• l’année dernière
Transcription
00:00 Vous êtes peut-être déjà tombé sur un des films de notre invité sans tout comprendre.
00:05 Rien de grave, à tout cela, vous avez vécu une expérience.
00:08 Car laisser les gens à la porte là, fait partie du jeu.
00:12 Il aime l'absurde, le non-sens, la comédie, l'art de la réplique, mais surtout pas l'improvisation.
00:18 Donc on va suivre pas à pas le conducteur que nous avons prévu dans cette émission.
00:22 Notre invité aime maîtriser le temps, il est aussi musicien, mais c'est cinéaste
00:26 qu'il a voulu être, alors il l'est devenu.
00:29 Bonjour Quentin Dupieux, merci d'être avec nous dans les Midi de Culture.
00:34 Ma première question Quentin Dupieux, est-ce que vous aimez les secrets ?
00:37 Pourquoi ça ?
00:39 Je pense évidemment à ce que vous nous avez préparé cet été, la fameuse surprise.
00:46 J'aime les surprises, on va dire.
00:47 Plus les surprises que les secrets ?
00:48 Oui, parce que le secret c'était uniquement pour pas alerter l'industrie.
00:52 On a fait ce film en dehors des radars.
00:53 Donc Yannick, qui est sorti début août.
00:55 On l'a tourné en dehors des radars parce que j'étais en train de préparer un autre
01:01 film, mon film sur Sadevazardali.
01:02 Et on ne voulait pas inquiéter l'industrie, ni même faire de remous, etc.
01:07 On a voulu le faire dans notre coin.
01:08 C'était un secret uniquement à ce moment-là.
01:11 Ensuite c'est devenu une surprise puisqu'on a décidé de le sortir rapidement et de l'annoncer
01:15 au dernier moment.
01:16 En quoi ça aurait inquiété l'industrie du cinéma ?
01:19 Parce que vous travaillez trop, c'est ça ?
01:21 Ils auraient été inquiets pour vous ?
01:22 Oui, c'est pour éviter aussi une petite lassitude, d'expliquer aux gens que je suis tout le
01:26 temps en train de faire des films, etc.
01:27 Ça peut faire diminuer la valeur de mon travail, en quelque sorte, si j'en fais trop.
01:32 En plus, surtout, et on va le voir, ce n'était pas véritablement une stratégie commerciale
01:39 en plus de se dire qu'on va sortir un film le 2 août, en plein milieu de l'été,
01:45 alors que sont sortis juste avant deux grands blockbusters, notamment Barbie.
01:48 C'était un vrai pari, une surprise et un pari.
01:52 En fait, c'était dans la logique, dans la continuité directe du tournage qui s'est
01:55 un peu tourné, qui s'est réalisé de cette façon là, un peu en dehors des rails, avec
02:01 une méthode inhabituelle.
02:03 On a tourné le film en six jours, en faisant répéter les comédiens à l'avance, bien
02:06 sûr, mais l'exécution a été hyper rapide et j'ai eu moi le sentiment qu'il fallait
02:13 que la sortie et la promotion soient adaptées au projet.
02:16 Qu'on n'annonce pas le nouveau film de Quentin Dupieux, je ne sais pas quoi, même
02:19 si ça n'intéresse pas grand monde encore.
02:21 Mais qu'on n'en fasse pas une histoire et qu'on le sorte comme une surprise.
02:27 Mais du coup, ça a fait une histoire.
02:28 Oui.
02:29 C'est ça, ça devient un événement, la surprise crée l'événement.
02:33 On a vu, alors effectivement, c'était une forme de stratégie puisqu'on a pris la
02:36 décision.
02:37 C'est comme Beyoncé qui sort un album deux semaines avant la date prévue à minuit sur
02:42 les plateformes.
02:43 Il y a un petit côté comme ça.
02:44 Vous avez entendu Beyoncé.
02:45 Oui, il y a moins de liberté dans la sortie d'un film que dans la musique, par exemple,
02:49 alors qu'on a les moyens aujourd'hui de faire ce genre d'opération.
02:51 On a bien vu qu'avec les réseaux et en fait trois semaines à peine d'annonce suffisait
02:58 à remplir les salles.
02:59 Finalement, ça vous pousse peut-être à envisager d'autres méthodes, même de conception,
03:05 de réalisation, de communication, d'échapper justement à cette industrie du cinéma qui
03:09 est très protocolaire peut-être ?
03:10 Oui, alors moi, je me bats avec tout ça quand même depuis quelques années.
03:13 Les bandes annonces formatées, les affiches formatées, tout ce qui fait qu'on a l'impression
03:18 de voir toujours le même film et toujours la même bande annonce et toujours les mêmes
03:21 comédiens, etc.
03:22 Moi, c'est un truc, ça me rend fou.
03:24 Et donc, quand approche le moment de sortir un film, je me bats non-stop pour aller contre
03:30 ces idées reçues qu'une bande annonce doit être faite de cette façon-là, que la musique
03:35 de la bande annonce doit être cette musique à la con qui raconte aux gens.
03:39 C'est une comédie, ne vous inquiétez pas.
03:40 Vous allez rire.
03:41 Ou alors vous allez pleurer.
03:42 C'est génial.
03:43 Vous allez voir, il y a plein d'émotions.
03:44 Moi, je passe ma vie à me battre joyeusement.
03:47 Ce n'est pas un combat acharné, mais je pousse toujours les équipes, le distributeur
03:52 et les producteurs à casser les codes pour que ce soit plus excitant pour les gens.
03:56 Mais vous réussissez ? Qu'est-ce que vous faites ?
03:58 Par exemple, qu'est-ce qui peut marcher face à ça ?
04:01 Hormis faire un film en secret, peut-être faire des bandes annonces, aucune bande annonce
04:06 ou alors moins longue.
04:07 C'est des petites choses.
04:09 C'est des petites choses, mais qui bousculent les codes et qui, en tout cas pour les gens
04:13 chez qui ça résonne, ça crée une envie folle.
04:16 Plutôt qu'effectivement, on peut passer notre journée à regarder des bandes annonces
04:20 si on a envie et elles seront toutes à peu près identiques.
04:24 Les comédies ressemblent.
04:25 Elles en disent trop d'ailleurs, je trouve.
04:26 Elles en disent trop et puis on n'en peut plus.
04:28 C'est des formules.
04:29 Mais après, on peut étendre ça aussi au cinéma en général.
04:31 Pas uniquement la promotion, également les films.
04:34 Moi, je lutte contre ça.
04:36 Yannick en est un super exemple.
04:37 Yannick n'est pas une formule.
04:39 Au final, il est construit comme un film classique, mais il est hors, en dehors des formules.
04:45 Ce huis clos, je n'ai pas inventé le huis clos, mais je sais bien.
