• l’année dernière
Transcription
00:00 Jusqu'à 13h30, les midis d'Occulture.
00:04 Nicolas Herbeau, Géraldine Mosnassavoy.
00:08 Notre rencontre quotidienne, c'est une conversation à trois voix avec notre invité ce midi.
00:15 Il est scénariste, acteur, producteur de films et réalisateur de fictions et de documentaires.
00:20 De celui qui est devenu cinéaste par accident, vous connaissez certainement le déclin,
00:25 la chute de l'Empire américain, mais aussi les invasions barbares, oscarisées, césarisées,
00:31 qui complètent cette trilogie. Dans son dernier film, il dépeint une société québécoise
00:35 dont les évolutions et les combats le laissent perplexe, mais lui donnent aussi envie de les interroger.
00:42 Bonjour Denis Arkan.
00:44 Bonjour.
00:45 Bienvenue dans les midis de Culture.
00:46 Merci.
00:47 Alors Denis Arkan, ce dernier film s'appelle Testament.
00:51 Le Testament, c'est ce qu'on transmet, c'est ce qu'on lègue aux autres, à ceux qui vont rester derrière nous.
00:57 Est-ce que c'est justement ce Testament une façon d'avertir, de donner des pistes à ceux qui vont être là,
01:05 aux futures générations sur l'état de notre monde ?
01:08 Oui, c'est exactement ça. C'est l'histoire d'un homme un peu âgé qui voit venir sa fin
01:14 et qui se pose toutes sortes de questions sur ce qui va lui survivre.
01:19 Et c'est aussi votre testament à vous en quelque sorte.
01:23 C'est votre dernier film en gros.
01:24 C'est le dernier film.
01:25 C'est une manière de dire "je vais mourir".
01:27 Ça peut être ça ou pas. En fait, je suis en série.
01:31 C'est sûr qu'à mon âge, on sait qu'on va faire moins de films qu'on en a déjà fait.
01:37 Et c'est dur physiquement de faire des films aussi rendus à mon âge.
01:41 Il faut se lever tôt le matin, ce n'est pas mon idée du bonheur.
01:44 Mais je suis encore en bonne santé, donc peut-être que si j'ai une bonne idée de film,
01:48 ou en tout cas une idée que je trouve bonne dans deux ans,
01:51 il n'est pas interdit de penser que je reviendrai vous voir dans quatre ou cinq ans.
01:55 Pourquoi pas ?
01:56 Avec plaisir. En tout cas, on ne peut pas s'empêcher en regardant ce personnage de Jean-Michel
02:01 dont on va parler, on va raconter son histoire bien sûr,
02:04 mais de vous voir en quelque sorte un peu vous derrière ce personnage de Jean-Michel Bouchard.
02:09 Oui, bien sûr, c'est entendu. C'est mon alter ego, c'est mon porte-parole.
02:14 Mais ce n'est pas exactement moi, parce qu'on fait un petit décalage,
02:18 et aussi parce que comme je suis quelqu'un d'extraordinairement ennuyeux dans la vie,
02:22 si c'était juste sur moi, ce serait ça pas horrifique comme film.
02:26 Donc j'essaie de rendre le personnage un peu plus intéressant que moi.
02:29 Pourquoi ?
02:30 Non, mais ça va être bien pour l'entretien, parce que là vous êtes comme dans la vie réelle.
02:34 Vous êtes en train de nous dire que vous allez être ennuyeux, c'est ça ?
02:36 Oui, ça va être un ennui total.
02:37 Parfait.
02:38 Mais peut-être que vous pouvez parler à votre collègue, trouver quelque chose.
02:40 Ah ben non, non, on va parler de choses ordinaires. Qu'est-ce que vous avez mangé hier ?
02:44 Des choses comme ça.
02:45 On va quand même parler du film, bien sûr, testament, et on va découvrir de la bonne annonce.
02:50 Bonjour, désagréable vieillard.
02:52 Bonjour, serbe cruel.
02:54 J'ai écrit quelques livres autrefois qui sont maintenant complètement oubliés.
02:57 Qu'est-ce qui se passe ?
02:58 Le ministère de la Santé a décidé que les jeux vidéo étaient supérieurs à la lecture
03:02 pour stimuler l'activité cérébrale des gens âgés.
03:05 Ton jour de l'ange, c'est lui.
03:07 Je sais pas, mais je l'ai, je l'ai. On va appeler.
03:10 T'as un petit onglet de novembre ?
03:11 Allô ?
03:12 Suzanne Francaire, directrice de l'institution ici.
03:16 Je remarque que vous visitez assez souvent M. Bouchard.
03:18 Madame, on pourrait se poser des questions.
03:19 Madame.
03:20 Quoi ?
03:21 Madame, allez vous faire foutre.
03:22 On a un problème.
03:24 Qu'est-ce qu'il veut ?
03:25 Respect for First Nations !
03:26 Oh my God, est-ce qu'il y a des médias ?
03:27 J'en ai pas vu encore.
03:28 C'est bizarre parce que d'habitude, la vermine arrive assez rapidement.
03:32 Bonjour.
03:34 Hi.
03:35 Il y a un dessin qui est une insulte aux First Nations.
03:37 C'est sûr ?
03:38 C'est quelque chose, ça, madame.
03:40 On n'est pas sortis du bois.
03:44 Je vous passe la ministre.
03:45 Mais la réalité ici...
03:46 Madame, on ne gouverne pas avec la réalité, on gouverne avec les appareils.
03:49 Merci d'avoir compris ma rage.
03:52 Merci d'avoir compris mon dégoût.
03:54 Mon ministère et moi sommes en mode solution.
03:56 C'est de pire en pire.
03:57 Témoignage bouleversant d'une aînée affaiblie.
03:59 On a même arrêté de boire du vin pour faire ruiner !
04:02 À manger bio !
04:04 On lisait le cocker dans le journal de Montréal.
04:07 On veut plus vie à personne !
04:10 J'ai l'impression que ça va mal finir tout ça, nous.
04:13 Good luck.
04:14 De temps en temps, il faut poser des gestes gratuits de bonté.
04:17 C'est ce qui rend la vie supportable.
04:19 La seule culture que nos politiciens connaissent, c'est le siècle du soleil.
04:24 Et Céline Dion, c'est tout.
04:26 C'est absolument tout.
04:27 Tout, tout.
04:30 Tout, Denis Arcantous, qui vous intrigue.
04:33 Et dans cette bande-annonce du film Testament,
04:37 donc il se passe énormément de choses.
04:39 Mais en fait, on entre dans ce film par ce personnage de Jean-Michel Bouchard
04:43 qui est un retraité célibataire, un ancien écrivain
04:47 et qui est en perte de repère dans cette société.
04:50 Je vais y arriver en pleine évolution.
04:52 Jean-Michel Bouchard incarné par Rémi Girard.
04:55 On reviendra sur les acteurs, bien sûr.
