Affaire n° 2023-1054-QPC

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Date de l'audience : 06/06/2023

Société Angelini Filliat [Pénalités pour facture inexacte ou incomplète]

Lien vers la décision : https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2023/20231054QPC.htm

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00:00 L'audience est ouverte. Bonjour à tous. Nous avons aujourd'hui à notre du jour deux questions prioritaires de constitutionnalité.
00:18 Nous allons commencer avec la QPC, puisque c'est ainsi qu'on l'appelle, numéro 2023-1054. Elle porte sur certaines dispositions de l'article 1737 du Code général des impôts. Madame la préfète, dites-nous où nous en sommes de l'instruction.
00:36 La question constitutionnelle a été saisie le 17 avril 2023 par une décision du Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par la société Angelini Filia, portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe 2 de l'article 1737 du Code général des impôts.
00:57 Dans sa rédaction résultant de l'ordonnance numéro 2005-1512 du 7 décembre 2005 relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l'harmonisation et l'aménagement du régime des pénalités.
01:13 Cette question relative aux pénalités pour factures inexactes ou incomplètes a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le numéro 2023-1054 QPC.
01:26 Maître Lionel Vellaire et Alexandre Noireau ont produit des observations dans l'intérêt de la partie requérante le 5 mai 2023. La Première ministre a produit des observations le 8 mai 2023.
01:38 Seront entendus aujourd'hui l'avocat de la partie requérante et le représentant de la Première ministre.
01:45 Merci madame. Nous allons suivre vos indications. Nous allons d'abord écouter Maître Vellaire qui est avocat barreau d'Aix en Provence, qui représente la société Angelini Filia de partie requérante. Maître.
02:02 Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel. L'article 1737 du Code général des impôts, c'est un habitué chez vous.
02:12 En fait, c'est presque une vieille connaissance. Vous avez déjà prononcé quatre fois sur ce texte. La première fois, c'était sur son ancien avis de l'article 1740, terre du Code général des impôts.
02:25 Et votre dernier avis là-dessus était particulièrement inspirant, puisque vous en êtes revenu à décider de la proportionnalité de cette sanction, notamment sur le 1 du grand C de ce texte, où nous avions un défaut de facturation qui était présenté.
02:48 Et vous avez considéré que le fait de ne pas avoir de plafond était à l'encontre du principe de proportionnalité. Eh bien, ici, ce texte, en fait, il est organisé de façon particulière, puisqu'on a...
03:04 Il sanctionne le défaut de facturation, c'est-à-dire les factures fictives ou les factures de complaisance. Là, nous avons une sanction de 50 % qui n'est pas plafonnée. C'est ce que j'appelle les fraudeurs.
03:16 Ensuite, vous avez les négligeants. Les négligeants, ce sont ceux qui ont des problèmes, n'arrivent pas à produire les factures. Mais s'ils arrivent à produire la facture et qu'on se rend compte qu'elles ont bien été comptabilisées, à ce moment-là, la sanction est de 5 %, et elle est plafonnée depuis votre dernier avis et la loi de finances qui en a suivi.
03:38 On arrive maintenant à l'article 1737, grand 2, où vous avez, pareil, un négligeant qui est désorganisé mais qui est honnête, c'est-à-dire qu'il a un problème avec ses factures, il manque des mentions.
03:51 Eh bien, on va appliquer une sanction qui est de 15 € par facture. Et si jamais on se rend compte que c'est trop élevé par rapport au montant de la facture, eh bien on va descendre à un plafond proportionnel de 25 % du montant de la facture.
04:11 En ce sens, si on se dit que ce texte est universel, il me semble que le principe de proportionnalité doit être universel ici. Et si, je vais vous montrer qu'on a un décalage, on a un déséquilibre selon les situations.
04:24 Et c'est ce qui est arrivé à notre client. Je prends une facture de 10 € sur laquelle je vais appliquer la TVA, ça me fait 12 €. Je suis en infraction, on va m'appliquer la sanction.
