À 9h20, Olivier Norek, ancien capitaine de police judiciaire et écrivain est l'invité de Léa Salamé. A l'occasion de la parution de "Les guerriers de l’hiver" (éditions Michel Lafon). Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-interview-de-9h20/l-itw-de-9h20-du-mercredi-23-octobre-2024-2411286
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00:00Léa, ce matin, vous recevez un écrivain ! Bonjour Olivier Norek ! Bonjour Léa Salamé !
00:04Merci d'être avec nous ce matin. Si vous étiez un personnage historique, un animal
00:09et une saison, vous seriez qui ? Vous seriez quoi ? Un personnage historique d'abord ?
00:12Alors, un personnage historique, c'est en rapport avec mon roman, c'est le baron Karl Gustav Mannerheim.
00:17Il était chef du conseil de défense, en gros c'était le chef de guerre de la Finlande.
00:22Et quand il a vu que la Russie allait possiblement attaquer son pays,
00:25eh bien il a fait ce que tout chef de guerre doit faire, c'est-à-dire qu'il a tenté au maximum de l'éviter.
00:29Un bon combattant, c'est celui qui essaye en premier d'éviter le combat. C'est pour ça que je l'ai choisi.
00:33On va en parler, on va parler de lui et d'autres personnages de votre roman. Si vous étiez un animal ?
00:37Ce serait le requin, pas pour le côté carnassier ou prédateur, mais c'est parce qu'on dit de lui
00:42que s'il arrête de nager, il meurt. Et j'imagine que si un jour, sans aller jusqu'à cette extrémité,
00:47mais je me vois mal faire autre chose que de raconter, raconter et raconter, et encore inventer des histoires.
00:52Une saison ? L'hiver, parce que quand il recouvre la ville de neige, il en masque les défauts.
00:58C'est un peu comme une page blanche. Et une page blanche, pour un auteur, c'est très inspirant.
01:01« Vous pouvez tuer dix de mes hommes pour chacun des vôtres que je tue, mais même avec ces chances, vous perdrez ».
01:08C'est ce que disait Ho Chi Minh au début de la guerre d'Indochine.
01:11Cette phrase de l'ancien président vietnamien résonne étrangement avec votre roman
01:15et avec la résistance finlandaise face à l'ogre russe à qui vous rendez hommage dans ce livre, Olivier Norek.
01:21Oui, c'est le concept de la juste cause.
01:24Tous les stratèges et les militaires vous diront qu'il faut cinq soldats surentraînés
01:28pour affronter un homme seul dans sa ferme, les mains agrippées à sa carabine,
01:32si cet homme seul défend sa ferme, sa terre, sa nation et les gens qu'il aime.
01:37Donc, le concept de juste cause rend parfois invincible et fait qu'en fait, un homme vaut dix soldats.
01:43Et c'est ce que vous racontez dans ce livre-là, « Les hommes, les Finlandais, invincibles face à l'ogre russe ».
01:49Olivier Norek, étonnant parcours que le vôtre quand même, ancien policier pendant quinze ans,
01:54vous avez été capitaine à la PJ de Saint-Denis, vous avez aussi été militaire,
01:57vous avez servi également dans des missions humanitaires, en ex-Yougoslavie notamment.
02:02Mais cela fait quelques années maintenant que vous êtes un des maîtres du polar français,
02:06suivi, adulé par un million de lecteurs à chaque fois que vous sortez un livre.
02:11Mais là, en cette rentrée, gros changement, vous sortez de votre zone de confort avec la sortie de votre huitième roman.
02:17Ce n'est pas un polar comme les sept premiers.
02:19Vous publiez pour la première fois en littérature blanche, comme on dit.
02:24C'est un roman historique, qui est un roman de guerre ou peut-être ni l'un ni l'autre.
02:29Peu importe, mais en tout cas, c'est un roman.
02:32Et vous êtes en tête des ventes sur la plupart des listes des prix littéraires
02:36et encensé par une critique quasiment unanime, quelles que soient les critiques littéraires.