04:57 Les thèmes de la vieillesse, de la solitude
04:59 et puis de l'incompréhension de ce monde qui change.
05:02 Oui, c'est ça.
05:03 Parce que sur un des murs de cette maison de pension,
05:07 il y a une murale à laquelle personne ne fait attention,
05:11 qui est là depuis toujours, qui est un peu délavée, etc.
05:14 Une grande peinture, une grande fresque.
05:15 Une grande peinture, une grande fresque
05:17 qui dépeint la visite de Jacques Cartier à Hochelaga.
05:23 Hochelaga, c'est l'ancien nom indien de Montréal.
05:26 Et personne n'y fait attention.
05:28 Et un jour, il arrive 25 jeunes qui s'installent devant l'entrée de ce...
05:38 De cette maison des aînés, de cette maison de retraite.
05:40 Oui, ça s'appelle "Maison des aînés" au Québec.
05:42 Et donc, dans cette maison des aînés, ils disent
05:44 il y a là une toile qui est une insulte aux Premières Nations.
05:47 Et là, à partir du moment où ça a été établi,
05:50 là, tout se déglingue et c'est l'histoire du film.
05:54 Jacques Cartier, on resitue,
05:56 c'est celui qui, naviguant français,
05:59 qui part de Saint-Malo et qui va découvrir le Canada.
06:02 On est en 1534.
06:04 Qu'est-ce qui heurte ces manifestants
06:06 sur la représentation de cette fresque murale ?
06:09 Eh bien, d'abord, ils disent...
06:10 D'abord, comment s'appelle ce type ?
06:12 Alors, la directrice de l'établissement dit
06:14 "Bien, forcément, Jacques Cartier."
06:16 Elle dit "Pourquoi connaissez-vous son nom ?"
06:19 Et il dit "Bien, parce qu'il a découvert le Canada."
06:23 Elle dit "Les peuples autochtones vivaient au Canada
06:26 depuis 15 000 ans avant ça."
06:28 "Et vous ne vous souvenez pas de leur nom ?"
06:30 Alors là, ça dégénère à partir de là, en disant
06:33 "Est-il bien habillé, ce Cartier ?"
06:35 Puis elle dit "Oui, il a l'air bien habillé."
06:37 Parce qu'effectivement, sur la toile, il est habillé d'apparat.
06:41 Et elle dit "Alors, pourquoi est-ce que les Indiens sont nus ?
06:45 Pourquoi est-ce qu'eux n'ont pas leur habit d'apparat ?"
06:48 Et donc, elle dit "Bien, je ne sais pas pourquoi."
06:51 Elle dit "Je vais vous dire pourquoi. C'est que le peintre est un raciste."
06:54 "Il veut les décrire comme des primitifs, comme des sauvages."
06:58 "Ce n'était pas des sauvages, etc."
07:00 Et elle demande des corrections à cette peinture.
07:03 - Pourquoi être partie de cette histoire-là, en particulier, Denis Harkam ?
07:08 Parce qu'on l'a dit, il y a le personnage principal,
07:11 qui est un petit peu votre alter-ego, mais qui n'est pas vous, Denis Harkam.
07:15 Et il y a cette histoire-là à laquelle il va être confronté
07:18 en tant qu'appartenant, en tant que résident de cette maison des aînés.
07:23 Pourquoi avoir ajouté cette histoire-là, cette polémique autour de ce tableau,
07:28 en plus dans le film ?
07:30 Qu'est-ce que ça déclenchait dans l'écriture ou dans le récit que vous vouliez faire ?
07:33 - C'est-à-dire que c'est l'inverse, je vous corrige.
07:36 C'est l'histoire de la toile qui a commencé d'abord mon envie de faire ce film-là.
07:40 C'est un incident qui s'est passé à New York, au Musée d'histoire d'enduré de New York,
07:43 où des gens se sont présentés en disant "Nous sommes les héritiers des premiers Indiens
07:47 qui habitaient l'île de Manhattan".
07:49 Et il y avait au sous-sol du musée un truc qui dépeignait justement
07:53 la visite cette fois-là des Hollandais au 15e siècle sur l'île de Manhattan.
07:58 Et là, les conservateurs new-yorkais, eux, ce qu'ils ont trouvé comme solution,
08:03 c'est de mettre une grande vitre comme la vitrine d'un grand magasin
08:07 et d'inscrire des petits textes.
08:10 - Des cartels d'explications, en fait.
08:12 - Oui, des explications en disant "La position ici des canaux
08:16 n'est peut-être pas exactement à la même place,
08:18 peut-être que ce navire n'est pas exact,
08:20 peut-être que le costume, effectivement, des Amérindiens
08:23 n'est pas celui qu'on aurait dû mettre, etc."
08:26 Donc, ils font des corrections sur cette toile.
08:29 Et je suis allé voir ça à New York.
08:31 J'avais lu d'abord le reportage dans le New York Times,
08:33 et puis je suis allé voir à New York, et je suis sorti de là en me disant
08:36 "Mais tout l'art peut être corrigé."
08:40 En fait, l'art, c'est entièrement questionnable,
08:43 puisque chaque chose pourrait être remise en question.
08:46 - Il n'y a pas de bien ou de mal.
08:48 - Il n'y a pas de bien ou de mal, mais alors,
08:50 si le prêtre surgage s'appelle Shylock,
08:53 est-ce quelque chose qui est négatif pour la société juive,
08:57 pour le peuple juif en entier?
08:59 Peut-être qu'il faudrait corriger ça.
09:01 Si Dieu, dans la chapelle sectine, est un homme âgé, blanc,
09:04 avec une barbe blanche,
09:06 pourquoi est-ce qu'on représente Dieu comme ça?
09:08 Dieu pourrait être une femme africaine, ou un Eskimo,
09:11 enfin, un Inuit, il faudrait que je dise.
09:13 Déjà, j'emploie un mauvais terme, voyez, déjà, c'est long.
09:15 - Il va y avoir une polémique.
09:17 - Déjà, il pourra y avoir une polémique là-dessus,
09:19 parce qu'un Eskimo, ça ne se dit plus au Canada.
09:21 Parce que c'était un terme indien,
09:23 parce que les Indiens méprisaient les Eskimos.
09:25 Et donc, les Blancs ont adopté le mot Eskimo,
09:28 alors qu'en fait, il faut dire Inuit,
09:30 qui était le mot par lequel ils se définissaient eux-mêmes.
09:32 C'est compliqué, tout ça.
09:34 - Donc, c'est ça qui vous a d'abord interpellé, Denis Arcan.
09:37 C'est-à-dire, voilà, vous vouliez écrire là-dessus,
09:39 une polémique, mais pour dire quoi?
09:41 Pour dire qu'il y avait un excès de correction?
09:43 - Non, pas du tout. Non, non, pas un excès.
