Mardi 23 mai 2023, SMART BOURSE reçoit Bastien Drut (Responsable de la macro-stratégie thématique, CPR AM)
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00:00 *Musique*
00:10 Mais commençons avec le presque quart du siècle de la Banque Centrale Européenne.
00:14 Un anniversaire qui sera célébré techniquement, strictement, le 1er juin prochain, dans une dizaine de jours.
00:21 Le 1er juin 1998, c'était effectivement la naissance officielle de la BCE.
00:28 Et on ne se privera pas de revenir sur ces 25 premières années de la BCE avec Bastien Druc,
00:33 qui est avec nous par téléphone, le responsable de la stratégie de la recherche économique de CPR Asset Management.
00:38 Bonjour et bienvenue Bastien. Merci beaucoup d'être avec nous.
00:42 Effectivement, 25 ans, un quart de siècle, ça permet de redonner peut-être un peu de perspective historique
00:48 sur cette jeune Banque Centrale, qui est la BCE Européenne,
00:52 qui a été créée effectivement le 1er juin 1998, pour la date officielle, Bastien.
00:59 Une naissance d'ailleurs qui s'est faite de manière assez classique dans le monde des banques centrales à l'époque.
01:05 Oui, ce qu'on dit souvent, c'est que la BCE a été construite sur le modèle de la Bundesbank,
01:11 la banque centrale allemande. Et pour rappel, les deux sont implantées à Francfort.
01:16 Alors le mode de fonctionnement de la BCE, il a énormément changé depuis 25 ans.
01:20 On est passé d'une banque centrale qui conduit sa politique monétaire uniquement avec ses taux de directeur,
01:26 à une banque centrale qui manie aujourd'hui un large éventail d'outils, d'instruments de politique monétaire non conventionnels.
01:32 Mais ça n'a clairement pas été facile et il y a eu une mue qui a été quand même très très longue
01:37 pour devenir ce que la BCE est aujourd'hui.
01:40 Aujourd'hui, par exemple, on parle beaucoup de l'énormité du bilan de la BCE,
01:44 on parle beaucoup du QE de la BCE, mais le moins qu'on puisse dire, et là il faut revenir un peu dans le temps,
01:49 c'est que l'idée que la BCE puisse acheter massivement des titres dans le cadre de sa politique monétaire n'a pas du tout été de soi,
01:56 notamment en raison d'un certain conservatisme de la part des gouverneurs des pays du nord de l'Europe.
02:02 Alors il y avait bien eu un programme SMP au début de la crise de la zone euro,
02:06 mais le SMP a eu des effets qui étaient relativement faibles,
02:10 notamment à cause de la faible taille, du manque de transparence, puis aussi de la stérilisation des achats.
02:15 Il y a même eu une période de trois ans, donc une période quand même très longue de 2012 à 2015,
02:20 en plein pendant la crise de la zone euro, où il n'y a eu aucun achat d'obligation souveraine de la part de l'eurosystème,
02:27 alors qu'il y avait déjà eu le QE1, QE2, QE3 de la Fed depuis 2008,
02:33 et puis il y avait la politique de Abenomics de la Banque du Japon qui avait déjà été mise en place,
02:38 donc il y avait vraiment une différence flagrante entre la BCE et les autres banques centrales développées,
02:44 qui elles avaient adopté des mesures d'assouplissement monétaire très agressives sur la période.
02:49 Il a fallu attendre le 22 janvier 2015, après un très net affaiblissement des anticipations d'inflation,
02:58 pour que le Conseil des gouverneurs annonce un programme massif d'achat de titres,
03:02 et le QE de la BCE a vraiment commencé en mars 2015.
03:07 - C'est vrai que cette vitesse de réaction, ou ce manque de vitesse de réaction plus précisément,
03:13 a été souvent une critique récurrente pour la Banque centrale européenne,
03:18 mais la Banque du Japon aussi peut-être a subi ces critiques à un moment.