02:42Est-ce que vous vous attendiez à ça ou franchement, vous aviez peur de perdre vos lecteurs ?
02:47Alors, je ne m'attends à rien quand j'écris un roman, ce serait très présomptueux.
02:51Mais le fait, oui, d'être sélectionné dans ces grands prix de rentrée, c'est quelque chose de rassurant.
02:58Ça prouve une certaine extension du domaine de leur curiosité au juré et au prix.
03:04Et ça dit aussi autre chose, c'est qu'il en va de la littérature comme de l'amour.
03:10L'amour n'existe pas, il n'y a que des preuves d'amour.
03:13Et je pense que la grande littérature n'existe pas, il n'y a que des preuves d'écriture.
03:17Et si ces preuves d'écriture, de grande littérature, elles se trouvent dans la romance, dans la science-fiction ou dans le polar,
03:22alors la romance, la science-fiction et le polar vont devenir grande littérature.
03:25Par exemple, « L'Élysion dangereuse » de Laclos, « Une vie de mot passant », c'est de la romance.
03:31« La nuit des temps » de Barjavel, c'est de la science-fiction.
03:33Et Dantec, Arthur Conan Doyle, Agatha Christie, ce sont de grands auteurs et de grandes autrices, mais c'est du polar.
03:41Même la Pléiade, il y a quelques années, Valide Simonon et il y a quelques jours, H.P. Lovecraft.
03:47Donc c'est quelque chose de rassurant, ça me fait penser que les lecteurs et les lectrices commencent à mettre une nouvelle étagère à leur bibliothèque.
03:54Et à assumer le polar et que c'est un genre qui est au même niveau que les autres, pas en dessous.
04:02Et d'ailleurs vous dites « je n'ai pas mieux écrit celui-là que les précédents ».
04:07Non, je n'ai pas mieux écrit, c'est juste qu'il y a moins de flics.
04:09Il n'y a même pas de flics du tout.
04:11Il n'y a même pas du tout, il n'y a pas d'enquête, il n'y a pas d'ADN, d'écoute téléphonique, effectivement, c'est assez perturbant pour moi.
04:16Mais en fait, je raconte des histoires.
04:18Et si cette histoire, elle se passe il y a 100 ans, alors c'est un livre historique.
04:21Si elle raconte une guerre, alors c'est un roman de guerre.
04:23Et si c'est la plus insignifiante et pourtant la plus magnifique des histoires d'amour, alors ce sera une romance.
04:27J'écris uniquement des histoires, après les autres les rangeant des cases.
04:30« Les guerriers de l'hiver » chez Michel Laffont est en tout cas, je ne sais pas ce que c'est comme genre,
04:34historique, guerre ou ce que vous voulez, c'est un livre sublime.
04:37C'est un livre qu'on ne lâche pas, un coup de maître, dit Le Figaro.
04:40Vous y racontez un épisode méconnu de l'histoire et pourtant déterminant pour l'Europe.
04:44On est en 1939, au début de la Deuxième Guerre Mondiale, en Finlande.
04:47Et Staline décide d'envahir ce petit pays qui était auparavant russe.
04:50Il va organiser pour cela une fausse attaque sur la Russie, qu'il va ordonner lui-même
04:54pour trouver le prétexte d'entrer en guerre avec la Finlande.
04:57Il faut dire que son anniversaire approche à Staline et qu'il aimerait bien le fêter sur les marches du Parlement.
05:02Il se dit « je vais terrasser ce micro-état en dix jours, ça va être plié.
05:06Et j'irai fêter mon anniversaire sur les marches du Parlement finlandais. »
05:09Sauf que rien ne va se passer comme prévu.
05:11Il lui faudra 114 jours pour ne pas y arriver vraiment.
05:14Parce que les Finlandais vont lui opposer une résistance ahurissante.
05:18La résistance de la juste cause.
05:20Oui, Staline est tellement prétentieux qu'il envoie avec ses soldats des fanfares.