09:45 C'est juste que si on commence à corriger l'art,
09:48 on va finir où exactement?
09:50 Parce que tout est questionnable.
09:52 Par exemple, maintenant, il y a eu, cet automne,
09:56 à Brooklyn, une exposition Picasso.
10:00 Mais alors là, Picasso, on le sait que, comme individu,
10:04 il a été très méchant avec les femmes
10:07 dont il a partagé la vie.
10:09 Et donc là, cette exposition-là, était une exposition
10:12 où des féministes ont mis à côté de chaque toile de Picasso
10:16 une toile peinte par une femme, à côté.
10:19 Ou en face, dans le corridor.
10:21 Bon, alors là, on peut faire ça, maintenant.
10:23 Et ainsi de suite, jusqu'à l'infini.
10:26 Alors, c'est juste une question que je pose.
10:28 C'est pas une...
10:30 - C'est comme l'art, en fait, ce que vous vous demandez,
10:32 Denis Arcan. C'est-à-dire qu'on pourrait se dire
10:34 jusqu'où l'art va aller.
10:35 Mais on pourrait se dire que, voilà,
10:37 tous ces questionnements-là, en fait, font partie,
10:39 justement, d'un processus tout à fait normal.
10:41 C'est-à-dire qu'à chaque fois, on crée ou on questionne
10:44 et on avance ou on recule ou on...
10:47 - Voilà. Très bien. Oui, oui. Je suis d'accord avec vous.
10:50 Sauf que c'est une question que je me pose,
10:52 parce que ça va être énorme, la quantité de choses
10:55 qu'il va falloir revoir dans la culture occidentale.
10:57 Sinon, la culture occidentale au complet.
11:00 Et donc, si c'est ça, est-ce qu'on change de civilisation?
11:03 Et c'est ça, un peu, la question que le héros se pose.
11:06 Est-ce que je suis à la fin de la civilisation occidentale?
11:09 Et si oui, elle va être remplacée exactement par quoi?
11:12 Et donc, c'est pour ça qu'il est si perplexe et si...
11:15 - D'où l'introduction de Jean-Michel Bouchard, c'est ça?
11:17 - Oui, exactement.
11:18 - Jean-Michel Bouchard, qui est donc ce personnage principal
11:21 de votre film "Testament".
11:22 Alors, vous disiez tout à l'heure qu'au Musée d'histoire naturelle
11:24 de New York, ils avaient corrigé, en quelque sorte,
11:26 en apportant un éclairage sur cette peinture.
11:29 Là, malheureusement, la directrice de cette maison des aînés,
11:32 elle est un peu poussée à bout, à réagir rapidement.
11:36 Elle est poussée par ses manifestants qui campent devant
11:39 la maison des aînés, elle est poussée par les médias
11:41 qui arrivent et qui s'en parlent de cette polémique et qui...
11:46 - Médias qui sont, bien entendu, hystériques.
11:48 - Ils sont à la recherche. - Ils sont toujours hystériques.
11:49 - Pourquoi hystériques, alors?
11:50 - Comme nous. Nous aussi, on est hystériques.
11:52 - Pourquoi les dépeindre comme des hystériques?
11:55 Ce sensationnalisme, c'est ça aussi qui vous interroge?
11:58 - Non, c'est parce que, par exemple, avec des chaînes en continu
12:01 de 24 heures par jour, dans un pays comme le Québec,
12:04 qui est extraordinairement paisible et où il ne se passe jamais rien.
12:08 Alors, c'est absolument extraordinaire, parce qu'il faut
12:10 créer une sorte d'excitation pour justifier sa présence là,
12:14 parce qu'il y a des caméras, il y a des vannes avec des satellites, etc.
12:19 Et donc, il faut justifier ça, alors que c'est un ennui mortel.
12:23 C'est 15 personnes qui sont là, paisibles, devant la maison des aînés, etc.
12:30 Et donc, il y a l'espèce de frénésie médiatique dont j'aime me moquer.
12:34 - Jean-Michel Bouchard, il dit quelque chose qui m'a marqué
12:37 en marchant dans un cimetière, il dit
12:39 « J'aurais passé ma vie dans la province paisible d'un pays ennuyeux et sans envergure,
12:43 mais il paraît que les pays les plus ennuyeux sont les pays les plus heureux. »
12:46 - Bien entendu, vous pouvez vérifier.
12:48 Maintenant, les Nations unies font des enquêtes sur le bonheur,
12:51 j'espère que vous savez ça.
12:53 Et le Canada est toujours classé très haut, avec la Finlande
12:58 et quelques autres pays de ce type-là,
13:00 où il ne se passe à peu près jamais rien,
13:02 sinon la neige tombe, et puis après la neige frompt,
13:05 puis les saisons marquent leur recours, et puis c'est tout, voilà.
13:09 - Je reviens à cette directrice, donc poussée par les médias,
13:12 les politiques, parce que vous ne les épargnez pas non plus,
13:15 la ministre de la Santé qui pousse cette directrice de maison de retraite
13:18 à prendre une solution, sans lui d'ailleurs lui donner de solution.
13:21 - Voilà. Elle dit « Réclez le problème pour moi. »
13:24 Parce que c'est ce que les politiques font en général,
13:26 ils ne veulent pas se faire attribuer des choses
13:28 qui pourraient leur revenir plus tard, nuire à leur réputation.
13:32 Elle dit « Réglez ce problème. »
13:34 Et la pauvre dame, qui est complètement démunie,
13:37 qui n'est pas équipée pour faire face à ça,
13:39 commet un geste irréparable.
13:41 On n'en dira pas plus long pour ne pas vendre le punch de mon film.
13:45 Petit punch, il n'est pas très important.
13:48 - Une chance spectaculaire.
13:50 - Il y a un punch dans votre film, mais du coup on s'interroge,
13:53 quel est le genre de ce film ?
13:55 Est-ce que vous êtes dans un film comique, une comédie,
13:59 dans un film politiquement engagé ?
14:01 Vous dépeignez depuis longtemps la société québécoise.
14:03 Mais là, ce testament, ce dernier acte, ce dernier punch,
14:07 comment vous le décrivez ?
14:09 - Je ne sais pas, je n'ai jamais été capable de décrire mes films,
14:11 mais en général, quand il faut que je les vende,
14:13 c'est une séance de torture pour moi.
14:15 Et je demande plutôt à l'adjointe de la productrice de dire
14:19 « Veux-tu écrire ? »
14:20 Parce qu'il faut toujours présenter son film,
14:22 il faut faire un pitch aux instances gouvernementales,
14:25 aux financiers, aux gens qui vont assurer le financement.
14:27 Je suis toujours absolument incapable de faire ça,
14:29 et je demande à quelqu'un d'autre de l'écrire.
14:31 - En tout cas, il y a quelque chose de la critique.
14:34 Évidemment, il y a quelque chose que vous avez envie de dire.