03:22 Entre le "whatever it takes" de Mario Draghi, qui entre comme président de la BCE en novembre 2011,
03:29 le "whatever it takes" c'est juillet 2012, le début des achats du QE version 1 de la BCE c'est mars 2015.
03:39 Il faut bien voir le temps que ça a pris pour la BCE de Mario Draghi de faire évoluer le logiciel et le mode de fonctionnement de la banque.
03:47 - Oui, tout à fait, et c'est notamment ça qui avait causé que l'euro était resté quand même très fort sur les années 2012-2013,
03:55 malgré la crise de la zone euro, parce que justement la Banque centrale européenne tardait vraiment à prendre des mesures d'assouplissement.
04:02 Alors après, une fois que le QE a été lancé, la BCE a été vraiment très très fort.
04:07 Aujourd'hui la BCE possède aux alentours de 5000 milliards d'euros de titres, c'est quand même vraiment beaucoup.
04:13 Après pour suivre les achats de titres de la BCE, il a fallu se familiariser avec un paquet d'acronymes,
04:19 donc il y avait le SMP qu'on a cité tout à l'heure, le CBPP 1, 2 et 3, le PSPP, CSPP, ABSPP, PEPP.
04:26 Alors on avait un SMP que j'ai cité tout à l'heure qui avait été lancé sous Jean-Claude Trichet, qui a été d'une ampleur limitée,
04:33 mais alors le QE lancé sous Mario Draghi, même s'il a été tardif, il avait vraiment été très très important en taille,
04:40 avec des achats de titres qui ont largement largement dépassé les émissions nettes des Etats,
04:46 et c'est ça qui a vraiment lourdement pesé à la fois sur les taux longs et aussi sur les primes de risque de crédit.
04:52 Il faut aussi mentionner le PEPP qui a été lancé lui non pas sous Mario Draghi mais sous Christine Lagarde,
04:58 qui a été lancé pendant la pandémie de Covid pour empêcher l'effondrement de l'économie européenne,
05:03 mais là aussi il a été lui vraiment très très important en taille.
05:07 Alors tout ça c'est relatif aux achats de titres de la BCE,
05:13 mais la politique de bilan a été beaucoup plus loin que les simples achats de titres.
05:17 Il y a aussi eu les opérations de refinancement de long terme,
05:21 et là si on revient dans le temps, initialement la BCE elle refinançait les banques sur de maturités qui étaient très courtes,
05:27 et aussi sur des quantités qui étaient très limitées,
05:29 et avec Draghi on était déjà passé à des ETH de 3 ans,
05:32 puis après on a eu les TELTRO, des opérations ciblées pour stimuler le crédit bancaire,
05:38 et ça aussi ça a eu un poids très important, une taille très importante dans le bilan de la BCE.
05:44 Ce qui est intéressant Bastien, pour montrer l'ampleur de la transformation effectivement menée notamment par la BCE de Mario Draghi,
05:52 c'est qu'il y a eu ces digues qui ont sauté sur la politique de bilan,
05:56 avec effectivement l'effet d'accélération que vous avez signalé,
05:59 et dans le même temps les digues ont sauté également sur la politique de taux,
06:03 parce que la BCE a été la première banque centrale à entrer et à rester en territoire de taux négatifs pendant longtemps.
06:12 Oui, alors c'était peut-être pas la première à mettre en place des taux négatifs,
06:15 mais en tout cas c'est celle qui a resté le plus longtemps avec des taux négatifs,
06:18 et là il y a eu une vraie révolution, on avait un comportement de banque centrale vraiment classique au début,
06:24 et après à partir de juin 2014 on a eu le passage en territoire négatif.
06:30 Alors à l'époque tout le monde pensait que ça allait durer relativement peu de temps,
06:33 mais ça a duré quand même plus de 8 ans au total, soit un tiers de l'existence de la BCE,
06:39 et c'est seulement en juillet 2022 que cette expérience de taux négatif elle a pris fin.
