Fitch dégrade la note de la France : est-ce vraiment grave ?

  • l’année dernière
L'agence de notation Fitch Ratings a dégradé la note de la dette publique française de AA à AA-, estimant notamment que le contexte politique et social pourrait compliquer la réduction des dépenses publiques. Après trois ans de "quoi qu’il en coûte" face au choc du Covid et de l’inflation, et alors que la BCE continue d’augmenter ses taux d’intérêt et s’apprête à réduire son stock de dette publique, faut-il s’en inquiéter ? La France peut-elle se permettre de nouvelles baisses d’impôts ?
Également au programme de cette émission : Où va l’argent de nos impôts ? Comment l’argent public est-il dépensé ? Le gouvernement a lancé une opération transparence, le 25 avril, avec le site "En avoir pour mes impôts". L'objectif est de faire de la pédagogie sur les dépenses publiques financées par les impôts. De quoi réconcilier les Français avec l’État et l’action publique ?  Comment alléger le fardeau de la dette des pays en développement ? Frappés de plein fouet par la hausse des prix et des taux d’intérêts, comment éviter un effondrement de leurs économies ? Férid Belhaj, vice-président de la Banque mondiale pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord est l'invité de la semaine de l'écho.

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Transcription
00:00 Bonjour et bienvenue dans la semaine de l'éco. J'ai le plaisir d'accueillir Anne Lordelatte,
00:06 chercheuse en économie au CNRS et auteure de "L'État droit dans le mur, rebâtir l'action
00:11 publique" aux éditions Fayard. A ses côtés François Eccal, président de Fipeco, association
00:18 d'information sur les finances publiques et ancien magistrat à la Cour des Comptes.
00:21 Et Maxime Darmet, économiste chez Allianz. Bonjour à tous les trois et merci d'avoir
00:26 accepté notre invitation. Au sommaire de cette émission, la France
00:30 est-elle de nouveau dans le viseur des agences de notation ? Le 28 avril, l'agence Fitch
00:34 a dégradé d'un cran la note de la dette publique française. Après trois ans de quoi
00:38 qu'il en coûte face au choc du Covid et de l'inflation, et alors que la Banque Centrale
00:42 Européenne continue d'augmenter ses taux d'intérêt et s'apprête à réduire son
00:46 stock de dette publique, faut-il s'en inquiéter ? La France peut-elle se permettre de nouvelles
00:51 baisses d'impôts ? Et où va l'argent de nos impôts ? Comment
00:56 l'argent public est-il dépensé ? Le gouvernement a lancé une opération transparence le 25
01:00 avril avec le site « En avoir pour mes impôts ». L'objectif ? Faire de la pédagogie sur
01:05 les dépenses publiques financées par les impôts. De quoi réconcilier les Français
01:09 avec l'État et l'action publique ? Analyse dans un instant.
01:12 Enfin, comment alléger le fardeau de la dette des pays en développement, frappé de plein
01:17 fouet par la hausse des prix et des taux d'intérêt ? Comment éviter un effondrement de leur
01:21 économie ? Le vice-président de la Banque Mondiale pour le Moyen-Orient et l'Afrique
01:24 du Nord sera l'invité de la semaine. Mais d'abord, la sanction est donc tombée
01:31 le 28 avril, Fitch a baissé la note de crédit accordée à la France. Elle passe ainsi de
01:36 AA à A à moins, avec perspective stable, en cause selon l'Agence des déficits budgétaires
01:42 importants et détention sociale autour de la réforme des retraites qui entraverait
01:47 le programme de réforme en cours. Une appréciation jugée pessimiste par le ministre de l'économie.
01:52 François Eccal, l'an passé, la dette française a atteint 111,6%, frôlant les
02:22 3000 milliards d'euros. Avec des taux d'intérêt en hausse, faut-il s'en inquiéter ? La France
02:27 est-elle de nouveau dans le viseur des agences de notation ?
02:30 Alors, on a en effet un problème de finances publiques. Il faudrait que la dette publique
02:36 n'augmente pas comme ça indéfiniment. On voyait justement la courbe avec les projections
02:40 faites par le gouvernement et par l'agence Fitch.
02:43 Donc, il y a un risque, qu'il n'est pas pour demain. Il n'y a pas de catastrophe
02:49 qui soit envisageable pour demain ou après-demain, mais à moyen et long terme, on prend des
02:52 risques. Après, la dégradation de la note de la France par Fitch, c'est un épiphénomène.
02:57 Ça peut avoir un tout petit effet sur les taux d'intérêt parce que les institutions
03:06 financières sont obligées d'avoir des titres publics, des obligations de bonne qualité.
03:11 Mais avec un double A-, c'est encore de bonne qualité. Certains investisseurs institutionnels
03:16 ont eux-mêmes des obligations, se donnent des obligations d'avoir des titres de bonne
03:20 qualité. Donc, ça peut avoir un tout petit effet, mais il est vraiment très marginal.
03:23 D'ailleurs, il ne s'est rien passé. On l'a vu sur l'écart entre les taux d'intérêt
03:27 français et allemand, il ne s'est rien passé.
03:28 Anne Lordelat, il y a 10 ans, le pays avait perdu son triple A, ça avait été très
03:32 commenté, sans conséquences notables sur les marchés. La situation est-elle plus risquée
03:37 aujourd'hui ?
03:38 Non, non. Comme vient de le dire François Eccal, moi, je n'ai aucune inquiétude sur
03:42 la dette publique. À la dernière adjudication, c'est-à-dire quand l'agence France Trésor
03:49 émet de la dette pour nous sur les marchés, à la dernière adjudication, il y avait un
03:54 taux de couverture de 2, ce qui veut dire qu'en fait, quand on émet de la dette, il
03:57 y a deux fois plus de demandes que d'offres. Donc, on n'a absolument pas d'inquiétude.
04:02 Maintenant, peut-être qu'on a joué avec le feu en mettant une pression sur la réforme
04:08 sociale et en faisant le lien avec la dette publique, alors qu'en fait, il n'y avait
04:11 pas vraiment de ça dans les télémarchés.
04:13 On va y venir. Mais d'abord, Maxime Darmé, l'État doit emprunter la somme record de
04:16 270 milliards d'euros cette année, soit 10 milliards de plus qu'en 2022. Va-t-il y parvenir
04:22 et à quel coût ?