05:26Donc on a des trompettes, on a des soldats, on a des tambours, on a des saxophones.
05:30Et ils ne s'attendent vraiment pas à ce courage finlandais.
05:36Ils ne s'attendent absolument pas à ce que ce peuple entier se soulève.
05:39Tout à l'heure on parlait du baron Mannerheim.
05:42La grande crainte de ce chef de guerre, c'était justement en face de ce géant qui les attaque.
05:47Parce qu'il faut quand même voir que c'est un pays-continent de 171 millions de personnes.
05:51Et qui sont 3 millions les Finlandais.
05:52Et que les Finlandais c'est une nation infinitésimale de 3 millions.
05:55Donc la grande peur de Mannerheim c'était la désertion.
05:58Et donc il a eu une idée stratégiquement incroyable, humainement terrible,
06:02qui va lui refiler des cauchemars jusqu'à la fin de sa vie.
06:05Vous allez voir, ça a l'air de rien.
06:07Il va faire des villages, une unité de combat.
06:10Mais quand la guerre commence et qu'ils sont sous une tempête de plomb et de feu,
06:15eh bien ils ne font pas demi-tour. Pourquoi ?
06:18Parce qu'un village a fait une unité.
06:20Et quand ils se battent, ils ont à leur gauche leurs amis, à leur droite leurs frères,
06:23devant eux leurs cousins, leurs voisins.
06:26Et donc il est impossible de faire demi-tour quand vous avez sous les yeux les raisons même
06:29pour lesquelles vous vous battez.
06:31Parce que vous ne pouvez pas déserter alors que votre frère à côté se bat,
06:34alors que votre cousin se bat.
06:36Votre oncle est là.
06:38C'est ça. Et je ne suis pas très très fort en histoire,
06:40mais je crois que c'est un des rares conflits où il n'y a eu aucune désertion.
06:43Grâce à cette idée terrible de Malhorem.
06:46Vous vouliez rendre hommage à ces 70 000 hommes qui se sont sacrifiés face à cette invasion russe
06:50et qui, dites-vous, ont changé le visage de l'Europe. En quoi ?
06:53Oui.
06:54Et pourquoi cet épisode ? Moi je ne le connaissais pas cet épisode, cette guerre d'hiver,
06:57dont un soldat de l'armée russe dit
07:00« Tu as sûrement entendu parler des enfers, là c'est pareil,
07:03le diable lui-même ne comprendrait pas ce qui se passe ici pendant ces quelques mois. »
07:07Ça a été l'horreur absolue.
07:09Et ça a changé les visées d'Hitler. Expliquez-nous pourquoi.
07:13Quand la guerre commence le 30 novembre 1939,
07:17il y a 200 000 hommes et 100 000 femmes,
07:19200 000 soldats et 100 000 lotats
07:21qui vont s'élever contre cette invasion.
07:24Et ils vont perdre 70 000 de ses effectifs.
07:2870 000 enfants de la Finlande, hommes et femmes, filles et garçons,
07:31parce que certains n'ont que 15 ans.
07:33Et Hitler va regarder cette guerre avec beaucoup d'intérêt
07:37parce qu'elle va lui prouver que la Russie est un colosse aux pieds d'argile.
07:41Et quand un an plus tard, il a 4,5 millions de soldats
07:44qu'il imagine envoyer sur la Grande-Bretagne,
07:46il se souvient de la fragilité de la Russie grâce aux Finlandais.
07:50Et il va envoyer ces 4,5 millions de soldats sur la Russie.
07:53Et pas sur l'Angleterre.
07:55Et pas sur l'Angleterre, dans une opération qu'on connaît qui s'appelle l'opération Barbarossa.
07:58Ce qui fait qu'aujourd'hui, personne ne sait ce qu'on doit à ces 70 000 sacrifiés de Finlande.
08:03Mais s'il y a une certitude, c'est que la France, l'Europe, le monde
08:06seraient totalement différents sans le sacrifice de ces soldats
08:09qui a fait qu'Hitler a envoyé 4,5 millions de soldats sur la Russie et pas sur l'Angleterre.