14:37 Sur ce que vous disiez, les pays les plus heureux sont les plus ennuyeux,
14:41 mais finalement, il s'en passe des choses.
14:43 Est-ce que vous vouliez dire que le bonheur aussi
14:46 était en train de disparaître ?
14:48 Parce que les médias hystériques, parce que les polémiques futiles,
14:52 parce que des idées qui vous dépassent.
14:54 - Entre autres, le héros dit ça à un moment donné
14:58 parce qu'il regarde les gens, les protestataires
15:00 qui sont dans la cour avec des pancartes,
15:02 et il dit « Maintenant, il y a des gens qui protestent
15:05 tous les jours, tout le temps, pour tout. »
15:08 C'est tout ce qu'on voit le soir à la télévision.
15:10 Lui, il regarde le journal le soir à la télévision,
15:13 puis il voit des gens qui protestent partout dans tous les pays.
15:15 Il se dit « Mais qu'est-ce que ça signifie ?
15:18 Moi, je n'ai jamais protesté, et surtout mes parents n'ont jamais protesté.
15:22 Était-ce parce qu'ils étaient plus heureux,
15:25 ou simplement parce qu'ils supportaient mieux leur malheur ? »
15:27 Parce que ça pourrait être ça aussi.
15:29 Ils étaient aussi malheureux que nous,
15:30 mais ils supportaient mal leur malheur et ils ne se plaignaient pas.
15:32 Et donc, il n'a pas de réponse à ça.
15:34 Et je n'en ai pas moi non plus, sauf que c'est un fait.
15:37 Quand ce n'est pas le climat, c'est la guerre au Moyen-Orient.
15:40 Quand ce n'est pas le Moyen-Orient, c'est l'Ukraine.
15:42 Et alors, ainsi de suite.
15:44 Mais c'est marrant, parce que pour moi, la protestation,
15:46 c'est plus un truc que…
15:48 Je vais avoir bientôt 40 ans.
15:50 Donc, ça vous situe pour que vous me situez dans les générations.
15:53 Et moi, par exemple, mes parents ont été engagés
15:56 et m'ont toujours dit que je ne l'étais pas,
15:58 que je n'étais pas dans la protestation.
16:00 Donc, ça, en fait, c'est des différences aussi de génération.
16:02 Possiblement, et c'est possiblement aussi des différences de pays.
16:05 N'oubliez pas qu'encore une fois, le Canada est un pays hyper paisible.
16:09 C'est un pays qui a un univers.
16:10 Non, mais c'est fondamental, le climat.
16:12 De novembre à mai, il faudrait être fou pour protester au Canada.
16:17 Il fait -40.
16:18 Alors, quand il fait -40, personne ne sort.
16:20 C'est vrai que c'est une vraie question, comment le climat engage l'engagement.
16:24 Le climat, c'est absolument fondamental dans l'histoire des peuples.
16:27 Et c'est pour ça que, généralement, on parle toujours des pays du nord,
16:29 qui sont les plus riches et les plus paisibles.
16:31 Et les pays du sud, qui sont…
16:33 Qui ont le sang chaud.
16:35 Oui, et pas juste…
16:36 En tout cas, qui sont plus pauvres et qui ont plus de difficultés.
16:39 Puis, politiquement, c'est plus complexe.
16:40 Ils pouvaient sortir dans la rue tout le temps pour protester,
16:43 parce qu'il fait chaud, parce qu'il n'y a pas de problème.
16:45 Ils pouvaient toujours aller dehors.
16:46 Je suis sûr que ça a une influence extrême sur le type de politique que vous avez.
16:50 Oui, mais là, ça a changé.
16:51 Et il y a toujours des hivers très longs au Canada, malgré le changement climatique.
16:56 Oui, c'est ça, tout à fait.
16:57 Donc, comment vous expliquez cette protestation, indépendamment de cette théorie des climats ?
17:01 C'est ça, mais ils ne parlent pas spécifiquement de la protestation au Canada.
17:03 Ils parlent de tout ce qu'ils voient dans le monde.
17:05 Celle-ci, faire partie de la protestation mondiale.
17:09 On était encore en automne.
17:10 Il fait très beau, comme vous avez remarqué dans mon film.
17:12 Il y a encore des feuilles dans les arbres.
17:15 Donc, c'est plus tard que ça va se garantir.
17:18 Il y a un peu de pluie, tout de même.
17:19 Il y a de la pluie, une fois.
17:21 Vous n'avez pas répondu sur le genre de votre film.
17:23 J'ai bien compris que vous ne vouliez pas le décrire vous-même.
17:25 Mais parfois, en lisant la presse québécoise, on vous décrit comme un réalisateur cynique et provocateur.
17:31 Quelle place a l'ironie, l'humour dans ce film ?
17:36 Je ne sais pas comment...
17:39 Si on essaie de se comparer, on a l'air de tomber dans la mégalomanie.
17:43 Mais disons, le tartuffe.
17:45 Le tartuffe, c'est quelque chose sur un problème très grave à cette époque-là.
17:48 Et Molière préférait en rire.
17:50 Heureusement, il était protégé par le roi.
17:52 C'est la même chose.
17:53 De là à me mettre une étiquette, j'ai eu toutes les étiquettes.
17:56 J'ai aussi fait des documentaires très engagés.
17:59 J'étais, à ce moment-là, un marxiste-léniniste entièrement condamnable, et ainsi de suite.
18:03 J'ai eu toutes les étiquettes.
18:05 Donc, si vous voulez m'en rajouter une autre, vous êtes le bienvenu.
18:08 On va les décrire, vos étiquettes.
18:10 Oui, c'est ça.
18:11 Le Québec reste libre, mais pas autonome, du moins, pas pour l'instant.
18:17 Avec près de 60% de non au référendum,
18:20 les Québécois ont donc repoussé le projet "Souveraineté-Association",
18:24 qui prévoyait à la fois l'autonomie politique de la province
18:28 et son association économique avec le reste du Canada.
18:31 C'est les larmes aux yeux que l'actuel Premier ministre du Québec, René Lévesque,
18:35 a encaissé le coup hier soir devant plusieurs milliers de partisans du Oui.
18:39 Je dois vous dire que c'est dur, ça fait mal plus profondément que n'importe quelle défaite électorale.
18:45 Il est clair, admettons-le, que la balle vient d'être envoyée dans le camp fédéraliste.
18:51 Cette victoire du non, malgré tout, il faut l'accepter.
18:56 Mais aussi, il faut mettre les vainqueurs fédéralistes de ce soir en garde,
19:03 en garde sérieusement, contre toute tentation de prétendre nous manger la laine sur le dos.
19:12 Acceptons le résultat puisqu'il le faut, mais lâchons pas.
19:16 Si je vous ai bien compris, vous êtes en train de dire "à la prochaine fois".
19:23 Parce qu'on ne connaît pas toujours très bien en France l'histoire du Québec,
19:26 Denis Harkon, on se replonge dans cette histoire.