04:48 Mais néanmoins, il se passe un truc dans le film qui met les spectateurs dans une position
04:54 étrange et ça, c'est nouveau.
04:55 Et ça marche, puisque en quatrième semaine, on a dépassé ce week-end les 350 000 spectateurs.
05:01 Alors, l'histoire de Yannick.
05:02 Allons-y.
05:03 Yannick, gardien de nuit dans un parking.
05:05 Il pose un jour de repos pour relier Melun où il vit à Paris et assister à une représentation
05:10 d'une pièce de boulevard.
05:11 Une mauvaise pièce de théâtre intitulée Cocu.
05:14 Pièce si mauvaise que Yannick se lève, interrompt le spectacle et prend les choses en main devant
05:19 des comédiens stupéfaits.
05:20 « Non, non, non, je ne joue pas ça, c'est trop de la merde.
05:23 T'as vu les photos françaises ? C'est visible, on s'en fout, on le fait et puis basta, c'est pas grave.
05:27 Mais si, c'est grave.
05:28 On va passer pour des guignols devant tout le monde.
05:30 Merde.
05:31 Faut faire quelque chose, les gars.
05:32 Je vais rien, je n'ai pas envie de crever.
05:33 De crever de quoi ?
05:34 Paul, écoute-moi, si tu nous sors de là, je couche avec toi.
05:38 Quoi ? Attends.
05:40 Je te promets, si tu nous sors de cette merde, tu couches avec moi, comme tu veux, par devant,
05:45 par derrière, à l'enfer, comme tu veux, mais neutralise ce mec. »
05:48 Vas-y.
05:49 Pied au marmai.
05:50 Pied au marmai.
05:51 Vas-y, toi.
05:52 Blanche-Gardin.
05:53 Blanche-Gardin.
05:54 Vas-y.
05:55 Sébastien Chassagne.
05:56 Dans.
05:57 Dans.
05:58 Dans.
05:59 Yannick.
06:00 Yannick.
06:01 Yannick.
06:02 On peut partir en sucette à n'importe quel moment, là, cette histoire.
06:08 Les gars.
06:09 Et Yannick, c'est Raphaël Kenard pour compléter le casting, bien sûr, qui n'a jamais rêvé
06:15 d'interrompre un spectacle qui ne lui plaît pas.
06:18 Quentin Dupieux, ça vous est arrivé, vous aussi ?
06:20 Non.
06:21 Non, non, parce que je le dis partout, je trouve ça hyper angoissant, en fait, de prendre
06:25 la parole, de couper une énergie, même si on assiste à un désastre.
06:29 Se lever, prendre la parole, gâcher le moment de tout le monde et continuer à parler, c'est
06:34 un acte…
06:35 C'est pour ça que j'ai créé un personnage qui est un petit peu en dehors des normes.
06:39 Il ne se rend pas compte, en fait.
06:40 C'est Verti Junior.
06:41 On est là, quand on regarde votre film, on assiste à cette première scène, on se
06:44 dit « mais pourquoi il fait ça ? Mais pourquoi il continue à parler ? Pourquoi il ne quitte
06:47 pas tout simplement ce théâtre ? » Et on est très mal pour lui.
06:51 Moi, je n'étais pas mal.
06:53 Moi, j'ai dit « enfin, à l'écran, je vois quelqu'un qui fait ce que je rêve
06:56 de faire, vous me tenez captive. »
06:58 Et il le fait avec brio, parce que c'est très dur de dérouler sa pensée dans cette
07:01 gêne.
07:02 Et il y arrive très, très bien.
07:03 C'est là où le personnage est marrant.
07:05 Il est un peu comme un enfant.
07:06 Il ne se rend pas vraiment compte que ça ne se fait pas.
07:09 Et si tout peut partir en sucette à n'importe quel moment, comme le dit Yannick, c'est
07:14 que Yannick a avec lui un pistolet.
07:16 Il prend en otage les comédiens qui sont sur scène, mais aussi les spectateurs dans
07:21 le public.
07:22 Pour bien comprendre comment ils réagissent, ces spectateurs, racontez-nous peut-être
07:25 comment vous avez tourné cette scène.
07:28 Ils ne sont pas au courant de ce qui va se passer, ces spectateurs.
07:31 Non, c'est-à-dire que les figurants qui sont présents dans la salle et qui jouent
07:36 les spectateurs de la pièce de théâtre dans le film, pour bien comprendre, n'étaient
07:42 pas au courant.
07:43 J'ai décidé de ne pas leur donner le scénario et de ne pas leur expliquer ce qui allait
07:47 se passer pour éviter de devoir les diriger un par un pour qu'ils aient des bonnes réactions,
07:54 etc.
07:55 Je me suis dit que de manière organique, il va se passer un truc.
07:57 Déjà, on a tourné chronologique, il faut le savoir, sinon mon plan ne fonctionnait pas.
08:03 Ils ont d'abord assisté à une mauvaise pièce de théâtre, donc ça les faisait rire,
08:07 mais pas tant que ça.
08:08 Les rires qu'on entend dans le film sont les rires réels, c'est-à-dire des rires
08:11 un peu timides de gens qui assistent à un truc avec un peu de gêne.
08:15 Et qui se demandaient quand même pourquoi Quentin Dupieux leur proposait ça, non ?
08:18 Je ne sais pas à quel point ces gens-là me connaissent ou pas, d'ailleurs, peut-être
08:21 certains.
08:22 Ou pourquoi en tout cas un film leur proposait de regarder une pièce moyenne.
08:25 C'est ça, je pense qu'ils étaient effectivement stupéfaits d'une certaine façon.
08:30 Et puis, du coup, quand j'ai commencé à constater que leurs réactions étaient bonnes
08:34 et justes, c'est-à-dire que par exemple sur cette pièce de théâtre, ils ne riaient
08:38 pas trop.
08:39 Et ils n'en faisaient pas non plus des caisses sur le dégoût ou sur l'ennui.
08:43 Il y avait un truc qui fonctionnait très bien, qui était très juste.
08:45 Et puis voilà, quand Raphaël s'est levé, stupéfaction, les gens étaient dans un doute
08:50 permanent.
08:51 Est-ce qu'on est en train de jouer ? Est-ce que ça tourne ?
08:54 Alors que forcément, oui, c'était évident, mais il y avait quand même un truc assez
08:57 vertigineux pour eux.
08:58 Ils me l'ont d'ailleurs tous dit.
08:59 Ils ont vécu un moment extraordinaire.
09:01 Puisqu'on voyait le film se fabriquer devant nos yeux, en fait.
09:05 Et encore plus, par exemple, quand ils sortent sur un pistolet, j'imagine ?
09:08 Non.
09:09 Malheureusement, on a été obligés de prévenir les gens.
09:12 Ah, c'est légal de prévenir ?
09:14 Non, c'est pas légal.