08:14Et il y a évidemment une résonance avec ce qui se passe aujourd'hui en Ukraine.
08:17Vous dites d'ailleurs que ce qui vous a amené à cette histoire,
08:20c'est d'entendre un jour, il y a deux ans à la radio,
08:22alors que vous étiez en train de faire des travaux chez vos parents,
08:24je ne sais pas où, dans l'Aveyron, je ne sais pas où,
08:26d'entendre à la radio la voix de Poutine.
08:28J'ai appris de mon père que l'histoire bégaye,
08:31que l'histoire oubliée est condamnée à se répéter.
08:34Alors avec lui, on est allé à Verdun, on est allé sur les plages du débarquement,
08:37on est allé à Buchenwald où mon grand-père a été déporté.
08:40Alors quand j'ai entendu Poutine nous menacer de guerre nucléaire
08:43si on soutenait l'Ukraine, si l'Europe soutenait l'Ukraine,
08:46je n'ai pas fait différemment, je me suis plongé dans l'histoire.
08:49En gros, j'ai scanné un siècle de relations avec la Russie
08:52pour voir comment ça commence le chaos, comment ça commence une guerre.
08:56Et c'est là que je découvre, en quelques lignes,
08:58une guerre totalement oubliée de l'histoire,
09:00une guerre effacée d'Emmanuel Scholler,
09:02la guerre d'hiver, ou comment pendant une centaine de jours
09:06les Finlandais vont résister à un ogre gigantesque par moins 51 degrés.
09:10Au cœur de l'histoire, Olivier Norek, il y a un héros qui a vraiment existé.
09:14Et je dois dire que plus fort encore que la guerre
09:17ou que ces pages d'histoire,
09:20c'est la force de vos personnages qui nous prend.
09:23On se prend à être attaché à un sniper, à un tireur.
09:26On se prend à être attaché à Simo Aïa.
09:29C'est son nom, ce héros qui est connu, qui a vraiment existé,
09:32qui est connu aujourd'hui, qui est un héros de la Finlande.
09:36Avant la guerre, c'était un garçon de ferme, doux, bienveillant,
09:39un type gentil qui aimait la nature, pacifiste.
09:41Mais quand la Russie déclare la guerre à son pays,
09:43il se transforme en tueur, en tueur d'élite pour sauver sa patrie.
09:47Tellement puissant, tellement fort cet homme
09:50que les Russes vont l'appeler l'arme blanche.
09:53Pardon, ça m'a...
09:55La mort blanche.
09:56La mort blanche.
09:57Ils vont l'appeler la mort blanche.
09:58Oui, oui, ils vont être terrorisés par ce jeune homme.
10:01Il a 30 ans, il mesure 1m52.
10:03Donc en gros, il est aussi haut que son fusil.
10:06Et il a vraiment un visage très enfantin
10:08qui rend totalement incongru toute arme entre ses mains.
10:11Et puis c'est quelqu'un qui est capable de choses
10:13qu'on n'explique pas encore aujourd'hui.
10:15Il est capable de rester 5h, 6h allongé dans la neige
10:18par moins 51 degrés en contrôlant son cœur, son esprit.
10:22Il est capable de faire des tirs impossibles.
10:24C'est-à-dire qu'il est capable de toucher une cible à 490m.
10:27Alors il faut dire que...
10:28C'est-à-dire une cible qu'il ne voit pas.
10:29C'est ça.
10:30Et il arrivait à tuer les Russes comme ça, sans les voir.
10:32Il avait une technique, c'était qu'il refusait
10:34de mettre une lunette de visée sur son fusil
10:37parce qu'il avait très très peur que le soleil se reflète
10:39et qu'il dévoile sa position à l'ennemi.
10:43Donc il a réussi à faire des tirs de 490m.
10:45Alors on ne voit pas trop bien ce que c'est.
10:46Moi je suis parti en Finlande pendant 3 mois
10:48pour me mettre dans les pas de ces soldats
10:50pour aller rencontrer aussi ce que c'est que
10:51au moins 40, moins 50 degrés.