04:23 Oui, il n'y aura pas de problème de refinancement de la dette, comme les gens sur le plateau
04:28 le disent ici. Cependant, ce qui est un peu plus inquiétant, c'est qu'il y a progressivement
04:33 une dégradation des notes, année après année, où ça a commencé en 2012, comme
04:38 vous l'avez dit, l'État français paye actuellement environ 3% sur ses émissions
04:42 de dette. L'Allemagne était à 2%, l'Italie était à 4%. Donc, si on continue comme ça
04:47 avec une trajectoire clairement insoutenable à moyen terme de la dette publique française,
04:52 progressivement nos taux vont être plus près de ceux de l'Italie, 4%, que ceux de l'Allemagne.
04:56 Et donc, progressivement, ça va de plus en plus dégrader la trajectoire. Ça va forcer
05:02 le gouvernement à trouver des économies de plus en plus fortes, le tout dans un climat
05:05 social assez tendu, comme le note l'agence Fitch. Donc, à moyen terme, clairement des
05:11 risques en hausse.
05:12 Le creusement de ces taux d'intérêt et des difficultés à financer pour la France.
05:16 Vous avez la Banque Centrale Européenne, vous l'avez dit, qui continue d'augmenter
05:18 ses taux face à l'inflation. On est à plus de 3% maintenant. Elle va très certainement
05:22 continuer à le faire jusqu'à la fin de l'année, puisque l'inflation ne reflue pas.
05:25 Donc, ça veut dire toujours et encore une hausse du coût du financement. Juste pour
05:29 vous donner un chiffre, si les taux d'intérêt augmentent de 1 point à terme, ça veut
05:32 dire 25 milliards de versement d'intérêt en plus par an.
05:39 Donc, la charge de la dette qui s'éloigne pour le pays.
05:41 Exactement.
05:42 L'agence Fitch, elle pointe aussi des baisses d'impôts envisagées par le gouvernement
05:45 pour les classes moyennes. Parmi les pistes à avancer, le gouvernement pense notamment
05:49 à doubler la part fiscale dès le premier enfant. Regardez ce reportage de nos confrères
05:53 de France 2.
05:54 Des baisses d'impôts d'ici la fin du quinquennat, c'est l'objectif affiché du gouvernement.
06:00 Parmi les pistes, un geste pour les familles. Dans la déclaration de revenus, le premier
06:06 enfant compte aujourd'hui comme une demi-part fiscale. Cela pourrait doubler et passer à
06:12 une part. À la clé, moins d'impôts à payer pour de nombreux ménages. Ce serait
06:17 le cas pour ce fonctionnaire qui a deux enfants mineurs à charge.
06:20 C'est plutôt une bonne nouvelle. Ça veut dire qu'on paye moins d'impôts. J'attends
06:24 que ce soit concret, mais si c'est pour avoir une hausse derrière la taxe foncière ou
06:28 autre, finalement, on est généralement gagnant.
06:32 Par exemple, un couple avec un enfant, revenu net imposable, 45 000 euros par an. L'impôt
06:39 qui s'élevait à 1 507 euros pourrait passer à 646 euros. Une économie de 861 euros.
06:48 Autre cas de figure, un couple avec deux enfants, 60 000 euros de revenus. Ils payent aujourd'hui
06:54 environ 3 043 euros d'impôts. Avec cette mesure, ils baisseraient à 2 181 euros, soit
07:00 une économie de 862 euros. Un allègement de la fiscalité qui pourrait coûter cher
07:06 à l'État et peser dans les finances publiques.
07:08 Si ces mesures ont des vocations pérennes, à s'inscrire dans le temps et à soutenir
07:13 le pouvoir d'achat des ménages, alors la contrepartie, c'est qu'elles vont creuser
07:16 le déficit public. Et donc, la réconciliation avec ramener le déficit à 3% ou en dessous
07:22 d'ici 2027 devient plus compliquée.
07:24 Pour l'instant, le gouvernement n'a pas chiffré cette mesure. L'année dernière, plus de
07:29 10 millions de foyers ont déclaré avoir au moins un enfant à charge, mais ne sont pas
07:34 tous imposables.
07:35 François Eccal, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Gallo, appelle
07:40 le président à arrêter les baisses d'impôts non financées. Ces baisses d'impôts, comme
07:44 celles-ci, qui ne sont pas encore chiffrées, sont-elles réalistes ? La France en a-t-elle
07:48 encore les moyens ?
07:49 Le même jour où le gouvernement annonçait ces baisses d'impôts en faveur des classes
07:53 moyennes, il publiait ce qu'on appelle un programme de stabilité, c'est-à-dire des
07:57 prévisions de finances publiques destinées à la Commission européenne et à nos partenaires,
08:01 dans lesquelles on voit en effet qu'il y a des baisses d'impôts, celles qui ont été
08:06 votées, comme par exemple la disparition de la cotisation sur la valeur ajoutée des
08:10 entreprises en 2024, mais il n'y a aucune autre baisse d'impôts, surtout pas, enfin
08:14 surtout pas, même en faveur des classes moyennes. Au contraire, on voit qu'en 2025, il y a
08:19 une hausse des impôts qui est prévue de l'ordre de 8 milliards. Alors le programme de stabilité
08:23 n'explique pas d'où ça vient. On peut penser que c'est, dans l'esprit du gouvernement,
08:28 une baisse des dépenses fiscales. Quand vous baissez les dépenses fiscales, vous augmentez
08:31 les impôts pour ceux qui en bénéficient. Donc ça peut être ça, ça peut être une
08:36 lutte plus importante contre la fraude fiscale, ce n'est pas précisé. En tout cas, déjà,
08:39 c'est très ambitieux, 8 milliards. Et s'il fallait en plus financer des baisses d'impôts
08:44 pour les classes moyennes, ça remettrait complètement en cause ce document qui, pour
08:48 nos partenaires européens, a quand même un certain sens.
08:51 En plus, pardon, mais en quoi c'est une mesure pour les classes moyennes ? En fait,
08:58 ce n'est pas du tout relié aux revenus. Donc ça veut dire que quelqu'un qui... Au
09:04 contraire, les ménages avec des revenus élevés vont en bénéficier davantage, s'ils ont
09:09 un enfant, que les ménages avec un revenu moyen.
09:13 Oui, donc en fait, ce n'est pas du tout... D'abord, je suis d'accord avec vous que dans
09:18 le PESTAB, dans ce fameux document, on ne trouve pas ça. Mais en plus, c'est vraiment
09:22 de l'affichage, parce qu'il ne faut pas dire que c'est une mesure pour les revenus moyens,
09:27 pour les Français moyens.
09:28 Si c'est pour avoir une hausse de la taxe foncière derrière, on n'est jamais vraiment
09:30 gagnant, dit l'intervenant dans le reportage. Comment compenser cette baisse d'impôts,
09:35 si elle est effective ?