09:15 C'est juste que moi, j'ai pas envie de…
09:17 D'avoir quelqu'un qui tombe dans les pommes, quoi ?
09:19 Oui, il y avait des personnes âgées.
09:20 Et puis, j'ai pas envie d'angoisser les gens.
09:22 Le but, c'était pas de les prendre au piège, c'était d'obtenir leur meilleure réaction.
09:26 Après, le pistolet est arrivé assez tard.
09:28 Il est arrivé au bout de trois jours de tournage, je dirais.
09:30 Donc, ils étaient déjà habitués, ils étaient déjà dans le game.
09:34 Comment on fait ? C'est une question bête, j'ai jamais assisté à un tournage de film.
09:37 Mais comment on fait pour capter justement ces réactions ?
09:40 C'est-à-dire que vous avez décidé de mettre des caméras à des endroits clés,
09:43 de fixer sur certaines personnes plutôt que sur d'autres, d'avoir un plan large de la salle.
09:47 Comment on fait pour se dire, je vais garder celle-ci qui est très bonne parce qu'elle
09:50 est vraiment surprise ? Là, ça se passe comment ?
09:53 Dans un film, habituellement, ça se fabrique.
09:56 C'est-à-dire que ça se surfabrique.
09:57 On demande au figurant, si on voit que le figurant est à l'écran, on va lui demander une réaction.
10:01 Et puis, on va le diriger comme un comédien.
10:04 Ici, puisque j'avais pris cette décision de laisser vivre ces 50 spectateurs seuls,
10:10 en fait, c'est uniquement par magie organique.
10:14 Les gens ne savent pas s'ils sont à l'image ou pas.
10:18 Ils voient qu'il y a des caméras.
10:21 On avait deux caméras.
10:22 Mais quand on n'est pas professionnel et qu'on n'est pas habitué, on ne peut pas
10:26 nécessairement comprendre si la caméra nous voit ou pas.
10:29 Donc, tout le monde jouait tout le temps.
10:31 C'est comme ça que j'ai chopé des moments extraordinaires.
10:34 D'ailleurs, quand je me suis permis de faire des plans de coupe en demandant aux spectateurs
10:38 "bon, maintenant, je fais des plans de spectateur".
10:40 Jouer les spectateurs ?
10:41 Voilà, c'était moins bien.
10:42 C'était moins bien parce qu'ils avaient pleinement conscience d'être filmés.
10:46 - Mais ça, c'est ce que vous cherchez ? La performance aussi à l'intérieur du tournage ?
10:50 - Non, non, c'était adapté à ce film-là uniquement.
10:53 C'est-à-dire que c'est un truc qui se fait presque jamais.
10:55 - Cette recherche d'authenticité-là, c'était pour ce film ?
10:58 - Tout à fait.
10:59 Oui, parce qu'il y avait une recherche dans le temps réel.
11:01 Et je le dis tout le temps, mais au cinéma, le temps est vraiment recomposé.
11:06 Il est coupé dans tous les sens et il est recomposé avec plein d'effets.
11:11 Ici, je cherchais une espèce d'authenticité dans le déroulement du temps.
11:19 Et donc, pour que ce temps ait l'air vrai et réel, il fallait faire les choses.
11:25 Même si les comédiens avaient un texte précis à délivrer.
11:27 Mais en tout cas, tout ce qui se passait autour d'eux, tout ce qu'ils vivaient...
11:30 Par exemple, les réactions quand Yannick dit un truc un peu aberrant.
11:33 J'ai eu des vraies réactions de gens qui étaient choqués.
11:36 Tout ça, c'est dans le film.
11:37 Tout ça, c'est enregistré.
11:38 Parfois, que au son.
11:39 Mais c'est quand même ce qui s'est passé en vrai.
11:42 Yannick, ce personnage est donc un peu ambivalent.
11:45 D'abord, il est pris de haut par les trois comédiens qui sont sur la scène, qui sont interrompus.
11:50 Et puis, il nous surprend, évidemment, avec cette interruption de la pièce.
11:56 Il nous agace aussi un peu.
11:58 Et puis, très rapidement, il nous touche.
12:00 Qu'est-ce que vous avez voulu dire par cette scène, cette opposition, ce combat presque qu'il y a entre les deux ?
12:07 Cette joute verbale entre ceux qui sont sur scène, les comédiens qui ont la légitimité d'être là sur scène.
12:12 Et puis, lui, le spectateur qui a payé sa place, qui a posé une journée pour venir, qui a payé les transports.
12:18 Quel est le message ?
12:20 Il n'y a jamais de message dans les films.
12:22 Mais par contre, je raconte un truc très simple.
12:24 C'est que quelqu'un qui se permet de critiquer une pièce ou un film ou un morceau de musique,
12:32 même si le truc n'est pas terrible, même si...
12:34 Après, c'est subjectif, on en parle dans le film d'ailleurs.
12:37 Mais je pense que la meilleure critique, c'est de proposer autre chose.
12:40 Je ne l'ai pas écrit, ce n'était pas conscient, ce n'était pas mon sujet.
12:46 Vous n'aviez pas une idée politique ?
12:48 Absolument pas.
12:50 C'est ce qui ressort.
12:52 Je l'ai reçu comme ça.
12:54 Vraiment, de me dire que quelqu'un attend du théâtre, qu'il le divertisse.
12:58 C'est une critique sociale, mais aussi politique.
13:00 Il dit qu'il est gardien de melin, qu'il travaille, qu'il est gardien de nuit.
13:04 Et qu'il se sent prisonnier, captif de cet art qui ne le comprend pas et ne lui pose pas ce qu'il attend.
13:10 Vous avez dit cet art, mais je me suis volontairement attaqué à un produit minable,
13:17 pour éviter ce sujet.
13:20 Qu'il n'aille pas à la comédie française pour attaquer du Molière, par exemple.
13:24 C'est un petit mec de melin qui attaque une toute petite pièce ratée,
13:30 avec des comédiens qui n'ont aucune conviction sur scène.
13:34 Le combat est ailleurs.
13:36 Je parle de la critique.
13:38 Je suis habitué à me faire critiquer, je suis habitué à recevoir des tomates.
13:42 C'est vrai ?
13:44 Oui, mais c'est joyeux.
13:46 A quel moment vous recevez des tomates ?
13:48 Quand je sors un film, par exemple.
13:50 Depuis quelque temps, les critiques n'ont pas changé ?
13:54 Je ne parle pas des critiques professionnelles.
13:56 Vous parlez des spectateurs.
13:58 Je parle de cette façon qu'ont les gens de tout commenter, critiquer, immédiatement,
14:03 sur les réseaux, sur les plateformes, etc.
14:06 Je trouve ça super, tout le monde a la parole.
14:08 Mais ce que j'ai voulu mettre en avant, c'est
14:10 attention, la meilleure façon de faire une critique, c'est de proposer une alternative à ce qu'on critique.