10:53Et donc dans cette cabane en Laponie que j'avais
10:55j'ai fait les mille pas qui font les 490m
10:58pour essayer de comprendre un peu comment Simo voyait
11:00et sur quoi il tirait.
11:01Vous avez tiré ?
11:02Non, alors j'ai tiré avec son arme effectivement
11:04pour en connaître le bruit, l'odeur de la poudre.
11:08Mais j'ai aussi vérifié ce tir de 490m
11:10et j'ai marché ses mille pas
11:11et quand je me suis retourné
11:12ma cabane entière avait disparu.
11:14C'est-à-dire que lui Simo réussissait à tirer
11:16dans un homme à l'intérieur de cette cabane.
11:18Je pense tout simplement pour expliquer ce tir
11:20qu'il faut comprendre que comme la Finlande
11:22Simo s'est sublimé.
11:23Il n'a pas tiré avec son intellect,
11:24il n'a pas tiré avec ses capacités,
11:26il a tiré avec son cœur,
11:27il a tiré avec son âme
11:28comme la Finlande s'est défendue avec son cœur,
11:30avec son âme.
11:31Les actes de bravoure des Finlandais et de Simo
11:33sont tellement incroyables
11:34que vous avez besoin de préciser à la fin du roman
11:36que tout est vrai.
11:37Aucun fait d'armes n'a été inventé,
11:38ni aucune anecdote,
11:39aucun acte de bravoure n'a été exagéré.
11:41Parce que vous êtes,
11:42comme à chaque fois pour vos romans,
11:44pour vos romans policiers c'est la même chose,
11:46vous enquêtez comme un journaliste
11:48qui ferait une enquête ultra minutieuse.
11:50Vous avez vraiment passé trois mois en Finlande
11:52à rencontrer des gens
11:53pour essayer de le comprendre,
11:54de le rencontrer.
11:55Mais c'est une autre histoire,
11:56il faudrait plusieurs heures pour vous interroger.
11:58Mais vous avez rencontré votre grand-père
12:00qui en fait servait dans la Légion
12:01avec un autre Finlandais.
12:02C'est fou votre histoire personnelle
12:04qui vient s'inviter dans ce livre-là.
12:07Mais rien n'a été exagéré.
12:09Il y a un esprit finlandais,
12:11le sisu.
12:12Le sisu.
12:14Ça veut dire quoi ?
12:16Alors c'est intraduisible
12:17parce que ce mot n'existe dans aucune autre langue.
12:20Ça parle du courage,
12:21de la télésacité,
12:22de l'obstination,
12:23de la volonté.
12:24Ça raconte un peuple,
12:26déjà les Finlandais,
12:27qui, et c'est assez rare,
12:29a décidé de se plier à la nature
12:31et de ne pas attendre de la nature
12:33qu'elle se plie à son confort.
12:35Donc on est quand même en Finlande,
12:36dans un pays où il y a 3-4 heures d'ensoleillement par jour.
12:39On atteint les moins 40 degrés régulièrement.
12:41Le pays est composé de forêts glacées
12:43et de centaines de milliers de lacs.
12:45Donc déjà ça crée un caractère plus...
12:48Allez, comment ne pas vexer un peuple entier ?
12:51Plus fermé, plus complexe,
12:54plus, j'allais dire, plus rude.
12:57Et puis après il y a cette guerre
12:58qui a été le ciment de ce peuple
13:00et qui a encore plus renforcé la notion de sisu,
13:03comme une notion de l'âme de la Finlande.
13:05Ce livre pose la question
13:06comment on réagirait nous
13:07si demain on était attaqués
13:08et qu'il fallait prendre des armes
13:10et qu'on était un garçon de ferme
13:11comme ce Simo,
13:12comme les autres,
13:13comme il y a aussi des personnages féminins
13:15qui deviennent infirmières
13:17ou qui entrent en guerre.