09:36 En fait, l'impôt sur les revenus, c'est une petite partie des recettes fiscales de
09:42 l'État. En effet, c'est là qu'il y a probablement un affichage, parce que soit vous avez une
09:47 baisse des recettes et effectivement, alors là, il faut comprendre comment est-ce qu'on
09:49 s'en sort. Soit on baisse les dépenses en face, soit on augmente des recettes de l'autre
09:55 côté ou alors on continue à creuser le déficit. Mais comme ça n'est pas la volonté
10:00 du gouvernement, il faut compter à un moment sur... Effectivement, soit on augmente la
10:06 TVA ou la CRDS, la CSG, qui sont des impôts pour le coup beaucoup plus discrets sur nos
10:12 fiches de salaire. Mais c'est évident qu'on ne peut pas se permettre en fait ce genre
10:18 de mesures.
10:19 Maxime Dermier, cette politique de "je donne d'un côté pour reprendre de l'autre", politique
10:22 de mesure contre mesure, vous diriez qu'elle explique l'incapacité de l'État à équilibrer
10:27 ses finances publiques ?
10:28 Le problème, c'est toujours le même, c'est que tant qu'on ne remet pas en cause le logiciel
10:33 de comment est basé le système social français, l'État-providence, jamais on ne parviendra
10:38 vraiment à réduire les déficits de façon importante.
10:40 C'est-à-dire ?
10:41 C'est-à-dire qu'en France, vous avez un taux de dépense sociale de 31% du PIB, de
10:46 la richesse nationale. Donc c'est très important, c'est le plus élevé des pays de l'OCDE.
10:50 Les pays de l'OCDE, c'est un club de pays riches. Tant que vous ne vous demandez pas
10:54 comment on finance ces dépenses importantes, fondamentalement, jamais vous ne pourrez vraiment
10:59 réduire les déficits. Par exemple, en France, il me semble, le problème, c'est que le taux
11:04 d'emploi, donc le nombre de gens qui travaillent, qui ont un emploi, en pourcentage de la population
11:09 au niveau de mon âge de travailler, typiquement 15-64 ans, est environ de 70%, 68%. Dans les
11:14 pays nordiques, on est 10 points de plus. Donc vous avez une insuffisance du nombre
11:19 de gens qui travaillent, qui cotisent pour financer ces dépenses sociales énormes.
11:23 Donc tant qu'on ne s'attaque pas au problème, à mon avis, de l'emploi, du marché du travail
11:27 notamment, je vois mal comment on pourra réduire les déficits de façon structurelle.
11:33 Après, je suis d'accord avec vous que vraiment la priorité, c'est d'augmenter l'emploi.
11:38 Ça, je suis d'accord complètement avec vous. Mais il faut faire attention quand même
11:41 quand on fait des comparaisons internationales. Oui, en effet, on a des dépenses sociales
11:45 très importantes, mais en fait, ces dépenses sociales, elles sont collectivisées. Donc
11:49 dans le sens où, en fait, c'est des dépenses collectives, mais qui vous reviennent directement.
11:54 Donc on n'est pas dans un système privé. Moi, j'ai vécu aux États-Unis. En fait,
11:59 mon docteur, je le payais beaucoup plus cher. L'éducation de mes enfants, je les payais
12:02 beaucoup plus cher. Donc il faut quand même faire la part des choses.
12:06 J'ai souligné le problème sur le marché de l'emploi. Je disais qu'il n'y a pas assez
12:08 de gens qui travaillent. 68% de la population.
12:11 Vous parlez de la protection sociale. Vous avez dit on a du mal à financer notre système
12:14 social.
12:15 Oui, c'est ce que je dis. Il n'y a pas assez de gens qui sont sur le marché de l'emploi.
12:17 C'est tout ce que je dis.
12:18 Alors, pour améliorer les finances publiques, Bercy mise sur la fin des mesures de soutien
12:22 face à la flambée des prix de l'énergie et sur l'inflation qui dopent silencieusement
12:25 la richesse nationale et les recettes fiscales. Le gouvernement a également lancé une revue
12:29 de dépenses publiques censées permettre d'identifier quelques milliards d'économies
12:33 pour le budget de l'an prochain. À l'ordre de l'ad, votre livre montre que les dépenses
12:37 publiques ne sont pas nécessairement là où on les attend le plus, notamment les prestations
12:42 sociales.
12:43 Oui, en fait, j'ai essayé de documenter les transformations de l'action publique depuis
12:48 70 ans. Et il y a un grand malentendu. En fait, effectivement, l'État intervient beaucoup
12:53 plus aujourd'hui qu'au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Donc on a plus de dépenses
12:58 et on paye plus d'impôts. Et en fait, ce surcroît d'intervention, ce que je repère
13:02 dans les données, c'est qu'il va en grande partie aux entreprises plutôt qu'à l'amélioration
13:07 des services publics et de notre protection sociale.
13:10 Sous quelle forme ?
13:11 Alors justement, ce que ne montre absolument pas le site en avoir pour les impôts, mais
13:16 on en reparlera après, ce sont les dépenses fiscales pour les entreprises dont François
13:22 Eccal vient de parler. En fait, on estime, moi j'ai estimé que depuis 2010, on a 190
13:28 milliards par an d'euros qui sont versés aux entreprises sous forme de subventions
13:35 ou d'exonération fiscale et sociale. C'est à dire que ce sont des réductions de cotisations
13:40 sociales, d'impôts, des crédits, etc. Et donc, en moyenne, on arrive à 190 milliards
13:45 par an.
13:46 En pourcentage de la richesse nationale ?
13:49 Alors, ça fait 8,5%. En comparaison, par exemple, les dépenses publiques d'éducation
13:55 sont égales à 5,5% du PIB. Et ça, ça n'a pas bougé depuis 1979, alors que les dépenses
14:00 publiques pour les entreprises n'ont fait qu'augmenter.
14:03 Christian Eccal, ces aides sous forme d'exemption ou de niche fiscale et de réduction de cotisations
14:09 sociales ne seraient-elles pas un pognon dingue, pour reprendre l'expression présidentielle
14:13 faisant référence aux prestations sociales, dans lesquelles l'État peut, doit couper ?
14:18 Alors, les dépenses fiscales, c'est à peu près 80 milliards d'euros et les allégements
14:23 de cotisation patronale, c'est aussi à peu près 80 milliards d'euros. Donc oui, c'est
14:28 énorme. Après, il faut voir que dans ces dépenses fiscales, par exemple, il y a beaucoup
14:32 de choses très très différentes. Vous avez toutes les dépenses fiscales ne profitent
14:36 pas aux entreprises. Il y en a beaucoup qui profitent aux ménages.
14:39 Il y en a 190 qui les paient. 190 subventions et exonérations pour les entreprises.
14:43 Alors, on n'est pas forcément d'accord sur les...