14:15 C'est ce que fait Yannick dans le film.
14:17 Il va réécrire une pièce de théâtre pour remplacer le produit qui ne l'intéressait pas.
14:22 Ça je trouve que c'est une belle idée.
14:24 C'est une façon d'accepter la critique si, en fait, il y a une pensée derrière.
14:29 Alors on parle évidemment de ce scénario.
14:31 Scénario que vous avez écrit justement pour ce comédien Raphaël Kenard.
14:35 Vous dites que vous aviez sa voix en tête en écrivant les dialogues,
14:38 qui sont évidemment très importants dans ce huis clos.
14:42 Elle a quoi de particulier, la voix de Raphaël Kenard, pour vous ?
14:44 C'est une diction. Il a une façon.
14:48 Il a cet accent hyper marqué qu'on n'arrive pas à identifier.
14:51 Est-ce qu'il est belge ? Est-ce qu'il est du Nord ?
14:54 Il est de sa voix.
14:55 Même lui, il n'est pas au courant.
14:57 Fait-il semblant peut-être ?
15:00 D'avoir cet accent ?
15:01 Non, de ne pas savoir d'où il a cet accent.
15:04 Il a un fort accent visiblement de Grenoble.
15:07 Et il est un peu rue. Il a un espèce d'accent un peu rue mélangé à Grenoble.
15:11 Après, ce n'est pas une formule. En dehors de cet accent,
15:14 ce qui m'intéresse chez Kenard, c'est ce réalisme.
15:19 C'est un truc assez rare en comédie.
15:22 Je demande toujours aux comédiens d'en faire le moins possible
15:26 pour être le plus proche de la réalité possible.
15:28 Même quand je leur fais dire des absurdités totales dans mes films plus délirants,
15:32 j'essaie toujours d'être au plus proche de la réalité.
15:35 Je diminue toujours les effets et les trucs de comédie.
15:39 Je ne sais pas si vous avez vu "Le Dain" avec Jean Dujardin.
15:42 Il a joué un homme fou, mais d'une façon très normale,
15:46 sans aucun effet, de manière très calme.
15:50 Moi, j'aime beaucoup ça.
15:52 Et Kenard a cette faculté à être réaliste quoi qu'il arrive.
15:56 Il est ancré.
15:57 Qu'est-ce qui vous plaît dans le fait de faire du fou normal ou du anormal normal ?
16:04 Est-ce que c'est une manière de légitimer le truc parfait ou de repenser notre rapport à ça ?
16:13 Non, c'est que d'après moi, un produit artistique, quel qu'il soit...
16:19 Il y a plein de films qui ne sont pas des produits artistiques,
16:21 qui sont des yaourts.
16:23 Et c'est super, il faut que ça existe, il faut qu'il y ait des yaourts pour tout le monde.
16:26 Mais il y a une façon de faire des films qui s'appelle ce que je fais moi.
16:32 Je ne suis pas réalisateur, je suis metteur en scène et je suis cinéaste.
16:35 Donc je propose une vision artistique.
16:37 C'est autre chose que de faire des yaourts.
16:39 Et ce que ça raconte tout ça, c'est que moi je vis dans cet espèce de fantasme débile
16:46 que le cinéma est encore une forme d'expression artistique.
16:50 Alors que c'est complètement une utopie.
16:52 C'est une industrie, il faut faire des entrées, ça coûte parfois des fortunes pour rien.
16:57 Mais moi je suis encore dans cette illusion, comme si on était dans les années 60,
17:02 où on imagine que le cinéma c'est de l'art.
17:07 Les midis de culture jusqu'à 13h30.
17:11 Géraldine Moussna Savoie, Nicolas Herbault.
17:15 Attends, avant que j'oublie, je t'ai préparé une petite coupure de souvenirs.
17:22 Alors ton film, je t'écoute.
17:28 Le film que vous vous apprêtez à regarder est un hommage aux Aucunes Raisons.
17:34 Là il est en train de faire un super film.
17:36 Il a juste tendance à laisser la caméra tourner pendant des plombes pour rien, mais à part ça, il est bon.
17:40 Wouah, c'est quoi ?
17:44 C'est une mouche ? Mais non.
17:47 Ah si, Thémas, c'est une mouche. Mais non.
17:49 Mais hein ?
17:50 Ah si, putain, c'est une mouche. Mais non.
17:52 De toute façon c'est là que ça devient excitant.
17:56 Ils se mettent à envoyer des ondes qui tuent les gens.
17:59 Ah d'accord, on y va carrément. Voilà.
18:02 C'est une énorme mouche dégueulasse. C'est pour ça que moi je crie.
18:06 Oh putain, c'est mon film.
18:08 Quoi, fais-moi voir.
18:09 Eh ben c'est la première fois de ma vie que je m'identifie à un pneu.
18:13 Je suis dans l'ancien humour, on m'allait très bien.
18:15 La télé, les ondes, les gens qui saignent, la fin sans espoir, l'esprit science-fiction, j'aime beaucoup ça.
18:20 Ok, je peux tout expliquer.
18:22 Mon rêve le plus cher, Georges, c'est d'être le seul blouson au monde.
18:30 Ça tombe bien ça, parce que moi mon rêve le plus cher c'est d'être la seule personne au monde à porter un blouson.
18:38 Celle-là elle marche.
18:41 Ça c'est une bonne.
18:42 Ça c'est de l'humour.
18:44 Waouh, c'est ce que j'ai vu le plus beau de toute ma vie.
18:50 C'est sûr que là, on a l'impression de sortir de l'asile.
18:54 Avec les sanglues.
18:56 Ou pas, quand c'est compliqué ou pas, parce que ce qui est aussi très important, on en a dit un mot tout à l'heure,
19:00 ce sont les dialogues et du coup, là on ne voit pas le film, mais on entend, on voit les scènes devant nos yeux en écoutant ce que vous avez inventé.
19:07 Ouais, alors je ne sais pas pourquoi, mais effectivement, moi je conçois tous mes films autour des dialogues.
19:14 Mon écriture elle se situe uniquement là.
19:17 C'est-à-dire que parfois je me lance sur des personnages et je les fais parler.
19:21 Et c'est ça qui me permet de construire une histoire.
19:26 C'est toujours le dialogue qui démarre un projet.
19:29 Mais du coup, vous êtes presque tyrannique au moment du tournage.
19:31 C'est-à-dire que s'ils dévient, s'ils oublient une virgule, un bas, un beu, vous les reprenez.
19:35 Comment on peut oublier une virgule ?
19:37 C'est vrai. Non, je ne suis pas tyrannique.
19:39 Je pense que... Non, non, parce que ça se fait encore une fois de manière toute naturelle.
19:43 Ça m'arrive d'adapter.
19:45 Il y a des comédiens parfois qui n'arrivent pas à dire un mot.