19:28 On est en 1980, donc reportage d'interactualité du 21 mai sur cette victoire du non au référendum pour l'indépendance du Québec.
19:37 Vous, vous étiez un partisan de cette indépendance, plus tôt.
19:41 J'ai filmé ce discours, ce qu'on vient d'entendre, j'étais là, j'étais présent avec une caméra, etc.
19:47 Donc j'étais là. J'étais toujours...
19:52 Quand on est... je n'étais pas journaliste tout à fait, je faisais un film documentaire à ce moment-là.
19:57 Qui s'appelait "Le confort et l'indifférence", qui fut diffusé en 1980, juste après,
20:01 qui raconte justement l'histoire de ce référendum.
20:04 Donc j'étais pas... j'essayais en tout cas de ne pas être partisan,
20:09 d'essayer d'avoir un regard assez froid, si vous voulez, pas nécessairement froid,
20:13 mais je veux dire, assez objectif sur ça pour voir l'ensemble de ça.
20:17 Le souvenir que j'en ai de cette soirée-là, c'était une immense déception,
20:21 parce que je trouvais que la campagne, la campagne référendaire s'était jouée finalement sur le confort.
20:26 C'est-à-dire que, bon, on est confortable au Canada, on a un très bon niveau de vie, tout va bien, etc.
20:33 Pourquoi risquer? Et finalement, les Québécois ont décidé de ne pas risquer.
20:39 Il ne faut pas oublier que les Québécois, c'est des normands, c'est des Français du Nord,
20:45 c'est des gens prudents, qui ne parlent pas trop, c'est pas du tout des gens qui ont un sang bouillant,
20:51 c'est pas des méridionaux du tout.
20:53 Et donc, ils ont eu deux référendums, il y en a eu un en 1980 et un autre en 1985,
20:58 que je n'ai pas suivi celui-là, parce que là, je m'étais intéressé par autre chose à ce moment-là.
21:02 Et donc, dans les deux cas, ça a été... les Québécois ont préféré rester à l'intérieur du Canada.
21:07 - Qu'est-ce que ce nom a changé, est-ce qu'il a changé quelque chose sur votre regard aussi sur cette société québécoise?
21:14 Ou est-ce qu'une fois qu'on avait dépassé cela, parce qu'à la fin de ce film, "L'inconfort et l'indifférence",
21:20 vous dites en quelque sorte en avoir fini avec la politique?
21:24 - C'est-à-dire que c'est une chose... c'est une évolution absolument personnelle.
21:31 C'est-à-dire que quand j'ai commencé à faire des films, c'était au milieu des années 60,
21:35 j'ai fait plusieurs films politiques, parce qu'on m'en demandait aussi, puis parce que ça m'intéressait.
21:39 Alors, j'ai fait des longs documentaires, un documentaire sur les ouvriers du textile,
21:42 un documentaire sur l'héritage politique, et finalement, un documentaire sur le référendum.
21:47 Puis là, je me suis dit, bon, alors, si l'ensemble de la population décide de rester au Canada,
21:53 il ne faut pas être plus catholique que le pape.
21:56 Je vais maintenant me débrouiller, je vais faire mon métier de cinéaste le mieux possible,
22:01 mais je vais faire autre chose. Alors, ça a changé des choses dans ma vie, par exemple.
22:04 Jusque-là, j'avais refusé de faire de la pub.
22:06 Je m'étais dit, non, un cinéaste ne prostitue pas son talent en vendant des dindes du Thanksgiving.
22:12 Je me suis dit, écoutez, si vous voulez rester dans le Canada et vous rester pour des besoins de confort,
22:16 je vais vous venir vendre des dindes pour le Thanksgiving, je suis capable d'y filmer, etc.
22:21 Donc, je suis devenu probablement une personne un peu différente à ce moment-là.
22:25 - Est-ce que vous êtes tombé, vous aussi, dans le confort et l'indifférence?
22:28 - Pas l'indifférence, j'espère, parce qu'au moins, j'avais...
22:31 J'ai mon métier qui m'a toujours passionné et j'ai toujours eu envie de faire des films pour continuer à questionner,
22:37 mais d'une manière différente, si vous voulez.
22:39 Par exemple, j'ai passé à faire de la fiction.
22:41 Et c'est là que j'ai fait "Déclin de l'Empire américain", justement,
22:43 pour essayer de rendre compte de cette génération-là à laquelle j'appartenais.
22:47 Donc, ça devenait quelque chose de totalement différent.
22:50 - On va parler dans un instant de votre rapport au documentaire et à la fiction.
22:53 D'abord, j'aimerais que vous reveniez sur comment vous êtes arrivé au cinéma.
22:56 J'ai dit tout à l'heure, par accident, presque.
22:58 Vous commencez par faire des études d'histoire à l'Université de Montréal.
23:03 - Oui.
23:04 - Et vous commencez comme conseiller historique dans ce qu'on appelle chez vous l'ONF,
23:08 l'Office national du film. C'est bien ça?
23:11 - Oui, c'est exactement ça. Je me cherchais un travail d'été.
23:13 Et j'aimais beaucoup le cinéma, mais ça ne me paraissait pas possible de gagner ma vie comme cinéaste.
23:18 Et je suis allé chercher un emploi d'été.
23:20 Je suis devenu conseiller, comme vous dites, sur un programme de films sur l'histoire du Canada.
23:24 - Des films pédagogiques?
23:25 - Oui, des films pédagogiques pour les écoles, effectivement.
23:27 Puis, je cherchais un réalisateur.
23:29 Puis, l'histoire du Canada, c'est un des sujets les plus ennuyeux du monde.
23:33 Il ne se passe rien. Il n'y a rien.
23:35 - Vous n'êtes pas le bon porte-parole de votre pays.
23:38 - Vous ne pourriez pas travailler à l'Office du tourisme.
23:41 - Ah non, le tourisme, c'est autre chose. La chasse, la pêche, les grands espaces.
23:44 Au contraire, on est les rois du tourisme.
23:46 - Ah oui, voilà. Finalement.
23:48 - Donc, finalement, je ne trouvais pas de réalisateur.
23:51 Ils m'ont dit, voulez-vous réaliser vos propres scénarios sur l'histoire du Canada?
23:55 J'ai dit, je ne connais rien à ça.
23:57 Ils m'ont dit, on va vous donner des techniciens qui vont vous enseigner, etc.
24:00 Et effectivement, c'était un très bon endroit pour apprendre.
24:03 Et voilà, je ne suis jamais retourné à mes études d'histoire,
24:06 alors que moi, j'espérais faire un doctorat à Berkeley.
24:09 J'avais même déjà...
24:10 - Ah oui, un doctorat sur quoi?
24:11 - Sur l'histoire.
24:12 - Mais quoi sur l'histoire?