14:45 On est d'accord. En fait, là, vous mettez exonération pour les ménages et pour les
14:51 entreprises et j'ai votre chiffre. Moi, ce que j'ai fait, c'est que j'ai séparé.
14:54 Non, non, on est tout à fait d'accord sur les chiffres, il me semble.
14:57 Mais ce n'est pas si simple que ça, vous dites.
14:59 Mais je veux dire, ce n'est pas si simple. Par exemple, dans les dépenses fiscales,
15:04 vous avez par exemple ce qui relève, par exemple, de taux réduits de TVA. Bon, c'est
15:10 considéré comme une dépense fiscale, mais pas tous les taux réduits de TVA. Certains
15:13 taux réduits de TVA. Alors, pourquoi certains taux réduits et pas d'autres ?
15:16 Par exemple, la restauration.
15:17 La restauration, c'est une dépense fiscale. Vous achetez une pizza dans un... Vous prenez
15:21 une pizza dans un restaurant, vous payez un TVA à 10%, c'est une dépense fiscale.
15:26 Donc le coût est considéré comme une dépense fiscale. Vous prenez la même pizza en surgelé
15:31 dans la grande distribution et vous allez la manger chez vous. Vous bénéficiez d'une
15:35 TVA à 5,5, mais là, ce n'est pas une dépense fiscale. Ce n'est pas dans les dépenses fiscales.
15:38 Le régime maire filial des entreprises qui coûte 36 milliards d'euros...
15:41 C'est un autre sujet.
15:42 Mais non, pas du tout.
15:44 Là, ce que j'explique, c'est que la définition des dépenses fiscales, elle renvoie à une
15:49 norme fiscale, à ce que devrait être la norme fiscale en matière de TVA, par exemple.
15:54 On ne sait pas. Et donc, on ne sait pas exactement. Et moi, je ne suis pas capable de dire si
15:58 la TVA, la baisse de TVA sur tel ou tel produit, ça profite aux entreprises ou aux ménages.
16:04 Ça dépend. Ça dépend des produits.
16:06 Excusez-moi, mais il y a un rapport jaune dans le projet de loi des finances tous les
16:12 ans qui établit le montant de dépense fiscale. Vous êtes d'accord avec ça ?
16:17 Tout à fait.
16:18 Donc, en fait, ce flou, il est quand même...
16:19 Mais le bénéficiaire, on ne sait pas.
16:21 Oui, c'est marqué.
16:22 Parce qu'ils sont bien obligés de mettre des entreprises, des ménages.
16:25 Mais économiquement, on n'en sait rien.
16:28 D'ailleurs, derrière ces batailles de chiffres, je trouve que c'est un petit peu artificiel
16:31 de séparer, d'opposer les ménages et les entreprises.
16:34 Non, ce n'est pas d'opposer, c'est de comprendre, de voir.
16:37 Oui, mais très simplement, quand vous taxez les entreprises, par exemple les cotisations
16:42 sociales, les ménages et les entreprises les payent.
16:45 Au final, ça veut dire quoi ?
16:46 Ça veut dire un coût du travail plus élevé pour l'entreprise, moins de compétitivité.
16:49 Et pour les ménages, ça veut dire un salaire net, net des prélèvements plus faible.
16:53 Oui, mais une sécurité sociale et donc une retraite que vous n'avez pas privatisée.
16:58 Oui, mais qui n'est plus financée, madame.
16:59 On voit bien, les déficits ne sont pas résorbés.
17:01 Moi, la bataille de chiffres, je trouve ça toujours intéressant.
17:04 Une fois qu'on a les bons chiffres, ah ben ça, c'est plus compliqué que ce qui paraît.
17:08 Non, non, je suis désolée.
17:09 Deuxième point, je vais terminer là-dessus sur les entreprises.
17:11 Je veux bien qu'on dise que les profits de dépenses fiscales, je ne sais pas combien,
17:14 je n'ai pas les chiffres, mais en tout cas, ce qui est sûr, c'est que le taux de marge
17:17 des entreprises françaises, chiffre INSEE, est au plus bas depuis le milieu des années
17:21 80.
17:22 On a quand même subi un choc électrique et gazier depuis la guerre en Ukraine, début
17:27 2022, qui a fortement impacté les entreprises.
17:29 Les entreprises ont baissé leur marge plus que dans les autres pays de la zone.
17:32 Dans l'ensemble, sauf dans trois secteurs, quand même.
17:34 Enfin, dans l'ensemble, chiffre hors secteur de l'énergie et hors services de transport,
17:38 on est au plus faible.
17:39 L'inflation qui vient de la marge des entreprises, vous en avez entendu parler.
17:42 L'INSEE vient de dire que 40% de l'augmentation des prix de l'agroalimentaire, ça vient des
17:47 marges des entreprises.
17:48 Moi, je suis d'accord avec vous.
17:49 Je ne suis pas d'accord avec vous.
17:50 En moyenne, mais il y a des entreprises qui ont quand même profité.
17:52 Sauf que je termine là-dessus.
17:54 En 2022, vous regardez les chiffres.
17:56 L'inflation est expliquée plus par les coûts salariaux que par les marges.
18:00 Ça se redresse depuis un ou deux trimestres.
18:02 Vous avez raison.
18:03 Dans les autres pays de la zone euro, aux Etats-Unis, c'est exactement l'inverse.
18:05 Là, vous avez des entreprises qui ont fait beaucoup de marge, qui ont soutenu l'inflation
18:08 par ces marges plus élevées.
18:10 En France, la France se distingue jusqu'à récemment par des pertes de marge au niveau
18:14 d'entreprise.
18:15 On a un taux de marge le plus faible depuis les années 80.
18:17 C'est pareil.
18:18 C'est comme un choc.
18:19 Le bataille des chiffres jusqu'à récemment aujourd'hui.
18:21 De son côté, en Allemagne, justement, en Europe, la Commission européenne promet
18:25 un retour aux règles budgétaires l'an prochain.
18:27 Des règles suspendues depuis la pandémie il y a trois ans et qui prévoient que le
18:31 déficit public ne doit pas dépasser 3% de la richesse nationale quand la dette doit
18:35 rester contenue à moins de 60%.
18:38 La Commission songe à individualiser ces règles.
18:40 Pour les Etats qui ne respecteraient pas les plafonds, elle propose une trajectoire sur
18:44 quatre ans adaptée à chaque situation.
18:47 En échange, les pays s'engagent à adopter des réformes structurelles et à faire des
18:50 investissements stratégiques de nature à alimenter la croissance.
18:55 François Eccal, ces ajustements vont-ils dans le bon sens ?
