retrouve à assumer une idéologie qui serait
30:42 au contraire une idéologie à portée des masses, comme il aimerait la faire entendre.
30:49 - Oui, il est porteur de cette idéologie, mais c'est exactement ce que vient de dire
30:54 François Krug, effectivement c'est plus dans ses interventions publiques que dans
30:58 ses romans, il me semble, qu'il a contribué à rendre audible ce type de position.
31:05 - Alexandre Geffen ?
31:06 - Ce qui est compliqué, c'est qu'on peut aussi défendre Houellebecq.
31:09 On peut considérer que faire entendre la pluralité des voix, faire entendre les voix
31:18 des petits blancs, de la frustration, ça fait partie du travail de catharsis de la
31:23 littérature.
31:24 On peut défendre, et on a pu écrire, et on peut soutenir l'idée que c'est soit une
31:28 forme d'humanisme que de faire entendre tout le monde, que de faire entendre l'inaudible,
31:32 c'est aussi le travail d'un écrivain.
31:33 - C'est ce qui a été dit par exemple au sujet de soumission, en disant que l'évocation
31:37 d'une dystopie avec l'installation d'une théocratie musulmane en France était une
31:43 manière effectivement de faire de la littérature.
31:47 - On ne peut pas, au nom d'un moralisme politique, interdire à un écrivain d'explorer les
31:53 possibles.
31:54 - Oui, sauf que les possibles qu'il explore, par exemple je pense à Anéantir, son dernier
31:59 roman, dans lequel certains ont voulu voir une apologie des bons sentiments, de la gentillesse,
32:06 de la bonté.
32:07 C'est quand même, et là je suis en désaccord avec vous Alexandre, c'est quand même un
32:09 livre qui a une dimension politique indéniable.
32:12 Parce que derrière, même si c'est un peu en filigrane, que c'est moins visible que
32:17 dans un livre comme Soumission, c'est le déclin de l'Occident, on a énormément de personnages
32:23 d'extrême droite, de néo-nazis qui sont tous plus sympathiques les uns que les autres.
32:28 Le seul personnage de gauche dans le livre est une sombre conne, pardonnez-moi, mais
32:33 je parle comme Welbeck pourrait le faire dans ses livres.
32:36 Donc là, il y a une vision de la société.
32:39 Il parle d'un village dans lequel les personnages ne reconnaissent plus parce que c'est une
32:45 population étrangère.
32:47 Donc là, on est quasiment dans les thèses du grand remplacement.
32:50 Donc il y a une dimension politique dans Anéantir.
32:52 Et l'autre dimension politique, dans quelques mois, dans ma vie, le dernier livre de Michel
32:57 Welbeck, publié aux éditions Flammarion, Elisabeth Philippe, c'est à la fois ambigu
33:02 et compliqué, c'est une forme de masculinisme, mais un masculinisme qui est relativisé, non
33:10 assumé.
33:11 Alors il va falloir que vous nous le présentiez.
33:12 Non, la sexualité, c'est la grande affaire de Michel Welbeck et comme pour la politique,
33:17 il joue un double jeu.
33:18 Alors peut-être moins ambigu finalement que sur la politique parce que le rôle accordé
33:23 aux femmes dans ses romans a toujours été assez univoque.
33:26 La femme idéale pour Michel Welbeck, c'est une femme jeune et constamment disponible
33:30 sexuellement.
33:31 Donc, en fait, pardonnez-moi, mais là, on est en train de lui faire beaucoup d'honneur
33:36 parce que ce petit livre, quand même, quelques mois dans ma vie, déjà littérairement,
33:40 c'est rien, c'est très mauvais.
33:42 C'est un petit livre assez indécent.
33:44 Et je trouve que là, on lui accorde toute une émission.
33:48 Je suis là, donc j'y participe, mais c'est lui faire beaucoup d'honneur et je trouve
33:52 qu'on rentre dans ce jeu médiatique.
33:53 Welbeck, c'est aussi...
33:54 Est-ce que c'est un écrivain politique ? C'est un écrivain médiatique et on fait
33:57 tous son jeu à lui accorder énormément de temps pour parler de quoi ?