24:13 - Sur l'histoire, quand nous, Canadiens, allons faire un doctorat aux États-Unis,
24:17 c'est presque toujours sur les relations entre les États-Unis et le Canada.
24:21 En fait, c'est la seule raison pour laquelle on est admis.
24:24 Quand on est admis dans ces grandes universités prestigieuses.
24:26 - Donc là, il y a quand même un sujet historique à travailler,
24:28 quelque chose qui se passe.
24:29 - Oui, mais il y avait quelque chose qui m'intéressait beaucoup,
24:31 c'était l'idée de liberté aux États-Unis et l'idée de sécurité au Canada.
24:36 Vous savez, cette histoire du confort et de l'indifférence,
24:38 c'est ça que j'avais déjà en tête à ce moment-là.
24:40 - C'est-à-dire que du côté des États-Unis, on va faire primer la liberté,
24:43 alors qu'au Canada, c'est la sécurité avant tout.
24:45 - Toujours.
24:46 Et c'est ça, c'est historique depuis toujours.
24:48 Une partie du Canada anglais a été faite avec les gens qui ont fui l'indépendance américaine.
24:52 Les gens qui, quand la guerre d'indépendance s'est déclarée,
24:55 ont fui au Nord pour être protégés par les soldats de l'Empire britannique.
24:59 Et ils n'avaient pas confiance du tout dans Washington, Franklin, Jefferson,
25:03 tous ces gens-là.
25:04 Ça leur apparaissait des aventuriers dangereux.
25:06 Et ils se sont réfugiés au Nord et ils sont encore comme ça.
25:09 - Donc voilà, ennuyeux, dans le confort, dans l'indifférence.
25:11 Mais vous, vous n'êtes pas comme ça, Denis Arpand.
25:14 - C'est vous qui le dites.
25:15 - Non, en fait, il y a quand même un point d'interrogation à la fin de ma phrase.
25:19 Vous n'êtes pas vraiment comme ça, non?
25:21 - Je n'en sais rien.
25:22 J'espère que je fais des films qui ne sont pas ennuyeux.
25:24 Ça, c'est autre chose.
25:25 - Déjà, pas ennuyeux, effectivement, ça, c'est une chose.
25:27 Mais vous voulez dire des choses, peut-être la même chose depuis des années.
25:30 Vous ne parlez que de déclin, de vieillesse, de chute.
25:33 Vous avez un sillon que vous avez creusé.
25:35 On comprend de quoi vous parlez.
25:37 Mais donc, vous avez quelque chose à dire.
25:38 Vous voulez un peu éveiller.
25:40 Quand vous parlez d'une polémique récente,
25:41 vous voulez dire quelque chose sur la jeunesse actuelle
25:43 et aussi sur les anciennes générations qui peuvent être dépassées par ça.
25:47 Il y a un propos.
25:48 - J'espère.
25:50 Autrement, je ferais mieux de changer de métier si je n'avais pas de propos.
25:54 - Ce n'est pas juste pour mettre des images, je veux dire.
25:56 Vous n'êtes pas dans l'ennui ou juste dans la manière de…
25:59 juste de… comment dire… de conforter un public.
26:04 Vous voulez quand même un peu les bousculer.
26:06 - Je ne sais pas si je veux les bousculer.
26:08 En général, j'essaie… enfin, pas j'essaie.
26:11 Je fais un film quand il y a quelque chose qui, tout d'un coup,
26:13 commence à me tracasser, à me fasciner,
26:17 à quelque chose auquel je pense tout le temps,
26:20 qui est dans ma tête, qui est là au matin quand je me lève,
26:23 qui est là le soir quand je me couche, etc.
26:25 Et ça devient comme une obsession.
26:27 Et quand cette obsession-là…
26:28 Là, je prends des notes à ce moment-là,
26:30 où je m'informe, je vais voir des gens,
26:32 je vais voir le musée à New York,
26:33 je prends des notes, je prends des photos et tout ça.
26:35 Et là, ça devient absolument obsessionnel.
26:37 Et quand ça devient trop gros, là, je me dis,
26:39 bon, il faut que je fasse un film.
26:41 - Vous vidiez votre sac.
26:42 - Oui, c'est ça. Exactement.
26:44 - Vous parliez de liberté.
26:45 Tout à l'heure, est-ce que, justement,
26:47 c'est par envie de plus de liberté aussi
26:50 que vous avez quitté le documentaire
26:51 pour ensuite aller vers la fiction ?
26:53 Je dis ça parce que l'un des derniers documentaires,
26:55 notamment celui sur les conditions difficiles de travail
26:58 dans l'industrie du textile au Québec,
27:00 On est au coton, en 1970,
27:02 avait été en quelque sorte censuré.
27:04 Vous aviez eu du mal à le diffuser au plus grand nombre.
27:08 Est-ce que vous êtes allé vers la fiction en disant
27:10 "Ce sera plus facile si je dis que c'est une fiction" ?
27:13 - Vous savez, je ne sais pas comment vous menez vos vies,
27:16 mais la mienne a été menée un peu par le hasard.
27:19 C'est-à-dire qu'on ne décide pas entièrement de tout ce qu'on fait.
27:23 J'ai commencé dans le documentaire
27:25 parce que c'était comme ça que c'était possible.
27:27 Je travaillais à l'Office d'assistant du film.
27:29 C'était dans une boîte qui faisait les documentaires.
27:31 Et un jour, j'ai aussi un quatrième métier qui est comédien.
27:37 Et donc, il y a quelqu'un qui m'a invité
27:39 à aller jouer dans un de ses films.
27:41 Revenant vers la base, après avoir tourné,
27:44 il m'a dit "Mais pourquoi tu ne ferais pas un film de fiction ?
27:46 Ça serait bien, moi je te produirais, j'ai une boîte avec ma femme, etc."
27:49 Je dis "Ah bon, ok, bon, ben je vais essayer."
27:52 Et puis finalement, je me suis retrouvé à Cannes,
27:54 à la Semaine de la Critique, avec ce premier film.
27:56 Alors je me suis dit "C'est merveilleux, c'est très bien, on va continuer."
27:59 C'est un peu le hasard, si vous voulez.
28:02 C'est un peu les hasards de la vie qui ont fait...
28:05 Si j'avais fait ce premier film et qu'il n'avait pas marché du tout,
28:08 je serais retourné au documentaire.
28:10 Mais bon, ça a marché, alors pourquoi pas suivre le destin ?
28:14 Sébastien m'a dit qu'il faisait un stadeur de poêle cuisine.
28:17 Il est fou.
28:18 L'un de toi d'autre aurait l'air intelligent.
28:19 Bonjour ma soeur.
28:20 Bonjour ma soeur.
28:21 Eh ben dis donc, vous êtes un ami du premier ministre ?
28:23 Vous allez jouer pour les Canadiens de Montréal ?
28:25 Il a un fils qui s'occupe de lui.