04:36 Je ne vais bien sûr pas mettre la sanction de 15 € et c'est pour ça qu'on a ce plafond proportionnel et ça va me faire une sanction de 25 % du montant de la facture, de 12 €.
04:45 Donc ça fait 3 €. Mon chiffre d'affaires est de 10 €. Donc j'ai une sanction qui est de 3 € par rapport à 10 €, c'est bien 30 %. Vous multipliez ça par le nombre de factures et on peut arriver à des montants qui sont très importants.
05:00 Dans le cas qui nous intéresse, il avait émis 15 000 factures. Il y a eu un bug électronique sur ces factures, c'est-à-dire que les 100 000 premières factures sur les premières années, ça marchait bien.
05:14 Et ensuite, on a eu un défaut de numérotation. C'était quelqu'un qui a déclaré et a comptabilisé toutes ces factures. Et on se retrouve simplement avec une amende pour ce défaut sur la numérotation, sur l'incrémentation des factures.
05:28 Et c'est comme ça qu'on arrive à quelqu'un qui faisait 450 000 € du chiffre d'affaires avec une amende de 150 000.
05:34 Or, vous prenez quelqu'un qui fait 2 factures de 300 000 €, il oublie les mentions, il a un problème d'incrémentation, la facture est de 15 €.
05:44 Donc selon que vous avez des factures qui sont importantes ou des factures qui sont faibles, la proportion n'est absolument pas la même.
05:55 Et ceci marche aussi avec le nombre de factures. En fait, si vous avez des factures plus importantes, parce que le seuil est de 60 € pour appliquer le plafond de 25 %, le plafond proportionnel,
06:09 si vous avez un nombre de factures important, vous multipliez forcément les 15 € par le nombre de factures.
06:15 Ça veut dire qu'en fait, le plafond, c'est le nombre de factures. C'est-à-dire que ce plafond n'existe pas.
06:21 Et le plafond suivant votre situation, vous faites beaucoup ou pas beaucoup de factures, vous aurez une situation qui est très différente.
06:28 Et en ce sens, je considère qu'on n'a pas le respect de la proportionnalité.
06:33 Puisqu'on se trouve dans un cas qui n'a peut-être pas été envisagé par le législateur, mais on se trouve dans un cas où, dans notre cas particulier,
06:41 nous sommes vraiment pénalisés par l'application de ce dispositif.
06:47 Alors c'est vrai que Mme la Première ministre considère que le plafond de 25 % est un plafond qui est tout à fait normal, qui est proportionnel, sauf qu'il dépend du nombre de factures.
07:01 Donc en ce sens, c'est vrai que même si comparaison n'est pas invitée ici à ce débat, on voit que les autres dispositifs,
07:09 et notamment le dernier sur lequel vous avez donné votre avis, quand on fait un défaut de production de factures et qu'on montre qu'elle a bien été comptabilisée,
07:16 eh bien vous appliquez un plafond, le plafond de 37 500 €. Et le législateur, maintenant, applique des plafonds sur ces sanctions.
07:27 Donc c'est pour ça que, un peu ignorant du passé et incertain de l'avenir, je m'en remets à vous. Je vous remercie.
07:35 Merci, Mme. Alors, nous allons maintenant écouter pour la Première ministre M. Canguilhem.
07:41 Merci, M. le Président. Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
07:47 les sanctions fiscales réprimant les règles de facturation poursuivent l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale,
07:53 auquel votre jurisprudence adjoint parfois celui de la lutte contre l'évasion fiscale. Voyez votre décision 667 QPC.
08:00 Ces sanctions, cela a été dit, sont prévues à l'article 1737 du Code général des impôts, dont le grand 2, objet de la présente QPC,
08:10 prévoit que toute omission ou inexactitude constatée dans les factures donne lieu à l'application d'une amende de 15 €,
08:18 avec cela été également dit un plafond de 25 % de l'ensemble des factures. Par cette disposition sont donc sanctionnés les manquements
08:28 à l'obligation de faire apparaître diverses mentions sur les factures, parmi lesquelles le nom du client, la date d'émission ou encore les numéros d'identification à la TVA.