13:18La question c'est,
13:19qu'est-ce qui se passe
13:20quand un homme tue une première fois,
13:22Olivier Norek ?
13:24D'ailleurs, lorsqu'il apprend à tirer
13:25à une jeune recrue,
13:26Simo lui dit
13:27deux sentiments vont particulièrement
13:28parasiter ton tir.
13:30La peur de rater d'abord
13:31et parce qu'on n'est pas des assassins,
13:33la peur de réussir.
13:34Oui, la peur de réussir.
13:35Est-ce qu'on peut rester un homme
13:37quand on a tué des centaines ?
13:39C'est aussi le sujet de ce roman.
13:41C'est-à-dire que,
13:42sur une planète
13:43où il y a quand même
13:4450 conflits ouverts,
13:45sur une planète
13:46où il y a tout un tas
13:47de petites étincelles
13:48qui menacent d'un embrasement,
13:50je voulais rappeler la nécessité
13:51pour l'Europe
13:52d'être toujours force de diplomatie.
13:54Parce que quand ça commence,
13:55avec aussi toutes les interconnections
13:56des pays,
13:57quand on attaque un pays,
13:58on ne sait pas lesquels vont se réveiller,
13:59lesquels vont s'allier.
14:01Eh bien, il était essentiel pour moi
14:03d'écrire ce roman à taille humaine
14:05pour que les lecteurs et les lectrices
14:06se mettent dans la peau,
14:08dans l'uniforme de ces soldats,
14:10pour se souvenir que
14:12personne,
14:14absolument personne,
14:15qu'il soit flic, gendarme
14:16ou militaire,
14:17ne sait s'il est capable de tirer.
14:19Pendant la guerre,
14:20un tir sur trois
14:21est volontairement tiré à côté.
14:22Parce que nous ne sommes pas faits pour ça.
14:24Ce n'est pas notre ADN.
14:25C'est le tabou ultime doté la vie.
14:27Et nous allons regarder,
14:28comme ça,
14:29cette unité de soldats,
14:30parce que j'ai choisi une unité,
14:31celle de Simoya,
14:33et nous allons les voir marcher
14:34sur le bord de ce gouffre.
14:36Le gouffre, c'est quoi ?
14:38C'est cette chute
14:40qui arrive quand on tue pour la première fois,
14:42et pour la dixième fois,
14:43et pour la centième fois.
14:44C'est cette inhumanité
14:46vers laquelle on se rapproche
14:48de plus en plus au fur et à mesure.
14:49Ça fait quoi de tuer ?
14:50Et qu'est-ce qu'il nous reste d'humanité
14:51quand on a tué ?
14:52C'est ça que raconte le livre.
14:54C'est surtout ça que raconte le livre.
14:56Moi, j'étais capitaine de police
14:57et j'ai arrêté.
14:59J'ai entendu beaucoup d'assassins
15:00et beaucoup de meurtriers.
15:01Et je n'en ai jamais vu de sublimes
15:03comme on en voit à la télé ou au cinéma.
15:04J'ai toujours vu un homme ou une femme
15:05recroqueviller sur son fauteuil
15:07parce que, justement, c'est cet acte,
15:09c'est ce tabou ultime.
15:11Et maintenant, c'est de savoir
15:12qu'est-ce qu'il reste d'humanité
15:13à la fin de cette guerre
15:14sur ces personnages qu'on a suivis.
15:16Olivier Norek, en 2013,
15:17vous vous êtes mis en disponibilité
15:18de la police pour dix ans.
15:19Ça, vous avez le droit de le faire.
15:20Vous avez écrit vos romans.
15:22L'an dernier, il fallait choisir
15:24si vous démissionniez de la police
15:25ou si vous restiez.
15:26Vous avez choisi de démissionner
15:27et pourtant vous disiez
15:32Est-ce que vous ne voulez plus être utile
15:33ou est-ce que vous êtes utile différemment ?
15:35J'essaie d'être utile différemment
15:37en ce sens que je n'écris jamais...
15:39Avant, c'était des polars.