19:47 On l'adapte ensemble, etc.
19:49 Mais il y a une musique et une rythmique qui font que j'entends quand c'est bon ou pas bon.
19:56 Ce n'est pas tant la rigidité de mon texte, c'est plutôt un truc musical.
20:02 Quelqu'un comme Blanche Gardin, par exemple, c'est la seule que je laisse improviser.
20:08 Elle peut changer votre texte, Blanche Gardin ?
20:10 Elle y arrive.
20:11 Elle y arrive parce qu'elle change le texte, mais dans la même humeur.
20:14 Elle ne vient pas m'apporter une espèce d'invention à elle pour exister dans mon film.
20:19 Elle adapte.
20:21 Comme elle n'aime pas recommencer, répéter trop de fois la même chose,
20:26 souvent elle apporte des petites choses, elle invente des petits trucs.
20:28 Dans Yannick, il y en a plein.
20:29 Il y a plein de petits moments où elle a transformé mes mots pour en faire un truc meilleur.
20:34 Donc quand ça se passe comme ça, c'est formidable.
20:37 Après, effectivement, je suis un peu rigide sur les dialogues.
20:42 Pas tyrannique, rigide, la distinction est importante.
20:45 Après, je ne suis pas débile.
20:48 Quand ça ne marche pas, ça ne marche pas et on réécrit.
20:50 Rigide aussi sur le temps.
20:51 On a parlé du temps dans Yannick.
20:53 Vos films font 1h20 minutes maximum.
20:56 C'est votre règle.
20:57 Pourquoi ?
20:58 Pour ne pas nous ennuyer, pour ne pas vous dire "je prends mon temps à faire un magnifique plan,
21:02 c'est super, c'est magnifique, mais ça n'apporte rien".
21:04 Je ne suis pas ce créateur qui impose, qui enferme les gens, comme les spectateurs dans Yannick.
21:08 Ça, c'est ce que je raconte à la fin pour avoir l'air glorieux.
21:12 Mais en réalité, c'est uniquement pour ne pas m'ennuyer moi avant tout.
21:15 C'est trop facile de se faire plaisir.
21:17 Effectivement, maintenant qu'on tourne avec des caméras digitales,
21:20 c'est tellement simple de tourner du gras, de se faire plaisir,
21:24 de faire une séquence musicale qui ne sert à rien,
21:26 de montrer des trucs qui ne servent à rien, etc.
21:28 De faire des scènes pour faire des scènes.
21:30 Donc je ne le fais pas.
21:32 Ou alors quand je l'ai fait, je le coupe.
21:33 C'est-à-dire que je m'auto-censure beaucoup.
21:38 Déjà en écriture, j'enlève beaucoup.
21:41 Et puis en tournage aussi, quand je sens qu'il y a dix répliques en trop dans un dialogue,
21:46 ou une action inutile, je supprime.
21:48 Et puis il y a une dernière phase qui est le montage, où je suis encore plus...
21:52 Donc ce n'est pas tant mon discours sur l'enfermement du spectateur, etc.
21:57 La prise d'otage, effectivement c'est réel,
21:59 mais en vrai, avant tout, c'est pour ne pas m'ennuyer moi-même,
22:03 que je fais des films courts.
22:04 - Est-ce que vous pourriez nous surprendre en faisant un film très long ?
22:06 Où vous garderiez tout, enfin pas tout peut-être,
22:09 mais vraiment en vous disant "là, ben voilà, vous voulez de la scène longue, du gras,
22:13 je vous donne tout, là".
22:14 - Non, si je fais un film très long un jour,
22:16 ce sera parce qu'il n'y aura que de l'essentiel,
22:19 et que ce sera très long,
22:21 et il faudra le regarder en entier pour bien tout savourer.
22:25 Non, je ne ferai pas un film long avec du gras.
22:28 Parce que je trouve qu'encore plus à notre époque,
22:31 où il y a du gras partout en fait, où les images...
22:34 - Mais les films sont très longs !
22:35 - Oui, oui, après il y a des gens qui font ça avec brio,
22:37 il y a des gens qui ont besoin de 2h30 pour dérouler un truc, et c'est super.
22:40 Il se trouve que moi, ce n'est pas mon domaine,
22:43 j'ai des idées un peu courtes, on peut dire,
22:45 et c'est très bien comme ça, il ne faut pas essayer de faire nécessairement comme les autres.
22:49 Et puis de toute façon, qui a dit qu'un film devait durer 2h ou 1h45 ?
22:54 C'est des règles qui n'existent pas, ça c'est une habitude,
22:56 et Yannick le prouve...
22:58 - Il fait même moins d'une heure, non Yannick ?
23:00 - Yannick il fait 1h05, 1h07, quelque chose comme ça,
23:03 on n'a absolument pas de plainte sur la durée.
23:06 C'est-à-dire que les gens comprennent que le film est total,
23:09 et qu'il est bouclé, et qu'il est terminé, et qu'il est suffisant.
23:11 - Que c'est une forme close presque.
23:13 - Voilà, et en fait, puisque le film se termine,
23:16 et qu'il y a toutes les phases satisfaisantes pour un spectateur, à l'intérieur,
23:20 personne ne remet en question cette durée.
23:22 Il y a même des gens qui trouvent ça formidable,
23:23 parce qu'on peut aller le voir 3 fois,
23:25 il y a plein de gens qui vont le voir plusieurs fois,
23:27 ça c'est hyper agréable pour moi.
23:29 Et puis, il y a plein de gens qui sont contents de ne pas ruiner leur matinée
23:33 pour regarder un film de 3 heures.
23:35 Moi je comprends ce rapport au temps,
23:37 effectivement, c'est là où je retrouve mon personnage Yannick.
23:41 J'ai peu de créneaux pour aller au cinéma,
23:43 parce que j'ai des enfants, parce que la vie fait que, etc.
23:46 Quand j'y vais, je suis content si ça dure 3 heures,
23:49 mais que c'est brillant, mais par contre si ça dure 3 heures,
23:51 et que c'est pas brillant,
23:53 je me sens volé, on m'a volé mon temps.
23:56 - J'ai lu que vous n'aimiez pas le théâtre,
24:01 est-ce que c'est vrai ?
24:03 - Euh... non, je ne sais pas où vous avez lu ça, ou entendu.
24:08 - C'est comme le mot tyrannique, on ne sait pas où on l'a vu.
24:11 - Ouais, c'est vrai, tyrannique ça vient d'où ? Pardon.
24:13 C'est quel comédien qui est venu se plaindre chez vous ?