28:27 Je sais, il est trop bête pour lui dire seulement merci.
28:30 Oh, comprenez-moi bien ma soeur.
28:31 Mon fils est un capitaliste ambitieux et puritain.
28:34 Moi qui toute ma vie ai été un socialiste voluptueux.
28:37 Voluptueux est un terme nettement insuffisant ma soeur.
28:39 Libidine.
28:40 Débauchée.
28:41 Bestiale.
28:42 Lassif.
28:43 Ferveur.
28:44 Comment ça va mon gros concupiscent ?
28:45 Mieux.
28:46 Laisse-moi t'embrasser, vipère lubrique.
28:49 T'es rentrée qu'à toi ?
28:51 Hier.
28:52 Et l'Alaska ?
28:53 Belle et folle, comme moi.
28:54 Oh, vous voyez ma soeur, mon exquise belle fille,
28:57 mon héroïque femme et les deux plus charmantes de mes maîtresses.
29:01 Je peux mourir en paix.
29:03 Vous allez brûler dans les flammes de l'enfer.
29:05 Et je ne serai pas seul.
29:07 Je ne sais pas pour ces deux-là,
29:08 mais connaissant les turpitudes passées de ces deux-ci,
29:10 je peux vous assurer qu'elles vont venir griller avec moi.
29:12 Et je ne changerai pas de place avec vous, ma soeur.
29:14 Condamnée à jouer de l'arbre sur un nuage pendant l'éternité,
29:17 assise entre Jean Paul II, un Polonais sinistre,
29:19 et Mère Theresa, une Albanaise gluante.
29:23 Excusez-le, ma soeur, la maladie a atteint son cerveau.
29:26 Ah non, non, c'est une vérité ethnologique, Louise.
29:28 Les Albanaises sont souvent gluantes
29:30 et les Polonais toujours sinistres.
29:32 Car les malheurs de la Pologne
29:34 sont une des preuves de l'existence de Dieu.
29:37 Les invasions barbares de Niarquan en 2003,
29:41 votre grand retour dans la compétition.
29:43 Je l'ai dit tout à l'heure, mais à Cannes,
29:45 vous décrochez le prix du scénario,
29:46 le prix d'interprétation féminine,
29:47 au César, meilleur film, meilleure réalisation,
29:49 meilleur scénario, et aux Oscars,
29:51 le meilleur film en langue étrangère.
29:54 Tout à l'heure, vous parliez du hasard.
29:56 Là aussi, on parle d'une trilogie,
29:58 mais ce n'est pas construit, cette trilogie.
30:00 C'est un peu aussi le hasard,
30:02 avec des thèmes qui sont le socle,
30:04 c'est-à-dire s'attaquer à des institutions.
30:07 Dans les invasions barbares, vous critiquez l'hôpital,
30:09 les syndicats. Dans la chute de l'Empire américain,
30:13 vous critiquez le pouvoir de l'argent.
30:15 Et dans le déclin, l'université,
30:17 il y a toujours un axe central, en quelque sorte.
30:20 - Oui, c'est ça, mais encore une fois,
30:22 ça vient de la vie.
30:24 Quand j'ai fait "Invasion barbare",
30:27 je venais d'accompagner plusieurs personnes
30:29 à l'hôpital, dont mon propre père, mon grand-père,
30:31 des gens qui étaient morts
30:32 dans des maladies pénibles, longues, etc.
30:34 Donc, je fréquentais les hôpitaux.
30:36 Et donc, ça a commencé à m'obséder, là aussi,
30:38 cette histoire d'hôpital,
30:40 comment les malades étaient traités,
30:42 le manque de médecins, le manque de soins,
30:44 le manque d'infirmières, etc.
30:46 Et là, finalement, il fallait que je fasse un film.
30:49 - Et une fois que vous avez fait un film,
30:51 l'obsession disparaît?
30:53 - Oui.
30:54 - C'est une thérapie pour vous?
30:56 - Oui, absolument. Je suis un de ces rares individus
30:58 qui, au lieu d'avoir à dépenser de l'argent
31:00 pour faire une thérapie,
31:02 on m'en donne de l'argent,
31:04 non seulement pour moi-même,
31:06 mais pour la fabrication d'un film.
31:08 Donc, je suis extraordinairement chanceux
31:10 dans ce sens-là.
31:11 - On opposait fiction et documentaire tout à l'heure,
31:13 mais il y a quand même toujours quelque chose
31:15 de l'œil du documentariste dans ce que vous faites.
31:17 Vous observez ce réel,
31:19 et ensuite, vous le digérez,
31:21 vous l'avez dit, en travaillant beaucoup,
31:23 en faisant des rencontres,
31:25 en allant rencontrer des gens et voir des choses.
31:27 Et ensuite, vous en faites votre scénario.
31:29 C'est comme ça que ça marche?
31:31 - C'est comme ça que ça marche, et c'est peut-être un défaut.
31:33 - Ah bon?
31:35 - C'est pas nécessairement la meilleure voie.
31:37 C'est une des voies pour faire du cinéma.
31:39 C'est la mienne et celle de beaucoup d'autres cinéastes.
31:41 Quand on est formé dans le documentaire,
31:43 effectivement, comme vous le dites,
31:45 on est toujours en train d'observer minutieusement
31:47 ce qui nous entoure.
31:49 Vous prenez un taxi pour venir ici,
31:51 vous regardez le chauffeur du taxi,
31:53 vous écoutez ce qu'il dit, ses mots,
31:55 ce qu'il entend à sa radio, etc., et tout.
31:57 Et c'est ça.
31:59 Mais il y a aussi tout un autre pan du cinéma
32:01 qui est le cinéma purement onirique,
32:03 le cinéma de Jean Cocteau,
32:05 le cinéma de Louis Benoël et tout ça,
32:07 qui est une autre voie extraordinaire pour le cinéma,
32:09 à laquelle j'ai eu moins accès.
32:11 En tout cas, c'est pas mon bague, ce truc-là,
32:13 tout en reconnaissant que c'est extraordinaire,
32:15 ces films-là.
32:17 - Et vous regrettiez, vous auriez eu envie
32:19 de tenter ce cinéma-là,
32:21 ou tout de suite, ça serait un film
32:23 qui serait un film qui serait un film
32:25 qui serait un film qui serait un film
32:27 qui serait un film qui serait un film
32:29 qui serait un film qui serait un film
32:31 qui serait un film qui serait un film
32:33 qui serait un film qui serait un film
32:35 qui serait un film qui serait un film
32:37 qui serait un film qui serait un film
32:39 qui serait un film qui serait un film
32:41 qui serait un film qui serait un film
32:43 qui serait un film,
32:45 qui serait un film qui serait un film,
32:47 qui serait un film,
32:49 qui serait un film,
32:51 qui serait un film,
32:53 ce qui est tout le temps. Parce que, comme disent les Américains, "you're only as
32:57 good as your last film", parce que si vous faites un bide, vous allez le payer très
33:02 cher. Donc, non, on est dans le risque, mais j'ai une propension naturelle à observer
33:06 la réalité et la transcrire. Et c'est ça qui, jusqu'ici, m'a réussi, puis c'est
33:12 la façon dans laquelle je suis le plus à l'aise. Et donc, essayer d'imiter, Louise
33:18 Benuel, c'est peut-être pas une bonne idée. Non, ben imiter, mais aller vers des choses
33:21 plus surréalistes, plus de, comment je pourrais dire, des fabrications formelles, de l'audace
33:28 formelle ou décoller du réel. C'est pas ma tasse de thé. C'est tout ce
33:32 que j'ai à dire pour ma défense. Ça n'est pas un reproche.