15:41C'est toujours des polars,
15:42mais je n'écris jamais un polar
15:43pour le simple plaisir d'une enquête de police.
15:45Il y a toujours un sujet méta.
15:47Quelque chose qui fait que
15:48quand on ferme le livre,
15:49on a passé un moment de divertissement,
15:50mais ensuite on peut en parler.
15:52En fin de compte, mon livre,
15:53il existe après la lecture.
15:55Il existe dans le sens où
15:57on peut parler de ce fameux sujet méta.
15:59J'ai écrit un bouquin, par exemple,
16:00qui s'appelle Surface
16:02et qui parle d'une policière
16:03qui, par un tir de fusil, est défigurée.
16:05Donc là, je parle de la superficialité.
16:07Je parle du poids du regard de l'autre.
16:09J'écris un livre qui s'appelle
16:10Entre deux mondes
16:11qui est une enquête de police
16:12dans la jungle de Calais.
16:13Évidemment, l'enquête de police
16:14est secondaire, voire même encore plus loin
16:17parce que ce que je voulais raconter,
16:19c'est quoi aujourd'hui l'accueil
16:21de ces migrants dans ces camps de réfugiés.
16:23Et aujourd'hui, vous écrivez un livre
16:24sur la résistance.
16:25Et aujourd'hui, j'écris un livre
16:26sur la résistance
16:27parce que la résistance,
16:28elle est quotidienne.
16:29C'est réussir à continuer malgré tout
16:31et c'est réussir surtout
16:32à ne pas, face à l'oppression
16:34ou à la volonté d'un autre,
16:36de changer.
16:37Changer de manière d'aimer,
16:38de manière de vivre,
16:39de manière de croire.
16:40La musique vous accompagne.
16:41Vous aimez bien écouter ça
16:42dans vos nuits d'insomnie
16:43ou vos nuits d'écriture.
17:00Hans Zimmer.
17:02Alors, Hans Zimmer,
17:04ce n'est pas spécialement celle-là.
17:06C'est la rave du choix ici.
17:08Et c'est un très bon choix.
17:10Oui, parce que la musique raconte des choses.
17:13La musique est ultra puissante
17:15dans sa narration.
17:17C'est pour ça que le seul moment
17:18où je n'écoute pas de musique,
17:19c'est quand j'écris
17:20parce qu'elle a déjà un rythme,
17:21elle a déjà une puissance
17:22et ça risquerait de déséquilibrer
17:23ce que je voudrais raconter.
17:24Rien ne vous prédestinait à être écrivain
17:26et d'abord vos notes à l'école
17:27avec 5 sur 20 en bas de français,
17:28ce n'était pas gagné.
17:30Avec une maman qui est directrice d'école.
17:33Et un père qui est NARC.
17:34Et un père qui a été directeur de Radio France.
17:36Directeur général de Radio France, oui.
17:38Vous connaissez bien la maison de la radio.
17:39Je la connais bien.
17:40Je crois que j'ai fait du vélo dans ces couloirs.
17:42Vous affirmez être dysmorphophobes.
17:45Qu'est-ce que ça veut dire ?
17:47C'est de ne pas se voir comme on est.
17:49C'est aussi le fait de ne pas trop s'apprécier
17:52comme on est.
17:53En fait, c'est simple.
17:54Je pense que si j'étais flic,
17:56si j'étais militaire,
17:57si j'étais missionnaire humanitaire
17:59avec Pharmacie Sans Frontières
18:00et si aujourd'hui j'écris des livres,
18:01c'est parce que comme je ne m'aime pas,
18:03il va falloir que je trouve une légitimité.
18:05Et si je fais quelque chose pour l'autre,
18:07l'autre c'est ma malédiction,
18:09si je fais quelque chose pour l'autre,
18:11alors le regard que me renvoie l'autre
18:13me donne une place dans la société.
18:14Donc voilà, j'ai absolument besoin.
18:16Vous ne vous aimez pas ?
18:17Non, pas des masses, non.
18:19Pas plus maintenant ?
