SMART TECH - Le rendez-vous du mardi 23 mai 2023

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Mardi 23 mai 2023, SMART TECH reçoit Sophie Lavault (psychothérapeute, membre, Cercle de la donnée)
Transcript
00:00 (Générique)
00:06 Deuxième partie de Smartech, votre quotidienne sur l'innovation et les technologies continue.
00:10 On va s'intéresser à la donnée et son empreinte.
00:13 Son reste en plateau avec moi, je le précise, avant tout Nicolas Gaudemet,
00:17 qui est partenaire en charge des industries créatives chez OnePot,
00:20 avec qui on a parlé de cette transformation du cinéma par les technologies,
00:24 et Philippe Legrand, président d'Infranum, qui nous a fait un point sur la situation aujourd'hui
00:28 en matière de très haut débit en France, et puis surtout, où sont les points de vigilance, Philippe ?
00:33 Alors, on va parler aussi de points de vigilance, avec ce monde de la donnée,
00:37 et Sophie Laveau, qui est connectée avec nous.
00:39 Sophie Laveau, vous êtes psychothérapeute, docteur en neurosciences,
00:43 vous êtes membre de l'Agora 41, qui est une tribune de réflexion multidisciplinaire satellite de l'Annecy.
00:50 Vous avez, à ce titre, rejoint le cercle de la donnée pour participer aux travaux sur cette empreinte
00:56 de la donnée sur le vivant.
00:58 Une partie du travail a déjà été présentée dans Smartech par Jean Martineau et Mathieu Bourgeois.
01:03 Nous, on va s'intéresser davantage à la partie sciences cognitives.
01:07 Alors, quel est le lien entre l'empreinte de la donnée et ces sciences cognitives, Sophie ?
01:15 Bonjour, Delphine, merci pour cette présentation et pour cette invitation.
01:19 En fait, la donnée, elle circule de l'humain à la machine, et de la machine à l'humain.
01:23 Et lorsqu'elle est traitée par un humain, elle va venir impacter son fonctionnement nerveux,
01:27 son fonctionnement psychique.
01:29 Les sciences cognitives, elles sont nées avec l'ambition de décrire la pensée
01:33 et le fonctionnement de l'esprit sous la forme d'une machine logique.
01:36 Donc, on voit bien à quel point les sciences cognitives sont intriquées au concept même
01:41 d'intelligence artificielle, qui cherche à modéliser et dépasser la machine à pensée humaine.
01:46 Et d'ailleurs, on fait traditionnellement remonter la naissance des sciences cognitives
01:50 au milieu des années 50, dans le sillage de l'invention de l'ordinateur et de la cybernétique.
01:55 Donc, en fait, les sciences cognitives regroupent des disciplines très variées,
01:59 comme la psychologie, la philosophie de l'esprit, la linguistique, l'anthropologie,
02:03 les neurosciences et l'intelligence artificielle.
02:07 Et pour exemple, dans ce courant, dans les années 70, les psychologues américains
02:11 Tversky et Kahneman, donc Kahneman qui a reçu un prix Nobel d'économie en 2002,
02:16 ont décrit deux modes de pensée complémentaires utilisés par l'humain,
02:20 deux modes de pensée essentiels pour sa survie.
02:23 Une pensée automatique, incontrôlable et rapide, dans laquelle se logent nos biais cognitifs,
02:28 nos intuitions, nos réactions automatiques, et une pensée plus lente et plus coûteuse
02:32 en termes d'énergie. Mais cette pensée-là, elle est aussi plus logique.
02:36 Et dans ce mode de fonctionnement sont impliquées nos fonctions exécutives.
02:42 Ce sont des fonctions très importantes pour l'être humain, qui nous permettent
02:46 de nous adapter à un nouveau contexte ou de nous adapter à des situations complexes,
02:50 résoudre des problèmes complexes notamment.
02:53 Et donc au sein de ces fonctions exécutives, qui sont logées plutôt derrière le front,
02:57 dans les régions frontales de notre cerveau, il y a nos processus d'inhibition,
03:01 qui nous permettent de maintenir notre attention sur une tâche, d'être concentré.
03:05 Il y a aussi notre flexibilité cognitive, ce qui nous permet de passer d'une tâche à une autre,
03:09 et aussi nos processus de régulation émotionnelle, réguler la frustration,
03:13 la colère, la tristesse. Donc quand ces fonctions exécutives se développent mal,
03:17 on peut avoir du mal à s'adapter socialement, à faire face à des situations nouvelles,
03:21 à résoudre des problèmes complexes, et avec à la clé des troubles du comportement
03:26 qui peuvent nous empêcher de fonctionner en adéquation avec l'environnement.
03:29 Et une des empreintes de la donnée sous un angle purement cognitiviste
03:33 se joue justement au niveau de ce système exécutif.
03:36 Plus on a de données à traiter en un minimum de temps,
03:40 et plus on va utiliser notre mode de pensée le plus rapide,
03:43 et du coup le plus soumis à des erreurs de jugement.
03:46 Du coup, on va avoir du mal à se concentrer aussi sur une tâche,
03:49 et on va avoir du mal à prendre des décisions plus rationnelles
03:52 quand on est dans un flot de données très important.
