Avec Mathilde Le Coz, présidente du LabRH
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00:14 Alors nous sommes réunis jusqu'à 10h30 environ et pour commencer je suis très
00:17 heureuse d'accueillir Mathilde Lecoz. Bonjour Mathilde.
00:20 Bonjour.
00:21 Mathilde vous êtes DRH du groupe d'audit et conseil Mazars et je
00:24 presque envie dire surtout, vous êtes présidente du Laberrage. Le Laberrage
00:27 c'est une association qui promet la transformation de la fonction RH avec un
00:31 petit tropisme tech. C'est à peu près ça.
00:34 Tout à fait, exactement.
00:36 Alors pour commencer, peut-être pour poser le contexte, où est-ce qu'on en est aujourd'hui dans la relation avec les collaborateurs ?
00:43 Alors une relation qui questionne beaucoup, qui fait beaucoup parler. Je pense qu'il y a un enjeu à la fois
00:49 conjoncturel et structurel aujourd'hui. La conjoncture en termes de
00:54 marché du travail qui est extrêmement saturée. En tout cas sur un certain nombre
01:00 de verticales on est en plein emploi, voire on est en pénurie de talents. On a
01:04 toujours parlé de la guerre des talents mais ça n'a jamais été aussi fort.
01:06 Simplement puisqu'on a aujourd'hui un marché driveé davantage par l'offre que
01:11 par la demande. On a beaucoup moins de candidats qu'on a de postes aujourd'hui
01:15 ouverts, surtout sur des compétences extrêmement pénuriques.
01:18 Donc ça c'est la première chose et la deuxième c'est une cause beaucoup plus
01:21 structurelle aujourd'hui. On parle d'une révolution silencieuse.
01:26 Est-elle encore silencieuse ? En tous les cas une attente très forte, une attente
01:29 sociétale sur la manière de réinventer la relation au travail qui fait qu'aujourd'hui
01:35 un certain nombre de collaborateurs ne sont plus heureux dans leur travail ni
01:39 en entreprise. En post-covid on a vu un certain nombre de gens quitter leur
01:43 entreprise, remettre en cause leur métier. Et c'est vrai qu'aujourd'hui quand on voit
01:48 à la fois le désengagement, parfois les maladies professionnelles, ce que j'appelle
01:54 les switch qui explosent, l'absentéisme, les switch. Et puis aussi l'explosion des
01:59 freelance qui est le phénomène où en fait on n'a plus besoin d'être salarié
02:02 pour avoir du travail. Et du coup voilà cette volonté de trouver son travail, de
02:07 créer son travail par soi-même, montre bien qu'aujourd'hui il y a une relation
02:10 quand même un peu en crise entre les employés et les employeurs et qu'aujourd'hui
02:16 il y a quelque chose à redéfinir ensemble. Je reviens peut-être sur deux choses que
02:19 vous venez d'évoquer. Tout ça c'est lié au covid ? Vous avez cité le covid mais...
02:22 Je pense que c'est davantage dû à la révolution numérique. Ce qui est
02:28 intéressant c'est qu'avant covid quand on questionnait chez Mazars par
02:31 exemple, qui travaillent beaucoup sur les nouvelles générations, ils nous disaient un
02:33 certain nombre de choses qui se sont révélées post-covid mais de façon
02:37 beaucoup plus générale, c'est à dire à travers l'ensemble des générations.
02:41 Je pense qu'aujourd'hui l'émancipation, on va revenir sur la quête de sens mais
02:47 qui est aussi la notion de responsabilisation des individus, de
02:49 liberté en fait mais liberté aussi de penser, d'agir,
02:53 c'est aussi ce qui vient avec l'évolution naturelle de
02:58 l'humanité et plus on évolue technologiquement, plus les hommes
03:02 et les femmes aspirent aussi à faire ce qui fait d'eux des êtres humains et je
03:07 pense notamment à cette notion d'émancipation.