08:38 Cette amende sanctionnant donc toutes les inexactitudes de facturation avait dans un premier temps été créée par la loi de finances pour 1998.
08:46 Mais le dispositif en avait été censuré, car il se bornait à prévoir une amende de 100 francs à l'époque, 100 francs par manquement, sans prévoir de plafonnement.
08:57 Vous voyez votre décision 395 DC. Le législateur a donc plafonné cette amende au quart du montant de chaque facture dans la loi de finances pour l'année 2000,
09:06 ce que vous aviez déclaré conforme à la Constitution dans les motifs de votre décision rendue dans le cadre de votre contrôle a priori, numéro 424 DC.
09:15 Ces dispositions, comme vous l'avez déjà jugé, ne méconnaissent pas le principe de proportionnalité des peines.
09:24 Vous n'exercez en la matière du contrôle de la proportionnalité des peines qu'un contrôle restreint, mais qui s'opère de manière distincte,
09:32 et cela va avoir son importance, selon qu'il s'agisse d'une amende forfaitaire ou d'une amende proportionnelle.
09:38 Lorsque le quantum de la sanction résulte de l'application d'un taux fixe à une assiette, vous vous attachez à vérifier d'une part qu'il existe un lien entre la nature de la sanction et celle de l'infraction,
09:47 et d'autre part que le montant de la sanction n'est pas manifestement disproportionné à la gravité des faits que le législateur a entendu réprimer.
09:55 En cas de pénalité forfaitaire, votre contrôle est plus simple, plus direct, et d'une certaine manière, vous vérifiez alors que ce montant forfaitaire fixé par la loi n'est pas manifestement disproportionné à la gravité du manquement commis.
10:10 Les dispositions contestées consistent en une amende forfaitaire de 15 euros, limitée par un plafond de 25% du montant total des factures.
10:18 Il s'agit donc bien d'une sanction automatique sans que ne soit pris en compte ni le préjudice subi par le trésor, ni l'intentionnalité du manquement.
10:28 Ces éléments peuvent entrer dans votre appréciation de la proportionnalité d'un taux fixe à une assiette, mais ne sont pas directement pris en compte dans le contrôle de l'absence de disproportion manifeste que vous faites en matière de sanction forfaitaire.
10:43 La sanction en cause ici ne vise qu'à réprimer un manquement objectif et non un comportement répréhensible.
10:51 Il est reproché par la société requérante que le régime de sanctions contestées ne distingue pas selon que le manquement concerne des mentions obligatoires ou facultatives, ni selon que ces mentions aient ou n'ont une incidence du point de vue fiscal.
11:06 Mais c'est le propre des amendes forfaitaires que de s'appliquer sans distinction afin justement de sanctionner un manquement objectif et dès lors que le montant n'est pas disproportionné, ce qui est le cas en ce qui concerne un montant de 15 euros d'amende.
11:24 Il est également reproché aux dispositions contestées de ne pas prévoir de plafond annuel à ces sanctions.
11:31 Certes, mais il existe un plafond, un plafonnement proportionnel, qui était d'ailleurs la condition mise à la constitutionnalité de ce dispositif selon les termes de votre disposition 395 dc, afin justement de limiter les effets d'un potentiel cumul d'amende.
11:49 Lorsqu'une amende forfaitaire se combine avec un plafond proportionnel, vous appliquez alors votre jurisprudence relative aux sanctions résultant de l'application d'un taux fixe à une assiette.
12:00 Et vous aviez d'ailleurs déjà décidé, au point 59 de votre décision 424 dc, que dès lors qu'elle était désormais assortie d'un tel plafond, l'amende n'était pas constitutive d'une sanction manifestement disproportionnée à la gravité des manquements constatés.
12:18 Et nous vous invitons aujourd'hui à reprendre ce raisonnement. Aucune évolution postérieure ne justifiant que vous reveniez sur cette appréciation.