18:58 Est-ce que c'est la fin des politiques brutales d'austérité ?
19:02 Le sujet est très compliqué parce que les finances publiques des pays de la zone euro
19:07 ont profondément divergé.
19:09 A la fin de l'année dernière, on avait six pays de la zone euro qui avaient une dette
19:13 publique supérieure à 105% du PIB et les 13 autres étaient en dessous de 85%.
19:19 Donc beaucoup au-dessous de ce fameux seuil de 60% du PIB.
19:23 Il est très difficile de trouver des règles communes dans ces conditions-là.
19:26 Ce que dit la Commission, c'est qu'en effet, il faut individualiser.
19:30 Ça, c'est une bonne idée.
19:31 Le problème, c'est que si vous individualisez trop, ça risque d'être à la tête du client.
19:36 Les petits pays, en général, n'aiment pas ça parce qu'ils se disent que c'est les
19:39 grands pays, la France, l'Italie, qui vont en profiter.
19:42 Et puis nous, on va être soumis à des règles beaucoup plus strictes.
19:44 Donc la Commission a été obligée quand même de mettre des règles qui sont en fait assez compliquées.
19:49 Un des buts de l'opération, c'était de simplifier ces règles.
19:52 Je ne crois pas que ce soit plus simple.
19:54 Je pense que c'est peut-être encore plus compliqué.
19:56 Mais je n'ai pas la solution magique.
19:59 Je ne connais pas la solution pour arriver à faire quelque chose de simple et de pertinent.
20:03 Alors Delatte ?
20:04 Moi, je l'ai la solution en arrêtant de mettre la pression sur la dette publique.
20:07 C'est-à-dire que c'est important qu'on puisse assurer à nos créanciers qu'on sera
20:13 capable de rembourser et on n'a aucun problème.
20:16 Vous parliez d'insoutenabilité tout à l'heure.
20:18 Moi, je trouve que c'est quand même un chiffre.
20:20 Enfin pardon, c'est un terme très fort.
20:22 Il n'y a aucun problème d'insoutenabilité de la dette publique française.
20:25 Une dette publique qui augmente sans arrêt, c'est la définition de l'insoutenabilité.
20:28 Si jamais on avait un problème d'insoutenabilité en France, c'est tout le système financier qui s'écroule.
20:32 Parce qu'en fait, c'est quand même un actif sûr.
20:34 C'est un collatéral qui permet aux banques et aux assurances.
20:37 Ce n'est pas une raison pour augmenter sans arrêt la dette.
20:39 Je pense que c'est une raison pour avoir le genre de discours que vous avez.
20:42 Non, mais je pense que c'est la raison pour laquelle on nous en fait tout autant des tonnes sur la dette publique.
20:47 C'est qu'en fait, c'est un actif sûr.
20:49 C'est de l'huile dans les rouages des marchés financiers.
20:52 La dette de la Grèce, ce n'est plus vraiment un actif sûr.
20:55 Non, je vous parle de la dette de la France.
20:57 Oui, mais je vous dis, il y a une dérive lente des finances publiques françaises.
21:00 Pour l'instant, revenons sur les règles européennes.
21:03 Oui, alors du coup, pourquoi ces règles européennes ?
21:10 C'est justement pour assurer à tous nos créanciers
21:12 qu'on a une dette soutenable et qu'on est capable de les rembourser.
21:16 Et fair play, c'est tout à fait ce qu'il faut.
21:19 En revanche, en face, on a un choc climatique immense qui va arriver.
21:24 Qu'est-ce qu'on fait ?
21:25 En fait, on est en train d'essayer de remettre de la pression sur les dépenses publiques.
21:29 Alors qu'il faut investir aujourd'hui.
21:31 Il faut faire tous les investissements pour opérer la transition climatique.
21:35 Qu'est-ce qu'on fait dans ce monde ?
21:36 Maxime Darmé, comment financer ces grands enjeux du moment
21:39 tout en restant dans les clous européens avec ces ajustements possibles désormais ?
21:44 Alors déjà, sur les règles budgétaires européennes, j'en avais un peu plus optimiste.
21:49 C'est-à-dire que la Commission européenne propose de simplifier un petit peu les règles.
21:53 C'est vrai qu'elles étaient très compliquées.
21:55 Là, en gros, ils proposent de garder la règle des 3% de déficit
21:59 et de 60% de dette.
22:02 On supprime les règles déficit structurel, personne n'y comprenait rien.
22:06 Donc, je pense que ça va plutôt dans le bon sens.
22:08 En plus, Bruxelles propose aussi de donner plus de flexibilité, vous l'avez dit,
22:12 aux États pour consolider leurs finances publiques à un rythme plus ou moins rapide
22:17 suivant les États et aussi de donner des marges de manœuvre pour les États
22:20 qui investissent par exemple dans la transition énergétique, la transition écologique.
22:25 Donc, c'est vrai que c'est un sentier assez étroit pour financer les sommes énormes
22:29 de la transition écologique, je n'en dis ce qu'on vient nullement.
22:32 Néanmoins, je ne suis pas sûr que c'est l'accroissement de la dette publique
22:36 qui le permettra. Il faut plus chercher du côté du secteur privé,
22:39 l'inciter à investir dans ses investissements, etc.
22:43 Et les banques centrales ? Ce jeudi, on a vu la Banque centrale européenne
22:46 qui a annoncé une hausse de ses taux d'intérêt d'un quart de point
22:49 et qui s'apprête aussi à réduire son stock de la dette publique.
22:52 François Ecchal, faut-il s'inquiéter de ces nouvelles conditions ?
22:56 Est-ce que c'est la fin du quoi qu'il en coûte monétaire ?
22:59 Dans les médias, non, mais à terme, oui, parce que c'est vrai qu'on se finance
23:04 très facilement jusqu'à aujourd'hui au cours de ces dix dernières années.
23:07 Un pays comme la France et tous les pays de la zone euro et même tous les pays
23:10 de l'OCDE se sont financés très facilement parce que les banques centrales
23:13 achetaient massivement leurs dettes. Cette époque est révolue.
23:17 Donc, aujourd'hui, il va falloir que les États fassent beaucoup plus appel
23:21 pour se financer aux banques, aux institutions financières,
23:24 aux fonds de pension des autres pays. Et donc, ça va devenir plus difficile.
23:28 Et donc, la question de la crédibilité de nos engagements, de notre capacité
23:32 à maintenir sous contrôle la dette publique, cette question va être en effet
23:36 beaucoup plus importante dans les années qui viennent.
23:38 Peut-être que c'est important d'avoir des ordres de grandeur quand même.
23:41 Sur l'aide de la Banque centrale européenne, qui se traduit sur le territoire français
23:46 par la Banque de France qui achète du titre public français.