03:09 Donc en fait pour moi le covid n'a été qu'un déclencheur qui a accéléré bien
03:14 évidemment puisque maintenant avec le travail hybride, le travail à distance,
03:17 le télétravail mais qui est pour moi une disposition dans le monde numérique en
03:22 fait et c'est vrai que suite à la révolution numérique on n'a peut-être
03:27 pas réinventé les codes du travail pour une économie davantage numérique, hybride,
03:33 digitale, à distance même si c'est pas l'intégralité des métiers, j'en ai bien
03:39 conscience mais en tout cas c'est quand même une majorité aujourd'hui donc ça
03:42 s'est accéléré. Le deuxième point sur lequel je voulais revenir c'était la
03:45 liberté mais en fait vous avez enchaîné dessus c'est exactement ça, c'est cette
03:48 notion de liberté qui est devenue semble-t-il primordiale pour les
03:52 collaborateurs. Alors ça m'emmène sur le point suivant qui était comment est-ce
03:58 que alors que les collaborateurs vont être libres, comment est-ce qu'on peut
04:02 les attirer ou les retenir dans une entreprise,
04:05 quels sont les leviers de cette réactivité, de cette rétention, est-ce qu'ils sont
04:09 différents ? Pour moi les leviers d'attractivité et de rétention ou je dirais
04:14 même plutôt d'engagement sont les mêmes puisqu'en fait on va être attiré par une
04:18 entreprise qui engage et qui s'occupe bien et qui sait garder ses collaborateurs
04:22 donc si on travaille davantage sur l'engagement ça fera nécessairement, ça
04:27 produira des effets en termes de rétention et d'attractivité. On veut
04:30 d'abord rejoindre une entreprise où les gens ont l'air heureux de travailler, de
04:33 collaborer dans cette entreprise. Donc c'est les mêmes leviers. C'est vrai que
04:39 la quête de sens en est un. On a beaucoup assimilé la quête de sens à
04:43 travailler dans une entreprise soit à mission, soit avec un objet social ou
04:47 environnemental. Pour moi la quête de sens c'est plutôt le sujet de
04:51 l'émancipation, c'est à dire faire en sorte que chaque individu, enfin quand on
04:55 se lève le matin on sait à quoi on sert. Il y a un vrai sujet de reconnaissance et
04:59 d'émancipation dans la manière d'atteindre quelque part sa quête à soi.
05:04 Donc c'est vrai qu'en entreprise ça se transpose dans des cultures
05:07 managériales beaucoup plus horizontales, des prises d'initiatives encouragées, des
05:12 cultures entreprenariales et d'ailleurs si beaucoup de gens s'orientent, se
05:15 tournent vers le freelancing c'est parce qu'il y a un peu cette fierté de dire en
05:19 fait je sais pourquoi je me lève le matin pour créer mon travail. On perd
05:24 moins facilement de vue la finalité de ce qu'on fait. Donc la quête de sens
05:29 c'est un vrai levier aujourd'hui pour attirer et je vais donner un exemple.
05:34 Par exemple on a beaucoup travaillé sur ce qu'on appelle les slasheurs, donc
05:40 les gens qui ont des multi-activités. Chez Mazars un exemple c'est qu'on a
05:44 inséré une clause autorisant le cumul d'emplois pour tous nos salariés.
05:48 Dès lors qui est donc par exemple salarié auto-entrepreneur, ce qui est le
05:52 schéma le plus développé. Ça c'est un bon exemple de ça va créer de
05:56 l'attractivité puisqu'en fait on adapte l'organisation pour qu'elle sache
06:01 vivre dans son époque en fait, dans son temps. Aujourd'hui on n'a plus du tout
06:04 envie de se limiter justement à un seul métier, voire à un seul CDI et la
06:09 liberté elle va être dans la manière de pouvoir collaborer de façon différente
06:13 peut-être sur différents projets. Ça c'est aussi un vrai sujet aujourd'hui de
06:17 liberté. A l'inverse c'est plutôt comment on fait en sorte que le salarié
06:22 n'est pas alienant. Et c'est parfois on peut dire en fait être salarié dans une
06:25 entreprise, est-ce que ça ne me prive pas de droit ou de certaines libertés. Ça
06:29 peut être vu ainsi en tous les cas. Alors il y a un point que vous avez évoqué,
06:33 vous avez parlé du fait qu'il fallait que les gens soient heureux d'aller
06:35 travailler. Si je vous emmène un cran plus loin, est-ce que le bonheur est
06:41 un sujet pour l'employeur ? Alors peut-être que le terme bonheur est un
06:46 peu fort parce qu'en fait ce serait très présomptueux en fait de vouloir dire
06:51 qu'on veut traiter le sujet du bonheur tellement c'est complexe et il n'y a pas
06:55 que la dimension professionnelle. Par contre ce qui est sûr c'est que, enfin je
07:00 reste convaincue que si on est bien au travail, on est un peu mieux dans sa vie.