33:36 Ah ben d'accord. Ce talent que vous avez, c'est aussi avec
33:40 votre bande d'acteurs qui revient régulièrement dans vos films, Rémi Girard notamment, qui
33:45 joue dans Testament, mais il y a aussi Yves-Jacques, Dorothée Berryman. Ça veut dire qu'il n'y
33:49 a pas de nouvelle génération d'acteurs au Canada, de l'hier?
33:52 Non, pas du tout, pas du tout. Marie May qui joue, elle est allée jouer dans son premier
33:57 rôle. Il y a plein de jeunes actrices et acteurs qui sont dans mes films. Non, non,
34:00 pas du tout. Sauf que, ben comme tous les vieux cinéastes, finalement, il y a des gens
34:07 qui vous accompagnent toute votre vie. Erlan Josephson, c'était la voix d'Igmar Bergman.
34:14 Frédérico Fellini, c'est Marcello Astragioni. John Wayne était la voix de John Ford. C'est
34:22 un peu comme ça, on passe sa vie à faire du cinéma. Donc, on est toujours avec des
34:26 acteurs. Puis, il y en a finalement qui sont toujours là.
34:27 Et puis, ça marche avec eux. On se dit que c'est la bande de Denis Arpan.
34:31 Oui, c'est exactement. Ils vieillissent avec moi. On a le même âge, etc. Donc, ils me
34:37 suivent. Alors, puisqu'on parle du cinéma québécois,
34:41 vous êtes l'une des locomotives. Vous avez été l'une des locomotives pendant très
34:44 longtemps de ce cinéma québécois, en France notamment, mais dans le monde. Les autres,
34:50 alors, il y a qui? Il y a Xavier Delan qui, à 34 ans, vient de prendre sa retraite. Ça
34:55 veut dire quoi? Ça veut dire que c'est plus difficile aujourd'hui de faire du cinéma
34:58 aussi au Québec? Non, je ne pense pas. L'histoire de Xavier
35:03 concerne Xavier. Xavier, c'est particulier. Je ne peux pas vous donner des nouvelles récentes
35:07 parce que je ne l'ai pas vu depuis la pandémie. Donc, j'hésite à vous dire exactement quoi.
35:11 Mais il a trop de talent. Il va rebondir. Ça va être autre chose. Je ne suis pas inquiet
35:16 pour lui. Mais il y a une nouvelle génération. On
35:19 parle de Xavier Delan, mais il y a aussi Monia Choukri qu'on a reçue, qui a sorti Simple
35:23 comme Sylvain. Il y a un renouvellement. Il y a une nouvelle génération aussi. Vous
35:29 dites que le Canada est un pays ennuyeux où il ne se passe rien, mais il y a de la
35:34 créativité. Bien entendu. Mais quand je dis ça, ennuyeux,
35:40 il ne se passe rien. Moi, j'aime bien l'ennui.
35:43 Ce que je veux vous dire, c'est que c'est un pays qui n'a jamais eu de guerre. Pouvez-vous
35:47 imaginer ce que c'est qu'un pays qui n'a jamais eu de guerre? Il n'y a jamais eu
35:50 de guerre sur le sol canadien. Il n'y a jamais eu de famine. Il n'y a jamais eu
35:53 de révolution. Il n'y a jamais eu des choses comme ça. En part de ça, les gens ont vécu,
35:57 ils ont eu des drames personnels. Il y a eu plein de choses. Mais dans l'histoire générale
36:02 du monde, ça paraît ennuyeux, ce pays-là. Sinon, il y a plein de cinéastes qui font
36:07 des films. Il y a l'arrivée des femmes. Je l'ai connue d'abord comme actrice dans
36:11 un de mes films. On lui a fait écouter d'ailleurs sa première
36:14 dans L'âge des ténèbres. Ça l'a fait beaucoup rire.
36:17 C'est ça. On s'est fait parler à ce moment-là. Il y a plein de gens. Il y a surtout l'hyper
36:23 star qui est Denis Villeneuve, dont on attend Doone.
36:28 Et qui va sortir le printemps prochain. Merci beaucoup, Denis Harkan, d'être venu
36:34 nous présenter votre dernier film, Testament. Sorti au Canada au début du mois d'octobre,
36:40 c'est le meilleur démarrage au box-office pour un film québécois depuis trois ans.
36:43 Et ça sort ce mercredi en salle en France, ce 22 novembre.
36:48 Pour finir, Denis Harkan, vous pouvez écouter une chanson. On en a choisi deux. Deux chansons
36:54 d'artistes québécois, générations différentes. On a une chanson de l'ancienne génération,
36:59 je ne vous dis pas laquelle, ou une chanson de nouvelle génération.
37:02 Laquelle choisissez-vous ? Vieux ou nouveau ?
37:04 Ça dépend. C'est une question de qualité. Vieux ou nouveau, ça ne veut rien dire.
37:07 Est-ce que c'est Geneviève Cardin ? Non.
37:10 Ah bon. Je ne suis pas très compétent dans les chansons.
37:14 Alors, c'est notre réalisatrice qui va choisir.
37:18 Voilà.
37:20 [Musique]
37:25 [Chansons en québécois]
37:30 [Musique]
37:34 [Musique]
37:46 [Musique]
37:57 [Musique]
38:01 [Musique]
38:07 Denis Harkan, vous l'avez reconnu ?
38:12 Oui, c'est Elisa P.
38:14 Je la connais personnellement, mais je ne connaissais pas cette chanson-là.
38:16 C'est la nouvelle génération artiste inuk du Québec, avec ce titre "Arnaque".
38:21 Merci beaucoup, Denis Harkan, d'être venu dans les Midi de Culture.
38:23 Bienvenue.
38:24 On vous fait un tour vers le Québec.
38:26 Les Midi de Culture, préparées par Aïssa Twendo, Yanaï Sisbert, Cyril Marchand, Zora Vignier, Laura Dutertech-Pérez et Manon Delassalle.
38:32 C'est Félicie Faugière qui réalise cette émission ce midi et la prise de son.
38:35 Lise-le.
38:36 A demain, Géraldine.

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