23:50 Alors, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, et aujourd'hui, c'est la même chose,
23:55 un quart de la dette publique est détenue par la Banque de France.
23:58 C'est complètement exceptionnel, historique, etc.
24:01 La Banque de France, aujourd'hui, intervient deux fois plus dans l'économie
24:05 que dans les années 60. Donc, quand vous dites que l'époque est révolue, c'est quand...
24:09 - Pas oublié, elle a dit qu'elle... - Oui, non, mais attendez.
24:12 - J'ai dit que c'était pas pour demain. J'ai dit à terme.
24:15 - Ah, mais ce sera même pas pour demain. - Ça va être progressif.
24:17 - C'est pas pour 2030. - On amorce un mouvement dans l'autre sens.
24:20 - Oui, mais alors, il faudrait vraiment regarder la courbe.
24:22 C'est-à-dire qu'en fait, vous intervenez deux fois...
24:24 En fait, ça représente 20% du PIB, alors que c'était 1% du PIB il y a une dizaine d'années.
24:28 Donc, en réalité, ce demain, il est probablement en 2030 ou 2035,
24:32 et je crois qu'on aurait eu un choc climatique entre-temps.
24:34 - Allez, on avance. Où va l'argent de nos impôts ? Comment est-il dépensé ?
24:37 Le gouvernement a lancé une opération "transparence" avec un site internet,
24:41 vous allez le voir, "En avoir pour mes impôts".
24:43 Anne Lordeulat, ce site fait-il, selon vous, la lumière sur l'ensemble des impôts et cotisations sociales des Français ?
24:49 - Alors, moi, je trouve que c'est louable, parce que les impôts, c'est à la fois un sujet très technique,
24:53 mais c'est au cœur du contrat social, donc c'est vraiment très important d'avoir un peu de transparence là-dessus.
24:58 En revanche, ce qui m'a beaucoup déçue, moi, c'est qu'il y a une dépense dont on ne parle pas du tout dans ce site,
25:05 c'est les fameuses dépenses fiscales dont on débattait tout à l'heure.
25:08 - Les niches fiscales et sociales. - Voilà, c'est ce qu'on appelle...
25:10 Les niches fiscales et sociales, c'est-à-dire toutes les réductions, crédits d'impôts, etc.
25:15 Et donc, voilà, ça représente aujourd'hui 8,5% du PIB, 190 milliards d'euros pour les entreprises,
25:22 on est à plus de 300 pour ménages et entreprises, subventions et exonérations,
25:27 et on ne demande pas forcément la même rentabilité à ces dépenses.
25:31 - Soyez calmes, plus de transparence sur ces niches fiscales et sociales, est-ce nécessaire ?
25:35 - Oui, d'ailleurs, si vous allez sur le site de Fipeco, j'ai une fiche sur les dépenses fiscales,
25:40 moi, ça ne me pose aucun problème de faire de la transparence sur les dépenses fiscales.
25:43 - Alors, on parle du site du gouvernement. - Alors, le site du gouvernement, lui, contrairement,
25:46 dit "en avons-nous pour nos impôts", en fait, ce n'est pas nos impôts, c'est nos prélèvements obligatoires.
25:51 - C'est-à-dire les cotisations sociales. - Les impôts et les cotisations sociales.
25:54 Ce qui fait que dans le premier camembert qu'on voit sur le site, on a les retraites qui comptent pour un quart des impôts,
26:00 ce n'est pas des impôts, donc c'est impôts et cotisations sociales.
26:03 Une fois qu'on a dit ça, après, il est techniquement normal qu'en fait, dans la réponse, il n'y ait pas les dépenses fiscales.
26:10 Parce qu'en avoir pour nos impôts, c'est en avoir pour les impôts tels qu'ils sont reçus par l'État
26:16 ou les collectivités locales ou la sécurité sociale. Ce que vous payez à l'État en termes d'impôts,
26:21 c'est un montant net de toutes les dépenses fiscales, de toutes les exonérations dont vous pouvez bénéficier.
26:26 Donc, techniquement, en avoir pour ces impôts, il n'y a pas à y mettre les dépenses fiscales.
26:32 En tout cas, ce qui n'interdit pas de parler des dépenses fiscales, par ailleurs,
26:36 ils auraient pu en effet faire une autre page sur les dépenses fiscales.
26:40 Mais ce n'est pas exactement le même sujet.
26:42 Non, je suis d'accord, c'est plutôt dans le bon sens de mettre un peu plus de transparence sur où vont les impôts,
26:48 ça pourrait intéresser beaucoup de gens et comprendre un peu mieux les choses.
26:53 Après, il ne demeure pas moins que l'un des problèmes en France, c'est la perte d'efficacité des dépenses publiques.
26:59 Tout le monde le constate. Les services publics dégradés, l'hôpital, la justice, l'école.
27:05 Comment expliquer cette dégradation ? Vous avez moins d'une minute.
27:08 C'est un sujet très complexe.
27:10 Une hypothèse que j'avance, parmi d'autres, c'est qu'il y a une baisse du niveau de compétence de la population
27:15 qui fait suite à 20-30 ans d'une chute spectaculaire du niveau scolaire.
27:19 Donc, c'est une piste à creuser.
27:21 Alors, Delattre ?
27:23 Non, mais je trouve ça très intéressant.
27:25 Je vais vous dire, mon hypothèse, c'est qu'on a un désinvestissement dans les services publics.
27:28 En fait, quand vous faites des niches fiscales, que vous réduisez les impôts,
27:33 là, pendant le Covid, on a versé à toutes les entreprises, quelles qu'elles soient.
27:37 C'est-à-dire, celles qui allaient faire faillite avec le Covid, celles qui n'auraient pas fait faillite même avec le Covid,
27:42 et celles, vous voyez, toutes.
27:44 Mais c'est quoi le rapport avec l'efficacité de la dépense publique ?
27:47 Alors, justement, en fait, ce n'est pas du tout efficace de donner de l'argent à des entreprises qui n'auraient pas fait faillite.
27:52 Là, je parle de services publics, je ne parle pas forcément des aides aux entreprises.
27:54 Le niveau scolaire, vous ne pouvez pas le nier, les enquêtes PISA, les enquêtes PIAC.
27:58 Moi, le lien, je le vois tout à fait.
28:00 C'est de l'argent public, c'est de l'action publique.
28:04 Soit vous le donnez aux entreprises, soit vous le donnez à l'hôpital.
28:07 Quand vous le donnez aux entreprises, vous ne demandez pas qu'on sélectionne les entreprises qui en auraient eu besoin précisément.
28:12 Ça, ça coûte vraiment très cher.