34:01 Pour parler d'un livre dans lequel il nous raconte sa vision de la pornographie, de
34:07 comment il faut faire l'amour, comment il faut pratiquer une bonne fellation, des programmes
34:11 qu'il aime regarder sur Chéri 25, mais de quoi parle-t-on et pourquoi lui accorde-t-on
34:16 autant de temps ?
34:17 Parce que cet écrivain aujourd'hui est l'écrivain le plus lu en France et l'écrivain
34:23 vivant peut-être le plus lu dans le monde pour ce qui est considéré comme étant de
34:28 la littérature, ce qui relèverait de la littérature.
34:31 Je vous en laisse juger, Elisabeth Philippe.
34:33 Et ce qui est intéressant, c'est justement de voir cet écrivain tout d'abord évoluer
34:38 politiquement.
34:39 Je crois que Krug pense qu'il a toujours été ce qu'il a été, exister de manière
34:44 médiatique mais sans pour autant que ses qualités littéraires soient déniées par
34:48 tous en tout cas.
34:50 Et c'est cela qui, effectivement, pour vous, elles ne sont pas apparentes dans ce dernier
34:56 livre, mais dans le livre précédent, le roman qu'il a publié et que vous n'avez
35:00 pas apprécié, Elisabeth Philippe, c'est d'ailleurs pour ça que je vous ai invité,
35:04 et bien là, en revanche, on a considéré, certains l'ont fait, que c'était le meilleur
35:09 Welbeck.
35:10 Oui, alors là, on peut être tout à fait en désaccord, mais bon, ce n'est pas le
35:13 livre qui nous occupe.
35:14 Mais parce que je pense précisément que ce n'était pas le meilleur Welbeck, parce
35:17 que la dimension idéologique prend le pas sur la littérature.
35:20 Et puis, je vais vous répondre aussi sur la sexualité, sa sexualité qu'il expose
35:25 effectivement de manière extrêmement précise dans ce livre.
35:29 Je me suis demandé si, là aussi, ça ne renvoyait pas à d'autres archétypes de
35:34 l'écrivain français.
35:35 J'ai pensé par exemple à Maupassant qui mettait en scène sa puissance sexuelle, ce
35:39 que fait exactement Welbeck.
35:40 Non, vous n'aimez pas Welbeck, mais effectivement, on peut considérer aussi qu'il a été lu
35:47 et apprécié encore pour son dernier livre comme étant un grand romancier.
35:51 Et le fait de voir cet écrivain détailler de manière aussi précise sa sexualité, sa
35:58 puissance sexuelle, ça, ça renvoie aussi à d'autres archétypes de l'écrivain.
36:02 Oui, on peut penser à énormément d'écrivains.
36:04 Je ne sais pas, vous parliez de Maupassant, moi je pense à Guillaume Dustan aussi, où
36:09 il y avait un vrai travail littéraire.
36:11 Là, en tout cas, indéniable dans certains romans de Welbeck précédents, je vous l'accorde,
36:15 mais pas dans ce livre.
36:16 Ça, ce n'est pas possible de dire une chose pareille.
36:18 Et en plus, c'est quand même une vision de la sexualité qui est plus que rétrograde.
36:23 Qu'est-ce que vous en pensez, Alexandre Jeffen ?
36:26 Ce n'est assurément pas un grand livre.
36:29 Il y a une colère assez habilement mise en scène à l'égard de ce réalisateur.
36:36 Il y a une auto-ironie.
36:38 C'est ce qu'on aime aussi chez Welbeck, cette capacité quand même à se moquer de
36:43 lui-même.
36:44 Mais évidemment, c'est moins intéressant que ce qu'il fait de mieux, c'est-à-dire
36:49 tracer de grandes perspectives, faire une vision large, des plans larges d'une société
36:55 complexe et mettre en scène des discours contradictoires et des conflictualités inattendues.
37:03 Et si vous deviez justement le classer, je parle de son œuvre cette fois-ci, Alexandre
37:09 Jeffen, parmi les différents écrivains français, y compris donc sur la manière dont il évoque
37:13 sa vie privée ?