18:20Est-ce qu'on ne guérit pas un peu de ça ?
18:22Non, on ne guérit pas.
18:23Et puis c'est bien, c'est un moteur.
18:24C'est-à-dire que chaque chose que je fais
18:26est dirigée vers l'autre,
18:27parce que j'ai besoin de l'autre
18:28et c'est l'autre qui me rend légitime d'être.
18:29Dans Match, vous dites
18:30« Je n'ai jamais eu aucune histoire d'amour ».
18:32Comment c'est possible ça ?
18:34Aucune histoire d'amour dans votre vie ?
18:36Eh bien, si l'autre est tout dans ce que je fais,
18:39je suis totalement incapable de concevoir d'être deux.
18:44Donc je suis tout le temps ouvert vers l'autre,
18:46mais terriblement, terriblement solitaire.
18:48Et ça me convient très, très bien, c'est un choix.
18:50Les impromptus pour terminer.
18:52Et là, Nicolas Demorand à qui est-ce ?
18:55Parce qu'il est un peu comme vous.
18:57Avec l'autre, mais très solitaire.
18:59Là, je vous out.
19:01Pierre Lemaitre ou Nicolas Mathieu ?
19:04Pierre Lemaitre parce que je le connais
19:06et c'est une des premières personnes
19:07avec qui j'ai parlé quand j'avais 50 pages
19:09de mon premier roman « Code 93 ».
19:11Il m'a dit « Tu veux faire du polar ?
19:13T'es sûr ? C'est compliqué. »
19:14Et puis après, je l'ai revu.
19:15Il avait donc le Goncourt.
19:17Je lui ai dit « Alors Pierre, maintenant tu dois être heureux. »
19:19Il me fait « Non, c'est toujours compliqué. »
19:21Il y a des gens qui ne sont pas faits pour le bonheur.
19:23Mais j'aime beaucoup Pierre parce qu'il a été un grand frère pour moi.
19:25Joseph Kessel ou Albert Londres ?
19:27Joseph Kessel, peut-être pour la résistance.
19:31Et puis aussi parce qu'il est dans ce roman
19:33en tant que grand journaliste.
19:34James Ellroy ou John le Carré ?
19:36James Ellroy.
19:37Votre prochain livre un polar
19:38ou on reste dans la littérature blanche ?
19:40J'ai un personnage que j'aime beaucoup
19:42qui s'appelle le Capitaine Coste
19:43et je pense qu'il a le droit à sa fin d'histoire.
19:46Ils vont être contents, vos lecteurs.
19:47Alcool, sexe, drogue, quels sont vos vices ?
19:51On peut prendre les trois ?
19:53Non.
19:54C'est bon.
19:55Qui a dit « entre baiser et bouffer, je préfère bouffer » ?
19:59J'aurais très bien pu le dire.
20:01Mais j'aurais préféré le dire de manière un peu plus polie.
20:04Vous votez ?
20:05Oui, bien sûr.
20:06Liberté, égalité, fraternité, vous choisissez quoi ?
20:12Il y en a deux qui n'existent pas.
20:14Liberté.
20:15Lesquelles n'existent pas ?
20:17Égalité, fraternité, j'aimerais qu'il y en ait un peu plus.
20:19Et Dieu dans tout ça ?
20:20Je crois en Dieu, pas en un Dieu.
20:26Je lui parle souvent parce que j'ai choisi d'y croire.
20:31Peut-être parce que depuis que j'ai l'âge de 9 ans, je fais des terreurs nocturnes
20:35et je pense qu'une vie normale, ça devrait être 600 ans et pas 80 ans.
20:38C'est beaucoup trop court.
20:40Des terreurs nocturnes.
20:41Donc, il donne des très bons livres palpitants, romanesques.
20:44« Les guerriers de l'hiver », c'est en librairie.
20:46C'est chez Michel Lafon, c'est déjà en tête des ventes.
20:48Et c'est mérité.
20:49Belle journée à vous.
20:50Merci à vous, Léa.