28:14 Pour un euro, on fait 18 centimes d'activité.
28:17 En revanche, la rentabilité à l'hôpital, ça, on se pose la question.
28:22 Je parle d'efficacité sentie par le citoyen qui constate que les services publics se dégradent.
28:26 C'est tout. C'est tout dont on se dévoile.
28:28 Efficacité, rentabilité, bon, pardon.
28:30 C'est de l'action publique dans les deux sens.
28:33 Malheureusement, c'est un débat que nous ne pourrons pas conclure aujourd'hui.
28:36 Fort intéressant à l'objet d'une autre émission.
28:39 En tout cas, merci à tous les trois d'avoir participé à cette partie de l'émission et de nous avoir éclairé sur l'action publique.
28:46 Et la hausse des taux directeurs des grandes banques centrales occidentales frappe plus durement encore les pays émergents.
28:52 Victimes collatérales, ces pays se sont endettés pour faire face aux dépenses liées au Covid.
28:56 Ils ont désormais plus de mal à attirer des capitaux, intéressés par les rendements plus élevés aux États-Unis.
29:01 Comment alléger le fardeau de la dette de ces pays ? Comment éviter un effondrement de leurs économies ?
29:06 Pour en parler, je reçois Férite Belladge, vice-présidente de la Banque mondiale pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord.
29:11 Bonjour à vous.
29:12 Bonjour.
29:13 La Banque mondiale, pour le rappeler, accorde des prêts aux pays en développement pour des projets d'investissement,
29:18 élève des fonds et reçoit des cotes par des 189 pays membres.
29:22 Aujourd'hui, plus d'une soixantaine de pays pauvres et émergents est au bord ou frappé par une crise de la dette.
29:27 Existe-t-il un ou des risques de crise financière au Maghreb ou au Moyen-Orient ?
29:33 Écoutez, d'abord, merci de la question. C'est vrai que c'est une question d'actualité.
29:38 Aujourd'hui, nous voyons à travers les pays du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord des tensions sur le plan des finances publiques.
29:45 Nous voyons l'inflation et nous voyons effectivement une dette qui doit être, d'une manière ou d'une autre, contenue.
29:52 Parce que sinon, nous pourrions aller vers une crise financière.
29:56 Et comment faire justement ? Comment alléger le fardeau de cette dette ?
29:58 Alléger le fardeau. D'abord, il faut que les économies se remettent à fonctionner de façon beaucoup plus dynamique
30:06 Pour que ces économies fonctionnent de manière plus dynamique, il faut, et nous en parlons toujours,
30:11 que le poids du secteur public sur ces économies-là diminue.
30:15 Il faut ouvrir plus de portes au secteur privé, plus de possibilités à l'investissement
30:20 et avoir un confort de l'investisseur dans l'environnement qui sera proposé par ces pays-là.
30:25 Et il faut aussi qu'il y ait une évaluation de ce qui se passe réellement dans le pays.
30:31 Donc la question de la transparence de la dette est aussi fondamentale.
30:35 On parle aujourd'hui de dette, mais est-ce que nous savons véritablement combien ces pays sont assujettis ?
30:47 Là, il y a effectivement une question.
30:49 Autre question, comment financer le développement sans les étouffer, sachant que les taux d'intérêt flambent ?
30:54 Oui, voilà, c'est ça en fait.
30:56 Est-ce qu'il y a des capacités de la Banque mondiale d'accorder des prêts à taux zéro ou proche de zéro ?
31:01 Taux zéro, non. Pour les pays en tout cas de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient,
31:05 ce sont des pays qui reçoivent des aides concessionnelles de la Banque mondiale, des prêts concessionnels.
31:10 C'est-à-dire qu'on est très très loin du marché.
31:15 Ce que, par exemple, un pays comme la Tunisie pourrait lever aujourd'hui sur les marchés
31:19 n'a rien à voir avec le taux que pratique la Banque,
31:22 qui est d'environ, je dirais aujourd'hui, entre 3,5 et 4 % sur 20 ans, avec 5 années de grâce.
31:29 C'est beaucoup plus que ce que ce n'était il y a un an et demi, où on était en fait à moins de 1 %,
31:35 mais quand même, ce sont des taux qui sont acceptables, si je puis dire.
31:39 Selon le Fonds monétaire international, 1000 milliards de dollars par an seraient nécessaires
31:42 pour aider les pays émergents et en développement à y faire face.
31:45 Pour l'heure, les principaux contributeurs à la Banque mondiale se sont entendus
31:49 pour augmenter ses capacités de financement de 50 milliards de dollars sur les 10 prochaines années.
31:53 On en est loin quand même.
31:55 Ce qui se passe aujourd'hui est très simple.
31:58 Il y a un élargissement du mandat de la Banque mondiale.
32:01 On souhaiterait avoir plus de financement, de façon à rencontrer cette polycrise
32:05 que nous voyons à travers le monde.
32:07 Aujourd'hui, nous avons été vers un allègement du ratio entre les prêts et les avoirs de la Banque.
32:16 On était à 20 %, on est à 19 %.
32:19 Cela permettra d'identifier environ 50 milliards de dollars sur 10 ans.
32:22 C'est important, mais ce n'est pas suffisant.
32:24 Il faut beaucoup plus pour appréhender toutes ces crises-là.
32:27 La nomination d'un nouveau président, Ajay Banga, ancien directeur général de Mastercard,
32:31 sa connaissance du secteur privé et des partenariats privés-publics a été mise en avant.
32:36 Quel rôle, vous l'avez un petit peu dit, les entreprises auront-elles à jouer
32:39 dans le financement du développement de ces pays
32:41 et comment renforcer leur engagement aux côtés de la Banque mondiale ?
32:44 Il faudra que ce nouveau mandat de la Banque, ce mandat plus élargi,
32:48 puisse ouvrir une porte au secteur privé, et notamment sur ces questions de climat et de résilience.
32:54 Parce que là, effectivement, la Banque mondiale, avec ses financements actuels,
32:58 ne pourra pas rencontrer tous ces défis.
33:00 Et c'est là, effectivement, que nous espérons qu'Ajay Banga pourra ouvrir d'autres portes.
33:05 Précisément, il dit vouloir faire de la bonne gouvernance
33:08 et de la lutte contre le réchauffement climatique, ces deux principales priorités.
33:11 Vous diriez qu'il était temps ?
33:12 C'est important, c'est important, mais nous n'abandonnons pas les deux principaux piliers de la Banque mondiale,
33:19 c'est-à-dire la lutte contre la pauvreté et pousser la prospérité d'une manière plus générale,
33:25 donc la croissance économique.