24:16 - Non, non, non, parce que ce qui est intéressant dans Yannick,
24:21 c'est aussi le fait d'utiliser le théâtre de Bouvard,
24:24 sans vous en moquer d'ailleurs, en utilisant les codes,
24:27 mais on n'est pas non plus sur un sketch,
24:30 on n'est pas sur une enfilade de sketchs qui font qu'on se marre du début à la fin,
24:34 il y a des vraies ruptures de rythme,
24:36 il y a de l'émotion aussi qui rentre dans cette 1h05,
24:41 et ça c'est quand même assez fort.
24:43 - Je rebondis sur votre question d'avant,
24:46 c'est pas que je n'aime pas le théâtre,
24:48 c'est que pour un cinéaste, la hantise, c'est le théâtre filmé.
24:52 Parce que par définition, le cinéma, c'est quand même un truc
24:55 qui doit apporter des images supérieures, qui bougent,
24:58 et comme on a ce luxe de pouvoir recomposer le temps,
25:01 l'enfer c'est de faire du théâtre filmé.
25:03 Là je me suis confronté à cet enfer,
25:05 parce que j'ai vraiment fait du théâtre filmé,
25:07 c'est-à-dire que c'est réellement un film qui se déroule presque en temps réel,
25:10 puisqu'il y a une ellipse ou deux,
25:12 et en fait c'était délicieux,
25:14 mais je l'ai fait une fois, je ne peux pas en faire une marque de fabrique,
25:17 mais j'ai affronté ce cauchemar du théâtre filmé,
25:20 parce que c'est réellement un cauchemar de cinéma,
25:23 et puis réussir à faire du cinéma dans un lieu de spectacle,
25:30 fermé, c'est une petite prouesse,
25:33 mais je suis très content de cette petite prouesse.
25:36 - Je ne comprends rien de toi, la sécu,
25:38 moi leur papier, merci !
25:40 Vous avez des enfants, vous ?
25:42 - Non, non, je n'ai pas eu ce bonheur.
25:44 - Vous êtes marié ? - Non plus.
25:46 - Oh, ben soyez pas triste, ça viendra, chaque point son couvercle.
25:49 Bon, alors, 2 0 8 0 6 3 2 5 4 5...
25:53 Et ben voilà, et ben voilà, et ben ça c'est tout la sécu, ça !
25:56 Ils vous donnent un numéro, ça rentre même pas dans les cases !
25:59 Regardez !
26:01 - Qu'est-ce que vous avez foutu dans les cases, ça déborde !
26:05 - Et ben oui, il n'y a pas assez de place pour les réponses !
26:08 - Exercez-vous une activité professionnelle, ça dépend.
26:11 Oui, ça évidemment, on vous demande de répondre par oui ou par non,
26:14 alors ça dépend, ça dépasse.
26:16 - Mais évidemment, ça dépasse, c'est ce que je vous dis depuis une heure !
26:19 Elle se croit plus maligne qu'à tout le monde, celle-là !
26:21 - Qu'est-ce que c'est que ça, ZZ épouse X ?
26:24 - ZZ épouse X ?
26:26 Vous savez pas lire ? Là, regardez.
26:28 Il y a écrit en tout petit, pour les femmes mariées ou veuves,
26:31 mettre le nom de la jeune fille, suivi de deux points,
26:34 épouse X ou veuve Y.
26:36 - Non, j'ai mis ZZ épouse X.
26:38 - Et X, vous êtes mariée à X peut-être ?
26:40 - Mais non, j'ai pas de mariée, seulement je peux pas leur dire,
26:42 je suis enceinte jusqu'au dos, ça fait mauvais genre !
26:44 - Et puisqu'on parlait du théâtre filmé, Quentin Dupieux,
26:47 extrait évidemment du Père Noël est une ordure 1982 de Jean-Marie Poiré,
26:51 avec Marianne Chazelle et Christian Clavier.
26:54 - Jeu d'or, jeu d'or.
26:56 - Qu'est-ce que vous dites quand vous voyez ce film ?
26:59 A quel âge vous l'avez vu d'ailleurs ?
27:00 - Comme tout le monde, enfin comme tous les mecs de mon âge.
27:02 - A 7 ans, tout le monde l'a vu à 7 ans.
27:03 - Voilà, c'est terrible, on découpe un mec et tout ça, c'est quand même...
27:06 Je sais pas quel âge j'avais, mais bref, j'étais petit, effectivement.
27:09 Mais c'est une belle époque où on pouvait regarder ça en famille,
27:12 alors que c'est un film quand même limite border même,
27:15 mais parce que c'est brillant et parce que c'est bien écrit
27:17 et parce que c'est interprété par des génies, j'ai envie de dire,
27:21 en fait ça passe, tout passe.
27:23 C'est-à-dire que même le graveleu, même le gênant, même l'horreur en fait...
27:27 - Même la misère quoi.
27:28 - Même la misère, tout ça c'était joyeux, on le regardait en famille
27:30 et il n'y avait pas de gêne, il n'y avait pas d'embarras.
27:33 Aujourd'hui, les trucs graveleux sont presque trop graveleux
27:36 et puis j'ai l'impression que comme c'est fait par-dessus la jambe,
27:42 en quelque sorte, là je fais une généralité,
27:44 mais je me demande toujours pourquoi on n'a pas retrouvé
27:47 ce niveau d'excellence au cinéma.
27:49 - Est-ce que vous faites partie des gens qui pensent que c'était mieux avant ?
27:52 - Non, non, c'est mieux tout de suite, le présent c'est super.
27:55 Non, non, pas du tout, pas du tout, je pense pas à ça.
27:57 Je pense pas à ça, c'est juste, en tout cas dans cette catégorie
28:01 de comédie dialoguée avec brio,
28:06 je trouve qu'on n'a jamais fait mieux en fait que cette époque.
28:09 Donc ça concerne uniquement...
28:11 Mais je suis très content de vivre à notre époque.
28:13 - En 2023 !
28:14 - Oui, il n'y a pas de problème.
28:16 - Parmi vos références aussi, et on la voit peut-être dans les autres films,
28:19 pas vraiment dans Yannick d'ailleurs, il y a les films d'horreur.
28:22 Qu'est-ce que ces films ont apporté dans votre façon de réaliser ?
28:27 Et là je parle notamment sur votre façon de réaliser un peu à l'artisanal.
28:32 C'est-à-dire, on oublie tout ce qui est post-production,
28:34 on oublie tout ce qui est effets spéciaux, faits sur un ordinateur.
28:38 Vous aimez filmer les choses telles qu'elles se passent ?
28:41 - La viande, ouais, la viande.
28:42 - On a entendu le gluant d'ailleurs, les explosions tout à l'heure.
28:45 - Oui, ça c'est une petite maladie.
28:47 C'est comme j'ai grandi avec un vidéoclub près de chez moi
28:49 et que j'ai découvert le cinéma avant de regarder Bertrand Blier.
28:53 Désolé, j'ai regardé Massacre à la tronçonneuse, Halloween,
28:57 ou Les griffes de la nuit, en boucle.