06:44 Et effectivement c'est l'expérience de taux négatifs parmi les plus puissants jamais réalisés par une banque centrale,
06:51 parce que ces taux négatifs se sont appliqués à des quantités de liquidités excédentaires qui étaient vraiment très importantes,
06:57 et donc vraiment ça a eu un impact sur l'économie européenne qui a été vraiment très très forte,
07:03 mais le côté négatif c'est que ça a plombé complètement les taux monétaires sur le long terme,
07:08 donc là j'ai fait un petit calcul, sur les 25 premières années de la BCE,
07:12 le taux de dépôt en moyenne de la BCE a été à peine au-dessus de 0,8%,
07:18 donc des taux qui ont été quand même très bas en moyenne sur les 25 premières années de vie de la BCE.
07:25 Qu'est-ce qu'on peut dire des missions qui sont conférées aujourd'hui à la Banque Centrale Européenne, Bastien,
07:31 sachant que sur le plan juridique, légal, le traité reste le traité, le mandat reste le mandat,
07:38 mais on comprend bien effectivement que la BCE a ouvert son champ de mission à d'autres sujets que la stricte stabilité des prix.
07:46 Alors l'un des exemples vraiment forts c'est celui de la supervision bancaire,
07:52 donc là il a fallu avoir la crise financière de 2008, puis la crise de la zone euro pour que les missions de la BCE évoluent,
08:02 donc la BCE a commencé à participer au comité de Bâle dès 2010,
08:06 puis après à partir de 2014, la BCE a eu dans ses prérogatives des missions de supervision bancaire pour les banques les plus importantes de la zone euro,
08:16 et c'est quelque chose qui a perduré, qui va perdurer dans le temps,
08:19 et ça c'était pas du tout prévu au départ que la BCE joue ce rôle de superviseur bancaire.
08:26 Donc ça, ça fait partie de l'une des prérogatives supplémentaires qu'a acquise la BCE en cours de route.
08:31 La question climatique également est de plus en plus discutée, débattue au sein des banques centrales,
08:38 et dans ce monde des banques centrales, on a le sentiment que la BCE, de Christine Lagarde cette fois,
08:43 se voit comme pionnière en matière de politique monétaire adaptée, appropriée aux efforts nécessaires à la transition climatique ?
08:54 Oui, la lutte contre le changement climatique, c'est un sujet qui est vraiment très très récent pour les banques centrales,
09:01 et en fait, quand on suit, quand on fait un petit retour en arrière et qu'on regarde toutes les communications de la BCE,
09:07 le changement climatique, c'est un sujet qui n'avait été quasiment jamais abordé par les membres de la BCE jusqu'en 2018.
09:14 C'est quand même assez récent, c'était il y a seulement cinq ans, et tout a vraiment changé en 2018,
09:20 parce que, si on se souvient bien, à l'époque il y avait une sécheresse exceptionnelle qui avait asséché les fleuves en Allemagne,
09:26 en fait sous les fenêtres de la BCE, et là c'est devenu complètement impossible à ignorer.
09:31 Donc le premier à en parler à la BCE, ça a été Benoît Curé, qui était membre du directoire à l'époque,
09:37 et qui a expliqué que les chocs climatiques, ils étaient comparables à des chocs d'offres,
09:41 qui impliquaient une croissance plus faible et une inflation plus élevée,
09:45 ce qui pose donc un dilemme pour les banquiers centraux entre la stabilité de l'inflation et la stabilité de la croissance.
09:51 Mais là où ça a vraiment changé, c'est sous la présidence de Christine Lagarde,
09:56 parce que là la BCE s'est beaucoup plus impliquée dans la lutte contre le changement climatique.
10:01 On peut quand même se souvenir que Christine Lagarde a qualifié la crise climatique de menace existentielle,
10:07 et c'est vraiment depuis la revue stratégique de 2021 que la BCE prend en compte explicitement les risques climatiques dans sa politique monétaire.
10:16 Elle a par exemple soumis les banques européennes à des stress tests climatiques,
10:20 elle a aussi commencé à intégrer des critères climatiques dans la gestion de son portefeuille d'obligation d'entreprise.