07:04 Ça fait pas tout, mais ce qui est sûr c'est que quand on n'est pas bien au
07:06 travail, on n'est pas bien dans sa vie aussi. La dimension travail c'est le fait
07:11 de collaborer, d'avoir une contribution dans la société. Je pense quand même, en
07:16 tout cas, enfin, ou travail ou autre activité puisque le fait d'avoir une
07:20 contribution dans la société, je pense que ce sentiment d'utilité on le
07:26 recherche tous et donc pour beaucoup la notion de travail est importante.
07:29 Je préfère parler de qualité de vie au travail, d'épanouissement au travail
07:34 plus que de bonheur, mais j'y crois beaucoup oui, comment l'entreprise doit
07:39 faire en sorte de créer l'environnement dans lequel les gens vont être bien, dont
07:43 vont aussi être plus performants. C'est à la fois une recherche un peu
07:47 philosophique, éthique, parce que en tant que DRH, c'est quand même, en termes de
07:52 sens aussi, c'est plus sympa de se dire on va oeuvrer au quotidien pour faire en
07:55 sorte que les salariés de l'entreprise soient mieux chaque jour. Et puis aussi
08:00 c'est bon aussi pour l'entreprise. Donc c'est quelque chose
08:03 d'extrêmement méritant je dirais, vertueux.
08:07 Vous avez parlé de quête de sens, recherche de mission même, et vous n'avez pas parlé
08:13 d'un concept qui était très à la mode il n'y a pas si longtemps que ça, qui est la
08:16 marque employeur. Alors c'est passé de mode, enfin qu'est-ce qu'on doit en
08:20 penser aujourd'hui de la marque employeur ?
08:21 Non, la marque employeur, moi je crois beaucoup, pour moi c'est stratégique,
08:27 j'en parle, je l'utilise peu dans les mots comme ça, parce qu'en fait pour moi
08:31 la marque employeur c'est d'abord le contrat moral entre l'employeur et les
08:37 salariés, donc quelque part c'est la mise en oeuvre de toute une politique RH.
08:41 Marque employeur, souvent on l'assimile à des sujets de communication,
08:44 il y a des sujets de communication en termes de marque employeur, mais d'abord
08:49 c'est en termes de stratégie, de pilier, c'est-à-dire de promesse, et le contrat
08:53 moral, c'est au-delà du contrat de travail, en quoi je m'engage en tant
08:57 qu'employeur vis-à-vis de mes salariés, il faut être effectivement
09:00 différenciant pour attirer. Mais c'est vrai qu'on a dit beaucoup de choses
09:05 sur la marque employeur, on a fait tellement les paillettes, les grands
09:10 discours, des discours pour les candidats alors qu'en fait c'est pas du tout une
09:14 réalité, ce qui fait que bien sûr je travaille la marque employeur mais je préfère
09:17 moi me focaliser sur l'expérience collaborateur que je vais proposer aux
09:22 salariés pour essayer de faire se retrouver justement cette expérience
09:27 vécue et cette promesse qui est incarnée envers la marque employeur.
09:32 Quelque part je pense que notre mission aujourd'hui c'est de faire en sorte qu'il
09:35 n'y a pas d'écart entre ce qu'on promet et ce qu'on vit réellement, et parfois à
09:41 force de vouloir tellement parler ou communiquer on oublie de travailler sur
09:45 le fond qui est d'abord primordial. Si on travaille sur l'expérience
09:48 collaborateur, ensuite je dirais la marque employeur aujourd'hui c'est un peu ça,
09:53 c'est un des avantages, c'est que ça se sait, ça se sait parce qu'on a des
09:56 collaborateurs ambassadeurs. Aujourd'hui l'entreprise est extrêmement poreuse
10:01 avec son écosystème donc en fait les interactions, les gens vont le sentir et
10:05 donc il y a quelque chose qui va se diffuser un peu, ça nous empêche pas
10:09 d'avoir à communiquer pour être visible, surtout quand on doit
10:13 recruter beaucoup, mais pour autant je pense que l'enjeu aujourd'hui il est
10:16 davantage de se focaliser, il a toujours été d'ailleurs, de se focaliser sur ce
10:20 qu'on va faire vraiment vivre à ses salariés et c'est en s'appuyant là-dessus
10:24 qu'on va pouvoir communiquer. Je citerais Thomas Chardin, à chaque fois j'adore,
10:28 la marque employeur c'est un peu comme Bifidus actif, c'est ce qui se fait à
10:31 l'intérieur, se voit à l'extérieur, moi j'y crois, j'y crois beaucoup en tout cas
10:35 ça se démontre. Concrètement vos trois conseils aujourd'hui pour parvenir à
10:40 engager ces collaborateurs ? Le premier je dirais, penser client, je pense que la
10:48 fonction RH c'est une fonction qui est au service d'eux, au service des autres et au
10:53 service de ses clients. Le client, ses collaborateurs, le salarié, le futur, le
10:57 recruter, enfin d'accord. Les prospects, les candidats, des clients, nos
11:00 collaborateurs, mais ce sentiment, cette volonté de rendre service et pour
11:04 bien rendre service, il faut être proche de sa cible et donc être, on dit, une
11:09 approche user-centric. Donc est-ce qu'on connaît bien ses candidats, ses
11:12 collaborateurs, est-ce qu'on les questionne régulièrement, voilà, est-ce qu'on
11:15 moniteur beaucoup de choses avec eux ? Donc ça c'est la première chose, je
11:18 pense, pour pouvoir attirer, être au plus près des préoccupations.