28:59 Donc c'est ça qui a forgé un peu ma cinéphilie, avant tout.
29:02 Avant même de regarder Le Père Noël est une ordure.
29:05 J'étais un petit peu obsédé, comme plein de gamins de mon âge à cette époque,
29:09 par le fantastique, le gore, les monstres, etc.
29:12 Donc petite fascination pour les effets réels,
29:15 c'est-à-dire les monstres gluants, la viande, etc.
29:18 Ça ressort évidemment aujourd'hui dans mes films.
29:21 Sauf que pour moi aujourd'hui, l'idée de faire simplement un film d'horreur,
29:24 ce serait un calvaire.
29:26 Filmer des gens en panique, au premier degré,
29:30 qui se font égorger avec du sang, etc.
29:32 C'est un truc qui ne m'intéresse pas du tout.
29:34 Moi ce qui m'intéresse, c'est le rire, provoquer le rire.
29:37 Dans le pire des cas, la gêne.
29:39 Mais l'horreur, l'enfer, ça ne m'intéresse pas.
29:41 Je n'ai pas envie de filmer de la violence.
29:43 - Tout à l'heure, Quentin Dupieux, vous n'avez pas vraiment répondu
29:45 à ma question sur le normal.
29:47 - Il faut peut-être la reformuler.
29:49 - Oui, je vais refaire mon travail.
29:51 Qu'est-ce qui vous plaît dans l'idée, et on parle des films d'horreur,
29:54 de rendre presque acceptable, visible,
29:58 une attitude, un objet qui serait inhabituel ou inattendu ?
30:03 Est-ce que c'est mieux formulé ?
30:05 - Oui, après, moi, effectivement,
30:07 comme je travaille avec l'inconscient,
30:09 moi j'écris beaucoup avec mon inconscient.
30:12 C'est-à-dire qu'on parlait de mes intentions politiques de Yannick.
30:15 Ça n'existe pas.
30:17 Je m'abandonne à écrire un personnage.
30:19 Et puis c'est quasiment le personnage qui parle tout seul quand j'écris.
30:22 La même chose quand je laisse aller mes idées affreuses
30:25 d'un gamin qui se fait broyer dans une scierie, par exemple.
30:28 Tout ça, c'est inconscient.
30:31 Qu'est-ce qui m'intéresse dans le fait de rendre normal des trucs anormaux ?
30:36 Je pense à cet amour des monstres.
30:41 Je pense que tous mes personnages sont des monstres.
30:43 Yannick en est un qui ressemble à la vraie vie,
30:46 mais au fond, c'est quand même une sorte de monstre,
30:48 puisqu'il fait un truc qui ne se fait pas
30:50 et qui va prendre les gens en otage, etc.
30:52 Effectivement, on est émus pour lui à la fin,
30:54 mais c'est monstrueux.
30:55 Il y a un truc qui ne va pas.
30:57 Je crois que j'aime bien ce qui est boiteux,
31:00 j'aime bien ce qui n'est pas normal.
31:02 Mais ça, je n'ai pas répondu.
31:04 - Si, si, si !
31:05 - Je vous vois foncer les sourcils.
31:06 - Non, non, non, j'étais d'accord.
31:08 Je trouve que c'est une bonne réponse.
31:09 - Il y a aussi beaucoup d'émotions.
31:11 Dans cette scène que vous venez d'aborder,
31:13 où le neveu de Blanche Gardin dans "Fumier fait tousser"
31:15 se fait donc broyer dans une machine
31:17 à plusieurs reprises,
31:19 jusqu'à ne connaître qu'une bouche dans un seau.
31:22 - Mais il n'a pas mal !
31:23 - Il n'a pas mal, mais vous arrivez quand même,
31:25 dans cette situation totalement absurde,
31:27 totalement loufoque, presque un peu gênante,
31:29 parce qu'on voit une bouche dans un seau de sang parler,
31:32 et dialoguer avec Blanche Gardin,
31:34 à émettre de l'émotion.
31:36 On est émus à la fin.
31:38 Les acteurs sont émus,
31:39 et nous la transmettent.
31:41 - Pardon, là je m'en remets aux comédiens,
31:44 c'est le génie des comédiens.
31:46 Effectivement, moi je leur demande un truc,
31:47 c'est d'interpréter ces scènes absurdes au plus juste,
31:50 sans en faire des caisses pour montrer que c'est de la comédie,
31:53 ou alors que c'est absurde, etc.
31:55 On joue la normalité quand une scène ne l'est pas,
31:58 et c'est le brio des comédiens
32:00 qui permet de ressentir une émotion, ou pas.
32:03 D'ailleurs, parce que ce n'est pas toujours réussi mes films.
32:05 Pardon, mais voilà.
32:07 À ce moment-là, cette scène-là en particulier,
32:09 c'est les comédiens qui arrivent à incarner ces petites répliques.
32:13 Blanche qui regarde la photo sur le bureau,
32:15 et qui dit "Ah, je suis bien sur cette photo ?"
32:18 Et lui qui dit "Oui, tata, je la garde,
32:20 je la regarde tout le temps sur mon bureau."
32:21 C'est hyper touchant, alors qu'il est réduit à l'état de bouillie.
32:24 Mais on a une petite émotion à ce moment-là,
32:26 parce qu'on comprend que ce gamin a perdu son père,
32:28 enfin bref, des trucs de films traditionnels.
32:31 C'est les comédiens.
32:33 Là, complètement, je m'en remets aux comédiens.
32:36 Toutes ces idées farfelues,
32:38 qui sont finalement très bancales,
32:41 ne fonctionneraient jamais si les comédiens n'interprétaient pas ça brillamment.
32:46 - Parmi vos références aussi, il y a Dali,
32:48 qu'on va retrouver dans votre prochain film,
32:50 qui sortira au premier trimestre de l'année prochaine,
32:52 normalement, et qui est présenté cette semaine
32:55 à la Mostra de Venise, hors compétition.
32:58 C'est Dali, donc.
32:59 Daaaaaali, avec Édouard Baer, Annalise Demoustier,
33:02 Pierre Ninet, Alain Chabat, entre autres.
33:05 - Non, non, c'est une vieille liste.
33:07 - Ah bah c'est une vieille liste alors !
33:08 - Il y a une vieille liste qui est partout.
33:10 - Et c'est pas celle-là.
33:11 - C'est pas celle-là.
33:12 - Bah écoutez, voilà.
33:13 - Je suis tombée dans le panneau.
33:14 - La nouvelle liste, elle est officialisée.
33:17 - Elle est connue, on s'en peut le dire.
33:18 - Mais donc, non, il n'y a plus Pierre Ninet, plus Chabat.
33:20 Il y a plein de Dali qui se sont,
33:22 comment on pourrait dire, dérobés du projet,
33:25 de manière organique.