10:26 Elle a un portefeuille d'obligation d'entreprise qui est important, qui a été constitué dans le cadre du programme qui s'appelait le CSPP.
10:33 Et là on se demande un petit peu ce qu'elle va faire maintenant la BCE par rapport à ce portefeuille-là,
10:37 parce qu'elle avait commencé à tilter son portefeuille vers les entreprises à bon score climatique
10:43 via les réinvestissements de titres qui arrivaient à maturité,
10:47 et là comme la BCE va passer à partir de juillet en full quantitative tightening,
10:52 c'est-à-dire que tous les titres qui arrivent à maturité, elle ne va pas les réinvestir,
10:56 on se demande comment elle va finir par "vernir" son portefeuille d'obligation d'entreprise.
11:02 Peut-être que l'une des solutions c'est qu'elle va devoir vendre des titres à mauvais score climatique pour acheter des titres à bon score climatique.
11:10 On n'a pas encore vraiment de détails là-dessus, c'est comme ça que ça pourrait éventuellement se faire sur les mois qui arrivent.
11:17 Gérer la question de la greenflation, Bastien, avec en plus les effets démographiques, du paquebot démographique
11:25 qui sont en train de se faire ressentir à plein et qui mettent effectivement une grande partie de l'offre sous pression
11:31 et peut-être de manière continue pour plusieurs années encore devant nous.
11:35 Bastien, qu'est-ce que ça veut dire dans l'idée de l'objectif d'inflation que s'est fixé la BCE il y a 25 ans ?
11:44 Est-ce qu'il faut imaginer que dans les 25 prochaines années, cet objectif d'inflation sera nécessairement modifié ?
11:51 On va en parler, ça c'est sûr.
11:54 Il y a déjà le sujet que vous avez mentionné, la transition énergétique, qui va créer un surplus d'inflation.
12:02 Il y a la membre du directoire Isabelle Schnabel qui en parle régulièrement, elle parle régulièrement de la greenflation.
12:08 Il y a aussi une inflation qui pourrait être structurellement plus élevée à cause des évolutions démographiques.
12:14 On a déjà parlé dans cette émission, la population en âge de travailler en zone euro,
12:19 elle baisse actuellement de plus d'un million de personnes par an et ça va accélérer sur les années qui arrivent.
12:26 Donc ça, ça va causer des tensions sur le marché du travail, donc ça c'est de l'inflation en plus.
12:30 Donc la question de la cible d'inflation, elle va se poser et c'est vraiment au conseil des gouverneurs
12:36 de voir comment ils interprètent le mandat de stabilité des prix,
12:39 parce que dans les traités européens, on assigne à l'ABCE un mandat de stabilité des prix,
12:46 mais ensuite c'est au conseil des gouverneurs de voir comment lui, il l'interprète.
12:50 Alors récemment, Christine Lagarde, elle s'est montrée, c'était un petit peu étonnant d'ailleurs,
12:54 ouverte à une hausse, à une augmentation de la cible d'inflation, peut-être à 3%,
12:59 elle a surtout dit que c'est une question qui pourrait être posée une fois que l'inflation serait revenue à 2%,
13:05 pour ne pas tricher, entre guillemets, et donc c'est un vrai sujet qui va arriver,
13:10 mais peut-être quand même pas tout de suite, parce qu'elle indique que ça arrivera quand l'inflation sera à 2%,
13:15 actuellement quand même l'inflation est à 7% au niveau de la zone euro,
13:18 donc c'est pas un sujet pour les mois qui arrivent non plus.
13:21 Merci beaucoup Bastien, merci pour cet éclairage, cette mise en perspective sur ce quart de siècle
13:27 de la Banque Centrale Européenne qui sera officiellement célébrée le 1er juin prochain, dans une dizaine de jours.
13:33 Bastien Hendreux, responsable de la stratégie de la recherche économique de CPR, Asset Management, avec nous par téléphone.