33:27 Et tout ça est complémentaire, ce que nous faisons sur le climat
33:31 est complémentaire de ce qu'on fait sur le développement.
33:33 Alors ça n'a pas toujours été le cas, la Banque mondiale a souvent été critiquée
33:36 pour sa gouvernance et l'absence de prise en compte de l'environnement.
33:39 Va-t-elle arrêter de financer des projets polluants, des énergies fossiles ?
33:43 Vous savez, je vais vous dire, il y a des informations qui ne passent pas.
33:47 La Banque mondiale est le plus grand financier quand il s'agit du climat.
33:52 Nous avons mis, juste l'année passée, près de 32 milliards de dollars sur la table,
33:57 sur des projets verts.
33:59 Donc c'est quand même une information qui ne peut pas changer.
34:02 Il y a de l'argent, évidemment, d'un côté pour les projets verts, mais toujours pour les projets polluants.
34:06 Pas autant que ça, et effectivement, il y a une politique de la Banque
34:09 de se désengager de ce que vous appelez les projets polluants.
34:13 Nous n'en faisons pas, nous n'en faisons plus.
34:15 Je vous donne un exemple, par exemple, en parlant du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord.
34:18 Nous sommes en train d'aller aujourd'hui au Conseil d'administration de la Banque mondiale
34:21 sur un projet transformateur, si on veut, entre la Tunisie et l'Italie,
34:26 un projet d'énergie renouvelable, généré par le secteur privé,
34:31 et qui feront un lien entre l'Europe et l'Afrique du Nord.
34:34 C'est très important, et ça montre que nous avons cette ouverture
34:37 et que nous mettons notre argent derrière nos politiques.
34:40 - Votre priorité, la gouvernance. Comment s'assurer que l'argent est utilisé à bon escient
34:43 dans les appels d'offres, mais aussi dans la réalisation des projets ?
34:46 Comment s'assurer que les projets sont bien adaptés aux populations locales ?
34:50 - Alors nous avons d'abord, en termes d'aspect fiduciaire,
34:54 nous avons effectivement des audits qui se font en amont et en aval.
34:58 Donc là, effectivement, on le voit dans les rapports de la Banque mondiale,
35:02 il n'y a pas de déperdition à ce niveau-là.
35:05 Par la question de l'adéquation aux nécessités du terrain,
35:11 nous sommes sur le terrain et nous avons notre pouce sur le pouls.
35:15 Donc nous voyons exactement ce que ces populations récipiendaires,
35:20 ce dont elles ont besoin. Et je vous donne un exemple.
35:23 Vous prenez la crise qui est aujourd'hui dans tous nos pays.
35:29 Nous avons immédiatement engagé des financements importants
35:33 sur les questions, par exemple, de protection sociale,
35:35 qui sont fondamentales.
35:37 - Ce sont souvent des pays qui n'ont pas de protection sociale.
35:39 Comment justement assurer un filet de sécurité ?
35:41 - Même les pays qui ont une protection sociale ont besoin de plus,
35:44 parce que leur espace fiscal a été restreint par la crise.
35:47 Donc des pays comme la Tunisie, comme le Maroc, la Jordanie,
35:49 comme l'Egypte aujourd'hui, comme le Liban, ont eu effectivement
35:53 des possibilités d'avoir un financement de la Banque mondiale
35:56 sur ces questions de protection sociale, des filets sociaux
35:59 qui sont posés de manière à permettre aux populations
36:01 les plus vulnérables de passer à travers cette crise.
36:04 - La croissance est prévue à 3% cette année dans la zone,
36:06 contre près du double l'an passé.
36:08 Huit pays ont enregistré une inflation à deux chiffres.
36:10 C'est une situation qui contribue à l'insécurité alimentaire
36:13 avec des risques dans certains pays sur la croissance infantile.
36:16 Vous diriez que c'est un véritable retour en arrière
36:18 dans la lutte contre l'extrême pauvreté ?
36:20 - C'est un fléau, ce qui s'est passé, ce qui se passe aujourd'hui
36:23 du fait de cette crise alimentaire est terrible.
36:26 Nous sommes en train de regarder probablement une génération
36:29 qui partira victime de cette crise alimentaire.
36:32 Nous avons sorti dans notre dernier rapport des chiffres
36:35 qui font peur. Près de 8 millions de bébés,
36:40 de 8 millions de nouveau-nés, en fait, risquent d'avoir
36:47 des retards de croissance, c'est-à-dire risquent de ne plus pouvoir
36:51 être en compétition dans la société.
36:54 - Ça veut dire qu'ils sont malades, qu'ils ne pourront pas travailler ?
36:57 - C'est-à-dire qu'ils commencent leur vie avec un énorme désavantage.
37:00 C'est terrible et c'est véritablement...
37:02 S'il y a une chose sur laquelle j'aimerais insister,
37:05 qu'on souhaiterait souligner à travers ce rapport, c'est justement ça.
37:08 C'est terrible de voir que dans des pays qui, par ailleurs,
37:13 ne sont pas dans la misère, cette crise ne va faire qu'une génération
37:18 risque de se retrouver extrêmement désavantagé.
37:22 - Cette crise frappe particulièrement les pays qui sont dépendants
37:25 pour leur approvisionnement en aliments et en énergie.
37:28 Comment expliquer cette dépendance de ces pays ?
37:31 C'est quoi ? C'est l'échec de politiques de développement
37:33 de la Banque mondiale, du FMI ? Comment expliquer ça ?
37:36 - Il y a aussi ce qu'on a appelé, ce qu'on voit aujourd'hui,
37:39 il y a aussi la crise ou la guerre entre la Russie et l'Ukraine
37:42 qui a fait que les prix de ces matières...
37:45 - Mais comment aider ces pays à devenir autonomes, à ne pas...
37:48 - Voilà, justement. Ce qui s'est passé, c'est que pendant
37:50 les 10, 15, 20 dernières années, ces pays-là ont été, comment dire,
37:55 ont été dans la facilité. Il n'y a pas eu autant de volonté d'aller
37:59 sur les questions d'agriculture résiliente.
38:01 Et c'est ce que nous faisons aujourd'hui, en Jordanie, au Liban,
38:04 dans d'autres pays. Nous essayons de, non seulement, aider ces pays
38:07 à importer le blé, l'orge, ce qui est important,
38:11 mais dans le même temps, à mettre en place un financement
38:14 sur les projets d'agriculture résiliente.
38:16 - Merci beaucoup, Féride Bellac. C'est la fin de cette émission.
38:19 Merci beaucoup. Merci à vous de l'avoir suivie.
38:21 L'information continue sur France 24.
38:23 de la Cité de la France.
38:24 Ici Marie-Pier de Montigny,
38:24 [Musique]

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