33:26 C'est-à-dire que, encore une fois,
33:28 j'en ai convoqué plein,
33:30 j'avais convoqué plein d'acteurs pour jouer Dali,
33:32 pour tout vous dire.
33:33 Et puis, en fait, seulement ceux
33:36 qui avaient réellement un truc à défendre et une envie
33:40 sont venus se frotter au personnage de Dali.
33:42 - Qu'est-ce que vous voulez raconter avec ce film ?
33:44 - Tout un tas de choses,
33:46 mais avant tout, c'est de la poésie au cinéma.
33:48 Ça rejoint ce que je vous disais tout à l'heure
33:49 sur cette espèce d'idée un peu ridicule,
33:53 mais qui, moi, me tient à cœur,
33:55 que le cinéma peut encore procurer des émotions artistiques
33:59 et pas seulement des pop-corn.
34:02 Donc, je parle de liberté d'une époque...
34:08 Je parle un peu avec nostalgie d'une époque terminée,
34:10 mais je parle de cette idée, en fait,
34:13 que la poésie au cinéma, en fait, c'est possible, encore.
34:20 - Cette nostalgie, c'est aussi celle d'être toujours un peu un enfant,
34:24 dans la façon de créer, dans votre façon de...
34:27 - Oui, tout à fait.
34:28 Moi, j'ai ce sentiment.
34:30 J'ai toujours eu l'impression que les artistes...
34:33 C'est pas pour dire que je suis moins un vrai artiste,
34:36 mais j'ai quand même l'impression
34:38 qu'il y a une part d'enfance énorme,
34:41 même chez plein de comédiens,
34:43 on est tous un peu des enfants.
34:44 Sinon, on dirait pas jouer.
34:47 - Vous êtes toujours ce gamin de 12 ans
34:49 à qui son papa a offert une caméra
34:52 et commence à créer.
34:53 - Dans le garage.
34:54 - Je l'ai eue plus tard, la caméra,
34:55 parce qu'à l'époque, c'était un beau cadeau, une caméra.
35:00 Maintenant, on s'en fout.
35:02 Non, je l'ai eue plus tard.
35:03 Oui, c'est toujours pareil.
35:05 Je suis toujours cette espèce d'amateur, bricoleur
35:07 qui essaye d'inventer.
35:11 Moi, j'ai ce petit côté inventeur, modestement,
35:14 mais j'essaye toujours de...
35:16 Quand je fais un film,
35:17 dès que je me vois devenir un professionnel
35:19 et avoir des automatismes,
35:21 et faire comme la veille,
35:23 je m'ennuie et je trouve ça terrible
35:25 de s'ennuyer sur un plateau de cinéma
35:27 parce que c'est une activité plutôt géniale.
35:30 Moi, je me force toujours à inventer.
35:33 C'est des petites choses,
35:34 ça se voit pas nécessairement quand on regarde le film,
35:36 mais je suis en quête d'invention.
35:39 - Ça veut dire que vous êtes là
35:41 à tous les moments de la création.
35:42 J'ai lu que vous partiez juste après le clap final d'une scène
35:46 monter sur votre ordinateur un début de montage
35:49 de la scène que vous venez de jouer.
35:50 - Tout à fait.
35:51 Ça, c'est un souci d'efficacité.
35:52 Je ne supporte pas, encore une fois,
35:54 ces vieilles méthodes de tournage
35:56 qui consistent à épuiser les comédiens
35:58 en se sécurisant des plans pour le montage.
36:01 Les gens ne savent pas forcément comment ça se passe.
36:04 Quand j'ai ce qu'il me faut,
36:06 je ne vais pas demander aux comédiens
36:08 de le refaire en plan large au cas où,
36:10 ou alors on va le refaire avec une valeur différente
36:13 au cas où au montage ça ne marche pas.
36:15 - En fait, vous n'avez pas peur.
36:16 Vous y allez.
36:17 - Exactement.
36:18 C'est un truc que j'ai annulé
36:20 depuis assez longtemps.
36:21 - La peur.
36:22 - La peur de faire un film.
36:23 Parce que ça n'a aucun sens.
36:25 Donc, je ne me couvre pas,
36:27 je ne me borde pas.
36:28 Et effectivement, pour vérifier
36:30 que tout fonctionne comme je le souhaite,
36:32 après une scène,
36:33 je fais des petits points de montage
36:35 sur un ordinateur pour être certain
36:37 de ne pas prendre de risques.
36:39 Ça m'est arrivé par le passé
36:40 de faire n'importe quoi.
36:41 C'est-à-dire de dire "c'est bon,
36:43 j'ai ce qu'il me faut"
36:44 et puis d'être coincé.
36:45 Donc maintenant, j'ai cette petite coquetterie
36:47 qui consiste à vérifier si tout est correct
36:50 plutôt que de surcharger la journée
36:53 et de tourner la même scène 152 fois
36:56 comme le font plein de gens
36:58 avec des axes de caméras différents
37:00 pour se dire juste "on verra au montage au cas où".
37:03 Voilà.
37:04 Ça, je ne le fais pas.
37:05 - Ça, façon de faire du cinéma.
37:07 Quentin Dupuis, merci d'avoir été
37:08 dans les Midi de Culture.
37:09 C'est le moment de choisir un choix musical.
37:12 C'est la fin de notre émission.
37:13 Alors, Monsieur Oiseau ou Un oiseau ?
37:16 - Un oiseau.
37:18 ♪ ♪ ♪
37:37 ♪ Venez, petits oiseaux ♪
37:40 ♪ Dans ce rayon blanc vaginaire ♪
37:45 ♪ Joignez votre roulade ♪
37:50 ♪ Au merveilleux jour ♪
37:55 ♪ Et l'âme s'éloigne ♪
37:59 ♪ De la chaleur de la nuit ♪
38:04 ♪ Et l'âme s'éloigne ♪
38:07 ♪ De la chaleur de la nuit ♪
38:10 ♪ Et l'âme s'éloigne ♪
38:13 ♪ Au merveilleux jour ♪
38:18 - "Venez, petits oiseaux" extrait de l'opéra "Ysbée"
38:22 interprété par Chantal Santon.
38:24 Jeffrey, merci beaucoup, Quentin Dupuis,
38:25 d'être venu dans les Midi de Culture.
38:26 Donc Yannick avec Raphaël Kenard-Blanche,
38:28 garde un pieu marmaille et toujours en salle.
38:31 Et on attend avec impatience Dali dans le premier trimestre
38:37 de la prochaine année.
38:38 Un remerci à toutes les personnes qui ont participé à cette émission
38:41 et qui l'ont préparée avec nous à Ysaine Deuil.
38:43 Anna Isisder, Cyril Marchand, Zora Vignier, Laura Dutèche-Pérez et Manon de Lassalle.
38:46 Nicolas Berger réalise l'émission et à la prise de son subédit, Ludovic Auger.

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