03:55 Nos biais cognitifs, qui sont à l'origine de nos erreurs de jugement,
03:59 sont exacerbés par les réseaux sociaux, par les contenus personnalisés
04:03 qui s'affichent sur nos applications et sur nos pages internet.
04:06 Et on le sait bien, quand on prend son smartphone pour faire quelque chose,
04:09 on se retrouve souvent à faire complètement autre chose.
04:12 Beaucoup d'études montrent aujourd'hui l'impact de la donnée sur nos capacités attentionnelles,
04:16 sur la fatigue cognitive et le manque de sommeil.
04:19 Et c'est d'autant plus préjudiciable pour un enfant
04:22 dont le cerveau est en plein développement jusqu'à la fin de l'adolescence.
04:25 Tous ces paramètres-là vont influencer notre santé physique et mentale tout au long de la vie.
04:30 Donc là, vous abordez ce sujet de l'impact sur notre santé.
04:34 Est-ce qu'il y a d'autres éléments à prendre en compte que les sciences cognitives pour cela ?
04:40 Alors oui, dans l'étude, on s'intéresse à la neurophysiologie par exemple,
04:44 parce que quand on traite aussi un flot important de données,
04:47 il y a un impact sur notre système nerveux.
04:49 On s'intéresse aussi aux sciences humaines et sociales.
04:52 En fait, on cherche à évaluer dans cette étude la trajectoire actuelle.
04:56 Alors tout n'est pas écrit dans le marbre,
04:58 mais on a pas mal d'éléments pour prendre quelques précautions dès maintenant.
05:02 Quand on sait où la donnée impacte notre mode de fonctionnement,
05:04 c'est plus facile de poser des limites.
05:06 Par exemple, le niveau de stress est augmenté lorsqu'on est en multitâche,
05:11 quand on est interrompu sans cesse par des notifications,
05:14 quand le flot des données à traiter est très important et qu'on doit aller vite.
05:17 Du coup, tous nos systèmes physiologiques sont impactés.
05:20 Alors notre système nerveux autonome, celui qui fonctionne sans qu'on ait besoin d'y penser,
05:25 et dans ce système, il y a le système respiratoire, cardiovasculaire, endocrinien, digestif.
05:30 Donc finalement, ça va impacter tous nos systèmes physiologiques
05:33 et le savoir, ça nous permet de peut-être inverser la vapeur
05:37 et commencer à comprendre où est-ce qu'on peut agir pour mieux utiliser la donnée
05:40 et moins être impacté à ce niveau-là.
05:42 Et par ailleurs, c'est important aussi de noter que plus on est connecté à des données virtuelles,
05:47 moins on est connecté à ses propres données,
05:50 c'est-à-dire à ses ressentis corporels,
05:53 à ce qui nous permet de nous adapter à notre environnement.
05:56 Et d'ailleurs, on fait souvent bien plus confiance à ses applications
06:00 et à sa montre connectée qui nous dit "levez-vous" ou "marchez, mille pas de plus"
06:05 qu'à ses propres ressentis, ressentir de la fatigue, de la satiété, etc., ou l'envie de bouger.
06:10 Et du côté des sciences humaines et sociales,
06:12 on s'intéresse à la théorie de l'attachement et à la systémie.
06:16 Ça, c'est aussi un peu nouveau d'amener ces concepts-là.
06:19 La donnée, elle s'invite dans un système, un système familial, amical, professionnel,
06:24 et finalement comme un prolongement de soi-même.
06:26 L'avènement du numérique a complètement transformé la manière dont on interagit les uns avec les autres,
06:31 dont on communique les uns avec les autres.
06:33 Et quand on sait que le manque de soutien social constitue un facteur de risque comparable au tabagisme,
06:39 à l'obésité et à l'hypertension artérielle,
06:42 ça paraît légitime de se demander à quel degré la donnée,
06:46 le flot de données très important qu'on a à traiter,
06:50 peut impacter la qualité de nos relations.
06:53 Et concernant le relationnel parent-enfant,
06:56 parfois la donnée prend la forme d'un distracteur,
06:59 donc elle fait office d'un tiers,
07:01 parfois elle fait office de baby-sitter pour certains parents.
07:04 Apporter du contenu virtuel dès que la relation devient difficile est une solution toute faite.
07:09 Et dans ce cas précis, à quel moment est-ce que la donnée passe d'un distracteur à un objet d'addiction ?
07:15 Voilà tout ce dont on parle dans ce groupe de réflexion.
07:20 Et la donnée artificielle va modifier le lien qu'on a avec soi, avec l'autre,
07:25 et elle a des conséquences sur notre santé mentale.
07:28 La sédentarité et les troubles du sommeil associés vont avoir des conséquences sur notre santé physique.
07:33 Et donc notre rapport au smartphone, aux applications, à la donnée en général, est aujourd'hui problématique.
07:38 Merci beaucoup Sophie Laveau.
07:40 Je suis obligée de vous couper, on arrive au bout du temps qui nous était imparti.
07:43 Merci beaucoup Sophie Laveau pour cet extrait des travaux.
07:46 De toute façon, on va continuer à les creuser ensemble.
07:49 Sophie Laveau d'Agora 41.
07:52 On se retrouve juste après un petit jingle pour regarder Ouval Web.

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