12:27 Alors ce n'est, cela a été dit précédemment, évidemment pas la position des auteurs de la question qui appuie leur argumentation sur votre récente décision du 26 mai 2021 908 QPC,
12:40 par laquelle vous avez estimé, donc relativement au Quentin, du même article, qu'en cas d'absence de production de facture, l'amende de 50% du montant, ramenée à 5% en cas de justification d'une comptabilisation régulière, était manifestement disproportionnée.
12:56 Il est notamment soutenu par les auteurs de la question qu'ainsi, en cas de cumul d'amende, l'amende pourrait être plus importante en cas de facture inexacte qu'en cas d'absence de facture, ce qui révélerait la disproportion de la sanction.
13:17 Ce raisonnement doit être réfuté pour deux séries de raisons. D'abord, car vous ne pouvez pas faire le parallèle que les auteurs de la question vous invitent à faire entre votre décision 908 QPC et la présente espèce,
13:31 car dans l'hypothèse du Quentin qui était en cause dans la décision 908 QPC, il s'agissait de l'application d'un taux proportionnel à une assiette et non d'un taux forfaitaire comme en l'espèce.
13:45 Or, comme nous l'avons déjà rappelé, votre contrôle n'est pas identique dans les deux cas. Donc le parallèle avec votre décision 908 QPC n'est pas opérant.
13:54 Il n'est pas opérant non plus pour une autre raison. En effet, vous êtes invité par cet argument à apprécier la proportionnalité d'une sanction, celle du grand 2, au regard du degré de sanction d'un manquement jugé plus grave,
14:10 qui est celui du grand 1 de l'article 1737. Mais telle n'est pas la nature de votre contrôle de proportionnalité. Celui-ci s'opère entre la sanction et le manquement qu'elle entend réprimer.
14:23 Le contrôle de proportionnalité est donc le résultat d'une sorte de face-à-face entre la sanction et les exigences constitutionnelles et n'est pas le fruit d'une comparaison
14:33 entre différentes sanctions concernant des manquements plus ou moins graves. La société requérante vous invite en réalité à opérer un contrôle de la proportionnalité relative,
14:43 qui est étrangée à votre jurisprudence comme à votre office, car en réalité cela vous conduirait, pour vous assurer de la proportionnalité d'une sanction,
14:53 à vous assurer de la cohérence de l'ensemble du système législatif des sanctions fiscales. Enfin, précisons que, effectivement, comme cela a été dit par la société requérante,
15:07 cette amende forfaitaire devient proportionnelle lorsque la facture est inférieure à un montant de 60 euros, et alors il s'agit d'un taux de 25%.
15:18 Mais dans cette hypothèse également, les dispositions contestées satisfont aux exigences de votre jurisprudence, cette fois-ci non plus en matière de sanctions forfaitaires,
15:27 mais en matière de sanctions proportionnelles. D'une part, car le taux est assis sur le montant de la facture et que la sanction est donc en lien direct avec l'infraction.
15:37 D'autre part, car le taux de 25%, s'il peut certes paraître élevé, n'est pas manifestement hors de proportion avec la gravité du manquement reproché.
15:47 Au regard du faible montant des amendes et de l'objectif de valeurs constitutionnelles poursuivies.
15:53 Pour l'ensemble de ces raisons, le grief tiré de la méconnaissance du principe de proportionnalité des peines pourra être écarté, aucune exigence constitutionnelle n'ayant été méconnue.
16:01 Je vous invite à déclarer la disposition du grand 2 de l'article 1737 du Code général des impôts conforme à la Constitution.
16:07 Merci M. Corguellien. Alors, nous avons entendu les arguments dans un sens, dans un autre. Est-ce que les membres du Conseil ont des questions à poser ? Non ? Vous êtes suffisamment éclairés ?
16:19 Très bien. Donc nous allons regarder tout cela de très près et prendrons et rendrons notre décision dans 10 jours, exactement le 16 juin, au matin.