37:14 C'est un réaliste.
37:17 C'est un réaliste qui n'a pas cédé à la veine contemporaine du document et non
37:24 non-fiction.
37:25 Il continue à faire des romans.
37:26 C'est pour ça qu'il se vend bien.
37:27 On n'a plus beaucoup de grands romanciers qui continuent à faire des fictions, des
37:31 fictions englobantes, des fictions à large perspective.
37:35 Et c'est peut-être pour cela qu'il a autant de succès.
37:37 Mais ce dernier livre relève de l'auto-fiction.
37:41 Il y a plus d'auto que de fiction probablement là-dedans.
37:45 Il cite par exemple très souvent Emmanuel Carrère.
37:48 Oui, et Emmanuel Carrère l'admire et a rendu hommage à la puissance de Walbeck,
37:54 romancier.
37:55 Et effectivement, là, il s'en rapproche dans cette capacité à mettre en scène le
37:59 moi en s'en moquant, en s'en distanciant, mettre en scène ses propres humeurs.
38:03 Il reprend cette veine-là en effet.
38:06 Je voulais revenir sur votre question précédente sur l'écriture de la sexualité.
38:10 Vous parliez de mots passants.
38:11 On n'a parlé que d'écrivains d'hommes.
38:12 Mais quand on pense aux réactions suscitées par exemple par Passion Simple, Danny Arnault,
38:18 il y a aussi une description très crue de la sexualité, mais de la sexualité féminine.
38:21 Et quand on pense aux moqueries, aux tombeaux d'injures qu'un tel livre a suscité,
38:25 - Bon, ils ne les suscitent plus aujourd'hui.
38:27 - Bien sûr que si.
38:29 Au moment de l'attribution du Nobel à Annie Ernaud, on a retrouvé exactement les mêmes
38:32 critiques formulées par les mêmes personnes qui en censent, à contrario, Michel Walbeck.
38:36 Donc je trouve que c'est un parallèle assez amusant à faire.
38:38 - Qu'est-ce que vous en pensez Alexandre GfM ?
38:40 - Moi j'aime Walbeck et Ernaud à la fois.
38:42 J'ai beaucoup de sympathie.
38:43 Ma sympathie de cœur va pour Ernaud.
38:45 Mais j'ai une certaine admiration pour le romancier Walbeck.
38:48 - François Krug, un mot de conclusion sur cette tradition, si on vous suit, d'écrivain
38:54 réactionnaire qui se poursuivrait avec Michel Walbeck.
38:57 - Pour compléter ce qui vient d'être dit, ce qui m'a intrigué dans l'enquête que
39:03 j'ai menée sur les écrivains proches de l'extrême droite, c'est qu'il s'agit tous
39:06 d'hommes.
39:07 Il n'y a pas une seule femme.
39:08 Tous, c'est très masculin, et par ailleurs, à la différence d'Annie Ernaud...
39:14 - Vous avez cherché, vous n'avez pas trouvé deux ?
39:15 - Non.
39:16 Et à la différence d'Annie Ernaud ou de Virginie Despentes qui ne cachent pas leur
39:19 engagement politique à gauche, voire à l'extrême gauche, les écrivains qui fricotent avec
39:25 la droite et l'extrême droite ne s'en vendent pas et ne le montrent pas et ne le revendiquent
39:30 pas, alors qu'on a une époque où ces courants politiques sont presque aux portes du pouvoir.
39:34 C'est assez paradoxal.
39:35 - Un petit dernier mot, Elisabeth Philippe ?
39:37 - Non, je crois que j'ai tout dit.
39:39 - Merci en tout cas d'avoir été là.
39:41 Quelques mois dans ma vie, c'est donc cet ouvrage de Welbeck, Réaction française,
39:47 c'est votre livre, François Krug, et Alexandre Geffen, en dehors de la littérature et de
39:53 la politique, vous avez également publié un livre sur la littérature et Tchat, Jipiti,
39:58 c'est chez quel éditeur ?
39:59 - L'Observatoire aussi.

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