11:22 Je pense qu'un deuxième enjeu aussi, c'est de transformer la fonction RH.
11:29 Aujourd'hui la fonction RH elle est hyper riche, on a des enjeux de
11:34 communication, de marketing, de data, de technologies, bien sûr d'expertise
11:39 RH aussi et juridique, enfin c'est extrêmement large, je crois beaucoup en
11:45 la tech, le lab RH, je crois beaucoup en nouvelles technologies qui nous
11:48 permettent aussi d'être des meilleurs RH et tout ça avec une posture d'avance
11:54 plus basse peut-être que haute, moins sachante, mais beaucoup plus dans
11:57 l'animation, dans une fonction qui entraîne, donc ça nécessite une
12:01 transformation totale de la fonction RH, ça je pense que c'est primordial
12:05 aujourd'hui pour répondre aux enjeux. Et puis la dernière, c'est
12:11 peut-être la plus difficile, mais c'est quand même l'authenticité et le fait
12:15 d'être aligné, extrêmement aligné entre ses discours et ses actes.
12:19 On parle beaucoup de valeurs, les candidats rejoignent pour des valeurs
12:23 une entreprise, mais est-ce qu'elles sont réellement incarnées tous les jours
12:27 avec une grande exemplarité ? Je pense qu'aujourd'hui se battre pour les valeurs
12:32 et la fonction RH, c'est vrai que je la vois comme gardienne des valeurs et du
12:36 temple, c'est un vrai combat aujourd'hui et parce que c'est difficile en fait
12:40 d'être extrêmement aligné tous les jours entre ses discours et ses actes et je
12:45 pense qu'aujourd'hui c'est vraiment l'ingrédient magique qui va faire qu'une
12:49 entreprise est vraiment vertueuse et responsable.
12:52 En guise de conclusion Mathilde, quel serait votre message pour les dirigeants d'entreprises ?
12:58 Si je taquine un peu, non mais déjà est-ce que vous avez
13:04 staffé des fonctions RH parce que j'interviens souvent auprès de dirigeants
13:07 qui n'ont pas de fonctions RH, donc ça me questionne toujours, c'est un métier,
13:11 on va croire qu'on pense qu'il n'y a pas d'expertise derrière, mais c'est un
13:15 vrai métier, même si c'est beaucoup de savoir-être, donc c'est pour ça que je
13:18 pense que tout le monde se dit "tout le monde n'a pas le savoir-être" je pense
13:21 aussi pour l'idée ou cette fonction. Et puis quand même le message
13:27 ensuite adresse aux dirigeants c'est que d'abord c'est tout là-haut, en fait ces
13:31 sujets sont forcément aussi portés par la direction, on n'est que là
13:34 pour mettre en avant et mettre en musique en fait quelque part cette
13:39 politique, cet alignement, mais il faut d'abord un alignement au plus haut et des
13:43 dirigeants. Une politique RH doit partir aussi de ses engagements à lui ou à elle
13:48 dans la manière de voir se développer son organisation, donc c'est quelque
13:53 chose d'extrêmement, je dirais presque intime en tous les cas, oui il y a aussi
13:58 du dirigeant à travers cette politique RH si on veut en tous les cas que ce
14:02 soit incarné au plus haut. Merci beaucoup Mathilde Lecaude et nous allons
14:06 maintenant justement écouter deux dirigeants nous raconter comment
14:09 ils parviennent à recruter, quelles sont leurs difficultés.
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